13.Duel
— Ça me semble parfait, ici.
Je n'avais pas eu d'autres idées. On habitait pas très loin des friches industrielles, alors trouver une vieille usine délabrée, ce n'était pas un vrai défi. L'endroit était sinistre, désolé, sentait l'huile de vidange chauffée, le diesel âcre et la faillite.
— Le seul risque ici, c'est l'amiante et le tétanos. J'espère que t'es vacciné, Tim.
— T'en fais pas pour moi. On n'a qu'à commencer tout de suite. Tu vois le bidon rouillé là-bas?
— Lequel?
— Question pertinente. Celui au milieu, là.
— Il est assez difficile à louper.
— Justement, c'est l'occasion de vérifier. Tu vas m'écouter attentivement : le sort, c'est Spark-k'ling et... Quoi, pourquoi tu me regardes comme ça?
— Sérieux? C'est vraiment ça le nom de ton super sort de la mort qui tue?
— Oui, et si t'es pas content·e c'est pareil. La difficulté c'est de le diriger correctement et de rester concentré.
J'ai tendu la main, paume ouverte vers le bidon. J'ai aussitôt regretté de ne pas porter de gants. Distrait·e par ces doigts fins aux ongles fuchsia qui n'étaient pas les miens, mon premier jet fut désastreux. Et ridicule, comme on pouvait s'y attendre.
— C'était pas très puissant. Mais tu as eu le mur.
— Merci de m'encourager. Tu sais, ça m'aiderait vraiment beaucoup si t'arrêtais de me regarder en bouffant ton gingembre.
Sans rire, mais où est-ce qu'il mettait tous ces trucs? Et si je me servais de lui comme poche?
Je m'efforçais bien vite de chasser cette image mentale de ma tête. Ne jamais visualiser des horreurs pareilles. Jamais. Spécialement quand la réalité risquait de dépasser la fiction.
— Arrête de faire cette grimace et lance ton sort!
— Tais-toi! Je me concentre, je te signale!
Je fermais les yeux pour me focaliser uniquement sur le pouvoir. Il était là, je le sentais. C'était comme sentir du sable couler entre les doigts, ou attraper un savon au fond de la baignoire. Ou récupérer un chat planqué derrière un meuble. Vous croyez l'avoir, mais il vous a filé entre les mains en vous laissant un sentiment désagréable (et des griffures en prime dans un cas). Mon cœur tambourinait de plus belle, ce qui m'empêchait de rester calme. J'aurais dû me prendre un shot de camomille avant.
— Spark-k'ling!
Encore une fois, la vague d'énergie étoilée était –je devais bien l'admettre– très jolie à regarder, à défaut d'être impressionnante. Elle passa à côté du bidon pour aller fracasser une cagette. En bois. Donc pas très convaincant.
— Difficile à louper, tu disais?
— Ferme là. J'y arrive pas, ça veut pas sortir.
— Voilà qui est bon à savoir.
C'était une voix masculine. Et ce ne pouvait pas être moi. Ni Tim vu qu'il était en train de s'étrangler avec sa racine.
Et si c'était un genre de vigile, un mec qu'on avait chargé de surveiller les lieux? Ce n'était vraiment pas le moment de se faire attraper, surtout sous cette apparence. J'aurais eu beaucoup de mal à m'expliquer puisque Miss n'avait pas d'existence officielle. Je m'imaginais mal demander l'asile politique ainsi que la double identité au consulat. Beaucoup trop de cases à cocher. Ou plutôt aucune.
— Qui est là? Je fais rien de mal, ok?
— C'est ce que je constate. Tu ne me sembles pas être une vraie menace. Se pourrait-il que que tu sois simplement chanceux·se?
Impossible de deviner d'où la voix venait. Un frisson me remonta le long de la colonne vertébrale. Des ennuis. Des gros. C'était une voix jeune, d'un certain raffinement. Le genre de voix qui laisse supposer un type de la haute et certainement pas un vigile. Ou alors un mec qui était tombé assez dans la dèche pour être obligé d'arrondir des fins de mois difficiles.
Mais cette dernière hypothèse restait peu crédible.
— Désolé·e, je ne vous ennuierai plus. Je pars de suite.
— Non. Je crains fort d'avoir à te contredire. Tu n'iras nulle part, Miss.
L'homme apparut enfin. Tout de mauve vêtu, il était plus jeune que sa voix ne le laissait supposer. Une lueur m'enveloppa subitement pour devenir une radiance éclatante dans la pénombre de l'usine.
J'avais de nouveau endossé l'uniforme de l'Égide. Je sentais le pouvoir affluer en moi, à fleur de peau. Le pouvoir crépitait dans l'air ambiant.
— Ravi de voir que tu me prends au sérieux, Miss.
— Mais t'es qui, toi?
Il se contenta d'éclater de rire, avec naturel et désinvolture. Il secoua la tête avec une désapprobation déçue.
— Temuji? Tu ne lui as pas parlé de moi? C'est vraiment très grossier de ta part. J'en suis fort marri.
Si j'avais pu avoir des doutes, l'attitude et le discours de ce mec les auraient tous dispersés. Il ne pouvait s'agir que d'une seule personne.
— Alors, c'est donc vous le fameux type responsable de tous ces problèmes? J'veux dire la Corruption, les possessions, la rébellion et le reste?
— Je suis responsable de beaucoup de choses, c'est vrai. Un grand pouvoir, de grandes responsabilités, comme on dit chez vous. Par exemple, tu savais que la maison royale possédait un service de garde-robe, un service de mercerie et un service d'habillement? Il était temps que je mette un terme au matriarcat sinon on courait droit à la ruine.
