10.Conséquences
https://youtu.be/gLkOBaqUNHQ
Les choses se passèrent très vite ensuite.
Comme l'avait prédit Tim, la stase finit par s'interrompre. Le monde reprit vie, avec des couleurs et des sons peu après que je fus redevenu péniblement et douloureusement moi-même. Enfin, pour être précis, la douleur était surtout dûe au pain que je m'étais pris dans le bide. Je pouvais m'estimer heureux de m'en sortir avec une ecchymose plutôt qu'une rate éclatée et une hémorragie interne.
Miss semblait capable d'encaisser des coups en plus d'être capable de les rendre.
Le temps avait à peine repris son cours qu'il se figea à nouveau. Mais cette fois, c'était logique (et surtout plus normal) puisqu'une élève était au sol sans raison apparente. Une fois l'instant de surprise passée, plusieurs personnes se précipitèrent. Un surveillant, des élèves, et encore un surveillant. Les questions fusaient de partout, personne ne parvenait à rassembler les pièces du puzzle. De plus en plus de regards accusateurs commençaient à pointer Max et moi du doigt métaphorique de la délation. Il y avait intérêt à trouver des explications à fournir.
— Elle s'est effondrée, comme ça. Hypoglycémie? Déshydratation?
C'étaient les excuses habituelles préformatées pour le cours de sport, mais ça valait le coup de tenter.
— M'enfin, il est pas net ce mec, ça se voit tout de suite sur sa tronche qu'il dit de la merde!
Toutefois, c'était sans compter sur l'intervention aussi malvenue que très inspirée d'Emma, ma Némésis. Elle faisait de nouveau montre à mon égard d'une certaine perspicacité pour le moins inopportune. Le brouhaha ambiant s'intensifia en réaction à ces allégations.
Mélanie, la surveillante la plus terrifiante de l'équipe éducative, fit taire tout le monde d'un geste. C'était à croire qu'elle avait l'habitude de gérer ce genre de situation. Elle avait probablement suivi une formation anti-émeutes ou être vigile.
— Merci Emma mais on se passera de tes commentaires.
Elle me dévisagea des ses yeux glacés.
— Hypoglycémie alors qu'elle sort de table?
Le ton lui aussi était réfrigérant, la question mordante. D'ailleurs, la température chuta de 10°C d'un coup. Ca ou les sueurs froides. Je me sentais subitement très gêné·e. Comme si j'étais toujours dans le corps de Miss.
Merde!
Je devais vérifier sans me regarder ni me palper de manière trop voyante. C'était dur quand tous les regards –ou presque– étaient braqués sur vous. Je fis donc semblant de me gratter nerveusement l'épaule. Mon coude m'apprit que je n'avais a priori plus de poitrine, donc tout était bon de ce côté là, au moins. Pour le reste, c'était une tout autre paire de manches.
Ma nervosité fut très mal interprétée, je m'en aperçus un peu tard. Le silence planait. Les gens nous regardaient. Mélanie. Camille. Moi. Les chuchotements commencèrent. Et enflèrent.
— En vrai, elle n'a pas mangé grand-chose et n'a rien bu ce midi. Je lui ai fait la remarque.
C'était Charlotte. Elle trainait souvent avec Camille, ce qui la protégeait de pas mal de nuisances. Certains trouvaient très drôle de l'appeler "Charlie" à cause de son attitude. Certaines l'appelaient "Charlie", mais à cause de son look. Moi, j'l'aimais bien parce qu'elle ne ressemblait à rien. Enfin, je voulais dire à personne. Bon, elle faisait tâche. Merde, quoi, elle était unique, tout simplement.
Les chuchotements montèrent encore d'un cran. Ce genre de phénomène se produisait quand elle prenait la parole ou que les autres réalisaient qu'elle était pote avec Camille. Il fallait vite sortir de cette situation très gênante. Surtout pour moi. Pas question de passer pour un idiot devant elle. Les autres, en revanche, j'avais l'habitude.
