⿻ partie deux!

RETOUR EN ARRIERE

⸝⸝⸝⸝

Lorsqu'il ouvre les yeux le lendemain, Kokichi a l'impression de les avoir fermés moins de cinq secondes ― mais en réalité, d'après son réveil, ce sont quatre heures qui se sont écoulées depuis qu'il s'est couché. Il ne les réalise pas vraiment, ne sent pas leur effet revigorant sur son corps meurtri ― aujourd'hui est un jour lugubre où son cerveau lui inflige le pirr des mensonges : il ressent dans tous ses membres la douleur qu'il a éprouvée lorsque la presse s'est écrasée sur lui.

Il se souvient avoir appris que les personnes amputées ressentent souvent des douleurs fantômes dans le membre qu'elles n'ont plus, et Kokichi a l'impression de vivre la même chose de temps à autre. Sauf que son corps est toujours là, lui, et il peut à peine bouger durant ces moments où la douleur est la plus forte. C'est stupide. Il n'a jamais été réellement écrasé par cette presse alors pourquoi son cerveau souhaite-t-il à ce point lui remémorer la pire sensation qu'il ait jamais ressentie ?

Même si le but de son chantage était de mourir des mains de Momota pour sauver Harukawa d'une condamnation, il aurait voulu mourir des suites du poison de son carreau plutôt que de la presse. Même si ce qu'elle lui avait injecté était douloureux, ce n'était pas pire que ça.

Ce qu'il a ressenti en se faisait écraser était sans le moindre doute la pire douleur qu'il ait jamais expérimenté. Nul besoin de posséder l'intégralité de ses souvenirs pour en avoir conscience.

Le jeune homme ne peut donc rien faire d'autre que rester allongé sur ce matelas inconfortable, incapable de bouger plus que ses mains et, au bout de quelques instants, ses bras. Son téléphone repose encore à côté de lui, il est tombé sur le lit en même temps que le corps de son propriétaire, et cela permet à celui-ci de l'attraper après quelques contusions.

Il illumine l'écran ― vide de la moindre notification, bien sûr ― avant d'ouvrir le premier réseau social qu'il voit passer sous ses yeux, mû par une pulsion inexplicable.

Ses doigts trouvent sans mal l'option Rechercher, mais restent ensuite en suspens pendant de longues minutes. Finalement, il se résout à taper le premier nom qui lui vient à l'esprit ― celui qui n'a pas quitté son esprit depuis son réveil malgré toutes ses tentatives de le chasser.

Shuichi Saihara.

Le nom de l'ancien Ultime Détective ne donne rien, et Kokichi ne devrait pas en être aussi déçu. Est-ce vraiment si surprenant, que ce type renfermé n'utilise pas plus les réseaux sociaux que lui ? Il n'aurait pas dû s'attendre à trouver un quelconque compte lui appartenant.

Malgré lui, il se retrouve à essayer d'autres noms de ses anciens camarades. Kaito Momota. Maki Harukawa. Rantarô Amami. Il ne sait même pas pourquoi il repense à eux, pour quelle raison il se retrouve à inscrire de la sorte leurs noms dans une barre de recherche ridicule ― comme s'il souhaitait réellement se lier à nouveau à eux.

Il ne veut pas revoir de figures appartenant à son passé, mais il se retrouve à les espionner d'une certaine façon. C'est ridicule. Qu'espère-t-il obtenir ainsi, si ce n'est une profonde désillusion ?

Il finit par trouver une correspondance directe en cherchant Kaede Akamatsu. Il ne devrait pas être étonné par le fait que, de eux tous, elle soit celle ayant cherché à tout prix à conserver le moindre moyen de communiquer avec eux. Il est d'ailleurs étonné qu'elle ne l'ait pas plus relancé que cela par messages, pour le convaincre de devenir leur ami ― se moque-t-elle elle aussi de ce qu'il peut bien vivre ? Kokichi devrait en être ravi, alors pourquoi le regrette-t-il ?

La jeune femme a conservé un compte, la rendant facilement identifiable. Elle ne le met pas à jour, remarque-t-il : la seule photo qui s'y trouve remonte à avant le jeu. Elle y pose souriante, devant un piano ; sa tenue d'Ultime qu'elle a arboré jusqu'à la fin est parfaitement reconnaissable, et la légende rappelle également son talent.

