Chapitre Un

Mon téléphone vibre frénétiquement juste à côté du lavabo alors que j'essaie de dompter cette chevelure brune infernale que je tiens de ma grand-mère maternelle.

Dylan, mon frère ainé, essaye de me joindre pour la troisième fois et juste avant de lui répondre je décide d'amasser mes cheveux en un chignon au sommet de mon crâne. C'est la solution la plus rapide. Et c'est au quatrième appel de mon frère que je me permets de répondre :

« Quoi ?

- Oh ! du calme la frangine, je m'assure que tu ne vas pas encore être en retard, dit-il d'un ton bien angoissé.

- Ne t'inquiète pas, je serais là à l'heure !

- C'est ce que tu dis à chaque fois ! soupire-t-il alors que je l'imagine bien levé un bras au ciel d'exaspération. Es-tu partie au moins ?

- Si on ne raccroche pas je ne pourrais jamais partir. »

Je coupe la communication et replace mon téléphone sur le meuble. Mes grands yeux noisette mangent mon visage aux joues creuses. J'ai le visage délicat de ma mère et le teint hâlé naturel de mon père ce qui me permet d'user du moins de maquillage possible.

Et mon téléphone vibre encore, Dylan recommence. Je ne réponds pas pour me parfumer un peu. Une fois à peu près convenable, je sors de ma salle de bain, enfonçant mon téléphone vibrant dans la poche arrière de mon Levi's.

Sur le bar de ma cuisine j'attrape la montre que mes parents m'ont offerte pour mes dix-huit ans. J'emporte mon perfecto vers la porte d'entrée où j'enfile mes bottines sans me presser plus ; après tout ce n'est qu'une soirée tranquille chez mon frère.

Je jette un œil à ma montre où les aiguilles se rapprochent plus des vingt-heures que des dix-neuf heures. Je devrais arriver chez mon frère à l'heure qu'il est.

Cette fois je presse le pas et en un rien de temps j'ai fermé mon appartement à clef pour me retrouver à dévaler les escaliers. Enfin au rez-de-chaussée, je pousse la lourde porte manquant d'assommer ma voisine que je salue sans prendre la peine de m'arrêter.

Je m'engouffre dans ma vieille Golf et extirpe mon téléphone de ma poche arrière d'une main, jetant mon sac à main de l'autre. Je réponds à Dylan en enfonçant les clefs dans le contact :

« Es-tu partie ?

- Oui ! Je serais là dans dix minutes, grommelé-je tandis que la voiture démarre.

- Bordel Max ! Je viens d'entendre-

- Dylan, si tu ne me laisse pas tranquille je ne partirai jamais et encore une fois je ne serais pas responsable de mon retard ! »

Je coupe aussi sec. Ce n'est pas le tout mais il faut que je passe acheter de cigarettes, je n'en aurais pas assez pour la soirée. Il est idiot d'acheter un paquet aussi cher en France alors que j'habite à vingt minutes de la frontière espagnole.

Je me dépêche, bien consciente d'aggraver mon retard. Je ne sais pas pourquoi tout le monde vit dans l'urgence, les regards sont fixés soit sur les écrans ou sur les aiguilles des montres, toujours pressés, ne prenant jamais le temps de vivre.

Je saute de nouveau dans ma voiture quand Dylan tente de me joindre à nouveau. Comme j'excelle dans le « multi-tâche » j'arrive à boucler ma ceinture, répondre à Dylan en calant mon téléphone entre l'oreille et l'épaule :

« Je t'ai dit que j'arrive ! crié-je en démarrant de nouveau.

- Ne roule pas comme une dingue, je ne prendrais pas tes points !

- Si tu continue à m'harceler ainsi, tu n'auras pas le choix de me les prendre. »

Je balance mon téléphone avant de sortir de ma place de parking. Je ne suis pas faite pour agir dans l'urgence, j'aime prendre mon temps et je déteste quand Dylan me met la pression comme il le fait ce soir. Je ne sais pas ce qu'il lui prend, il est beaucoup plus stressé que d'habitude. A la longue, il devrait s'y faire avec mes retards incessants.

Je ne fais pas d'excès de vitesse, je n'aimerais pas retourner à l'auto-école et repasser le permis voiture. Mais en même temps si je n'appuis pas sur le champignon mon retard sera complètement déraisonnable.

Arrivée dans la rue de mon frère, j'accélère de plus belle : une grosse voiture arrive en face et j'aimerais bifurquer dans l'allée de la propriété avant elle pour ne pas perdre mon élan.

J'y arrive, forçant tout de même le SUV à freiner. Je m'en moque, j'ai gagné quelques secondes précieuses sur mon retard. Je descends de la voiture en catastrophe, prenant à peine conscience du véhicule qui se gare derrière la mienne.

