Chapitre 14 - Adam
Adam
Nina m'entraîne dans un pub à peine éclairé, qui sent la bière et la sueur. Et peut-être la testostérone en admettant que ça ait une odeur.
— Tu sais jouer au baby-foot ? je l'interroge en cherchant une table.
— J'ai passé quelques mois d'été chez les grands-parents d'Annelise, me révèle-t-elle en se débarrassant de son manteau sur une banquette libre, il n'y avait que ça de sympa dans leur village.
Alors qu'elle continue de me raconter des souvenirs de vacances, je perds le fil. Ses interminables jambes à la peau mate me fascinent. Je rêve de les sentir se resserrer autour de ma taille.
Nina se tait et me balance un demi-sourire railleur, comme si elle était capable de lire dans mes pensées. Elle sort un élastique de la poche centrale de son sweat et attache ses longues boucles dans un chignon au sommet de sa tête. Elle me regarde avec une intensité qui pourrait me rendre aveugle.
— Tu veux quelque chose ? je parviens à articuler.
— Prends-moi un coca s'il te plait, demande-t-elle en se dirigeant vers le baby-foot.
Deux joueurs sont déjà à l'œuvre. Nina laisse une pièce d'un euro sur le bord du terrain, pour montrer qu'elle se positionne sur la prochaine partie.
Je la rejoins avec les verres. Très vite, Nina se prend de passion pour le match et commente chaque action, ce qui galvanise celui qui gagne et agace celui qui perd.
Je me cale dans son dos. Le nez contre sa nuque, je hume la délicate odeur de sa peau et me chatouille avec la soie de ses petits cheveux. Elle frissonne et devient muette.
— Tiens, j'ai trouvé l'interrupteur de Nina Guillot.
Elle émet un rire adorable et bascule la tête en arrière pour trouver appui sur mon épaule. Je me contente de la frôler, mais je pourrais la dévorer comme un putain de vampire si je ne me retenais pas.
— Tu prends le gagnant ? propose l'un des deux joueurs de baby-foot à Nina, nous sortant de notre torpeur. Ou on fait un deux contre deux ?
— Deux contre deux, répond-elle. Ça te va, Adam ?
De vieux tubes rock des années 90 s'enchaînent en fond sonore, donnant à la scène un petit air démodé.
Les deux types libèrent un côté du baby-foot, et on se positionne avec Nina devant les poignées.
— Tu préfères être en défense ou en attaque ? s'enquiert-elle.
— Peu importe. Je te suis.
Nina se place à l'avant et engage la première balle.
Si nos adversaires ont pu sous-estimer le niveau de Nina, ils ont vite compris leur erreur. La balle s'enfonce dans leur cage à un rythme régulier, avec ce bruit de choc métallique si caractéristique.
Je regrette qu'on ait rien parié sur cette partie.
Nina pose ses mains sur les miennes à plusieurs reprises pour enclencher les manettes, quand elle craint que je ne sois pas assez rapide en défense.
— Excuse, me dit-elle un peu essoufflée, c'est plus fort que moi.
— Faut que t'apprennes à lui faire confiance, il est pas si mauvais, se moque l'un de nos adversaires.
— T'inquiète pas ! Aucun problème que tu prennes les choses en main, j'annonce avec un air équivoque, qui la fait rire.
Après avoir remporté la partie avec un score assez humiliant pour nos rivaux, on les laisse pour s'installer côte à côte devant une large table en bois, gravée de petits messages d'amour ou d'insanités comme un vieux bureau d'écolier.
Je sors les clés de mon sac à dos et commence à gratter le plateau.
— Ne va pas écrire N+A à l'intérieur d'un cœur, plaisante Nina.
— Et pourquoi pas ? je la nargue.
— N'importe quoi, rétorque-t-elle en levant les yeux au ciel.
Elle plonge le nez dans son verre de coca et se perd dans la contemplation des bulles de gaz pendant que je grave une étoile. Une étoile filante, le souvenir de cette nuit irréelle.
