Chapitre 5 - Adam

Adam

Pourquoi Nina accepte que je la suive ? C'est comme si on était liés par une corde invisible qui m'empêchait de la laisser partir de son côté. Je me sens envoûté et ça fait chier de me transformer en mec relou, incapable de lâcher l'affaire.

Il n'y a personne ou presque dans la rame, on s'assoit dans un carré. C'est étrange comme face à elle, j'ai autant l'impression d'être à ma place que d'être une tâche dans le paysage.

— Ça te plait tes études de cinéma ? me demande-t-elle.

Elle me croit à l'université avec sa coloc. Merde...

— Tu fais erreur, je ne suis pas à la fac. J'ai croisé Matthieu en allant accrocher une annonce pour un casting sur le mur d'affichage de leur UFR.

— Ah OK, alors tu fais quoi ?

— Larbin dans une boite de prod.

J'ai perçu un léger froncement de sourcil lorsqu'elle a compris que je n'étais pas étudiant, mais elle s'est reprise aussitôt :

— Ça fait quoi un « larbin » ? m'interroge-t-elle en mimant les guillemets.

— Ça répond au téléphone, prépare des cafés, agrafe des photocopies, assure la livraison de contrats importants, et d'autres trucs comme ça...

Elle hoche la tête, au rythme des tressautements du métro.

— Le casting c'est pour un film ? C'est qui le réalisateur ?

Je m'apprête à briser définitivement ses illusions à mon sujet.

— Je bosse pour une agence qui produit des émissions de télé-réalité. Après chante avec des stars, danse avec des stars, cuisine avec des stars, je t'annonce qu'arrive prochainement sur ton petit écran : deviens cinéaste avec des stars !

Elle se met à rire et j'en éprouve étonnamment une certaine fierté.

Le métro s'arrête, on regarde le panneau. Plus qu'une station. Je vais devoir m'effacer de sa vie.

Son visage s'assombrit et je sens, j'espère, qu'elle tergiverse. Je ferme les yeux pour faire un vœu comme si elle était une étoile filante.

La rame ralentit à nouveau dans un crissement strident.

— Adam ?

J'ouvre les yeux. Nina est debout, penchée vers moi. Elle se tient à la rambarde en métal derrière ma tête pour éviter de basculer vers l'arrière. Elle approche sa main libre de mon visage.

Mon cœur marque une pause, comme le temps.

Son index effleure ma joue, comme son souffle.

— Excuse, t'avais un cil... déclare-t-elle avec une voix mal assurée.

Un simple cil... Comme un con, j'attendais que ses lèvres s'écrasent sur les miennes, que nos dents s'entrechoquent, que sa langue trouve la mienne.

Le métro s'arrête. Nina se redresse alors que la sécurité automatique libère l'ouverture de la rame. Elle marmonne, comme si elle regrettait d'avance ses mots :

— Tu veux prendre un café ?

La sonnerie retentit. Je bondis et la tire vers le quai avant que les portes ne se referment.

— Évidemment que je veux prendre un café !

Elle pince les lèvres pour contenir un sourire.

— Tu n'as plus de révisions à faire ?

Pourquoi j'ai dit ça ? Et si elle changeait d'avis...

— Non, j'ai bossé plus de douze heures aujourd'hui, mon cerveau est HS.

— Oui, il fallait au moins un cerveau hors service pour que tu m'accordes un rencard.

Elle rit, ce qui provoque en moi une douce satisfaction.

À la sortie de la bouche de métro, on retrouve l'air frais de la nuit. Un homme nous propose des marrons chauds, cuits dans un chaudron de fortune. Nina refuse poliment.

— Ce n'est pas un rendez-vous, me reprend-elle alors qu'on se dirige vers son immeuble.

— Je décide que si.

— Non, insiste-t-elle, à peine sérieuse.

— Je décrète pourtant que ce n'est que le premier, que j'ai l'intention de te traîner dans Paris jusqu'au petit matin !

— Même pas en rêve ! s'offusque-t-elle dans un sourire qui trahit son envie. On prend juste un café en bas de chez moi et je rentre dormir.

— Ça va t'exciter, tu ne pourras pas trouver le sommeil. Tu verras que tu voudras passer plus de temps avec moi.

Nina me repousse d'un mouvement d'épaule amical mais ne dément pas.

Plus loin, elle désigne la brasserie à l'angle de sa rue.

— C'est pas l'endroit le plus sympa de Paris, mais ça a le mérite d'être tout proche de chez moi.

Quelques personnes y terminent leur dîner et je réalise qu'on a encore rien avalé ce soir.

— Nina, ma jolie Nina, entonne, au-dessus de nous, une voix masculine qui sent le trop-plein d'alcool.

Matthieu nous guette depuis le balcon de l'appartement de Nina. Il était très intéressé par le casting, persuadé qu'il aurait une chance de percer.

— Oh pitié, pas lui, chuchote-t-elle avant de lui adresser un salut hypocrite.

Je me sens rassuré qu'elle ne s'intéresse pas à cet abruti.

— Nina, c'est la fête ! Vos voisins du deuxième sont en vacances, Annelise a dit qu'on allait pouvoir danser toute la nuit.

Je hoche la tête satisfait.

— Ça t'amuse ? me demande-t-elle, agacée.

— Ça me semble compliqué de rentrer dormir dans ces conditions. Tu n'as plus d'excuse pour refuser mes rencards.

Elle pousse un soupir exaspéré.

— Nina, jolie Nina, tu moooontes ?

Elle plaque les mains sur son visage pour étouffer un cri de rage. Je lui écarte doucement pour libérer ses yeux.

— Tu peux remonter, jouer la coloc pas sympa qui a besoin de calme ou...

— Ou ? m'interroge-t-elle d'une voix fragile.

— Ou y voir l'opportunité de faire une pause.

Elle secoue la tête, pas encore prête à s'accorder ce temps.

— Si je fais une pause, c'est pour dormir et manger.

— Justement, tu as dîné ?

Son visage s'éclaire, soulagé par ma proposition qu'elle peut accepter sans culpabilité.

— Un café et un croque-monsieur dans cette brasserie ?

— Mieux ! Un sandwich falafel et un thé à la menthe, là-bas, annonce-t-elle en me montrant un traiteur libanais à une centaine de mètres de nous.

— Hé les gars, nous interpelle Matthieu alors qu'on dépasse leur immeuble. Vous allez où ?

— On mange un truc avant de rentrer, répond Nina en criant entre ses mains en coupe pour que sa voix s'élève au-dessus du bruit de la circulation. Tu peux prévenir Annelise ? Dis-lui de ne pas s'inquiéter.


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