Chapitre 19 - Nina
Nina
On attend quelques secondes pour que le silence s'impose à nouveau dans l'appartement.
— Tu connais Annelise depuis longtemps ? me demande Adam.
— Oui, depuis toujours... Nos mères sont profs d'anglais, elles se sont rencontrées lors de leur première affectation et sont devenues très vite amies. Donc mercredi, week-ends et vacances scolaires, on se voyait tout le temps. Comme je suis fille unique, je crois qu'Annelise est pour moi ce qui se rapproche le plus d'une sœur.
J'enchevêtre mes jambes à celles d'Adam pendant qu'il dessine des arabesques sur mon sein du bout des doigts. Je ne ressens aucune gêne ou tension à discuter avec lui de tout et de rien alors qu'on est nus l'un contre l'autre, à moitié recouvert de ma couette en vrac. Tout me semble si naturel avec lui.
— Et vous vivez ensemble depuis ta rupture l'année dernière ?
— Non, je n'ai jamais vécu avec Tim. On est en coloc avec Annelise depuis le bac, mais c'est la fin...
Adam attrape une poignée de mes cheveux et se caresse le visage avec. Il sourit en aspirant de longues bouffées d'air.
— T'as cru que j'étais ton doudou ?
— Je pense que c'est l'odeur de ton shampoing, qui m'a complètement fait perdre les pédales ce soir me révèle-t-il amusé. Sans ça, je comprends pas pourquoi je me suis mis à te suivre comme un pauvre clébard.
— Tu aurais donc pu suivre n'importe qui d'autre ?
Adam frotte son menton, le regard perdu dans une longue réflexion.
— Peut-être, avoue-t-il avec ironie.
J'ouvre de grands yeux pour mimer l'effroi avant d'exploser de rire. Il resserre son étreinte en repliant le coude sous mon cou et fourre son nez sous ma nuque.
— On parlait de quoi déjà ? m'interroge-t-il en déposant derrière mon oreille de petits baisers qui me font frissonner. Ah oui, tu me disais que c'était la fin de ta coloc avec Annelise. Pourquoi ça se passe mal ?
— Pas du tout, mais si j'intègre Polytechnique comme prévu, je serai logée sur le campus.
— Comme une mignonne cheerleader américaine, se moque-t-il gentiment. Ça ne coûte pas trop cher d'étudier là ?
Sa main libre se balade de ma clavicule à mes seins, jusqu'à mon nombril, déclenchant une décharge dans mon bas-ventre.
— Non c'est une école publique, tout est gratuit et on est même payé car on a un statut de fonctionnaire.
— Quoi ? s'indigne-t-il en cessant toute caresse. C'est une blague ?
Il se décale, espaçant nos corps de quelques centimètres pour mieux me faire face.
— C'est comme ça depuis Napoléon, je lui confirme.
Mes privilèges me sautent aux yeux. Je n'ai pas besoin d'argent, tout comme la majorité des étudiants qui intégreront l'école. Pas besoin d'attendre les résultats pour connaître cette statistique : chaque année seul 1 % des lauréats viennent de famille d'ouvrier. Et pourtant, tout sera mis en œuvre pour qu'on reçoive les meilleurs enseignements dans les meilleures conditions. Il paraît que c'est le mérite qui est récompensé, mais je ne suis pas naïve. Je mesure ma chance d'être née au bon moment, au bon endroit.
Je scrute les iris sombres d'Adam pour tenter d'y lire son histoire, qui semble moins idyllique que la mienne.
— Tu me dis combien tu as eu au bac pour avoir la possibilité de réussir un truc aussi dingue que cette école de génie ?
Le rouge me monte aux joues, parce que je pressens déjà son jugement.
— 18,5/20
— Waah ! s'exclame-t-il avec une sincérité qui me touche. T'es si douée.
Je secoue la tête pour le détromper. Cela me semble normal de faire un minimum d'efforts pour avoir les meilleurs résultats possibles.
— Le bac, c'était pas grand-chose, je cherche à minimiser. Là, je dois surtout réussir le concours.
Une ombre passe sur son visage. Quelle conne ! Il n'a pas passé le bac... Comment ai-je pu être aussi insensible.
— Tu sais, tu pourrais le tenter en candidat libre, je pourrais t'aider à le préparer...
Adam se dégage de notre étreinte d'un geste brusque, séparant complètement nos jambes encore emmêlées.
— Pitié, Nina, s'agace-t-il. Épargne-moi, le « c'est facile, il suffit de bosser un peu ».
— Non, mais j'en sais rien, tu n'as peut-être pas eu assez de soutien pour tes études, j'essaie de me défendre.
— Une petite dose de condescendance, maintenant...
Sa colère est froide, blessante. Je me sens démunie, j'ai l'impression de nager à contre-courant dans les eaux glaciales d'un fleuve.
— J'ai juste proposé de t'aider, en quoi c'est mal ?
Ma voix n'est qu'un sanglot idiot.
— Je n'ai rien demandé, rétorque-t-il en attrapant son caleçon qui gît au sol.
Je me redresse et tire la couette contre mon buste pour protéger ma nudité.
— Mais qui dans ta situation n'aurait pas besoin d'aide ? Tu n'as pas fait d'études, tu fais un boulot sans intérêt et tu vis chez un pote !
Ma colère répond à la sienne, les mots s'échappent de ma bouche avec une violence que je regrette aussitôt.
— Je vais y aller, m'annonce-t-il d'une voix cassante.
Il saisit son jean, son polo. Tout va trop vite pour que je comprenne ce qui se passe. En moins de temps qu'il n'en faut à mon cerveau pour réagir, Adam est prêt.
— Merci pour cette nuit, c'était sympa, balance-t-il, la main sur la poignée de ma chambre.
Je reste muette, tétanisée. Il pousse un soupir et disparaît.
Quand la porte de l'appartement claque, je ressens une solitude qui m'était inconnue jusque-là. Ça ne peut pas se finir comme ça. Ça devait se finir, mais pas comme ça.
J'attrape un jean, un sweat et les enfile en sortant de chez moi. Je dévale l'escalier, en manquant de tomber à plusieurs reprises. Il n'a pas le droit de partir comme ça !
J'ouvre la porte de l'immeuble et dehors, pieds nus sur le bitume, je hurle son nom. Je crie à m'en décrocher les poumons, à m'en vriller la gorge. Jusqu'à ce qu'il n'ait d'autre choix que de faire demi-tour.
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