— Comment tu as commencé à bosser dans la téléréalité ? me demande-t-elle après un long moment de silence. Tu as fait des études d'audiovisuel ?
Évidemment qu'on n'allait pas pouvoir éviter la question plus longtemps... Ce serait si simple de mentir, de m'inventer une vie parfaite. La vie d'un mec qui pourrait envisager une vraie relation avec Nina Guillot. Mais je suis un paumé, autant jouer la carte de la transparence.
— J'ai pas fait d'études, Nina.
Elle marque un temps d'arrêt, les yeux plissés, comme si elle s'attendait à un nouveau sarcasme, une autre blague, une énième provocation. Mais pas cette fois.
— Je n'ai même pas le bac.
Voilà c'est dit. Je ressens à la fois la douleur et le soulagement d'un vieux sparadrap qu'on arrache. Son visage s'allonge un court instant, mais elle secoue la tête pour se reprendre.
— T'as fait un CAP ou un BEP, c'est ça ?
— Non, à 16 ans j'ai décidé que les études c'était pas mon truc et j'ai arrêté d'aller en cours.
— Tu as arrêté les cours à 16 ans parce que c'était pas ton truc, répète-t-elle avec une voix beaucoup trop aiguë. Mais tes parents, ils ont dit quoi ?
Je pousse un soupir pour expulser la boule d'aigreur qui se forme au fond de ma gorge à la mention de mes vieux.
— Il parait que je suis un cas irrécupérable, d'après mon père.
— C'est-à-dire ? s'inquiète-t-elle.
— Que ça ne servait à rien de perdre leur temps avec moi... Ils m'ont viré juste avant mes 17 ans. Après je les comprends, j'étais encore plus stupide à l'époque que maintenant, je passais mes journées à fumer des joints en jouant aux jeux vidéo.
Le regard de pitié que Nina plante sur moi me détruit. C'était sympa à 18 ans de raconter ça, je jouais le bad boy. Là, je me sens minable. Mes parents ont raison, les cons dans mon genre n'ont aucun intérêt.
— SDF ? murmure-t-elle, comme si les mots pouvaient me blesser.
— Non, rassure-toi. J'étais pas à la rue. On peut changer de sujet, s'il te plait ? J'ai pas envie de gâcher notre cinquième rendez-vous avec des souvenirs un peu nuls.
Elle pince les lèvres pour se retenir de poser de nouvelles questions sans doute.
J'avale la fin de ma bière d'une traite, je me sens vidé. Je bascule la tête en arrière et ferme les yeux. Je devrais rentrer chez moi, même si c'est juste un bout de canapé au milieu du salon de mon pote.
Nina se rapproche en silence et cale sa tête au creux de mon cou. La chaleur de sa respiration sur ma peau m'apaise, avant de déclencher une irrépressible envie de la voir nue sur la table. Mon corps s'embrase, effaçant les premiers signes de lassitude ressentis à la minute précédente. Je finis par me demander si coucher avec elle serait vraiment libérateur, tant elle m'obsède.
— Tu sais que, quoique tu me racontes, ça ne change rien pour moi ?
Mon cœur se serre au fond de ma poitrine. Une partie de moi, la plus naïve, serait tentée de la croire. L'autre sait que c'est une formule de politesse.
— Merci, mais y a rien à dire de plus.
Demain, à la lumière du jour, devant ses exo de maths, elle se dira qu'elle a bien fait de ne pas poursuivre l'aventure.
Nina, le nez collé à ma pomme d'Adam, pousse un long soupir, puis murmure :
— J'ai peut-être un plan pour te changer les idées.
La peau de mon cou s'échauffe sous l'effet de la vibration de sa voix. J'ai un milliard d'images salaces qui se succèdent dans mon cerveau comme sur un écran d'ordinateur piraté.
— On pourrait aller danser ? propose-t-elle. Ça te dit d'aller en boîte ?
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