Libre, mais honteuse
Les vacances de Noël étant dans quelques jours, les illuminations émerveillaient les grands. Alex et moi avions enfin fini d'accrocher les décorations lumineuses en cette soirée enneigée où il était plus difficile de rouler sans se prendre un poteau ou une autre voiture. Les flocons envahissaient le paysage urbain à une vitesse incroyable obligeant les habitants à rester cloîtrés chez eux. Bien sûr, certains aventureux se promenaient sur les trottoirs malgré le verglas et les bourrasques de vent.
Cela faisait plusieurs jours qu'Elena restait chez elle avec son mari qui n'avait pas rouvert le restaurant depuis que l'hiver avait établi son lit blanc sur notre ville. Je restai chez Alex ne me plaignant pas de son logis.
La fin de la semaine serait plus clémente avec moins de torrent de neige à profusion. J'espérai vraiment que mes parents puissent venir jusqu'ici sans encombre. Les avions reprendraient sûrement leurs vols à ce moment.
Alex glissa ses bras autour de ma taille tandis que je regardais la neige tombée par la vitre. Il continuait à faire tourner son garage, mais seul, étant donné que Serge ne pouvait pas traverser la ville sans heurter un ou deux poteaux au passage. De toute façon, le temps passé avec sa fille devait lui faire plaisir.
« A quoi penses-tu ? demanda-t-il déposant un baiser sur mon cou.
- A mes parents. J'espère qu'ils arriveront à venir jusqu'ici.
- En parlant de famille. Mon frère et sa petite famille vont venir pour Noël. Je pense qu'ils seront là en même temps que tes parents. Ça sera vraiment l'occasion de fêter un grand Noël. »
Je me figeai un instant en repensant à son frère. Mon ex-patron allait venir ici. Le frère d'Alex allait revenir chez lui. J'allai revoir cet homme de mon passé. Moi qui pensais pouvoir y échapper, j'étais bien naïve.
« Ça va ?
- Oui... Tu t'entends bien avec ton frère ?
- Oui, pourquoi cette question ?
- Je ne sais pas. Tu ne parles pas souvent de lui...
- Ouais, depuis que nos parents sont partis, je lui ai pas beaucoup parlé ou même revu. Mon frère est parti et a fait sa vie de son côté alors que je suis resté ici. Ça m'a pas dérangé, mais c'est vrai que c'est tout le temps lui qui m'appelait. Jusqu'à ce que je te rencontre. »
Je me retournai toujours dans ses bras, et le fixai intriguée. Il me caressa doucement la joue en souriant avec amour.
« J'ai appelé mon frère après que tu ais retrouvé la boîte avec les photos de mes parents, tu te souviens ?
- Oui, c'était quand je travaillais encore dans le garage.
- Ouais, ce soir-là, j'ai repensé à ma seule famille qui restait et je sais pas. J'ai appelé Max. On a discuté que quelques minutes, mais ça m'a fait du bien. »
La sonnerie du four retentit nous priant de venir récupérer le gratin qui dorait dans son antre.
« Et il ne sait pas que son ancienne secrétaire est maintenant ma petite amie. Ce sera la surprise, » ajouta-t-il en riant.
Je me forçai à sourire, mais mon ventre était noué par l'angoisse. Je ne voulais pas. Le revoir signifierait affronter de nouveau mon passé. Il avait su que David me trompait. Il me regarderait qu'avec de la pitié. Un regard que je ne voulais pas.
Épuisée et surtout pas d'humeur à faire l'amour malgré l'enthousiasme de mon amant, je me blottis contre lui et m'endormis avec la venue de Max en tête. Après une nuit pleine de questions, je descendis aux premières lueurs du soleil. Je me rendis dans la cuisine vêtue seulement d'un t-shirt d'Alex. Elena ne serait normalement pas présente aujourd'hui comme les autres jours. Par la vitre, j'aperçus que la neige avait élu domicile au sol. Les voisins avaient commencé à déblayer l'allée. Nous devions faire de même. Je soupirai face au travail qui nous attendait.