Il leva les mains en secouant la tête, l'air accablé. J'avais la nette impression qu'il se moquait de moi. Ou bien c'était un parfait connard misogyne. Fille ou pas, il était hors de question de se laisser piétiner par ce genre de gars.
— J'aurais adoré causer chiffons, mais je ne parle pas aux gens que je ne connais pas.
— Dans ce cas, chère Miss, permettez moi de me présenter : Calixte, Roi-sorcier et grand amateur de prêt-à-porter. Pour vous asservir.
— Tout le plaisir est pour toi. Et je suis pas d'humeur à discuter. Alors je vais me contenter d'en finir avec toi une bonne fois pour toute, monsieur Mauviette.
— Je n'étais pas venu pour en découdre. Cela dit, je ramasse toujours le gant quand on me le jette.
Il fit un simple geste du revers de la main qui m'expédia contre un mur. La force de l'écrasement était accablante, j'arrivais à peine à reprendre mon souffle.
— Miss, as-tu compris avec qui tu avais maille à partir? Gaffe à tes fesses!
— Et le reste de ma personne, ça compte pas?
Calixte expédia une boule d'énergie dans ma direction, que je pus éviter en exécutant une roue suivie d'un saut arrière. Ma réception aurait été parfaite si je m'étais souvenu·e que je portais de nouveau ces satanés talons.
— Saletés...
Je m'en débarrassai d'un coup de pied rageur. Il fallait que je coure pour lui échapper.
— Tim? C'est lui, le big boss tu as dit?
— Il est très dangereux! Tu n'aurais jamais dû le défier, il est bien trop puissant pour ton niveau!
Une autre boule de feu vint s'écraser à cinquante centimètres, un peu à ma droite. Ce qui répondait indirectement à ma question. Il visait presque aussi mal que moi mais je ne comptais pas servir de cible d'entraînement.
— On court, Tim?
— On fuit! T'aurais dû garder tes chaussures!
— Ça me fait mal aux pieds.
— T'as pas le sens des priorités, toi. Et on va tous avoir mal quelque part si on bouge pas.
— Tu m'soules! Je gère comme je peux!
Ce qui était vrai. Autant pour la gestion du stress que pour mon confort. Tim semblait réfléchir.
— Il nous a localisés, ce qui n'est pas possible normalement.
— Et pourquoi ça, je te prie? Oh et puis merde, je m'en fout. Y a plus pressé. La stase ne s'est pas déclenchée, je sais pas pourquoi. Mais c'est tant mieux. Si on a une chance de lui échapper, c'est... Maintenant!
Il faisait pleuvoir des boules d'énergie d'un très bel indigo, qui explosaient comme des fleurs de lotus. C'était magnifique, mais sans doute mortel. Et sans me l'expliquer, je savais que je n'étais pas de taille.
Le prince autoproclamé éclata de rire.
— Tu pars déjà? Je croyais que tu voulais te battre!
— Pas maintenant, j'ai la migraine. Et je viens de me rappeler de mon rendez-vous avec la vie!
— Alors que tu viens de rencontrer ta mort?
— Je n'suis pas une fille facile.
— J'aime le défi.
— Tu vas pleurer.
— Parfait. J'aime les cibles émouvantes. MEURS!
Une énorme boule de feu mauve fila dans ma direction. Trop grosse pour l'éviter. Trop rapide à distancer.
Elle arrivait droit sur moi et Tim. Elle allait juste nous engloutir, nous vaporiser, nous pulvériser. La lueur pourpre nous oblitéra.
Les mains jointes, tendues devant moi, mes deux index et majeur pointés vers la boule d'énergie concentrée, je ressentis de nouveau cette énergie monter en moi, se ruer dans mes bras pour s'écouler dans mes mains, puis se concentrer dans mes doigts. Quand et comment eus-je le temps de faire tout ça?
— SPARK-K'LING!
Un rayon d'énergie sombre empli d'une myriade d'étincelles, d'une kyrielle d'étoiles vint percuter l'énergie de Calixte. Le rayon déformait la boule, comme un ballon rempli d'eau.
Miss, faut qu'on donne tout ce qu'on a! ALLEZ!
Je n'étais pas très bon pour le pep talk. Et encore moins pour la self motivation. Cette fois-ci, en revanche...
— IMPOSSIBLE!
J'étais parvenu·e à surcharger le faisceau et à surpasser la puissance de feu du sorcier. Le rayon avait fini par renvoyer l'attaque vers son propriétaire.
— Et bim! Retour à l'envoyeur! C'est ce qui arrive quand on n'a pas d'adresse!
— Toi...
Ma rétine récupérait du spectacle pyrotechnique. Clairement trop d'étincelles pour mon goût personnel, mais pas peu fièr·e du résultat.
Calixte avait un bras inerte, ensanglanté et la tête du mec qui s'est fait enrouler dans du PQ à son insu. Pas assez gravement blessé selon moi, mais au moins, il avait pris cher.
— Miss... C'est comme ça que tu as eu les deux autres, alors... Je t'ai sous estimé·e, on dirait. Je ne vais pas recommencer. Je vais vous détruire, toi et l'autre.
Je jetais un regard à Tim, occupé à sortir d'un vieux pneu.
— Non, c'est pas de lui dont je parlais.
Tenant son bras, un rictus plaqué sur la tronche, il disparut, dans un maelström de ténèbres zébrées d'éclairs pourpres.
— Finalement, pas mal cet entraînement, hein? Tout est question de motivation.
— Tim?
— Oui?
— Ta gueule, Tim.
Je n'allais pas tarder à redevenir moi-même. Je le sentais, j'étais épuisé·e et vidé·e. Restait à savoir si j'avais le temps d'enlever les vieilles frusques de Stella avant de récupérer mon corps de mec.
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