Libre, mais stressée
Stressée, j'attendais en me tortillant les mains. Les passants marchaient à vive allure avec leurs bagages à main pour ne pas rater leur avion. Presque la nuit, Alex et moi étions assis sur des chaises en attendant la venue de mes parents. J'espérai qu'ils n'avaient pas emporté trop de bagages... En fait, j'étais sûre qu'ils auraient une ribambelle de valises à traîner. Je ne savais pas si le tout rentrerait dans la voiture. Je soupirai une énième fois tandis qu'Alex prit mes mains pour que j'arrête mon petit jeu de main.
Il me regarda avec une lueur d'agacement qui m'obligea à me calmer dans la seconde suivante. Je m'excusai doucement avant qu'un nouveau silence nous entoure.
Cela faisait plusieurs minutes que l'avion qui logeait mes parents avait atterri et que les premiers voyageurs sortaient. Enfin, je les vis.
Les cheveux bruns et courts de ma mère encadraient son visage souriant comme à son habitude. Mon père s'était rasé les cheveux, ce qui, à ma grande surprise, lui allait bien. Ils discutaient avec de grands gestes pour montrer je ne sais quoi. J'étais debout et les regardais avec émerveillement. Les larmes aux creux de mes yeux, je n'osais bouger de ma place.
Soudain les yeux de l'adolescente à leur côté rencontrèrent les miens. Elle se figea en me reconnaissant. Après nos longues conversations, nous nous envoyions souvent des photos, mais c'était entre nous. Les parents n'avaient pas connaissance de notre trafic et c'était bien ainsi. Un grand sourire transforma son visage las et fatigué du voyage. Je ne pus que sourire de même, la joie me gagnant petit à petit.
Le stress s'évapora en un instant, me laissant un plaisir inouï. Tout dans sa posture, ses vêtements, son regard me rappelaient moi à son âge. Grâce à elle, j'avais pu renouer avec les musiques, les délires que j'avais perdus en travaillant comme une acharnée.
L'isolation et le travail m'avaient privée de beaucoup de choses. Mon âme d'ado la première.
« Alicia ? » dit une voix qui me fit un électrochoc. Je me retournai vers mes parents qui s'étaient arrêtés quelques mètres plus loin.
Les larmes aux yeux, ma mère courut vers moi pour me prendre dans ses bras. Nous nous enserrâmes avec force. Jamais je n'aurais pensé autant les manquer. Retrouver le doux parfum de ma mère, ses caresses, ses rires... C'était un bonheur. Je regardai mon père qui avait aussi les yeux rouges, mais il se retenait de pleurer. Ma mère et moi éclatâmes de rire tout en le prenant dans nos bras.
Après quelques minutes, je fis les présentations avec Alex qui était resté en retrait. Mon petit ami serra la main de mon père, qui le regardait avec suspicion tandis qu'il fit la bise à ma mère et ma petite soeur. De là, tout fut assez silencieux. Un peu trop même. Je lançai un regard à Alex qui me fit un sourire pour me rassurer.
Nous descendîmes au parking pour tout mettre dans la voiture. Avec surprise, j'avais constaté qu'ils n'avaient pas pris beaucoup de valises comme je me l'étais imaginé. Soudain, alors qu'Alex conduisait, le téléphone se trouva dans la poche de manteau sonna. Je le pris et vis que c'était Max. Je décrochai de suite, étonnée qu'il appelle.
« Allo ça va ?
- Oh, Alicia, oui, oui. Et tes parents, c'est bon, tu les as vus ?
- Oui, on arrive. Il nous reste encore cinq minutes de route. Pourquoi ?
- Oh simple mesure de précaution, » dit-il avec la nervosité qui fluctuait sa voix.
Après cette étrange discussion, il raccrocha en nous priant de faire attention sur le chemin. Je replaçai le portable, toujours confuse.
« Qui c'était ? demanda Alex en jetant rapidement un coup d'oeil vers mon visage.
- Max veut savoir si j'ai vu mes parents puis, il a dit qu'il avait appelé pour savoir si nous allions bien... » répétai-je.
Soudain, j'agrandis les yeux sous la reconnaissance. Leur parent était mort dans un accident de voiture. Et maintenant, mes parents se trouvaient dans le même véhicule...
« Qui est Max ? demanda soudainement Emily, curieuse.