Lui aussi est connecté à un compte similaire. Il a retiré ses propres publications, et hésité de nombreuses fois à désactiver son compte comme un certain nombre de ses anciens camarades. Il suppose que tous les participants du Danganronpa s'en créent un, pour laisser aux spectateurs la possibilité d'interagir avec. De multiples commentaires ont été publiés sous la photo de Kaede, témoignant soutien, puis regrets au fur et à mesure que la 53e édition battait son plein.

Il se demande comment la jeune femme parvient à tolérer ces commentaires ― ils donnent la nausée au prétendu Ultime Despote. Il en a reçu également, contrairement à ce qu'on pourrait penser, bien qu'il n'en retire aucun soulagement. Ces gens pleuraient une mort qu'ils savaient fausse, une personne qu'ils savaient mensongère. Même si au fond, oui, le Kokichi Ôma qu'ils admiraient tant est réellement mort en fin de compte.

Il oscille un instant sur le compte de la jeune pianiste, avant de refermer l'application. Il se fiche de ce qu'elle devient. Il se fiche de ce que tous les autres deviennent. Il mène sa vie de son côté, comme chacun devrait le faire. Devenir ami avec tout le monde ? Kokichi n'a jamais pensé une seule seconde que cela serait possible, voire envisageable pour lui.

Après quelques secondes d'hésitation pourtant, il reprend son téléphone et ouvre cette fois un banal navigateur internet. Au bout de quelques secondes, il inscrit la question qu'il n'a jamais voulu poser à qui que ce soit : que sont devenus les participants de la 53e Tuerie ?

Il trouve un nombre terrifiant d'articles listant leurs faits et gestes ― enfin, principalement, ceux de ses camarades. Son nom n'est que rarement mentionné, ou alors simplement pour expliquer qu'il semble s'être retiré de la circulation. Il n'est pas le seul d'ailleurs : Hoshi, Shinguji ou Tojo ont visiblement disparu des radars de la même manière que lui ― et il n'en est pas vraiment surpris.

Comme il l'a supposé en voyant son compte, Akamatsu ne se terre pas autant qu'eux : elle fait quelques apparitions de temps à autre, étant parfois surprise en train de jouer du piano dans les lieux publics où elle en repère un. Kokichi est surpris de voir Saihara mentionné comme fréquemment à ses côtés : le détective a visiblement raccroché sa loupe, mais tourne toujours autour de celle qui l'avait pris sous son aile, apparaissant parfois brièvement dans sa lumière.

(Certains articles se demandent même si une quelconque relation s'est établie entre eux ― aucun ne semble cependant détenir une réponse fiable.)

Il est surpris de voir une autre figure qu'il aurait pensé dissimulée apparaître dans l'article, quelques lignes plus loin : Harukawa est toujours, elle aussi, aux côtés de Momota. Si l'histoire et le talent de la jeune femme pour l'assassinat étaient sans doute aussi faux que les amis de Kokichi, elle n'a vraisemblablement pas menti sur la manière dont les enfants paraissent l'adorer. Le jeune homme repère quelques photos d'elle et de l'idiot en présence de la jeunesse de ce pays, vraisemblablement conviés à une quelconque conférence de survivants. De vainqueur peut-être même ― elle a remporté le jeu d'une certaine manière après tout.

Elle a l'air incroyablement mal à l'aise, mais elle est bien là, debout, aux côtés de celui qu'elle chérissait tant. Kokichi se demande s'ils forment un couple maintenant. Il sait que tout le monde au sein de Team Danganronpa a adoré les scores d'audience que lui a permis la déclaration larmoyante de la jeune femme au coupable du cinquième procès. Ont-ils réalisé ce qu'ils n'avaient pas pu faire une fois de retour dans le monde réel ?

Il trouverait ça drôle, si c'était le cas. Harukawa lui a toujours semblé parfaitement insensible et incapable d'aimer véritablement qui que ce soit ; qu'elle tombe amoureuse de Momota et de son âme de héros était relativement prévisible, mais le faux despote s'amusera toujours de la voir aussi émotive et expressive avec celui qu'elle prétendait trouver stupide.

L'amour rend-il tous les gens aussi idiotement niais ?

De manière générale, tout le monde semble avoir trouvé un équilibre ― beaucoup de ses anciens camarades n'apparaissent que rarement publiquement, mais ils n'ont pas totalement disparu des radars médiatiques. Kokichi est l'un des seuls sur qui il n'y a rien d'autre que des questions et des interrogations ; et il rit à nouveau lorsqu'en entrant son prénom, il tombe sur de multiples théories de prétendus fans de lui désireux de savoir ce qu'il devient et pourquoi il se cache.

