15.Plan

Enfin dans le sanctuaire protecteur de mon intimité : mon lit. Et on l'apprécie encore plus après des journées comme ça. J'avais trop de choses en tête cependant. Un peu comme les grumeaux dans les pâtes à crêpes. La comparaison était totalement valide. Il arrivait que de temps en temps, une pensée restée collée au plafond finissait par me tomber dessus au plus mauvais moment.

J'avais lu ou entendu quelque part (sans doute un cours de SVT ou une vidéo, le genre de truc qu'on écoute vaguement d'une oreille) que les filles avaient un champ de vision légèrement plus important. Dit comme ça, c'était cool, mais dans les faits, la différence n'était pas flagrante.

Pareil concernant le centre de gravité, du point de vue strictement physique. Il fallait être lucide sur le fait que ce n'était pas ça qui expliquait les performances surhumaines. Miss était entraînée, sportive et souple. Le genre de constat qui rappelle qu'on a un corps d'huître, la tonicité d'un bulot et l'endurance d'une moule marinière. J'étais habituellement incapable de me plier en deux et d'étreindre mes mollets.

— Tu peux ouvrir cette fenêtre, Tim? Tu pues mon salaud!

Son régime alimentaire était censé le protéger, certes. Mais pas m'intoxiquer par la même occasion. Détail troublant, quand je m'étais métamorphosé dans ma chambre, ça sentait plus pareil. Ca puait le rance et la sueur, en fait. Et Tim n'y était pour rien. Pas cette fois, en tout cas.

Raison de plus pour ne pas retenter l'expérience, si j'avais encore besoin d'une raison supplémentaire.

— Elle s'est entraînée longtemps, Miss?

Le nounours lâcha un vieux rôt, et soupira.

— Elles se sont toutes entraînées, mais les Mânes les aident aussi à donner le meilleur d'elles même. L'idée, c'était d'avoir des soldates toujours en forme et en condition. Tu t'en es sans doute pas aperçu parce que tu passes ton temps à te plaindre, mais les Mânes t'ont guéri de tes contusions.
— Je vois. C'est pratique.
— T'emballes pas, c'est pas magique. Enfin si, mais c'est pas la panacée. Ça te fera pas repousser un bras ni soigner une hémorragie. Alors essaie d'éviter. Stella n'est pas dans sa chambre?
— Nan, c'est la soirée télé ce soir. Heartstopper, je crois. Elles font ça des fois. Elles s'enroulent dans un plaid et mangent de la glace devant une série.
— Et tu y vas pas?
— Pas mon truc.

Surtout trop de choses à penser. Le ciel m'était juste tombé sur la tête, je ne savais ce que demain me réservait ni comment tout cela allait finir. Et j'avais encore un devoir de français à finir. Comme quoi, la vie est une question de priorité.

— Je me demande bien ce qu'il va tenter, ensuite.
— Ce qu'il va inventer, je ne saurais dire, mais son objectif, lui, il n'a pas changé. Il ne peut pas régner légitimement tant qu'il ne s'est pas débarrassé de la princesse, et il a déjà perdu deux Mânes en essayant. Mieux, tu l'as carrément blessé. Et pas que physiquement.

Ne jamais sous estimer l'ego d'un mégalomane. Surtout quand il est un sorcier interdimensionel surpuissant.

— Dommage que je ne puisse pas parler avec ma colloc'.

J'aurais p'têt pas dû dire ça à voix haute.

Ce n'était pas mon genre, l'ego trip, contrairement à Calixte, mais je m'étais aperçu que j'aurais vraiment aimé faire connaissance avec elle. Miss. Lui demander son avis, ce qu'elle pensait de tout ça, comment je pourrais l'aider à faire rentrer les choses dans l'ordre...

— T'inquiètes pas, ça viendra. On va toutes les libérer et tout arranger. Après on pourra tous reprendre une vie normale.
— Moui, une vie normale. J'ai presque oublié à quoi ça ressemblait. J'vais dormir, alors pas de bruit. T'approche ni du PC, ni de la chambre de Stella.

Mais au fait, il fait quoi de ses nuits?

Morphée m'ayant mis sauvagement le grappin dessus, je m'endormis sur cette brûlante mais néanmoins troublante question probablement sans importance.

Je m'étais mis à flotter. Je ne savais pas trop pourquoi, ni pas trop comment. Ca arrivait, quelquefois, qu'avant de m'endormir, j'avais cette sensation de partir et en règle générale, à ce moment précis, ma jambe faisait un mouvement brusque. Comme ça, juste pour m'empêcher de dormir.

Seulement cette fois, je flottais bel et bien. Et moi qui ne rêvais jamais de voler.
Mais je ne volais pas vraiment. Je tombais. Lentement, comme si je planais.

— Super, j'me tape un trip Alice. Sauf que mon lapin blanc à moi, c'est un nounours brun et moche.

Ma voix sonnait bizarrement à mes oreilles. Par réflexe, je baissais les yeux. Ce qui était idiot. Je savais que j'étais bien moi. Qui que je sois, d'ailleurs. J'avais pas de souci de ce côté là. L'ambiance, elle, me posait déjà plus de questions.

J'atterris finalement au fond d'un puits. Devant moi un tunnel.

— Vas-y, Raph'!
— Max? Mais qu'est ce que tu fous là?
— Je suis venu pour les pop corn.

Il tenait un seau énorme. Un truc bougeait dans le seau. La pile trembla et la chose sortit.

— Tim?
— C'est des pop corn au gingembre!