Dylan habite une villa très moderne qu'il a fait bâtir dans un village typique catalan, il est perdu entre des Oliveraies, des maraichers et des pins : le paradis dans le paradis. Il n'a que deux voisins, situé à sept-cent mètres et il y a très peu de passage. Autant dire que l'endroit est très calme et ressourçant.

Je frappe un coup à la porte avant de m'engouffrer dans la grande demeure. Je suis essoufflée comme si j'avais couru un marathon.

« Bravo frangine, je crois que tu as battu ton record ! me dit Dylan en guise de salutation.

- Il n'y a pas mort d'homme, marmonné-je en l'embrassant simplement sur la joue. »

Dylan et moi sommes particulièrement similaires physiquement, cependant nos caractères sont si différents qu'on pourrait penser que nous n'avons pas été élevé ensemble.

Impeccable dans sa chemise blanche et son pantalon noir, il est pourtant nerveux. Cela m'intrigue un peu plus mais l'arrivée de Tiphaine, ma belle-sœur, me happe. Nous nous embrassons chaleureusement, nos tensions se sont apaisées à mesure que nous faisons connaissances. J'ai réussi à comprendre que ce ne doit pas être facile pour une timide de faire sa place dans une famille extravagante, surtout lorsqu'on a tout quitté pour suivre son grand amour ; alors je suis plus indulgente.

Et puis je me retourne vers mon frère.

Bordel de merde

Même après six ans d'absence je le reconnaitrais entre mille. Je comprends mieux l'état de stress de mon frère pour cette soirée. J'observe Dylan, heureux comme un prince, prendre son ami d'enfance dans ses bras. Ils sont enfin réunis.

Comme si le destin n'avait pas eu assez de me mettre un frère ainé protecteur, il a fallu qu'il en trouve un deuxième : Samuel, le meilleur ami de Dylan, ils étaient presque des jumeaux. J'ai tendance à penser que j'ai grandi dans une fratrie de trois.

Voilà qu'ils s'embrassent chaleureusement sur la joue, plusieurs fois de suite. Il faut dire que le départ de Sam a chamboulé toute la vie de Dylan, et la mienne par la même occasion.

Samuel lâche mon frère pour se concentrer sur moi. Je ne sais que penser de cette masse de muscle qui fonce droit vers moi.

« Nom d'un chien Mini-Lan ! s'exclame-t-il avec un très léger accent anglais. C'est bien toi ?

- Il parait oui, réponds-je quelque peu intimidée. »

Je n'ai pas le temps de moufter que je suis plaquée contre lui, ses bras beaucoup plus musclé qu'à l'époque, m'encerclent et je réponds à son étreinte brièvement avant de m'éloigner. Cependant, il me tient toujours à bout de bras, par les épaules.

« Tu es loin de la gamine en couche-culotte que j'ai quittée ! fait-il remarquer hilare.

- Moi aussi je suis contente de te revoir Sam. »

Comme lorsque j'étais enfant, il essaie de m'ébouriffer les cheveux, le naturel prend le dessus et j'arrive à éviter son geste. Maintenant il se concentre sur Tiphaine ce qui me laisse le temps de constater que lui aussi a changé.

Il était beaucoup plus fluet que ça avant son départ. Aujourd'hui il est bâti comme un vrai sportif de haut niveau. Ses épaules sont larges, ses hanches plus étroites et sous son Levi's brut je peux deviner des jambes puissantes forgées par le sport nautique de glisse.

Comme je me fous royalement des présentations, j'inspecte la salle à manger. Visiblement nous ne serons que tous les quatre, je me demande depuis combien de temps Dylan sait pour le retour de Samuel. Je lui en veux de me l'avoir caché. Je n'étais peut-être pas aussi proche d'eux que je ne l'imagine mais Sam a été tout aussi important dans mon enfance.

Dans la cuisine je découvre ce que mon frère a préparé et je m'en réjoui : des burritos. J'ouvre le frigidaire pour voir des Margarita. Dylan et Tiphaine sont les pros des spécialités mexicaines. Mon estomac approuve tout cela et je referme la porte d'un coup de hanche :

« Hé la fouineuse, me hèle Dylan, rends-toi utile et apporte le plat de guacamole et de chips.

- Yep ! »

Je m'empare des lesdits plats et retournent dans le salon. Dylan s'est assis sur le fauteuil et Sam sur le canapé. Je m'installe à l'autre bout, me demandant au passage où est passée Tiphaine.

Alors que j'enlève la cellophane du saladier, de longs doigts s'enroulent autour de ma nuque, je suis attirée et termine par être plaquée contre un corps dur.

« Je ne peux pas le nier Mini-Lan, mais tu m'as manqué ! »

Je relève la tête difficilement à cause de l'étau de son bras autour de moi, Sam sourit légèrement, son regard est beaucoup plus sombre que dans mon souvenir. Une cicatrice plutôt épaisse fend son sourcil gauche à l'extrémité, cela lui durcit encore plus son visage.