Les gens ne peuvent-ils pas le laisser seul ? La 53e Tuerie est supposée avoir été un fiasco avec la destruction de l'académie et la révélation lors de l'ultime procès de la supercherie de Shirogane.

(Un grand bravo à Saihara pour ce coup-là d'ailleurs ― Kokichi ne pensait pas que le détective du jeu parviendrait à mettre à ce point au jour la vérité.)

Les gens sont supposés avoir été déçus par la tournure prise par le jeu, pourtant ils continuent de le porter aux nues dans leur vie quotidienne et de fouiner dans la vie de ceux qui y ont survécu.

En regardant les photos des visages souvent souriants de ceux qui ont vécu le même enfer que lui, Kokichi ne peut s'empêcher de sentir un pincement dans son cœur et une nausée. Pourquoi ont-ils tous l'air de mieux s'en sortir que lui ? Il sait que ces articles et ces instantanés sont aussi mensongers que les mots que ses lèvres prononcent, mais il ne peut empêcher son esprit de ressasser cette idée.

Est-il le seul à ressentir l'impression de n'être qu'une coquille vide ? Est-il le seul à avoir été abandonné par tous, à n'être qu'un fantôme d'un jeu désormais révolu, dénué d'identité maintenant que son cauchemar est terminé ?

Cela ne devrait pas être si douloureux, pourtant Kokichi en oublie même l'engourdissement de ses membres et se redresse d'un seul coup.

Il n'aime pas cela. Il n'aime pas avoir le sentiment d'être le seul perdant de cette Tuerie qu'il s'est pourtant employé à gagner.

Kokichi a vu son propre procès ― pas en direct, il était encore trop sonné par la réalité et la douleur ressentie dans la simulation, mais il a aisément trouvé des enregistrements sur celui-ci une fois rétabli. Il sait exactement comme celui-ci s'est déroulé ― comment Momota a suivi à la lettre ses recommandations et son script, comment tout se déroulait parfaitement bien jusqu'à ce que Saihara relève la seule incohérence que Kokichi n'avait pas pu justifier par son plan de génie, et comment en fin de compte, Momota est décédé, laissant la Tuerie continuer.

Il sait parfaitement comment il a échoué à renverser la situation, échoué à gagner contre Monokuma malgré tous ses sacrifices et le temps passé à mettre au point cette stratégie ― parfaite, avait-il naïvement songé.

Enfin, non. Une part de lui a toujours su que Saihara serait capable de voir derrière ses mensonges. Une part de lui savait qu'il aurait beaucoup de mal à convaincre le détective que son stupide ami était mort et que lui ou Harukawa l'avaient tué. Mais il avait espéré, il avait repoussé cette voix dans son esprit. Il voulait prendre Saihara à son propre jeu. Il voulait, rien qu'une fois, le voir échouer à lire en lui.

Après tout, il sait que, si le détective est loin d'avoir compris son jeu tout au long de la Tuerie, il reste un de ceux qui a le plus vu au travers. En regardant des extraits de ce qui s'est produit après sa mort ― c'était quelque chose de si étrange, entendre les autres parler comme s'il n'était plus de ce monde, ce qui était le cas pour eux d'ailleurs ―, Kokichi a été étonné de la manière dont Saihara s'est intéressé à lui.

Ils n'ont jamais réellement communiqué correctement pendant la Tuerie, mais il lui a semblé que pendant la courte période d'investigation qui a suivi sa mort, le jeune homme a su comprendre un peu mieux ce qu'il avait essayé de faire. C'était trop tard, mais d'une certaine façon, Kokichi en a été content malgré le plaisir qu'il retire à l'idée de rester une figure incompréhensible.

Il sait que ses indices ont aidé à renverser la situation, mais il a le sentiment d'être l'unique vaincu. Celui qui a été jusqu'à sacrifier sa propre vie pour mettre fin à ce jeu ― et qui a échoué. Il n'aime pas cela.

Kokichi n'est plus celui qu'il était pendant la Tuerie, mais il n'aime pas l'image de perdant qui entoure ce disparu. Jusqu'au bout, il veut être le vainqueur, celui qui l'emporte face à ce stupide robot en forme d'ours qui pense tout savoir. Il était fier d'être parvenu à trouver une solution pour triompher ― même s'il a échoué au final, il méprise cette pensée.

