11.Stella
( illustrations par https://www.instagram.com/sergebirault/ allez le voir, son travail est très sympa)
https://youtu.be/Qfm6nfz1QNQ
D'habitude, je prenais du temps pour moi le mercredi matin. En particulier depuis que le prof était en arrêt maladie et qu'on savait qu'il ne serait pas remplacé. Cependant, j'avais plus ou moins changé d'avis vers 3h14 du matin et décidé de dormir ce mercredi matin. J'avais du sommeil en retard. Raph s'était mis dans les emmerdes. Encore.
'tain, est-ce que je vais passer ma vie à l'avoir sur le dos?
Je devais me lever. Enfin pas tout de suite. Je voulais rester allongée encore un peu. Un moyen commode d'empêcher la journée de débuter. Ce qui me laissait en plus le temps de profiter de ce qui me restait.
Ah ah ah.
Déso pas déso, j'avais choisi d'en rire et de faire comme si rien de ce qui m'arrivait n'avait d'importance. Les profs n'étaient jamais remplacés, et c'était juste l'année du bac. Pas d'autre choix que de rester à la maison et de m'y morfondre. Il était absent et là non plus, je n'y pouvais strictement rien.
Un regard sur mon tél me renvoya mon reflet fissuré. Rien d'autre à faire avec que de lancer une de mes playlists.
Soudain, un bruit horrible vint me transpercer les tympans. Et ce n'était pas ma musique.
— Raph! Éteins moi ce réveil, bordel de m-
— Stella! Langage!
— Pardon, M'man!
Ça ne servait à rien de se prendre la tête avec ma mère à ce sujet-là. Il parait qu'il faut choisir ses combats. J'aurais aimé au moins qu'on me laisse ça. Choisir ses combats, c'était devenu très vite dans ma tête «bats toi quand on te le demande». Ça craint de grandir. J'oserais même dire que c'est une arnaque.
Ma mère toqua à la porte. Pas besoin de superpouvoir pour le deviner. Ce ne pouvait être personne d'autre qu'elle : mon frangin ne le faisait jamais.
— Ma chérie, j'ai besoin que tu gardes un œil sur ton frère aujourd'hui. Je rentrerai tard. D'après ce que j'ai cru entendre, on sait toutes les deux que tu es réveillée.
— Ça aurait pu être un rêve.
— Allez, s'il te plait. J'devais partir à sept heures, je suis déjà en retard. J'ai mis un truc au frigo pour ce midi et pour ce soir...
— J'vais gérer. La cuisson des pâtes, c'est dur mais je maîtrise.
Faut dire aussi que j'avais eu pas mal d'entrainement en la matière.
— A ce soir, ma belle. N'oublie pas de manger. J't'appellerai dans la journée.
Pourquoi est-ce que ça sonnait comme «je vais vérifier que tu seras bien là?» J'étais littéralement la deuxième adulte de la maison à crouler sous les responsabilités et elle me traitait malgré tout comme une gamine. La journée s'annonçait morose. J'avais déjà envie de me recoucher. Alors que j'étais même pas levée.
Pour me remonter le moral, j'écoutais mon frère courir dans tous les sens. Genre le chat et un point rouge.
Et oui. Lui, il avait cours.
C'était reposant –apaisant, même– de l'entendre cavaler comme un hamster dans sa roue. Maintenant que j'étais bien réveillée, autant faire des trucs. Et j'avais plein de trucs à faire. M'habiller en faisait partie. J'ouvris mon armoire. Plus question d'intimité dans ma chambre depuis des années, j'avais pris l'habitude de tout faire dans la salle de bain.
J'ouvris le tiroir de ma commode. Impossible de retenir mon cri devant une telle horreur. La porte s'ouvrit. Mon frère vint se planter devant moi, rougeaud et contrarié. Une sorte d'habitude, chez lui, la contrariété. Sauf que cette fois-ci –chose inédite!– je n'en étais pas responsable.
— Stella, t'aurais pas vu un... Mmh... Nounours, un peu moche? Des bras trop courts? Des petits yeux noirs et lubriques?
J'attrapais cette horrible chose entre le pouce et l'index et le lui tendis.
