Chapitre 6 : Ronces et froideur ancestral...
Wyatt regardait la neige recouvrir le sol, tombant si lentement que le jeune homme pouvait percevoir les particules infimes qui composaient chaque flocon.
Il ne faisait jamais attention à elles d'habitude, tenant vainement de faire abstraction de leurs présences.
Il était conscient que Tyna le surveillait depuis la cuisine mais choisit de l'ignorer.
Le silence ne le perturbait plus, pas plus que la chaleur qui s'échappait du radiateur enclenché depuis que la froideur hivernal s'était installée.
Il attendait avec impatience le retour de son compagnon à quatre pattes mais leurs retrouvailles seraient longues, sûrement ponctuées par des examens en tout genre qui les sépareraient aussitôt.
Tyna, elle, était entrain de réviser : étudiante en psychologie, la jeune femme portait tous ses espoirs dans des concours divers, son rêve étant de devenir psychiatre pour de jeunes enfants.
Personne n'était au courant de cela excepté son demi-frère, Lucas.
Le seul confident qu'une personne pouvait espérer avoir.
-Vous n'êtes pas prisonnier, vous savez. Vous pouvez sortir...à condition bien sûr de revenir avant la nuit tombée. -lui dit calmement la jeune femme.
Revenir sagement avant que la nuit tombe ? Comme un enfant turbulent qui se devait d'obéir à sa femme protectrice ?
C'était encore un coup porté à sa dignité.
-Non.
Sa voix fut plus sèche qu'à l'accoutumée.
Tyna clignait lentement des paupières, sûrement surprise par la réaction presque virulente du jeune homme.
-Comme tu voudras...
Se reprenant en voyant son air peiné, Wyatt se sentit honteux : elle venait de lui offrir un toit pendant quelques jours et il lui grognait à la figure dès que quelque chose ne lui plaisait pas.
-Je suis désolé...c'est juste que je n'ai pas l'habitude... –expliqua-t-il d'une voix douce.
-Je comprends.
-Moi pas. Je ne comprends rien, mais pour le bien de ma santé mentale, je ne chercherai pas à comprendre.
Elle eut un petit sourire.
-C'est parfois bien de ne rien comprendre. C'est le signe que l'on est encore en vie et sain d'esprit.
-Je suis donc l'homme le plus sain d'esprit du monde...Appelez-moi "Monsieur Normal" !
-Bien, prends ça et prépare-toi : nous allons chez le médecin.
-Ce n'est pas nécessaire, vraiment...
-Si ça l'est. Pas de discutions, je ne suis pas d'humeur conciliante aujourd'hui.
Retenant de justesse l'envie de se recroqueviller sous l'effet d'une crampe abdominale.
Bien sûr, ce foutu problème féminin ne pouvait pas faire une pause ou simplement être refoulé jusqu'à la prochaine fois.
Tyna envisageait même d'écrire une lettre au Supérieur pour lui faire part de son mécontentement.
-En route, mauvaise troupe !
-Comment ça, je suis mal garée ? Je ne suis pas d'accord ! Vous voyez bien que c'est votre voiture qui prend toute la place !
-Mademoiselle, combien de fois avez-vous ratée votre permis exactement ? -s'enquit l'homme en face d'elle, la mine sérieuse.
-Vous parlez sérieusement ? Vous rigolez j'espère !
De toute évidence : non.
Bon, elle ne l'avait loupé que deux fois, mais ce n'était pas une raison pour lui faire ce genre de remarque sexiste !
-Nous ne sommes plus en 1816, monsieur ! Les femmes conduisent, boivent et mettent des robes ! Pourquoi est-ce je tombe toujours sur le macho du coin ? -fit-elle en se pinçant l'arête du nez en secouant la tête.
-Je ne fais de remarque sur la conduite des femmes mais sur la votre ! De toute évidence, vous avez du vous endormir lors des cours...
-Et voilà, ça recommence ! Je n'accepte pas vos remontrances injustifiées ! Sachez qu'insulter ma conduite impeccable revient à le faire pour toutes les femmes !
