Chapitre 5 : Un vent aux effluves givrés...

Figé devant la porte, Wyatt hésitait à entrer, écoutant le bruit de la poêle que l'on passe sur le feu et les tartines que l'on tranche négligemment.

Il se décida tout de même à entrer, poussant doucement la porte jusqu'à révéler le corps de Tyna tourné vers les fourneaux.

Vêtue d'un T-Shirt assez ample de couleur mauve et un slim aux reflets bleutés, les cheveux relevés en un chignon bas et des ballerines aux pieds, elle était l'image même de la décontraction.

Chatonnant doucement, elle ne le vit pas arriver.

-I don't care, I love it ! fit-elle en se dandinant d'un pied à l'autre.

Wyatt eut un petit sourire et se racla la gorge pour signaler sa présence.

Tyna sursauta et se retourna violemment.

-Et merde..., balbutia-t-elle en se rendant compte que Wyatt se trouvait devant elle.

-Bonjour...

Le rouge lui monta aux joues, prenant une jolie teinte rosée.

-Bonjour.

-Joli spectacle, commenta-t-il d'un ton léger.

-Mon dieu, je me suis encore ridiculisée, pas vrai ?

-Un peu...mais vous avez un joli déhanché.

-Tutoyez-moi : après tout, vous vivez chez moi.

-Je ne vis pas chez toi...Tu peux également me tutoyer.

-Tu m'as comprise.

Elle lui sourit, replaçant une de ses mèches derrière l'oreille.

-J'espère que tu aimes les œufs brouillés !

Depuis quand n'avait-il pas pris de petit déjeuner ?

Depuis trop longtemps pour qu'il s'en souvienne.

-Oui, bien sûr.

-Assieds-toi, fit-elle en pointant une chaise du doigt.

Il s'exécuta sans protester et la regarda préparer son assiette.

Bacon, œufs brouillés et tartines au beurre : un festin qu'il n'osait plus imaginer avoir.

-Merci, lui dit-il en déglutissant à la vue de toute cette nourriture posée juste devant lui.

Tyna le rejoignit bientôt, s'attablant en face de lui.

Fixant son assiette en une troublante attention, Wyatt attrapa la fourchette qui lui était destinée et crispa ses doigts autour d'elle, se mordant la lèvre avec nervosité.

Certes, la nourriture ne disparaîtrait pas comme par magie mais l'avoir devant lui semblait si irréel...

La faim le poussait souvent aux plus extrêmes des recours, là où certaines personnes n'iraient probablement jamais.

C'était elle qui le tenait éveillé les soirs d'hiver, elle qui transformait sa vie en enfer, elle qui le narguait sans jamais cesser de s'accroître, jusqu'à ce que respirer devienne la pire des tortures.

-Wyatt ? Wyatt ?

Il leva la tête, surpris.

Tyna le regardait, inquiète.

-Tout va bien ? S'enquit-elle d'une voix douce. Ca fait cinq minutes que j'essaye d'avoir une réaction de ta part...

Etait-il parti aussi longtemps ?

-Désolé. Je repensais à quelque chose...

-Je vois ça, fit-elle en le fixant d'un regard d'oiseau de proie.

Il piquait sa fourchette dans un morceau de bacon et le porta à sa bouche, fermant les yeux en sentant l'explosion de saveurs chaudes et grasses qui lui ravirent le palais.

Il en avait presque oublié leurs goûts.

En moins de temps qu'il n'en fallait, l'assiette fut vidée.

La jeune femme, consciente de ce que pouvait ressentir Wyatt, le resservit sans un mot, coupant un bon morceau de pain avant de le lui tendre.

Il hésitait à le prendre, les mains tremblotantes sous l'envie qui l'agitait.

De quoi avait-il l'air ?

La vie l'avait réduit à l'état d'animal...incapable de maîtriser ses pulsions.

Ce n'était pas lui.

Ca n'avait jamais été lui.

-Wyatt, tu as faim. Mange.

Il le prit en baissant les yeux, honteux.

-Merci. Je ne suis pas comme ça d'habitude...enfin je veux dire : je n'étais pas comme ça d'habitude.

-Quel âge as- tu ? Demanda la jeune femme, curieuse.

-J'ai vingt huit ans.

-C'est la barbe qui te vieillit. Je t'aurais donné huit ans de plus lors de notre rencontre...D'ailleurs, sens-toi libre d'utiliser la salle de bain à ta guise.

-Merci.