— Tu me refais ce coup là, je te jure, tu es mort. Qu'est ce qu'il foutait dans mon tiroir à... Chaussettes?
— Une erreur, maman a dû le confondre!
Il me l'arracha des mains et s'enfuit, sans demander son reste. Ce genre de blague n'était pas trop son truc, pourtant. Les garçons doivent devenir encore plus stupides après la puberté. Ca expliquerait bien des choses.
Un peu comme...
Non. Pas lui. C'était différent. Il s'était comporté comme un connard, mais tout était de ma faute.
J'avais encore tout raté. J'étais censée aller au ciné avec Lucas et Clémence. Et tout était parti en vrille. Non pire, en chute libre, avec le parachute en torche.
Un simple coup d'œil à ma table de chevet me rappela à la réalité. D'une part, ma vieille boîte à bijoux musicale et de l'autre, la photo que j'avais couchée hier soir.
Comme une conne, j'avais acheté un cadre pour ça...
J'avais vraiment plus envie d'y penser. Ça restait difficile. Je lançai ma playlist spéciale déprime. Je devais me concentrer sur autre chose.
Je passais beaucoup trop de temps à garder un œil sur Raphaël. Discrètement, j'avais ma dignité. Il s'était encore attiré des ennuis la veille et avait terminé chez le CPE. On m'avait convoquée aussi, et...
L'histoire en était restée là, parce qu'il n'avait rien fait, en tout cas rien qu'on ait pu prouver sans torture. Il arrivait à se mettre dans les ennuis tout le temps et j'avais dû passer la soirée d'hier à...
«— Allô, Stella?
C'est Clémence.
Faut qu'on parle.»
... rassurer ma mère.
— Non, M'man, rien à voir avec papa. Raph était encore arrivé premier à un concours de circonstances. Non, il n'avait rien fait de mal, ce n'est pas lié à la défaillance paternelle, maman, alors...
«— De quoi?
Et pourquoi tu pleures Clém?
Tu m'fais flipper, un peu, là»
— ...arrête de culpabiliser. Tu sais ce qu'on dit, «boys will be boys». M'man, j'dois t'laisser, je dois rappeler Clémence, elle a...
«— Un problème...Tu te rappelles, on devaitaller au ciné samediet t'as pas pu venir...
J'étais seule avec Lucas.»
— ... Un problème de philo. Elle panique un peu.
Et culpabilise beaucoup.
Ma mère me regarda de ses yeux noirs, profonds et plein de mélancolie.
— Reste un peu avec moi. S'il te plaît, ma chérie.
Difficile de dire non. J'eus la pression toute la soirée, et le seul message que je finis pas recevoir, c'était :
«On s'est embrassés. Désolée.»
La soirée opération réconfort se termina avec des glaces café. Et de la vodka, en ce qui me concernait. J'eus le temps d'intégrer ma rupture, mais je n'avais hélas pas le pouvoir d'accélérer le deuil de la relation.
Il fallait dire que ce genre de choses étaient fréquentes, pour moi. Beaucoup de portes m'étaient fermées. On n'avait pas beaucoup de thunes.
Je lançai ma playlist la plus nulle. Elle serait toujours mieux que le silence.
Maman pouvait à peine m'offrir un téléphone pour ne pas que je fus complètement awkward socialement parlant. Et je ne n'allais même pas parler fringues. Alors penser à mon avenir... Probablement un travail de merde qui allait me bouffer mon temps libre, mais me payer mes factures. Avais-je pensé à dire que la dépression de ma mère était un rien contagieuse?
Mon imbécile de frère revint le midi, comme prévu. J'avais renoncé à ma trente huitième tentative de maquillage. Dur de se maquiller et pleurer en même temps. Mes yeux rougis et gonflés étaient là pour me le prouver.
— Stella? T'es où?
— En haut, où veux tu que je sois?
— Qu'est-ce qu'on mange?
— Lasagnes. La barquette, dans le frigo.
— T'as pas déjà mangé?
— Nan, j'ai pas faim.