Mû par une pulsion soudaine, il rouvre le premier réseau social qu'il aperçoit avant de sélectionner son compte. Il a retiré les publications, mais pas la photo de profil ou la biographie. Il a toujours la certification qui atteste de son statut d'ancien participant au jeu Danganronpa. Celle qui prouve au reste du monde qu'il est l'authentique Kokichi Ôma, Ultime Despote.

Dans quelques instants, ce petit symbole ne sera plus la seule preuve de son identité.

――

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et, en quelques jours, Kokichi gagne un nombre terrifiant de nouveaux abonnés. Il ne lui a fallu que quelques publications, photos comme vidéos, constituées de son rire caractéristique et de ses mensonges pour rassembler une fois encore autour de lui la population complètement folle de ce monde cassé.

Il n'a eu qu'à redevenir celui qu'il était dans le jeu pour affirmer à nouveau son identité.

Peut-être aurait-il dû commencer par cela dès le début en fin de compte. Il pensait ne jamais pouvoir endosser à nouveau le rôle de l'Ultime Despote, mais la tâche est plus aisée qu'elle n'y paraissait.

Il lui suffit d'oublier ce qu'il sait, de se mentir à lui-même encore plus profondément ― mais aussi de dissimuler sa rancœur et sa colère sous des couches de fausseté. C'est quand il se noie dans les sentiments négatifs que Kokichi parvient le mieux à duper le monde extérieur autour de lui. Ce n'est sûrement pas sain, mais tout ce qui compte, c'est qu'il s'en sort ainsi.

Il retombe si aisément dans ses habitudes qu'il finit par se demander si elles ne constituent pas la réalité de ce qu'il est. C'est si simple de feindre un sourire amusé, si simple de mentir aux autres et de leur faire voir ce qu'il veut. Il commente le moindre sujet d'actualité ― il y en a peu, et ceci explique sans doute en partie pourquoi le monde entier semble tourner autour de Danganronpa ― et communique sur ses expériences dans la Tuerie. Il parle rarement de ses camarades, même s'il reçoit souvent des questions à leur sujet.

S'il a de nouveau endossé un rôle, s'il est désormais capable de mentir de nouveau, cela ne signifie pas qu'il est prêt à les revoir. Ils le détestent, de toute manière. Il a manipulé Gonta, et s'est moqué d'eux tout au long de la Tuerie. Il ne recherche pas leur pardon ou leur compréhension ― ce serait ridicule. Kokichi a agi comme il souhaitait dans cette simulation, et eux aussi. Il ne veut pas de retrouvailles mielleuses et de conversations condescendantes.

Il se contente de retrouver le rôle qui lui sied le mieux, celui de l'antagoniste.

Ils ne sont plus dans la Tuerie, mais il reste cet élève insupportable, celui que personne ne comprend et qui joue avec les nerfs de tout le monde.

C'est le personnage qu'il joue le mieux après tout.

Il s'habitue doucement à reprendre une vie similaire à celle qu'il avait dans la Tuerie, les nuits passées sans dormir à préparer une stratégie pour l'emporter en moins. Il ne dort toujours pas beaucoup, préfère rester éveillé pour ne pas être hanté par les cauchemars qui reviennent.

(Dans la Tuerie aussi, il restait éveillé pour fuir les mauvais rêves,

les souvenirs du corps pendu d'Akamatsu, du squelette d'Hoshi ou du corps brûlé de Gonta.)

Ils sont identiques ici, cela renforce presque le sentiment d'habitude qui l'étreint à chaque fois qu'il poste une vidéo et lit les commentaires qu'il reçoit. Il n'est pas aussi populaire que certains autres anciens participants, loin de là. Beaucoup lui adressent des remarques acerbes, des reproches quant à son attitude au sein de la Tuerie. Ceux qui adoraient Gonta ne lui ont jamais pardonné ses méfaits ― il n'espère même plus recevoir celui du principal concerné.

(Il a menti au moment de son exécution, mais l'autre a dû entendre par la suite la vérité, s'il a regardé ce qui s'est produit après son décès dans le jeu.

Gonta est sans doute trop simplet pour avoir compris un dixième de ses propos, mais s'il est bien entouré, Kokichi ne doute pas qu'il a fini par comprendre que le despote l'a manipulé de bout en bout pour arriver à ses fins.)

