Synergétiques - Les enfants de la clairière




Les enfants de la clairière


Dans: Synergétiques

Genre: Urban/dark fantasy, post-apocalyptique


Voici comment Eliki et Jared sont arrivé dans la Meute. Il s'agit également de l'Éveil des talents d'Eliki et de l'apparition d'une menace.


Bonne lecture!



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Les Chasseurs des Lacs


La lune pleine éclaire la forêt, permettant de voir comme en plein jour. Les arômes de la terre humide, des feuilles mortes et de l'humus effleure les nasaux des Chasseurs, annonciateurs de l'hiver qui arrivera dans quelques semaines. Tareq, Félice, Finn, Anoki et Chad ne se sont jamais aventurer aussi loin de la Ville déserte, mais cet automne, le gibier a changé ses habitudes. Les proies intéressantes sont plus à l'Est, sur la rive opposé du Lac aux Rochers.

La troupe de Tareq comprend les meilleurs éléments de la Meute, les plus discrets, rapides et précis. Ce sont ceux qui partent dans la Forêt au Nord de la Ville déserte, en direction des Lacs car il s'agit de l'endroit le plus éloigné de la Ville que la Meute a réussi à rejoindre après la Pluie Noire.

Félice et son frère Finn, en tant que félins sont embusqués dans les arbres, ils attendent que les trois autres rabattent deux cerfs dans leur direction. Dès que les animaux passeront sous leur cachette, les Félins sauteront sur leurs dos et les achèveront.

La course est grisante, exaltante. Les proies se sauvent et à trois, Tareq, Anoki et Chad les rabattent vers le lieu choisi par les deux autres.

Jadis, les Synergétiques Canidés et Félins ne chassaient pas ensemble, mais Tareq et Félice, qui sont amis depuis l'enfance, ont développé cette stratégie. Ils ont partagé assez de rituels de Brossage pour pouvoir communiquer sous forme animale.

Les deux cerfs qu'ils chassent sont sur la bonne voie. La chasse sera bientôt terminée. Tareq envoie deux brefs aboiement aigus, signalant à leurs amis leur position. De chaque côté, Anoki et Chad pressent la course, pincent les jarrets des cervidés. Les proies ne réfléchissent plus, elles combattent pour leur vie même si elles savent que tout est perdu.

Et c'est à ce moment que Tareq entend l'appel de détresse. Il le sent dans son coeur, dans son âme. Une Louve souffre, joue sa vie pour protéger ses enfants.

Faisant signe aux deux autres de continuer, il se laisse distancer puis file, noir comme une ombre, entre les arbres. Il force la vitesse, répondant à l'urgence.

La clairière est petite, mais contient tout ce qu'il faut pour vivre. Rapidement, Tareq repère un petit jardin, sent et entend un ruisseau qui coule derrière la maison. Il y a des années maintenant que ses amis et lui chassent du côté des Lacs et ils n'étaient jamais tombé sur cette clairière avant, n'étaient même pas au courant de l'existence de cette maison. Il a peine à croire que des gens ont vécu ici, seuls, tout ce temps sans que personne ne soit au courant! Et pourtant.

Faite de pierres grises et se fondant dans l'obscurité grâce aux vignes qui montent le long de ses façades, la maison à deux étages apparaît comme un menhir perdu au milieu de la Forêt. L'endroit, jadis, a dû être un chalet, un lieu de villégiature loin de tout. Devant, une Louve combat trois créatures humanoïdes, blanches comme la neige avec la férocité du désespoir. Lorsque les créatures touchent la Synergétique, elle blanchit, perd le marquage de sa robe sable. Lorsqu'elle griffe ou mord ses assaillants, les plaies diffusent une épaisse fumée blanche qui sent la mort. Que sont ces choses, que font-elle à cette femme?