— Du coup, on l'emmène à l'infirmerie?
Quentin, un autre surveillant, avait rejoint Mélanie au pas de course.
— Allez c'est bon, barrez vous, ça va sonner, alors j'veux personne dans les couloirs.
Quentin était du genre agricole. Brutal et efficace.
— Nous, on va emmener Camille à l'infirmerie, et toi, tu viens au bureau après les cours et t'as pas intérêt à oublier. Tu vas avoir des explications à donner, Raphaël.
Le ton était clair, sans réplique et menaçant, le regard impérieux. Pas de doute, il pensait que j'étais responsable d'une manière ou d'une autre. Ce qui était vrai, d'un certain point de vue.
Avec une certaine délicatesse que contredisait son gabarit de brutasse, Quentin fit passer le bras de l'inconsciente en la soulevant presque tout seul avec une surprenante douceur. Mélanie l'imita de l'autre côté afin de limiter les secousses.
— A trois, Mélanie, on y va. Un... Deux...
Ils disparurent en la portant tant bien que mal par les épaules. Les autres élèves commencèrent à se disperser, non sans nous gratifier de regards curieux, accusateurs, méprisants voire carrément incendiaires.
Emma et Zoé, par exemple, dont le regard aurait suffit à allumer mon bûcher.
Très vite, à part quelques traînards égarés, il ne resta plus que moi, Max et Charlotte. Elle était restée là, impassible et n'avait pas repris la parole ni amorcé le moindre mouvement. Je cherchais un truc à dire, n'importe quoi, en priant pour que ce ne fût pas encore une énorme connerie. De son propre chef, elle vint dans ma direction d'un pas décidé.
— Je... hum, merci. Je te jure, j'ai rien fait.
Mais à son expression, je me rendis compte que c'était effectivement une connerie, comme prévu. Elle se contenta de me regarder avec méfiance.
— Je cherche pas à me défendre de quoi que ce soit hein, juste pour dire.
— T'es devant mon casier.
— Ah, désolé.
Je me poussais latéralement. Les restes grattés d'un autocollant «Où est Charlie?» restaient collés à la porte. Elle farfouilla trois bonnes minutes à l'intérieur, le temps pour Max de se rapprocher de moi, la respiration sifflante et l'air terrifié. En baissant les yeux, je m'aperçus qu'il tenait Tim. La seule fois où j'aurais voulu qu'il se planquât, il était là, cet abruti. Tout mon plan avait tourné au vinaigre, j'avais failli mourir (encore) et la seule chose dont je me souciais là, tout de suite, maintenant, c'était de disparaître quelque part très vite pour ne pas me couvrir de ridicule devant cette fille-là.
Et ainsi gâcher par la même occasion mes chances avec la seule fille du bahut qui me plaisait vraiment. Vite, un truc à dire. N'importe quoi.
— Vous aviez cours ensemble.
— Ouaip.
Effectivement, c'était n'importe quoi.
Mais pourquoi farfouillait-elle aussi longtemps dans son casier? Il était plus grand à l'intérieur, ou quoi? Ne rien dire, c'était céder la place à un silence pire que tout.
— Du coup... Tu vas dire à la prof qu'elle est malade?
Elle claqua la porte métallique d'un geste sec.
— Mec, j'vois pas en quoi ça te regarde. Je te trouve très louche, à poser des questions. Si t'as fait un truc que t'aurais pas dû, j'aurais enfin une bonne raison de t'éclater.
— Mais pourquoi?
— En plus t'as la mémoire courte.
Merde, qu'est ce que j'avais encore fait?
La solution de facilité consistait dans des cas comme celui-ci à noyer le poisson. Même si ce dernier n'était plus très frais.
— Ecoute, si je t'ai dit ou fait quelque chose de mal, je te jure que c'était pas exprès.
Elle me lança un regard perçant.