-Et pourquoi ça ?
-Parce que je suis l'exemple type de la femme moderne bien sûr ! Vous essayez furtivement de vous placer au dessus de moi car vous savez que vous êtes plus grand que moi. A vrai dire, vous enviez les femmes ! Vous les enviez tellement que, pour vous sentir supérieur, vous êtes obligé de les rabaisser, inlassablement. –conclut-elle avec satisfaction.
Le visage de l'homme s'empourpra et Wyatt prit le bras de la jeune femme pour l'emmener sur le côté, irrité et inquiet.
-Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ?
-Je devrais m'excuser de me faire agresser ?
-Tu lui as pratiquement sauté dessus !
-Je fais un mètre cinquante-huit, comment veux-tu que je lui saute dessus ?
-Imagine une seconde si ça avait mal tourné !
-Je suis étudiante en psychologie, je n'aurais aucun mal à me défendre.
-Tu as réponse à tout, n'est-ce pas ? Fit-il en la dévisageant.
-Hmm...Oui.
Elle entendit l'homme pester encore une fois, avant de partir en ruminant.
Haussant les épaules, Tyna prit Wyatt par le bras et le conduisit jusqu'au perron du cabinet.
-Prêt ?
-Non.
-Super ! -claqua t-elle en se frappant dans les mains.
À l'intérieur, attendait patiemment un couple de personnes âgées, qui les dévisagèrent en les voyant entrer.
Wyatt avait prit soin de laver toutes les traces de sang séché lors de son passage à la douche, afin d'éviter ce genre de chose...
Il avait seulement omis le fait que les coups qu'ils avaient reçus se voyaient sur son visage.
-Bonjour... –murmura-t-il gêné, avant de s'asseoir.
Ils ne lui répondirent pas.
-Bonjour. -fit Tyna en haussant volontairement la voix.
-Bonjour. -Répondit le couple.
Énervé, Tyna constata que les deux vieillards dévisageaient froidement Wyatt qui baissait la tête.
-Il y a un problème ? Leur demanda-t-elle d'un ton belliqueux.
Surpris, ils secouèrent la tête.
-Je crois bien que si pourtant. Il me semble que mon ami vous a salués tout à l'heure...Pourquoi n'avez-vous pas répondu ?
L'homme regardait sa femme qui, la mine renfrognée, répondit en chuchotant.
-C'est que...c'est le jeune SDF qui occupe ma rue et on ne sait pas les maladies qu'il peut véhiculer de là où il vient...Vous ne devriez pas traîner avec ce genre de personne, il pourrait être dangereux, vous attaquer et partir avec vos économies. Ça ne m'étonnerait pas d'ailleurs qu'il vous attaque en sortant. –murmura-t-elle afin que le jeune homme ne l'entende pas.
Sauf que ce fut l'effet inverse : Wyatt entendit le moindre mot prononcé par la vieille dame et se ratatina sur son siège, honteux, comme s'il voulait disparaître.
La jeune femme se retint de leur hurler au visage, n'arrivant pas à comprendre comment de telles pensées pouvaient un jour s'insinuer dans l'esprit des gens.
-Vous pensez vraiment ce que vous me dites là ? "Des maladies véhiculées de là où il vient"...? Ce n'est pas un rat ! C'est une personne douée de sensibilité qui entend tout ce que vous dites ! C'est une personne comme vous et moi, qui a surement vécu des choses horribles et qui doit s'accrocher tous les jours pour survivre !
Ils eurent le mérite d'avoir l'air gêné.
-Ce n'est pas grave, Tyna...Tout va bien, j'ai l'habitude. -lui dit le jeune homme en tentant de l'apaiser.
-Bien sûr que c'est grave ! Regarde où en est l' hypocrisie et le dédain des personnes à l'heure actuelle ! Une honte !
Dégoûtée, Tyna prit place à côté de Wyatt et secoua la tête.
Le jeune sans-abri regardait Tyna, surpris par l'attitude protectrice qu'elle adoptait avec lui.
