Chapitre 20 - Adam


Adam

— Tu ne peux pas partir comme ça ! hurle Nina, plantée au milieu du trottoir.

Des larmes font briller ses joues dans la lumière grise des réverbères. Son émotion me bouleverse, elle résonne avec la douleur qui s'insinue sous mes côtes. Je me rapproche d'elle en tentant de me composer un visage impassible.

Pourquoi on en est là ? Je me sentais si léger en déambulant avec elle cette nuit dans les rues de Paris, à faire l'idiot pour l'impressionner. Elle souriait, elle riait, elle jouissait et je crois que ça m'aurait suffi pour toute une vie. Putain, Adam arrête de te raconter des contes de fées !

— Adam, pas maintenant, pas comme ça ! crie-t-elle, alors que je me trouve à un mètre d'elle à présent. Si tu ne veux pas de mon aide, oublie ! C'était une proposition à la con !

Elle me fixe, ses iris noirs sont fous de colère. Mon cœur pulse au fond de ma poitrine, je peine à retrouver mon souffle alors que je n'ai fait aucun effort.

— Nina, s'il te plaît calme-toi, c'est un prétexte, OK ? J'y vais parce que c'est ce qu'on avait convenu toi et moi, juste une nuit. Tu te souviens ?

— T'as pas le droit de t'enfuir comme ça !

— Je ne m'enfuis pas, je nous libère.

— Nous libérer ? m'interroge-t-elle dans un sanglot qui me flingue. De quoi, Adam ? De quoi tu nous libères ?

Nina s'accroupit, accroche ses mains dans sa tignasse brune tout en psalmodiant des mots inintelligibles. Elle se cache entre ses genoux repliés, comme une tortue. Son dos arrondi est secoué de spasmes. Tout m'échappe ce soir, je me sens si impuissant.

— Tu as ta vie, moi la mienne, je cherche à la convaincre.

— Mais il s'est bien passé quelque chose entre nous ? J'ai pas rêvé ? me demande-t-elle d'une voix cassée.

Je défaillis quand elle relève le menton et pose sur moi ce regard plein de questions, j'y lis toutes celles qui m'obsèdent depuis des heures, mais j'ai raison. Je le sais depuis le début, elle aussi. Il n'y a pas de relation possible entre nous. Parce que j'ai arrêté les études en seconde, parce que j'ai un CDD sans avenir et une place sur un canapé, faute d'avoir une famille assez présente pour se porter garant auprès d'un propriétaire. Parce qu'elle est brillante et que je ne suis qu'un abruti dyslexique.

— On a discuté toute la nuit, Nina. Tu vois bien à quel point on est incompatibles, putain ! Oui, j'ai profité d'un moment chiant pour me casser, mais tu voulais quoi ? Que je recouche avec toi et que je te tape la bise au petit déjeuner devant un café ?

C'est méchamment violent, mais il faut bien mettre un terme à tout ça.

Nina secoue la tête sans rien trouver à répondre, alors je poursuis :

— Je pourrais faire ça avec un plan cul, mais c'est vrai... Toi et moi, ce qu'on a partagé cette nuit, c'est différent.

Nina se relève, essuie ses joues d'un revers de main.

— Peut-être... commence-t-elle.

— Il n'y a pas de peut-être, tu le sais...

Nina contrôle ses dernières larmes en poussant un long soupir. Je la regarde déglutir, puis son visage s'adoucit. Si elle se résigne, j'en serai dévasté. Alors à l'inverse de tout ce que je viens de lui balancer, je m'approche d'elle jusqu'à ce que nos deux corps soient collés. Je me nourris de son souffle chaud qui me libère de cette boule qui comprime ma gorge. Ce que je ressens me terrifie. J'aimerais poser les mains sur sa taille, la retenir dans ma bulle, car j'ai si peur qu'elle me repousse dès qu'elle aura retrouvé la raison.

Nina entrouvre la bouche, à la recherche de mes lèvres. Je cède parce que je ne veux rien d'autre en cet instant. Tant qu'elle m'embrasse, je ne risque rien.

Un bruit sourd.

Une douleur atroce à l'arrière du crâne.

Je suis éjecté au sol, face contre terre, terrassé.

Deux ombres entourent Nina, qui se débat. Une troisième vide mon sac sur l'asphalte. Incapable de bouger, de crier, ni même de fermer les yeux, je me retrouve totalement impuissant à protéger Nina. Les connards la retiennent en se foutant d'elle et de ses pieds nus. Je voudrais crever plutôt que d'assister à ça. J'entends sa peur, pour elle, et pire pour moi. Elle hurle mon nom, non plus de colère, mais de terreur. Je veux lui répondre, la rassurer, mais les mots restent bloqués dans mes poumons. Le supplice dure une horrible éternité.

Un géant débarque et bouscule les trois paumés, qui déguerpissent aussitôt en lâchant un flot d'injures. Nina, libérée, se précipite sur moi. Son ange gardien lui demande de ne pas me bouger. Elle lui adresse un léger sourire reconnaissant, et je le déteste pour ça, autant que je me déteste d'être une loque inutile.

Des gyrophares éclairent la façade de son immeuble, puis des voisins curieux se penchent à leur fenêtre. Nina étouffe ses sanglots entre ses mains et ses lèvres articulent des mots que je ne comprends pas.

Alors qu'un médecin m'examine, je reconnais Annelise qui se précipite vers nous pour sauter dans les bras de Nina. Puis, un agent de police la prend enfin en charge. Elle tremble, manque de tomber, visiblement en état de choc. Un pompier lui pose une couverture de survie sur le dos, la fait asseoir et lui donne un truc à boire.

L'urgentiste me parle mais je n'entends rien, mon corps ne me sert plus à rien. Je repense à toutes ses heures d'entraînements, qui se retrouvent réduites à néant, là, sur ce bout de bitume parisien.

Nina se relève. Le pompier la soutient par l'épaule, puis l'emmène dans le camion. Je suis enfin rassuré. Quand le médecin serre mon cou dans une minerve avant de me retourner sur une civière, je sombre.

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