« D'une certaine manière tu m'as manqué aussi, répliqué-je en essayant de m'extirper de son emprise.

- Dis-moi, tu as toujours cette touffe informe ? me demande-t-il en s'attaquant de sa main libre à mon chignon.

- Oh non Sam ! Lâche-moi s'il te plait ! »

Ça, en revanche, ça ne m'a pas vraiment manqué. Je me débats quand même amusée par son comportement aussi puéril.

« Tu devrais arrêter avant qu'on ne puisse plus la tenir, le prévient Dylan.

- Quoi ? Le petit chaton à fait ses griffes ? »

Samuel frotte son poing contre le sommet de mon crâne, je profite d'un relâchement de son bras pour me glisser si bien que je finis au sol, sous le regard hilare des deux compères.

Tout cela me rappelle bien des souvenirs...

Plus hilare que vexée, je me relève et me laisse tomber sur le canapé. J'ai des cheveux partout sur le visage et dans la bouche, c'est une catastrophe. Comme si j'en avais pas eu assez de la journée, je suis obligée de me recoiffer.

« Ah oui, tes cheveux ressemblent toujours à rien, plaisante encore Sam.

- Rappelle-moi ton âge, parce que j'ai l'impression d'avoir à faire avec un gamin.

- Avoue que ça t'a manqué. »

Je ne réponds pas, me contente d'esquisser un sourire tout en m'emparant d'une Margarita parfaitement exécutée par Tiphaine.

« C'est bon, vous avez fini de vous chamailler tous les deux ? nous demande Dylan. Parce que je commence à me déshydrater là ! »

Nous trinquons tous les quatre au retour de Samuel au bercail. Je suis heureuse de constater que nous nous retrouvons comme si nous nous étions quittés hier.

Nous nous retrouvons si bien que nous ne voyons pas le temps passer ni même le nombre de Margarita que nous avalons. Samuel est avare en information sur la vie que mène Dylan, contournant chaque question sur sa vie en Australie aussi aisément que possible. Moi je reste la gamine qui observe avec émerveillement ses deux modèles.

Au lieu de nous installer à table pour manger les Burritos, Tiphaine apporte le tout sur la table de salon. Les souvenirs sont remués, tout ça semble venir d'un autre temps. Qu'est-ce que c'est six ans de séparation dans une vie ? A présent ce n'est plus rien. Je me réjouis de son retour sans même savoir s'il va repartir ou non...

« Au fait, l'interpellé-je, tu es là pour un court séjour ou...

Je n'ose pas finir ma phrase, ni même soutenir son regard sombre souligné par quelques mèches de cheveux éclaircies par le soleil.

- Je suis là pour un petit bout de temps normalement, finit-il par répondre avec un sourire n'atteignant pas ses yeux, en tout cas je n'ai pas prévu de repartir en Australie. »

J'ai du mal à contenir mon soulagement. Je viens à peine de retrouver ce frère de cœur et je m'imagine mal devoir le laisser repartir. Je retrouve l'appétit et m'enfile un burritos bien goulument tandis que Dylan prépare devant nous un saladier entier de Margarita :

« Vous vous servirez comme des grands, bredouille-t-il difficilement. Je vais plus être bien frais. »

Effectivement Dylan sombre peu à peu dans les abysses de l'alcool et il a du mal à suivre quand nous nous attaquons à la Téquila. Tiphaine tient bon jusqu'à ce que mon frère commence à avoir des haut-le-cœur.

Je me retrouve seule sous le regard pesant de Samuel :

« Hé bien Mini-Lan, parle-moi de toi maintenant. Tu es toujours dans ta franchise de salle de sport ?

- Oui, ça me plaît pas mal. »

Nous n'avons pas le temps d'échanger plus que Dylan débarque en fanfare, les poings levés au dessus de sa tête :

« Je ne suis pas fatigué ! Pas fa-fatigué ! »

Il manque de tomber mais il se rattrape au meuble TV. Son regard doit croiser sa chaine-hifi puisqu'il a l'excellente idée d'allumer la musique.

« On va faire la fête !

- Mais comment fait-il ? demande Tiphaine effarée. Il vient de vomir un sacré jet et il recommence à bouger.

- C'est la spécialité de Dylan, répond Sam amusé. C'est vomito : il renaît de ses régurgitations. Le phœnix en moins classe en somme. »

Les vannes de Samuel me font marrer. Pas pour longtemps puisque Dylan m'entraine pour danser avec lui sur le rythme endiablé de son rock des années 70.

Je bois plus d'alcool que de raison et je suis la première a quitté le navire sous les acclamations de Samuel et Dylan similaires à des épaves.

Alicia Vikander : Maxime

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