Tareq pense que le mieux est de ne pas trop s'approcher. Malgré l'excitation, la rage et la colère, il repousse la Bête au fond de lui, fait se rétracter le Loup, revient à sa deuxième moitié. Empoignant son arc, il encoche une flèche, vise et tire.

Dès que la pointe de fer entre en collision avec la créature blanche, celle-ci explose en fumée, se dissout complètement. Rapidement, le Chasseur encoche une seconde flèche, puis une troisième.

Une fois les trois créatures dissoutes, la Louve s'écroule, sa forme humaine refaisant surface. Sa peau, ses cheveux, tout son corps est blanc, vidé de toute couleur. La femme respire à peine, son corps marqué par de grande plaies vaporeuses et translucides desquelles s'échappe de la fumée blanche.

Tareq s'approche lentement, s'accroupit sur le sol humide. La femme est très mal en point, son coeur bat difficilement. Comme tout les Chasseurs, il a quelques notions de premier soin, mais les blessures de celle-là sont au-delà de ses compétences. Il lui faudrait de véritable guérisseurs, des gens comme Iviq ou Atia. Ou peut-être, encore mieux, quelqu'un comme Anaq, la Mère spirituelle de la Meute, celle qui communique avec les Esprits.

- Ces choses... elles ont prit ma Bête... celles de mes enfants, gémit la femme.

Elle tremble, secouée de spasmes. Néanmoins, elle s'accroche à Tareq, cherche son regard de ses yeux vides.

- Ne fais pas souffrir mes petits, ils sont trop jeunes pour vivre sans adultes.

Tareq remarque qu'elle ne lui demande pas de les prendre. Les temps sont durs depuis la Pluie Noire et les enfants ajouterait une charge à la Meute déjà bien occupée. Elle veut juste qu'il ne les laisse pas souffrir inutilement.

- Le jardin et le cellier sont plein, il y a de quoi passer l'hiver, insiste la femme. Je les tuerais moi-même si j'avais la force de me lever.

Tareq est parcouru de frissons glacials. Il lit, dans les yeux décolorés, la détermination résignée d'une femme qui sait qu'elle va mourir et qui ne laissera pas ses enfants seuls derrière elle. Toutefois, il n'y a pas que l'horreur qui fait se redresser les poils sur ses bras. La rage, aussi, l'indignation. Il ne peut pas comprendre, même dans une situation désespérée, il n'aurait pas le courage d'envisager emporter son fils dans la mort avec lui. En même temps, Thaïce est là, et la Meute aussi, Shane ne serait pas seul comme les enfants de cette femme.

- Je ne les laisserai pas souffrir, promet-il néanmoins, conscient que la femme ne se détendra pas avant qu'il lui confirme qu'il ne laisserait pas ses enfants seuls dans cette forêt.

Dès qu'il promet, la femme ferme les yeux, arrête de combattre, laisse le vide, l'absence de sa bête l'emporter. Son corps refroidit, s'assèche, exhalant les derniers souffles de cette mystérieuse fumée blanche.

Lorsqu'il se redresse, des enfants sont sur le porche. Les plus vieux ont sans doute l'âge de son propre fils, Shane, c'est-à-dire environ huit ou neuf ans. Il s'agit d'un garçon et d'une fille, le corps marqué de blanc. La fillette tient deux bambins serrés contre sa poitrine. Ceux-ci sont complètement blancs, inertes, sèchent comme leur mère.

Derrière les plus grands, Tareq entrevoit un troisième duo, deux gamins aux cheveux noirs luisants. La peau du garçon est parcourue de cicatrices blanches, la fille semble intacte. Elle le fixe de ses grands yeux gris-verts et Tareq se sent petit, faible devant l'immensité du regard de cette enfant. Elle tient son jumeaux d'une main, s'accroche au pyjamas de l'aîné de l'autre.

Il comprend, en la fixant, qu'il ne tuera pas ses enfants.