D'autres en revanche plébiscitent son retour. Il suppose que, comme au sein du jeu, il rend les choses plus intéressantes. Après tout, c'est ce pourquoi il est le plus doué ― pimenter le jeu, faire en sorte qu'on ne s'ennuie pas.

Il regarde peu les messages qu'il reçoit en fin de compte, parce qu'il sait qu'il n'y en a que deux catégories : ceux qui lui racontent à quel point ils l'ont apprécié dans le jeu, et ceux qui critiquent le moindre de ses agissements.

Ces messages ne le blessent pas. En réalité, ils ne l'atteignent pas ― ni les compliments, ni les critiques. Parce que quand il les lit, il se souvient qu'ils ne s'adressent pas réellement à lui mais à l'Ultime Despote.

Ultime Despote qu'il s'emploie à être, mais n'est plus véritablement.

Kokichi a beau prétendre, il ne sait toujours pas où il en est. La plupart du temps, il parvient à mentir avec aisance y compris à lui-même. Mais parfois, quand il lit ce qui lui est directement adressé, il se souvient qu'en réalité, il n'est qu'un imposteur.

Un imposteur de lui-même, tentant vainement de faire revivre celui qu'il était autrefois ― celui dont il se souvient. Sa mémoire n'a pas disparu de nouveau, elle reste empreinte de tout ce qu'on lui a fabriqué. Et c'est si évident de retomber dedans, de faire une fois encore comme si c'était la vérité.

Mais la voix dans sa tête ne cesse jamais de lui susurrer qu'il ne fait que jouer le rôle d'un décédé ― peu importe combien il essaye, il ne pourra jamais complètement redevenir celui qu'il était.

Kokichi le sait, mais il refuse de l'admettre.

C'est sans doute pour cette raison que, lorsqu'il remarque dans ses messages un nom familier, il décide de l'ignorer.

Il a enfin repris le contrôle de son existence, trouvé une raison de vivre, aussi tordue soit-elle ― il n'est pas prêt à l'abandonner tout de suite.

Et Saihara n'y changera certainement rien.

⸝⸝⸝⸝

Kokichi estime qu'il ne se débrouille pas si mal dans son nouveau rôle ― qui consiste essentiellement à prétendre être toujours le même que l'ancien. Les semaines passent sans qu'il n'expérimente la moindre déconvenue, à l'exception de certains moments où il retombe dans le même cycle infini de pensées, se demandant encore et toujours quelle est son identité.

C'est presque drôle de constater à quel point les êtres humains ont besoin de définir leur vie avec précision pour être capables d'avancer. Même lui ne fait pas exception en fin de compte, et il ne sait pas comment il le prend. Il aimerait être au-dessus de tout cela, mais la pensée de n'être personne le paralyse plus qu'elle ne devrait le faire.

Plus que tout, Kokichi sent qu'il a toujours abrité en lui la peur de n'être qu'un humain de passage sur cette terre. Dans le jeu en tout cas, il la ressentait avec clarté. DICE, les méfaits accomplis, son envie de marquer les esprits et d'être plus qu'un simple être humain ayant vécu quelques décennies sur la planète.

D'une certaine manière, il a réussi à accomplir son objectif. Participer à la Tuerie garantit que son nom sera connu pendant de longues années encore, jusqu'à ce qu'il y ait eu trop d'éditions supplémentaires pour qu'on se souvienne toujours de la leur.

Pourtant, à l'idée de juste passer les années qu'il lui reste sans rien faire, à attendre que les jours et les semaines s'écoulent en restant dans l'ombre, il se sent oppressé de manière insupportable.

Alors, même si en vérité Kokichi ignore encore qui il est réellement, il préfère prétendre que de chercher. C'est tellement plus simple de retomber dans les mêmes habitudes si soigneusement ancrées dans sa peau que de faire face à la réalité.

Il parvient à maintenir cette illusion un moment ― avant de recevoir un nouveau message privé.

Il n'a pas répondu à celui de Saihara, préférant supprimer d'emblée la conversation sans même l'ouvrir. Il n'en a pas reçu d'autres depuis celui-ci ; il espère que le jeune homme a compris qu'il a sciemment ignoré et n'ose pas lui en envoyer un nouveau. Kokichi a néanmoins oublié une chose ― si le faux détective lui a envoyé un message, ce n'est sans doute pas entièrement de sa propre initiative.

Le nouveau provenant cette fois d'Akamatsu le confirme.

