26.Complicité
https://youtu.be/yNENVZFHutQ
Sans grande surprise, je m'étais fait allumer comme une torche à la Saint Jean. Le prof de physique-chimie n'avait pas du tout apprécié la blague. Tout ça pour ça.
La discussion que j'avais eue pendant mon «rêve» s'était avérée au final peu intéressante et m'avait surtout mis encore plus en difficulté que je ne l'étais déjà auparavant. La voix de Stella me surprit alors que je faisais semblant de fouiller dans mon casier à la recherche d'un truc qui n'y était pas.
— Mais qu'est-ce que t'as encore foutu?
— Lâche-moi un peu, tu veux? J'en ai marre que tout le monde me tombe dessus sans arrêt pour me chier dessus. J'aurais aimé avoir un peu de soutien au moins de la part de ma propre famille!
Je n'aurais clairement pas dû m'énerver de la sorte, mais j'étais vraiment au bout du rouleau. Je sentais les regards furtifs et l'attention aussi supplémentaire que superflue dont je faisais l'objet. Ce n'était pas le moment de sortir la tête de mon casier avec le feu aux joues : il fallait d'abord que ma dignité acceptât de sortir de sa cachette. Et je puis affirmer qu'elle n'en avait aucune envie.
Stella se rapprocha de moi avant de me parler à voix basse.
— Tout va bien? Tu sais, tu peux m'en parler si t–
— Merci de ton attention mais la dernière chose dont j'ai besoin, là, maintenant, c'est que maman soit au courant. Et donc inquiète.
— Je ne comptais pas spécialement lui en parler. J'étais sérieuse quand je te proposais mon aide. T'as pas l'air d'aller super bien.
Elle se mordit les lèvres. Ses yeux papillonnèrent un peu partout, sauf dans ma direction. Elle semblait sincère et ce fut suffisant pour me faire chaud au cœur. Elle fit mine de consulter son téléphone d'un air absorbé.
— Si tu veux, on peut aller se changer les idées au centre commercial.
Cette fois-ci, la surprise fut totale. En temps normal, elle n'aurait jamais voulu ni même accepté d'être accompagnée par son petit frère. Ca faisait partie de ses chasses gardées, c'était en quelque sorte son territoire.
— C'est gentil, et euh j'apprécie vraiment Stella mais, comment dire? On n'a pas un flèche...
Elle haussa les épaules, avec un sourire.
— Quand on n'a pas de thunes, on appelle ça faire du lèche-vitrine. Un truc de fille, mais je te passerai les détails.
Dommage, ça aurait pu m'être utile. Je chassai bien vite cette pensée de mon esprit : je n'étais pas trop d'humeur à faire des heures supp.
— On pourra juste prendre un truc à boire?
— OK. Mais s'il y a un truc qui te tracasse, je veux que tu m'en parles.
Elle était d'une perspicacité terrifiante. C'était à la fois touchant et inquiétant.
⁂
J'aimais assez bien ce lieu. Plein de monde, beaucoup de lumière, de bruits et d'agitations. C'était vivant et sans pouvoir me l'expliquer, ça m'aidait un peu à oublier, moi-même et mes problèmes. Nous flânâmes de-ci de-là dans la galerie, échangeant des banalités et des commentaires inspirés sur ce qu'on ne pourrait jamais s'acheter.
On se retrouva finalement dans la cafétéria de la galerie marchande, moi devant un chocolat et elle, devant son café. Je m'attendais à me faire questionner en bonne et due forme : elle n'en fit pourtant rien et ne me parla pas tellement pendant le trajet. On avait juste errer sans véritable but pour finalement s'arrêter ici.
Je pensai qu'elle était une habituée des lieux car les employés semblaient bien connaître ses goûts et ses petites habitudes.
Elle posa ses mains contre le gobelet de café bouillant, noir, sans sucre en le faisant tourner doucement pour ne pas se brûler les doigts. Elle le prenait toujours ainsi. Elle pianota une dernière fois sur son téléphone avant de le pousser devant elle. J'eus le temps de lire avant que l'écran ne s'éteignît : "suis à la cafèt' avec R. On rentrera plus tard, bisou."
— Je vois que tu as prévenu maman.
Lire à l'envers était une compétence dont je n'étais pas peu fier et je ne ratais jamais une occasion de le montrer. Peu impressionnée, elle se contenta de faire la moue.
— Je me contente de nous couvrir. Histoire qu'on prenne notre temps pour bien mettre les choses au point.
Elle but une longue rasade de café brûlant sans sourciller.
— Ton chocolat va refroidir.
— Je le préfère tiède, perso.
J'en bus une gorgée. Il était effectivement froid.