Merde. C'était déjà le début d'après-midi. Je faisais défiler des conneries sur mon écran fissuré. Clémence était une amie qui m'avait trahie, mais j'aurais aimé que d'autres se manifestent. Un peu comme si Emma et Chloé attendaient de choisir leur camp. Peut-être était-ce à moi de faire le premier pas, histoire de ne pas m'apitoyer toute seule comme une conne dans ma chambre en écoutant de la musique déprimante. Voilà que j'avais des hallu maintenant. J'avais cru entendre une fille parler. Juste au moment où la musique se terminait.
Pas de doute. Raphaël avait ramené une nana à la maison. Et sans rien demander ni prévenir. Me prévenir. Grossière erreur, en particulier quand j'étais officiellement en charge.
J'étais partie pour tambouriner à sa porte. J'avais des choses à évacuer là, tout de suite, maintenant. J'étais gonflée à bloc et vraiment, c'était ce que j'allais faire. Mais finalement, j'optai pour une entrée plus fracassante. J'ouvris la porte tout grand, à la volée, pour faire une belle irruption autoritaire.
— Mais vous faites quoi, là?
Beaucoup trop de bugs dans la matrice me sautèrent aux yeux. Il y avait effectivement une fille ici, mais dans les vêtements de mon crétin de frère, à genoux devant sa stupide peluche. Mais d'où elle sortait, cette peluche? Et qui était cette nana? Elle me disait vaguement quelque chose, pourtant. Je l'aurais forcément remarquée au lycée, avec un look pareil : les cheveux rose bubble-gum avec le maquillage impeccable et assorti. A l'exception notable des habits, on aurait dit un cosplay de Barbie.
Merde alors, depuis quand mon frère date une youtubeuse-beauté?
— Où est il? Et c'est quoi ce plan chelou?
— Attends, Stella, je peux tout expliqu-
— D'où tu me connais? Et où est mon frère?
La fille rougit jusqu'à la racine de ses cheveux rose, baissa les yeux en bredouillant. Mon cerveau partit au quart de tour, pédalant pour rédiger l'étrange scénario qui avait conduit à cette scène pour le moins inattendue.
— T'inquiète, je sais, J'imagine très bien le tableau et tu n'y es pour rien. Laisse moi deviner. Il t'a salopé tes fringues et il t'a emmenée ici, t'a prêté des affaires le temps qu'il lave les tiennes. J'ai tout juste?
Il n'y avait vraiment que mon frère pour inventer des trucs aussi idiots. Des fois, j'enviais sa bêtise.
— S'pas grave, je te rendrais tes affaires. Rentre chez toi et excuse mon frère. Il est plus bête que méchant. RAPH! RAMÈNE-TOI!
— Il est pas bête. Je le trouve sympa. Et plutôt beau gosse.
— Faudra que je te présente à notre mère. Jamais elle me croira quand je lui raconterai ça. M'OBLIGE PAS À TOUT RÉPÉTER!
— Dis rien à mammmmah-dame! S'il te plait. C'est encore secret. Et un peu soudain.
Je sentis mes lèvres s'étirer et avant de comprendre, j'étais en train de sourire malgré moi. Ce qui bizarrement me soulagea d'un poids.
— Je donnerais cher pour entendre cette histoire qui m'a l'air sacrément goldée, mais là, je dois te demander de partir. Tu me rendras les fringues un de ces quat', ç'pas grave. Sauf la ceinture en strass. Je suis à peu près sûre que c'est pas à lui.
Les joues de la fille prirent une vive couleur incarnate. Elle baissa la tête et sortit de la chambre, embarrassée pour je ne sais quelle raison.
— A la prochaine Stella.
— J'espère pas! C'est quoi, ton nom au fait? Juste au cas improbable où ça pourrait servir pour faire du chantage à quelqu'un?
— Miss...C'et ça... Euh Mélissa. Pardon. Je m'en vais.
Finalement, elle allait bien avec mon frère. Ils étaient accordés, eux.
Je me sentais apaisée et réconfortée. J'étais passée à côté de ma relation avec Lucas et c'était douloureux. J'avais beau m'être résignée, ça faisait mal. Maman aussi était passée à côté de son couple. Si il y avait bien un truc à retenir de tout ça, c'était qu'on pouvait s'en sortir. Et de mon frère, que la vie me réservait de jolies surprises.
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