Bien sûr, c'est la règle, on ne prend pas d'orphelins qui n'appartiennent pas à la Meute. Les enfants, surtout aussi jeunes, ne sont qu'une charge supplémentaire, un poids, voire même un danger. Mais Tareq ne peut pas. Ces enfants n'ont rien demandé, et son instinct lui dicte que ce serait un crime impardonnable de les tuer ou de les abandonner derrière eux en partant.

"Nous ne sommes pas que des animaux", dit souvent Anaq, "nous sommes aussi des Hommes. En fait, nous sommes encore plus, nous sommes l'équilibre. La raison sans coeur n'est que cruauté. Ne soit jamais cruel, Tareq et tu seras un bon chasseur."

Tareq n'est pas cruel. Il est un bon Chasseur, excellent même.

Et plus encore, la Meute est forte, elle est bien installée dans cette École, est en sécurité et bénéficie d'une relation amicale avec la Communauté de l'Hôpital.

À long terme, il ne peut pas faire de tort d'emmener du sang nouveau à la Meute. Question d'éviter que tout le monde devienne cousin après quelques générations.

L'odeur de Félice l'informe qu'elle arrive. Son amie est encore sous forme féline lorsqu'elle apparaît entre les arbres. En constatant qu'il s'est transformé, elle fait de même, redevient la femme aux longs cheveux d'un brun chaud et aux yeux dorés qu'il considère comme sa soeur.

Félice ondoie vers lui, le regard curieux. Elle jette un coup d'oeil indifférent vers les enfants, tous regroupés sur le porche, les guettant en silence.

- On fait quoi avec ça? demande-t-elle.

- On va les ramener avec nous, annonce Tareq.

- Vraiment? demande Félice. Mais leur mère veut que tu les tues. Je sais, j'étais derrière les arbres lorsqu'elle te l'a demandé. J'ai tout entendu.

- Et bien, elle aurait du le faire elle-même si elle voulait les tuer! s'exclame Tareq. Il n'est pas question que les Chasseurs des Lacs devienne une troupe d'assassins d'enfants.

- On veut pas mourir, monsieur, ose prononcer le plus grand, celui qui à l'âge de Shane.

Tareq le regarde, hoche la tête. Il admire le courage de l'enfant qui entoure maintenant son frère et sa soeur aux yeux gris-verts de ses bras, le fixant avec défiance.

- Comment t'appelles-tu?

- Jared.

Tareq hoche à nouveau la tête tandis que Félice s'avance plus près en soupirant.

- Maintenant qu'ils ont des noms, il te sera vraiment impossible d'obéir au désir de cette pauvre mère, se plaint-elle.

- Arrête de le tourmenter, Fée, répond Chad, tu serais déçue de lui s'il n'obéissait pas à ses convictions.

Derrière eux, Finn et Anoki hissent les proies dans les arbres, les mettant en sécurité. Félice n'ajoute rien, elle sait bien que Chad a raison.

Les enfants les observent, méfiant mais néanmoins curieux. Ils se tiennent droits, silencieux, les yeux humides mais sans pleurer. Ce n'est certainement pas la première fois qu'ils sont témoins de violence, à vivre dans un endroit si isolé.

Dans leur petit groupe, Chad est le meilleur avec les enfants. Il est donc décidé qu'il s'occupera d'eux. Félice va le remplacer auprès de Finn et Anoki tandis que Tareq se charge de trouver une bâche afin de couvrir le corps de la Louve.


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Eliki


Les monstres blancs ont volé la bête de maman, celles d'Izzy et de Fiodor, une de celles de Mika, de Jared et presque toutes celles d'Ada. Ils ne m'ont pas touchée, je ne comprends pas pourquoi.

Un Loup noir est arrivé et avec trois flèches, il a détruit tous les monstres blancs. Je l'observe, il me parait gentil. Il vient de dire à son amie qu'il ne veut pas nous tuer. La femme a eu l'air de vouloir riposter, mais le regard du Loup noir a changé et elle n'a rien dit.