-Je t'en prie. J'ai un rendez-vous cette après-midi, je te laisse les clefs et mon numéro, d'accord ? Le fixe ne sonne pas, normalement mais...on ne sait jamais.

Partait-elle vraiment en le laissant seul chez elle ?

Comment pouvait-elle faire autant confiance à un parfait inconnu ? Qu'elle l'héberge faisait déjà office de miracle...qu'elle le laisse seul relevait d'un mystère.

Inconsciente des pensées qui agitaient Wyatt, Tyna continuait à manger, lui jetant un coup d'œil de temps à autre.

L'ambiance paisible de l'endroit était une nouveauté dont le jeune homme risquait de prendre goût : aucun bruit perturbateur ne risquait de le réveiller ce soir.

Wyatt sentait la chaleur se muer en une douce douleur réconfortante qui éloignait le stress à travers la buée qui recouvrait les vitres de la cabine de douche.

Le jeune sans-abri profitait de ce moment d'insouciance, s'accordant même le luxe de shampouiner ses cheveux avec lenteur.

L'odeur de vanille qui s'échappait de la bouteille lui rappelait les joyeuses scènes familiales qui se jouaient presque tous les jours à une époque où la maturité n'était qu'un rêve...

Il sortit cinq minutes plus tard, enveloppé dans un cocon protecteur, les pieds se recroquevillant sous le moelleux du tapis blanc.

Tendant la main afin de prendre ses vêtements délabrés, le jeune homme vit son reflet dans la glace : un autre homme le dévisageait.

Ses cheveux bruns s'étaient allongés, descendant jusqu'au bas de sa nuque, négligé.

La barbe brune qui s'étendait, cachait ses joues creuses et ses yeux ternes ne brillaient plus de cette splendide lueur qu'il se connaissait.

Non, ses yeux bleus trahissaient une fatigue émotionnelle qu'il n'effacerait sûrement jamais.

Wyatt vit un rasoir sur le bord du lavabo et tendit la main dans l'espoir de se retrouver.

Il passait doucement la lame contre sa peau mouillée et s'appliqua : lorsqu'il leva les yeux vers le miroir, il avait déjà changé.

En enlevant ce surplus de poils sombres, le jeune homme avait retrouvé un semblant d'humanité perdue : c'était lui, à quelques exceptions près.

Sa peau était toujours aussi pâle, la couleur dorée faiblissant de plus en plus, mais elle semblait plus douce...plus brillante qu'avant.

L'éclat presque vert de ses yeux clairs ressortait et ses lèvres boudeuses aux couleurs pêches étaient entrouvertes sous la surprise.

Son physique lui avait permis de s'en sortir jadis, mais la rue avait entravé cette beauté : les femmes lui avaient tourné le dos, la chance avec elles.

Reprenant ses esprits, Wyatt se hâta de s'habiller, désirant voir ce que Tyna faisait.

Il sortit de sa chambre et descendit les marches, la cherchant du regard.

Il trouva la maison vide.

Aussitôt, le doute l'assaillit : qu'allait-il faire ?

Et si Tyna revenait et décidait qu'héberger un sans-abri était trop dangereux ?

Il se retrouverait dehors sans rien...

Il ferait d'ailleurs mieux d'y aller : Tyna aurait sa reconnaissance éternelle mais il ne devait pas s'éterniser.

Personne ne le rejetterait dehors, à l'exception des passants furibonds.

Il ne supportait plus leurs regards.

De la nourriture : Tyna avait de la nourriture.

Lui en voudrait-elle s'il prenait quelque chose ?

Du pain.

Le pain lui suffirait pour deux jours.

Le verrait-elle s'il en coupait un morceau ?

Il alla dans la cuisine en jetant des petits coups d'œil furtifs vers la porte d'entrée.

Personne.

Il sortit le pain et coupa un petit morceau de taille raisonnable, le fourrant dans sa poche avant de s'apprêter à sortir.

Sa main s'enroula autour de la poignée de porte lorsqu'il entendit des pas.

Wyatt se recula à temps : Tyna ouvrit la porte la seconde d'après.

-Wyatt ?

-Salut, fit-il en déglutissant.

-Qu'est ce que tu fais devant la porte ?

-Je descendais te voir...

Le visage de la jeune femme s'éclaira.

-Tu es adorable, merci !

En son for intérieur, Wyatt savait qu'il avait commis une erreur : le mensonge honteux qu'il avait sorti à Tyna le rendait malade...

Mais la vie lui avait fait pire.





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