Après avoir bu de l'eau, je voulus remonter dans la chambre, mais la serrure de la porte d'entrée tourna. Étonnée qu'Elena soit venue jusqu'ici, j'allais l'accueillir. Mais je me rappelai ensuite que la vieille femme n'avait pas les clés de la maison. Malgré les efforts d'Alex pour les lui remettre, elle préférait venir au garage pour réclamer les clés. Je supposais que cette mascarade était faite pour qu'elle surveille Alex au moins une fois dans la journée. Peut-être qu'on pourrait faire passer ce travail pénible par une bataille de boule de neige. Je souris à cette perspective.
Soudain, j'entendis le cliquetis de la porte.
« Alex, je suis rentré ! »
La voix qui m'était familière entra ensuite dans la cuisine alors que je m'étais figée sur place.
« Alicia ? questionna Max complètement abasourdi.
- Monsieur, répondis-je solennellement. Je croyais que vous deviez venir en fin de semaine ?
- Je... J'ai réussi à finir plus tôt le boulot du coup, on est venu ici directement. Que faites-vous là ?
- Elle est ma secrétaire, annonça Alex qui descendit des escaliers décemment habillé contrairement à moi.
- Secrétaire ? répéta Max encore plus confus.
- J'ai été sa secrétaire à cause d'Elena. Au début, je ne savais pas qu'Alex et vous étiez frères.
- T'en fais pas, Elena m'a embobiné aussi. Je ne savais pas que tu étais le secrétaire de mon frère, dit-il en passant un bras autour de mes épaules.
- Alors vous êtes ensemble maintenant ? » demanda Max en fronçant des sourcils.
Alex se contenta d'hocher la tête. Soudain une jeune femme rousse arrive dans la cuisine avec un bébé dans les bras. La femme de Max. Je me rappelai qu'elle était enceinte quand j'avais démissionné.
Max en éclatant de rire fit les présentations. Il parla de cette coïncidence qui était étonnante. Moi l'ancienne secrétaire de l'un était la petite amie de l'autre. Je souris poliment, mais mes yeux étaient rivés vers les couvertures qui entouraient le nourrisson.
Si mon bébé était en vie, il serait aussi petit que lui. Aussi doux que lui avec cette même peau crémée et blanche comme la neige. Il aurait peut-être aussi ses joues rougies par la chaleur. Longtemps j'avais imaginé dans mes songes l'apparence de mon enfant si je n'avais pas choisi d'avorter. Et à chaque fois, je me disais que j'avais fait une erreur.
« Vous voulez le prendre ? demanda gentiment la femme de Max.
- N-Non, bégayai-je maintenant effrayée. Je... je vais me changer. Excusez-moi. »
Je courus comme une furie dans la chambre et me changeai comme je le pus. Mes mains tremblaient de peur tandis que ma respiration saccadée me pressait encore plus. Soudain, ma gorge se rétrécit m'obligeant à prendre de longues goulées d'air. Mais la douleur ne s'atténuait pas. J'avais l'impression que l'air était feu. Un souffle brûlant ma gorge avec force.
Des bras m'emprisonnèrent et je m'accrochai à cette personne comme si ma vie en dépendait. Je laissai mes pleurs se transformer en sanglots bruyants. Mais des sanglots me libérant de toute cette souffrance.
Assise sur le parquet, Alex me berçait dans ses bras en chuchotant des mots apaisants.
« Alicia... m'appela Max de manière hésitante.
- Dégage, vociféra son frère.
- Alex, arrête. Ce n'est pas de sa faute, lui dis-je en plongeant mon regard dans ses yeux colériques. Je ne voulais pas qu'ils se disputent à cause de moi.
- Je suis désolé. J'aurais dû prévoir que ce ne serait pas facile pour toi de revoir mon frère...souffla Alex, le regret bien évident dans sa voix.
- Ce n'est rien. J'ai un peu paniqué, mais c'est bon maintenant. »
Je me relevai encore chancelante, mais Alex resta près de moi. Il m'obligea à le regarder dans les yeux. Son inquiétude certaine me fit mal au cœur. Je ne pensais pas qu'il serait aussi touché par ma personne.