Je suis fatiguée. Mika et Jared ne se vident plus de leurs Bête. Le Loup de Jared s'est évaporé, tout comme la Panthère de Mika. Au moins, le Jaguar de Jared et le Loup de Mika sont encore là, entiers. Pas comme Ada, qui fuit de partout. Son Jaguar à elle est disparu depuis longtemps, pour rien en plus, car les monstres blancs ont arrachés les Loups de Fiodor et d'Izzy super vite. Ils sont tout secs, ils ne respirent plus et pourtant, Ada s'accroche à eux comme si ça allait sauver sa Louve en lambeaux. Comme si elle savait que je pense à elle, ma soeur se retourne et nos regards se croisent. Ce que je lis dans ses prunelles ambrées me pétrifie. Elle sait que sa Louve s'effrite, que bientôt, elle ne sera plus qu'une carcasse vide. Comme Fiodor et Izzy, comme maman...

Dans ma main, celle de Mika tressaute. Il tremble de peur. Je vois les larmes mouiller ses joues, reçoit, de temps en temps, une goutte sur la tête qui provient de Jared.

Je ne sais pas très bien quand j'ai arrêté d'avoir peur, d'être triste. Il me semble que j'ai eu tellement peur lorsque les monstres blancs étaient en train de vider tout le monde, que la peur s'est infiltrée en moi, formant une deuxième Bête qui ne serait pas un animal, mais seulement la peur et la tristesse devenus quelque chose d'autre. Je me sens un peu ouatée, comme si j'étais restée longtemps couchée dans la neige et que mon corps s'était endormi sans moi.

- J'ai un petit garçon qui a à peu près ton âge, fait une voix douce, à notre hauteur.

L'adulte qui est agenouillé devant nous regarde Mika qui pleure en silence. Je peux voir sa Bête. Ce n'est pas un Loup, mais c'est dans la même famille. Le mot "coyote" me vient à l'esprit, même si je n'ai pas la moindre idée de ce que ça veut dire. Il a de très beaux yeux d'un vert clair qui me fait penser aux feuilles de menthe avec lesquelles maman fait du thé.

- Il s'appelle Dymah, continue l'homme. Je parie qu'il sera très heureux d'avoir de nouveaux amis.

L'homme parle doucement, nous couvre d'un regard gentil. Même Ada finit par laisser le Loup noir prendre Fiodor et Izzy. Je l'observe, tout en gardant une oreille sur l'homme aux yeux verts. Il dit qu'il s'appelle Chad. Son sourire est engageant, amical et plein de douceur, mais mon corps gelé ne peux être atteint, je ne ressens plus rien. Sa voix gentille semble avoir un effet sur mes frères et Ada. Ils le regardent tous, attendant quelque chose.

- Tareq est le meilleur Chasseur de toute notre Meute, dit Chad, constatant que je fixe le Loup noir.

Tareq, puisque c'est ainsi que s'appelle le Loup noir enroule tendrement notre petit frère et notre petite soeur dans leur couverture avant de les déposer dans les bras inertes de maman. Izzy à droite, Fiodor à gauche. On dirait qu'il connait leur préférence. Je le vois essuyer ses yeux avant de caresser leur cheveux tour à tour. S'ils n'étaient pas si blancs, si secs tout les trois, je pourrais m'imaginer qu'ils dorment.

Tareq recouvre ensuite les petits et maman avant de les emporter dans ses bras dans la grange pour les mettre à l'abri en attendant je ne sais trop quoi. Il est triste, désolé. Je ne comprends pas du tout comment je sais tout ça, mais c'est clair pour moi, Tareq le Loup noir souffre pour ma mère, mon frère et ma soeur morts.

Chad nous encourage à rentrer à l'intérieur. D'habitude, les garçons dorment dans une chambre et les filles dans l'autre, mais ce soir, personne ne veut se séparer. Nous nous retrouvons tous dans le grand lit de maman et Chad assure qu'il restera avec nous, qu'il ne laissera pas les monstres blancs nous prendre.

