La station.
Ils s'arrêtèrent devant les tourniquets, leur chemin commençant à se séparer ici.
- Tu prends quel train toi ?
- Le premier qui passe, dit-il dans un rire sarcastique.
Elle hocha la tête, ne sachant pas quoi ajouter de plus. Ils s'étaient tout dit. Tout ce qu'ils n'oseraient plus dire à nouveau, en tout cas. Les banalités, elles, reviendraient comme ces vagues inévitables. C'était le mouvement le plus certain d'une existence : on sait qui est on est, de par notre nom, notre date de naissance, et tous ces détails qui ne changeaient pas. Faisant de notre identité une chose rassurante. C'était pourtant ce qu'ils ne s'étaient pas confiés. Ils n'avaient dit que l'incertain, la peur, les doutes, les angoisses, ce qui n'existait déjà plus ou ce qui pourrait bien se produire. Ils s'étaient effondrés, ensemble, laissant de côté la sécurité du connu.
- Bon...
- Bon... répéta-t-il.
- T'es sur le quai d'en face ?
- Oui.
- D'accord.
Ils passèrent en même temps les tourniquets, accordant leurs mouvements. Elle devait tourner à droite et lui à gauche. Quelque chose semblait pourtant les retenir au milieu du hall.
- Merci, d'avoir écouté, souffla-t-elle en regardant le panneau des horaires.
- Tu m'as rendu la pareille, on est quitte. Merci à toi aussi, dit-il en la regardant.
Elle ne quittait pas des yeux ces chiffres, sentant son portable vibrer à nouveau dans sa poche. La vie ne cessait de leurs crier que leur temps s'était écoulé. Le jour pointait le bout de son nez. Les trains et les bus faisaient un vacarme ahurissant. Les portables sonnaient, les gens parlaient, les informations étaient dites dans les haut-parleurs. Le monde reprenait son train de vie.
L'annonce de son train la fit sursauter, alors même que l'horaire était encore sous ses yeux. Elle jeta un coup d'œil à son ami éphémère. Il la regardait, le visage marqué de bien des expressions. La peine, pour commencer.
- Bon, et bien, bon courage ! Mon train arrive, merci encore.
- Tu es sûre de ne pas vouloir mon numéro ? Je te promets qu'il n'y a pas d'arrières pensées. Mais si jamais un jour...
- Ça ira, merci.
- Bien.
Et elle avança, droit devant. Lui laissant pour seul signe d'adieu, un vague geste de la main. Elle ne s'est jamais retournée. Il l'a regardé partir, monter les marches jusqu'à la voir disparaitre. Il se dirigea alors sur son propre quai, et alors qu'il était sur la dernière marche, il la vit entrer dans la trame d'en face. Elle ne le vit pas. Elle s'assit contre la fenêtre, et c'est seulement au moment où le train démarra, qu'elle lui adressa un léger sourire et un signe de tête.
Rien ne les avait liés cette nuit-là. Hormis ces confidences qu'ils finiraient bien par oublier.
Elle prit son portable, faisant face à ces paroles laissées en suspens toute la nuit. Cinq messages, deux appels manqués, un message vocal. Pour la plupart, elle les avait déjà lus. Mais écouter sa voix, peut-être inquiète, en colère, suppliante, froide... il lui faudrait attendre d'être à l'abris des regards. Si elle devait pleurer à nouveau, elle voulait le faire seule cette fois.
Quant à lui, une fois monté dans le train, il repensa à cette fille, à ses cheveux qui virevoltait avec le vent de la mer. A son sourire, à son rire qui se mélangeait au bruit des vagues. Elles allaient revenir vers lui lorsqu'il allait rentrer. Une fois le pansement arraché, peut-être repartiraient-elles. Il l'espérait. Il voulait croire qu'il pourrait avoir le temps d'exister en attendant, d'être en paix avec la décision qu'il allait prendre. Qu'il eût déjà finalement prise depuis un moment. Son téléphone, lui, ne cachait aucun message. Personne n'avait essayé de le joindre. Alors qu'il était avec une autre – platoniquement, certes – elle ne s'était fait aucun mouron. Il se dit alors qu'il fallait vraiment qu'il parte pour la laisser être heureuse avec quelqu'un qui mériterait bien plus sa confiance. Il n'avait certes jamais commis d'impair, mais son cœur battait pour une autre.
Alors il le fallait. Le train l'y emmenait, il y allait, comme les vagues qui revenaient frapper la cote.
Après une heure à tourner en rond dans son appartement, après avoir écrit encore et encore, effacé, encore et encore... le moment était venu. Sept heures dix-huit, elle venait d'envoyer une blessure à un cœur. D'aussi loin qu'il fut, il en recevrait la douleur. Et elle quitta sa vie comme l'hiver cède la place au printemps. Tout cela ne pouvait que signifier l'arrivée d'un bel été, qui viendrait réchauffer son cœur après la neige bien trop longtemps restée dans ce nid à sentiments. Pourtant, si ce fût le vide qui la saisit en premier, lorsque son téléphone tinta une fois, puis deux, puis trois, les larmes noyèrent son visage.
Alors qu'elle mangeait son yaourt matinal, il s'approcha d'elle, l'air grave. C'était le pire moment pour quitter quelqu'un. Un matin, avant le travail. Qu'allait-elle devoir retenir toute la journée pour ne pas perdre la face devant ses collègues ? Pourtant, il le fallait. Les mots lui brulaient la gorge. Dans un soupire emplit de peine et de regret, il prononça la sentence. De but en blanc, sans détour, sans ménagement. Arracher le pansement d'un coup sec, lui avait toujours conseillé sa mère. Elle le fixa un instant, la cuillère figée dans l'air. Elle ria doucement, croyant sans doute à une blague, puis voyant son air grave, elle l'imita. Puis les larmes arrivèrent.
La vague frappait avec une telle force qu'une falaise se décrocha quelque part sur la cote. Le bruit courait qu'on avait pu entendre des échos provenait de Californie ou de France.
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