— C'est bien ça l'problème, rien de ce qui arrive n'est jamais la faute de personne. Camille s'est évanouie sans aucune raison, aussi, alors que tu étais juste à côté. J'crois pas aux coïncidences.
— Mais t'as dit...
— Je sais ce que j'ai dit. Te fais pas d'idées, c'était pas pour te couvrir. Juste empêcher que la situation ne dégénère. Elle n'a vraiment pas besoin d'être au centre de l'attention. Après, j'irais voir Camille chez elle et j'aurais sa version à elle. J'vais pas te mentir, c'est la seule qui m'intéresse.
Elle s'interrompit brutalement et détourna les yeux.
On se regarda tous les trois, pendant un instant qui dura trop longtemps. Depuis le temps que je la croisais –on avait été dans le même collège pour finalement arriver dans le même lycée– j'aurais voulu pouvoir lui parler, la persuader qu'elle se trompait sur moi.
— Char, tiens moi au courant pour Camille. Hésite pas à m'appeler, je suis joignable tout le temps.
Max me balança un vieux coup de coude aussi discret qu'un éléphant déguisé en ballerine dans le bus à l'heure de pointe.
— J'ai pas de téléphone, mais Max oui, il m'enverra un message...
La fin de ma phrase se perdit quelque part entre les Limbes de la Honte et les Abîmes du Malaise embarrassant. Elle m'avait tourné le dos.
— Surveille ton pote, Max. Il va finir par avoir de sérieux problèmes.
Et elle partit comme ça, sans même jeter un regard en arrière. Je n'avais jamais réalisé qu'elle ne m'aimait pas du tout. Mais pour quelle raison?
— Mec, je crois qu'elle te déteste encore plus qu'avant.
Heureusement qu'on pouvait toujours compter sur ses amis.
— Je savais même pas! Et je n'lui ai jamais rien fait! Ni à elle, ni à Camille d'ailleurs. T'étais là enfin, t'as tout vu?
— Chais pas, c'est bizarre.
Bouffée de ventoline. Quelques secondes, merci pour lui.
— J'ai eu un léger black out, je lui parlais, et l'instant d'après, elle était par terre, un peu plus loin. Et y avait ton doudou par terre. Tiens, récupère le, si tu veux bien, j'ai pas envie de me taper la honte.
— Personne n'a rien remarqué, donc pas de souci à te faire. Arrête de m'regarder comme ça, moi non plus, je sais pas ce qu'il se passe.
— Mouais, ben trouve un truc parce que y a le CPE qui arrive.
Oh non, bordel! J'aurais tout eu aujourd'hui.
— A tout à l'heure.
— Attendez, Maxime. C'est vous deux que je veux voir, ici et maintenant.
Le CPE était un vestige des temps anciens. En plus du vouvoiement, il avait conservé la mode du costume gris anthracite, des mocassins à pompons et des cravates qui rappelaient les tapisseries immondes de grand-mère. Le but inavoué était de nous faire croire qu'il restait en lui une part d'humanité que sa fonction ne lui avait pas prise. Ce qui n'était pas le cas de son âme, partie pour de bon.
— On se voit dans mon bureau à la fin des cours. Je vais appeler ses parents, donc je veux des explications.
— On a rien fait, j'vous jure. Charlotte a dit qu'elle avait pas beaucoup mangé et qu'elle avait même pas bu, vous pouvez lui demander.
Il sembla se radoucir. Enfin lui, pas son regard. Qui glissa sur ce que je tenais dans mes mains.
— Si vous commettez de mauvaises actions, il y aura des conséquences. C'est mon devoir de vous l'apprendre. Et je me dois aussi de vous dire que votre peluche n'a rien à faire ici. Vous n'êtes plus un enfant, Raphaël, alors gardez vos peluches et vos nounours chez vous. Ce n'est pas ainsi que vous deviendrez un homme.
Mec, si tu savais. Si seulement tu savais.
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