« J'ai cru que j'allais te perdre, » murmura-t-il.
Cette petite crise de panique prenait de grandes proportions après cette phrase qui m'avait fait l'effet d'une gifle.
« Notre mère avait souvent ce genre de crise, » m'expliqua Max avant de descendre en entendant les pleurs incessants de son bébé.
Alex ne me parlait pas souvent de ses parents. Et quand il évoquait des souvenirs, c'était seulement les bons. Je pris Alex dans mes bras et y restait pendant plusieurs minutes.
« Est-ce que tu aimes encore ton ex-mari ? » demanda soudainement Alex.
Sa voix sérieuse et sa question m'avaient laissée sans voix. Alors je me repassais cette interrogation en tête. Elle fit écho dans mon esprit comme une vérité à laquelle je devais être en accord ou pas. Alex se retira doucement de mes bras.
« Non. Je ne l'aime plus. Depuis qu'un garagiste occupe toutes mes pensées, je ne pense même plus à mon ex. »
Un sourire se forma sur mes lèvres dès que ces mots sortirent de ma bouche. Comme une nouvelle respiration. Un nouveau souffle.
Alex me porta un regard rempli d'amour avant de m'embrasser avec fièvre. J'acceptai avec plaisir cet élan d'affection. Il m'empoigna les fesses et d'un mouvement je croisai mes jambes autour de son torse. Il m'emmena sur le lit, me surplombant de sa hauteur. Sa bouche descendit jusqu'à ce qu'il râle doucement.
« Mon frère est en bas. »
J'éclatai de rire à son annonce. C'était vrai, il valait mieux qu'on les rejoigne dans le salon. J'étais sûre qu'Alex avait plein de discussion à rattraper avec son frère. Avant de sortir de la chambre, Alex m'affirma que je n'étais pas obligée de voir son frère maintenant si c'était trop difficile. Je lui en étais reconnaissant, mais ce n'était pas son frère qui me faisait peur, mais plutôt la vue de son bébé dans les bras de sa mère. Mais ça i ne pouvait pas le savoir...
Nous passâmes toute la journée ensemble à discuter du temps où les frères étaient enfants. Le dîner passa rapidement. Je restai assez loin du bébé et donc de celui qui le portait. A part ses cris et pleurs, je réussis à suivre les conversations sans me sentir oppressée par la tristesse.
Je pensais être passé inaperçue, mais une fois qu'Alex eut refermé la porte de sa chambre. Son visage s'était renfermé. Des traits plus durs et sérieux. Je m'inquiétai.
« Pourquoi tu as eu cette crise de panique ?
- Parce que j'ai repensé au passé, avouai-je sans trop en dire. Pourquoi est-ce qu'on parle de ça maintenant ?
- Alicia..., soupira-t-il. Le bébé. Tu n'as pas arrêté de le regarder de travers ou de l'ignorer. Tu n'aimes pas les enfants ?
- Ce n'est pas ça. C'est juste que je ne suis pas à l'aise avec les nourrissons. »
Après ma réponse vague, il lâcha l'affaire. Ou plutôt je réussis à m'enfuir dans la salle de bain. Un peu de répit. Mon cœur battait tellement fort dans ma cage thoracique. J'avais peur qu'il explose en morceaux. Je pris une douche tout en essayant de me calmer par les jets d'eau fraîche.
J'avais cru pouvoir ne rien lui dire sur mon avortement. Mais l'idée de lui cacher une partie de ma vie me gênait. Je voulais lui dire. Tout lui avouer. Mais la peur me tenaillait. Comment me verrait-il après ma révélation ? Comme une meurtrière ? Exactement comme je me voyais...
La honte brûlait mon esprit. Elle saccageait mes pensées. Comment combattre une honte si insidieusement ancrée au plus profond de mon être ?
Peut-être qu'en vérité, j'avais besoin de ce psychologue que j'avais refusé après mon avortement...
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