Ces remarques -blessantes et atrocement fausses- auraient dû la laisser de marbre.
Or, il avait vu l'incompréhension et la fureur sur son visage : plus fort que tout, Wyatt avait vu le regard empreint de tendresse avant qu'elle n'abatte sa colère sur le couple.
Sa réaction était incompréhensible : ça et le fait qu'elle n'avait pas peur de lui.
-Madame Favre ? C'est à vous. -fit la voix du médecin en nous offrant un sourire.
Plongé dans ses pensées, Wyatt n'avait pas entendu la porte s'ouvrir.
Il se leva, pressé d'en finir. Sa main serra doucement celle du médecin qui le regarda d'un œil professionnel.
Lorsqu'il s'assit en face de lui, gigotant sur place : depuis quand n'avait-il pas été à l'intérieur d'un cabinet médical ?
-Bonjour monsieur...?
-O'Conner. Enchanté.
-De même, monsieur O'Conner. Qu'est ce qui vous amène ici, Madame Favre ? -s'enquit-il d'un ton poli.
-Comme vous pouvez le voir, mon ami s'est fait agresser, je voudrais être sûr qu'il n'a rien de grave.
Le stylo roulait entre les doigts du médecin.
-Pourquoi ne pas avoir été à l'hôpital ?
Cette fois-ci, Wyatt ne laisserait pas Tyna le défendre : il n'était pas une demoiselle en détresse et il lui restait quand même un semblant de fierté, merci.
-Je suis sans domicile fixe, je n'ai pas d'assurance et l'argent nécessaire pour y aller. Mes économies et mes papiers étaient dans un sac que l'on m'a arraché lors de ma première nuit en temps qu'SDF. –expliqua-t-il en gardant la tête haute.
Les pupilles de l'homme s'arrondirent mais ce fut là sa seule réaction prouvant sa surprise.
Il reprit aussitôt son masque impassible et gribouilla quelque chose sur un morceau de papier.
-Très bien. Décrivez-moi l'étendue des blessures.
-Je ne sens plus mes côtes...Le bas de mon dos me fait mal.
-Allons-voir ça de plus près. -lui répondit l'homme en se levant.
Assis sur la table d'examen, torse nu, Wyatt regardait droit devant lui, refusant de croiser le regard du médecin.
Tyna attendait sagement de l'autre coté de la pièce et ne pouvait donc pas voir l'état dans lequel était le jeune homme.
Il sentait des doigts palper ses flancs et grimaça en sentant des pics de douleur se réveiller sur le coté.
-La peau est boursouflée...d'un violet sombre, presque noir. Je vois des empreintes sur le côté. -remarqua le professionnel.
-Les talons de bottes font souvent cet effet.
-Combien de coups avez-vous reçu ?
-J'ai arrêté de compter dès que cela avait dépassé le stade des coups à la mâchoire.
Une violente quinte de toux l'interrompit.
Le médecin fronça les sourcils.
-Depuis quand toussez-vous comme ça ?
-Un bon bout de temps. –croassa-t-il en avalant une goulée d'air.
-Passez-vous vos nuits dans un centre ?
-Malheureusement, je n'ai pas cette chance. Avant, j'arrivais à trouver une place à l'intérieur de la gare, mais maintenant que l'hiver est là, on nous jette dehors.
Il lui fit passer une série de tests dont Wyatt se serait bien passé, et enfila ensuite son T-Shirt, rejoignant Tyna.
-Alors ? -s'enquit-elle.
-Les côtes sont fêlées mais pas cassées. Son état est stable mais à prendre au sérieux. Si jamais il venait à se dégrader, vous m'appelez immédiatement. Je vous...conseille de garder votre ami dans un endroit chaud jusqu'à ce qu'il se rétablisse.
-Bien sûr. -intervient vivement Tyna. Il n'était pas question de le laisser dehors cet hiver.
Wyatt eut l'impression d'être un chien.
Il espérait toutefois que l'hiver lui apporterait des réponses.
Sa survie en dépendait.
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