28. Désillusion

https://youtu.be/hFlHsKExcYg

— Comment ça, "elle n'existe pas"? C'est des conneries, je l'ai vue et je lui ai même parlé! Bon c'était pendant que je dormais, mais c'était pas un rêve, je le sais!

Ma remarque capta aussitôt l'attention de Namue. Et celle de Tim, qui réagit immédiatement.

— Mais pourquoi donc ne m'en as-tu pas parlé?
— Je voyais pas trop l'intérêt de te raconter ça, surtout que c'est gênant. Et puis merde à la fin, tu passes ton temps à me mentir et à me cacher des trucs. Viens pas me faire la leçon.

J'étais à peu près sûr·e qu'il m'aurait menti·e de toute façon. Namue semblait savourer l'instant.

— Voilà qui est intéressant. A quoi ressemblait-elle, celle que tu as vu "en rêve", comme tu dis?

Elle tapota son long index griffu sur sa joue, son autre bras replié contre elle.

— Arrête ça, s'te plait. T'es en train de raconter de la merde. Si Miss n'existe pas, alors moi, je suis qui? L'Homme Masqué? Tu m'as bien regardé·e?
— Tu devrais savoir aussi bien que moi qu'on peut vite être pris dans des choses qui nous dépassent, qu'on ne comprend pas et qui finissent par nous blesser. Pas vrai?
— Arrête ça et viens en au fait. Si tu es venue te battre, qu'on en finisse!

J'avais horreur des gens qui parlaient par énigme. À faire trop de mystère, on avait vite fait de se perdre dans les doubles sens.

— Pour qui tu te prends? Tu n'es personne. Miss, c'est un titre, une fonction. Les Mânes adoptent un porteur et font de cette personne une guerrière de l'Egide. Tu ne deviens pas quelqu'un d'autre, tu es juste une version féminine de toi. Un peu améliorée, je te l'accorde, mais en définitive, tu ne deviens pas quelqu'un d'autre.

Merde.

Sans pouvoir l'expliquer, je sentais qu'elle avait raison. Ca expliquait trop de choses. Cependant, quelque part, au fond de moi, je ne voulais pas le croire. C'était tellement plus facile et confortable de penser que je devenais quelqu'un d'autre dans un corps qui n'était pas le mien. Ca rendait cet état de fait un peu plus acceptable. Désormais, je ne pouvais plus nier l'évidence. C'était le moi garçon qui allait disparaître et ça, j'étais pas prêt à l'accepter. Tim ne m'avait pas seulement menti·e : il m'avait carrément trahi·e pour se servir de moi.

— J'aurais fini par tout te dire, je t'assure, mais tu n'étais pas prêt·e à l'entendre. Ne tombe pas dans son piège, elle veut te tourner contre moi!
— Peuh! C'est toujours de toi dont il s'agit. Tu en as sacrifié combien d'autres comme moi, Tim?
— S'il te plait, sois raisonnable. J'ai menti pour protéger ton psychisme. Je ne savais pas comment tu allais réagir si tu savais que tu n'étais qu'une version femelle de toi.
— Ah ouais?

Il ne comprenait décidément rien à rien. Il avait même osé minimiser les choses en prétendant que ce n'était pas si grave. Alors qu'on modifiait qui j'étais sans me le dire ni même me demander. Et moi qui pensais que je ne pouvais pas tomber plus bas.

— C'est quoi la suite, Namue? Tu comptes me demander si je veux rejoindre vos rangs à Callixte et à toi, je suppose?
— Pas du tout. Je suis venue ici dans un but bien précis, et je n'ai pas prévu du tout de t'épargner. Bien au contraire, j'attends ce combat depuis un moment déjà.
— Parfait, j'ai justement une grosse envie de me défouler, là.

Impossible de ne pas décocher un regard assassin à Tim, ce vil fourbe. On aurait deux ou trois choses à se dire quand tout serait fini. A condition toutefois de gagner ce combat.
Mais Namue agitait son long doigt en signe de refus.

— On s'est mal comprises, toi et moi, on dirait. J'ai très envie de te mettre une branlée, mais tu n'es pas ma cible prioritaire. Un peu de patience, ton tour viendra.
— Mais tu veux quoi, bordel?
— Comme Callixte, je veux la Princesse. Il me semblait que tu connaissais la musique, depuis le temps. Lui la veut vivante. Personnellement, je me contenterai de son cadavre, ça m'ira tout aussi bien.
— Encore une fois, je ne vois pas du tout le rapport avec moi.