— Inutile de tourner autour du pot. Je connais ton secret, Raphaël.
Plutôt que de recracher ma boisson ou de l'avaler, je choisis la troisième solution en m'étouffant avec. Les larmes aux yeux, après trois bonnes minutes à tousser, je ne pus faire semblant plus longtemps d'ignorer ce qu'elle venait de dire.
— De quoi tu parles? Je n'ai aucun secret.
Prêcher le faux pour avoir le vrai, c'était sa stratégie de prédilection. Mais elle ne m'aurait pas à ce petit jeu-là. En tout cas pas cette fois.
— Vraiment? Tu te retrouves chez le CPE après une espèce d'embrouille tordue, tu t'enfermes dans ta chambre et pour finir, tu pionces en cours? Ça ne te ressemble pas. Donc je vais aller droit au but, mon cher frangin : qui est-elle?
Il semblait bien que cette fois, elle en savait un peu plus long qu'elle ne voulait bien le dire. J'ignorais quoi faire. Je pouvais soit la mettre dans la confidence soit tenter de la mener en bateau. Impossible de solliciter l'avis de Tim. Il m'aurait sans doute dit un truc du genre :
«Ne lui dis rien!»
Seulement là, elle me regardait fixement, le menton posé au-dessus de ses deux mains jointes alors que la vapeur du café continuait de monter en volutes, déformant l'atmosphère. Je compris quasiment aussitôt que je ne pourrais pas noyer le poisson et qu'il fallait trouver un truc à lui dire. N'importe quoi. Elle était sympa pour une fois et je ne voulais pas passer pour le sale con de service.
— Tu sais, Stella, il y a eu un certain nombre de choses qui me sont arrivées ces derniers temps.
— Oui, je suis au courant. Tu as fait une rencontre pour le moins "bouleversante", je dirai.
— C'est le moins qu'on puisse dire. Cette rencontre m'a pas mal affecté et j'ai l'impression de, euh...
— ... Ne plus être la même personne qu'avant?
Elle avala le reste de son café, pourtant encore bien chaud, d'une traite. Je me sentis grimacer en voyant ça. Elle hocha la tête l'air compréhensif, avant de poursuivre.
— Des fois, on fait des rencontres qui nous changent en profondeur. Parfois c'est pour le mieux, parfois pour le pire. Et c'est ça que je voulais que tu saches : je serais toujours là, quoi qu'il arrive. Mais je dois aussi te mettre en garde, parce que je te vois sur la mauvaise pente : fais bien attention à qui tu accordes ta confiance. Ne laisse personne te dire qui tu dois être et surtout, reste toi-même : mon chieur de frère.
— Je te trouve bien inspirée, aujourd'hui. Je ne suis pas certain de comprendre à qui tu fais allusion.
Me parlait-elle de Camille ou de Charlotte? Et comment pouvait-elle être au courant de mes déboires sentimentaux? Je pensais qu'elle avait une vie à elle, pas qu'elle s'intéressait autant à la mienne.
— Je te parle de cette Mélissa que tu as cachée à tout le monde.
— Pardon?
— Oh arrête de faire l'innocent, je parle de la meuf que tu planques. Celle avec les cheveux roses.
Elle avait réussi à me perdre. Il fallait dire aussi que j'avais complètement oublié ce détail. Pendant un instant, elle avait presque réussi à me faire douter.
Mais après tout, pourquoi ne pas la mettre dans la confidence?
Ce n'était pas comme si je ne pouvais rien prouver ou qu'elle allait me trahir. Elle voulait s'impliquer dans ma vie et tout savoir? Peut-être même que ça me soulagerait un peu de pouvoir me confier à quelqu'un. Je pris ma décision sur un véritable coup de tête : j'allais tout lui balancer.
Et que Tim aille se faire foutre!
— Stella, j'ai un truc important à te dire. À propos de "Melissa", justement. Tu ne me croiras jam... Quoi?
Elle avait arrêté de m'écouter pour regarder quelque chose derrière moi. Elle fronça les sourcils.
— Y avait une animation de prévue aujourd'hui? Pourquoi tous ces cosplayeurs avec cette nana cheloue?
Son expression passa de l'étonnement circonspect à la surprise effarée. Il fallait bien admettre que voir son frère se transformer instantanément en fille pouvait provoquer cet effet.
Et merde!
— Bon allez, c'est pas comme si t'avais jamais vu de filles de ta vie... J't'avais dit que tu m'croirais jamais.
Un peu agacé·e de me faire interrompre à un moment pareil, je regardai par-dessus mon épaule pour contempler le spectacle qui avait autant capté l'attention de Stella.
Namue venait de faire une entrée pour le moins remarquée.
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