J'ai tendu la main, pour en prendre, parce que c'était clairement la chose à faire. Un tentacule visqueux s'enroula autour de mon poignet. Un autre s'enroula autour de mon abdomen, et montait lentement vers mon torse. Un troisième vint m'étrangler.

J'étais en train de suffoquer, crevant de chaud.

— Ta... Vento... Max?
— Tu vas t'en sortir! Tu gères.

Tim renchérit.

— Gaffe à ne pas ruiner tes collants!

Les deux continuaient de bouffer leur pop corn, profitant du spectacle.

Pas besoin d'avoir vu de hentaï pour savoir comment ça allait se terminer. J'ai regardé le monstre. C'était Camille, derrière ces tentacules.

— Je t'ai dit de disparaître. Alors disparais!»

Et tout disparut.

J'étais dans une salle de belle proportion, circulaire. En sueur, j'étais affalé·e par terre, encore essoufflé·e, la poitrine comprimée. Devant moi, un trône, sur une sorte d'estrade. L'estrade était entourée de cinq caissons posés sur des pylônes râblés.

— Bonsoir, Raphaël.

Il y avait quelqu'un d'autre. Une fille, qui n'était pas là l'instant d'avant. Deux yeux expressifs et intelligents, des traits fins, une grâce infinie, les membres graciles et délicats, des cheveux soyeux et sans doute parfumés. Bref, elle était ultra mignonne. Ses lèvres incarnates s'incurvaient en un sourire ambigu.

Je crus que mon cerveau avait freezé. Ca ou j'avais un anévrisme onirique. J'étais de toute façon à peu près sûr·e que ce n'était pas le moment d'avoir ce genre de rêve-là.

— Mais... Qui es-tu?
— Tu sais qui je suis. C'est ton rêve, après tout.
— Miss? La vraie?

Elle éclata de rire. L'écho de son rire résonnait encore qu'elle était à côté de moi. Très près. J'avais raison, ses cheveux sentaient le jasmin. Et autre chose, un arôme capiteux et envoûtant, impossible à deviner.

— Tu avais des questions. On n'a pas le temps pour ça, je prends déjà de gros risques pour te parler. Calixte peut me repérer à tout instant. Je ne suis pas en sécurité, alors je dois faire vite.
— Même pas en rêve?
— Surtout pas en rêve. Écoute bien –ne m'interromps pas!– jusqu'au bout.

Elle expira, ferma les yeux, avant de les ouvrir en affichant un visage déterminé. Elle était d'une beauté surnaturelle, on aurait dit un dessin numérique qui aurait pris vie.

— Calixte va rechercher la Princesse. Tu l'as blessé et il ne tentera plus de t'affronter à la loyale.
Avant même d'avoir l'idée d'ouvrir la bouche, elle avait posé ses doigts gantés sur mes lèvres.

— Je t'ai dit de ne pas m'interrompre. Il va probablement tenter quelque chose pour obliger la Princesse à sortir de sa cachette. Cela ne doit pas arriver. On ne pourra rien faire tant qu'on aura pas récupéré toutes –et je dis bien toutes– les Mânes de l'Égide. Nous aurons besoin de tous les pouvoirs pour l'éliminer une bonne fois pour toute.

Elle retira sa main, et je pus de nouveau parler.

— J'ai pensé... Il est vulnérable, on pourrait peut-être l'attaquer lui.

Elle se plongea dans ses réflexions, avec une sorte de tristesse. Une expression de dégoût passa tellement furtivement sur son visage qu'il s'agissait sans doute d'un jeu de lumière.

— Il ne sortira que si la Princesse se montre et ça, c'est exclu. On ne la met en danger sous aucun prétexte. Elle a déjà trop perdu, la pauvre. On fera comme je l'ai décidé. Tu attend son prochain coup, et tu le dépouilles de tout ce qu'il m'a volé. Je veux qu'il paie pour tout ce qu'il a fait, je veux voir le désespoir dans ses yeux.

Une beauté fatale, clairement. Ce n'était vraiment pas le genre de fille qu'il fallait contrarier. Je commençais à croire que Tim avait raison.

— Dis moi, hum, ça finit comment tout ça?

Sans être d'un naturel inquiet, j'étais tout de même un peu curieux de savoir ce qui m'attendait.

— Les Mânes te seront retirées, et tu pourras reprendre ta vie. Et tu auras bien sûr notre gratitude éternelle.
— Ah ben, c'est cool...

Même pas un petit porte-clefs fantaisie, alors?

Une pensée fugace me traversa l'esprit. Une chose dont j'avais envie, sans y avoir droit.

Laisse tomber...

— Mais si tu insistes, je peux te donner un petit quelque chose.

Ah?

J'avalais ma salive onirique. Même en rêve, je sentais mon cœur battre, suspendu à ces lèvres ciselées.

Elle s'accroupit à côté de moi, le sourire brillant, le regard charmeur pendant que son visage se rapprochait dangereusement du mien. Son parfum, doux et sucré, m'évoquait celui d'un gâteau ou une pâtisserie.

Mayday! Mayday! Elle va faire quoi, là?

Elle posa ses lèvres sur mon front. Ce n'était pas ce à quoi je m'attendais. Genre, littéralement. A l'endroit où elle avait posé ses lèvres, je sentis une légère chaleur. Puis une démangeaison, qui se mua en brûlure, qui se répandit sur tout mon front, des piques de douleurs menaçaient de m'exploser la tête.

— Bonne nuit...

Aveuglé·e par la douleur, tout s'éteignit d'un coup.

Je me suis réveillé en sursaut, trempé sous ma couette. L'affichage verdâtre m'indique 4h04.

Et merde. Ce genre de rêve.

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