Elle poussa un soupir théâtrale.

— Tu ne comprends pas vite, toi, hein? Nous savions que tu avais vu la Princesse. On ignorait comment elle avait fait, mais grâce à toi, le mystère est levé. Tu vas la trouver, et me la livrer.
— Et pourquoi je ferais un truc pareil?

Une pointe glacée jaillit dans mon ventre. Une lourde épée de Damoclès planait et menaçait de s'abattre. Ce fut Tim qui m'annonça la couleur.

— Les zombies... Ou sont-ils partis?

Un cri retentit, une voix très reconnaissable se fit entendre. Tim et moi, nous nous regardâmes, consternés.

— Stella!

Namue souriait de toutes ses dents aiguës, les mains sur les hanches.

— Surprise et un peu déçue que ce bluff soit aussi bien passé.

Sans perdre plus de temps, je partis comme une flèche en direction des bruits. Mais Namue ne l'entendait pas de cette oreille.

— Oh que non! Ton adversaire c'est moi, Miss et tu n'iras nulle part!
— Lâche-moi! Si jamais tu fais du mal à ma sœur, je te défonce!
— Ah, je comptais bien là dessus...

Elle se jeta sur moi avec une vélocité surprenante. Seulement moi aussi, j'étais très rapide. L'angoisse me donnait des ailes, et s'il arrivait quelque chose à Stella, je savais que je ne me le pardonnerai jamais.

Une roulade sur le côté me permit de l'esquiver et elle traversa une vitrine. Elle devait peser sacrément lourd pour faire ça. Elle se rétablit sans peine et sans égratignures, toujours avec son sourire carnassier, une lueur meurtrière dans les yeux.

J'entendis des bruits de lutte. Ils n'avaient pas encore réussi à l'attraper. Je pouvais facilement me débarrasser des zombies, mais Namue c'était un gros morceau. C'était le moment ou jamais de sortir l'artillerie lourde.

Spark'ling!

Elle évita le rayon coloré avec un salto aussi inutile qu'impressionnant. Enfin, pas si inutile que ça, puisqu'elle se repositionna aussitôt, prête à la contre attaque. Je ne pourrais pas la toucher facilement, il fallait d'abord que je la coince. Mais Tim m'interrompit.

— Non, Miss! Tu vas la tuer si tu fais ça!
— Rien à foutre! Y a la vie de ma frangine en jeu, j'vais pas la laisser faire!

Elle n'avait rien perdu de cet échange, bien entendu.

— Tu ferais n'importe quoi pour elle, pas vrai?

Je vis rouge. Je me sentis submergé·e par la rage et l'envie de lui fracasser la tête.

Si je la mets hors d'état de nuire, plus de problème!

Mais les choses étaient loin d'être aussi simple. Je bondis dans sa direction, pour tenter de la surprendre par une agression fulgurante. Ce fut seulement alors que je compris qu'elle avait des réflexes de serpent. Elle m'attrapa par les poignets de son étreinte écrasante. En terme de force brute, j'étais complètement surclassé·e.

— Tu ne pensais tout de même pas qu'une attaque frontale aussi brouillonne allait passer? Je me sens vexée.
— Qui ne tente rien n'a rien.
— Encore d'autres aphorismes creux? Tu peux faire mieux que ça, sers toi de ta tête!
— Bonne idée!

Utilisant les entraves comme point d'accroche, je me laissai tomber en arrière pour gagner de l'amplitude de mouvement et suivre son conseil : utiliser ma tête pour lui administrer un magistral coup de boule. Elle avait la tête dure. Moi aussi.

La manœuvre avait toutefois atteint son but ; elle avait lâché prise et portait par réflexe ses mains sur son visage contusionné.

C'est le moment ou jamais!

Il fallait se décider très vite. Soit Stella, soit Namue. J'ai couru vers Stella, sans me retourner. Elle tentait de semer son groupe de poursuivants et était acculée entre la cordonnerie et l'opticien.

Quelque chose de gros et de lourd me heurta dans le dos, et je m'affalai par terre sous la violence du choc. En relevant la tête, je compris bien trop tard que j'avais fait le mauvais choix.

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