- Oh, Max est le frère de cet homme et aussi mon ancien patron, » répondis-je en voulant me tourner vers elle.
Je vis le coup d'œil nerveux d'Alex vers moi et me replaçai bien dans mon siège pour éviter de ne trop le stresser.
« Quoi ? Comment se fait-il que tu parles encore avec ton ancien patron ? demanda mon père, étonné.
- C'est assez compliqué. Je vous expliquerai tout à la maison, » plaidai-je presque mes parents.
Je ne voulais pas de cette discussion dans une voiture. Je préférai être au calme, dans la demeure familiale d'Alex et Max. Heureusement, mes parents se turent, mais je pouvais sentir leur regard sur ma nuque, et il n'était pas chaleureux.
Enfin à la maison, mes parents se déchaussèrent et se dévêtir de leur manteau tout en scrutant l'architecture de la bâtisse. La surprise se révélait clairement sur leurs visages. Je ne dis rien avant de les mettre à l'aise dans le grand salon. Ils s'installèrent, et je partis dans la cuisine leur préparer du café et du thé pour Emily.
Je n'avais pas croisé ni entendu le son de Mégane ou de son mari, ils devaient sûrement être sortis le temps que je dise à mes parents ce qu'il en retournait de mon passé. Je ne savais même pas par où commencer. Toutes mes pensées se mélangèrent en même temps que je faisais tourner les cuillères dans les tasses.
Je soupirai un bon coup en fermant les yeux, puis repartis dans le salon avec mon plateau rempli d'en-cas et de boissons. Je les posai sur la table basse et fus soulagée de voir Alex revenir dans la maison avec les dernières valises. Il me regarda un instant avant de me sourire. Je ne pus m'empêcher de refaire la même mimique. J'avais l'impression d'avoir plus de courage.
Tous les trois assis sur le canapé, et moi sur un fauteuil près d'eux, je laissai Emily se jeter sur la nourriture tandis que mes parents prirent leurs tasses et burent doucement. Ma mère n'arrêtait pas de me fixer, me pressant de lui révéler tout ce qu'elle voulait savoir.
Je regardais ma petite sœur, ne sachant pas s'il était préférable qu'elle reste ou qu'elle aille visiter la demeure. Enfin Alex vint dans le salon, et resta debout près de moi. Je décidai de laisser Emily dans la pièce. Elle pouvait tout savoir de moi aussi. Nos conversations téléphoniques et confidences murmurées nous avaient rapprochées. J'avais confiance en elle. Elle ne me jugerait pas sans connaître tous les détails. Elle était ainsi, une fille simple qui écoutait les autres. Tout mon contraire quand j'étais adolescente.
« Alicia, pourrais-tu nous expliquer la situation ? » exigea ma mère en regardant en biais Alex.
C'était le moment de vérité. Tout lui avouer sans fioritures, sans gêne. M'exposer comme je ne l'avais que rarement fait à mes parents. Des êtres qui m'avaient conçu avec amour.
Alors je pris une respiration et débitais des paroles dans un flot constant et amorphe. La découverte de la liaison de David, sa partie de jambe en l'air dans notre propre maison, mon divorce, mon déménagement précipité. Je ne laissai pas de répit à mes parents. Je déblatérai mes souffrances en espérant qu'elle passe rapidement. Plus vite que ma douleur.
J'entendis plus que je ne vis les sanglots étouffés de ma mère et les jurons de mon père. Mais je ne m'arrêtai pas. Je ne devais pas si je voulais réussir à avouer la partie la plus honteuse de ma vie.
« Ensuite j'ai découvert que j'étais enceinte de quelques semaines. Je ne crois pas avoir longtemps réfléchi de la décision à prendre. Et... Et je suis allée voir un médecin pour avorter. J'ai ensuite emménagé ici loin de mon passé. J'ai voulu reprendre le travail pour arrêter de me morfondre et...
– Attends, tu as quoi ?! cria ma mère tout en se levant.
– J'ai rencontré Alex en venant travailler ici. En fait, l'ancienne nounou d'Alex et de Max avait entendu parler de moi comme étant l'ancienne secrétaire qui avait démissionné et du coup, elle m'a prise directement. C'était vraiment une coïncidence quand on y repense, j'étais entrée dans le restaurant du mari d'Elena par pur hasard et...
– Chérie... souffla mon père, mais seules des larmes perlèrent de mes yeux tandis que je crispais mes mains sur mon pantalon froissé.