Etonnamment, il hésite plus à le supprimer sans le lire cette fois-ci. Il est pourtant bien moins familier de la jeune femme qu'il ne l'était de Saihara, ils ne se sont côtoyés que quelques jours avant qu'elle ne tombe dans le piège de Monokuma et de Shirogane. Pourtant, quelque chose en lui oscille entre la certitude qu'il ne veut pas de contact avec ses anciens camarades, et l'envie de savoir ce que celle qui tenait à ce qu'ils soient amis veut lui dire.

Il finit malgré tout par le supprimer après quelques minutes et prend sur lui pour le chasser de ses pensées. Quelle importance si elle souhaite lui parler ? Il n'accèdera pas à sa demande pour autant, il n'en voit pas l'intérêt.

Il ne veut pas de liens avec ce qu'il a été ― néanmoins, il veut revenir dans ce rôle. Sa propre contradiction est évidente, même s'il refuse de la remarquer.

Akamatsu n'est pas aussi facile à dissuader que Saihara. Elle envoie d'autres messages, toujours sans s'offusquer du silence qu'il lui oppose systématiquement, comme si de rien n'était. Il n'y répond jamais, se contente de les laisser s'accumuler. Cette fille est étonnante tout de même. Dans la Tuerie déjà, Kokichi a eu l'impression que quoi qu'il fasse pour la repousser, elle reviendrait toujours. Elle et sa foutue fascination pour leur bonne entente et amitié.

Il sait que peu importe à quel point il sera blessant, cela ne fonctionnera pas avec elle. Il n'aime pas les individus qui agissent ainsi. Ils sont les plus collants.

Il s'attend presque à ce qu'un jour, elle débarque dans son petit appartement ― il n'en a jamais révélé l'adresse, mais les gens parlent et il la voit comme quelqu'un qui peut tout trouver s'il en a la détermination.

Néanmoins, un jour, ce n'est pas Akamatsu qu'il voit sur le pas de la porte.

C'est plutôt un jeune homme vêtu de noir et gris, qui semble vouloir disparaître sous une casquette que Kokichi ne lui a pas vue pendant des semaines entières, au cours la Tuerie.

Lorsque Saihara l'aperçoit, rentrant de courses rapides à la supérette et clairement peu préparé à la vision de son ancien camarade de jeu, son visage semble s'illuminer ― en tout cas, pour ce que Kokichi en voit sous le couvre-chef.

Celui de l'Ultime Despote est plutôt lugubre, mais il n'en montre rien.

« Eh bien, Saihara ! Tu me soupçonnes d'être impliqué dans un crime ? » C'est supposé être une plaisanterie, comme celles qu'il faisait avant, mais l'autre baisse simplement les yeux.

« Non, je... » Il semble chercher ses mots, mais Kokichi ne lui en laisse pas le temps.

« Comment as-tu trouvé cette adresse ? Tes talents de détective m'étonneront toujours. Mais je ne devrais pas en attendre moins de celui qui a déjoué mon plan. » Cette fois-ci, Saihara tressaille visiblement et pâlit tant qu'il paraît se confondre avec le mur immaculé derrière lui.

« Ôma, je...

Ne t'en fais pas, mon petit Saihara, c'était le jeu. Nous sommes dans un autre univers désormais, non ? » Le regard de l'autre le scanne et Kokichi espère qu'il ne verra pas au travers de ses mensonges, qui semblent transparents sous les iris attentifs du faux détective.

« J'aimerais te... » Le jeune homme aux cheveux mauves sait ce qu'il va dire et s'empresse de poursuivre sur sa lancée.

« Nous avons nos propres vies et préoccupations. T'es en contact avec Akamatsu ? Vous vous êtes enfin embrassés comme il se doit après que tu ais démontré son innocence absolue ? » A chacune de ses phrases, Saihara se ratatine sur lui-même. « Je vous souhaite beaucoup de bonheur en tout cas. Moi aussi, j'ai réussi à me refaire une vie dans mon coin. D'ailleurs, je suis extrêêêmement occupé, alors tu m'excuseras ! »

Dans le même mouvement, il se faufile jusqu'à sa porte, l'ouvre et la referme. Il ne veut laisser aucune possibilité à Saihara de parler. Il ne veut pas de cette conversation. La porte refermée, il va jusqu'à la verrouiller.

« Ôma ! »

L'appel de l'ancien détective reste sans réponse.

Kokichi préfère s'enterrer de nouveau dans l'obscurité de son appartement plutôt que de lui faire face et de voir ses mensonges une fois de plus exposés.

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