– J'ai travaillé ici pendant quelques mois puis je suis tombée amoureuse. On m'a donné une nouvelle chance, et je sais que cette fois-ci, ce sera différent de ma relation avec David. Parce que, quand on y repense, j'avais toujours connu cet homme et m'étais laissé prendre dans la routine. J'avais vraiment cru qu'il serait toujours à mes côtés, qu'on vieillirait ensemble... Mais ce n'est pas un conte de fée. Je me suis laissée avoir par une illusion que je me suis forgée. J'avais pensé que mon couple serait aussi fort que le vôtre. Mais j'avais plus que tort. Je m'en rends compte maintenant... »
N'ayant plus la force d'énoncer un mot, je laissai le silence imprégner la pièce. Je reniflai et essuyai mes larmes alors qu'Alex posa une main sur mon épaule pour me faire part de sa présence plus que nécessaire pour moi. Je mis une main sur la sienne puis souris à moi-même. Je devais maintenant affronter leurs regards. Le regard de ma famille.
Mon père était complètement déboussolé par mes révélations, mais ma mère, elle, gardait un visage dur malgré ses larmes. Quant à Emily, elle fixait sa tasse de thé posée sur la table basse. Elle semblait ailleurs, pensive. Ma mère essuya ses larmes avant d'ouvrir la bouche.
« Je... Je comprends que David ait commis des actes impardonnables, mais ce que tu as fait est aussi... m'accusa-t-elle en secouant la tête. Pouquoi avoir avorté ? Tu aurais pu garder cet enfant. »
Mon coeur se serra. Elle me posait la question qui me faisait douter de tout. Elle souleva un nouveau tourment dans mon esprit. La même question qu'Alex quelques jours plus tôt. Et je ne savais pas quoi répondre une fois de plus. Je restai muette, gênée, honteuse. Coupable de mes actes.
« Arrête maman. Ce qui est fait est fait. Je pense qu'elle a eu beaucoup de courage pour avoir avorté seule. Ne mettez pas tout sur elle. C'est de votre faute aussi si elle a dû faire tout ça toute seule. Si vous aviez au moins pris de ses nouvelles, ou si vous lui aviez rendu visite de temps en temps même si elle ne voulait pas vous voir, elle n'aurait jamais été seule à prendre des grosses décisions comme ça. En plus, c'est sa vie... » déclara Emily à la grande stupéfaction générale.
Nous la regardions avec des yeux ronds, impressionnés par ses paroles. Elle se leva avec un sourire sur les lèvres et se dirigea vers moi. Je me levai aussi et nous nous prîmes dans les bras. Je la remerciai en laissant couler quelques larmes de soulagement. Une personne me pardonnait, et c'était celle avec qui j'avais passé le moins de temps dans ma vie.
Je vis mes parents réfléchir un instant avant de m'avouer qu'ils avaient besoin de temps pour discuter et assimiler toutes les informations. Nous passâmes donc un dîner calme entouré de discussions sur la scolarité d'Emily et le travail d'Alex. Ces deux-là semblaient même être sur la même longueur d'onde quand ils entamaient une conversation sur les voitures. J'écoutai d'une oreille discrète ne comprenant plus rien de leur parole animée.
Max et sa femme revinrent après le dîner. Je les présentai à mes parents et à Emily. Elle avait tellement peur de faire tomber un bébé qu'elle laissait à leur parent le soin de les tenir tandis qu'elle faisait des chatouilles au petit Stan. Mes parents quant à eux étaient renfermés dans leur réflexion.
Chacun s'en alla dans leur chambre, avec mes parents dans une chambre et, Emily seule dans une autre. Mais je la rejoins assez vite, car Alex devait se rendre au garage. Il m'avait dit de dormir avec elle et de ne pas trop papoter. Déçue par cette situation familiale pesante, je voulus me changer les idées avec Emily. Mais celle-ci voulait en savoir plus sur mon avortement. Je soupirai avant de lui dévoiler cette partie macabre de ma vie. Elle m'écouta et me réconforta quand il était nécessaire.
Soudain, des paroles brouillées puis des cris exaspérés de mes parents nous parvinrent aux oreilles. Emily et moi nous regardâmes avec de grands yeux apeurés, avant de rejeter notre couverture pour nous précipiter vers la chambre des parents.
Ils se disputaient à cause de moi. Et je détestais ça.
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