Mes frères s'endorment en pleurant, mais moi, je ne peux pas. Le sommeil, tout comme la peur et la tristesse est gelé quelque part, là où je ne peux l'atteindre. Dans la pièce d'à côté, j'entends les Chasseurs parler. J'ai envi de me lever pour écouter.

Je laisse ma Panthère glisser à l'extérieur. Contrairement à celle de Mika, la mienne est toute noire. Maman disait que c'est à cause d'un gène. Je ne suis pas trop certaine de comprendre ce que ça veut dire. Mon poils est long et touffu, prêt pour l'hiver. Il rend ma tête toute ronde, fait presque disparaître mes oreilles tellement il est fourni.

Je veux me glisser hors du lit, mais la main d'Ada, glacée, attrape ma queue.

- Aide-moi, Eliki... supplie-t-elle, son regard terrifié.

Je ne comprends pas. Pourquoi dit-elle ça?

- Aide-moi... je t'ai vue, quand tu as empêché le Loup de Mika et le Jaguar de Jared de fondre. Fais-le avec moi aussi...

Non! qu'est-ce qu'elle dit? Je n'ai rien fait du tout. Je ne comprends pas.

- Eliki... vite... ma Louve est presque toute fondue...

De grosses larmes coules en silence sur la peau d'Ada qui devient de plus en plus blanche. Ses cheveux, normalement aussi roux que ceux de notre mère sont blancs et sec comme de la paille. Ada se laisse tomber en bas du lit, ce qui a pour effet de libérer ma queue. Par réflexe, je bondit, me réfugiant au-dessus de la garde-robe. Le regard ambré d'Ada est suppliant, terrifié.

Mais je ne comprends pas, je ne peux rien pour elle... je n'ai rien fait à Jared et Mika. Les monstres blancs n'ont pas réussi à tout leur prendre, ça n'a rien à voir avec moi.

- Eliki... s'il te plaît, j'ai peur... arrête ma Louve de fondre...

De la vapeur blanche s'échappe de la bouche d'Ada lorsqu'elle parle. Sa Louve, en lambeaux s'évapore avec ses mots. Ma soeur s'en aperçoit, ferme sa bouche, plaque ses mains dessus, ses yeux ronds comme des pleines lunes. Sa peau normalement bronzée est toute pâle, sec comme l'écorce d'un bouleau.

Et je la regarde, incapable de détacher mon regard du sien, impuissante à faire quoique ce soit, alors que doucement, les lambeaux de Louve s'évaporent et que ma soeur s'assèche comme une feuille d'érable à l'automne.

Lorsqu'elle est toute blanche et qu'elle ne respire plus, je sais que je ne pourrai plus jamais dormir sans revoir Ada disparaitre sous mes yeux. Je reste là, roulée en boule, ma queue autour de moi, au-dessus de la garde-robe de maman tandis que mes frères dorment dans le lit et que la carcasse vide de ma soeur gît au milieu de la pièce, ses mains d'écorce de bouleau tendues vers moi.


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Chad


Il a été décidé que la bande rentrerait à l'École et reviendrait avec de l'aide. Il faut rassembler les récoltes et les réserves de cette femme avant l'hiver, ramener les enfants à la Ville abandonnée, leur trouver des parents adoptifs parmi les membres de la Meute. Félice et Finn se sont opposé à l'idée de les ramener, Anoki aussi. Mais Chad, lui, partage l'avis de Tareq, il ne voit pas la nécessité de tuer ces pauvres enfants. Il pense à Dymah et Ivy, il ne pourrait jamais imaginer prendre la décision de mettre fin à leurs jours, même dans les pires circonstances. D'ailleurs, comment Anoki ne voit-il pas son fils en eux, c'est incompréhensible.

Après une courte nuit de sommeil, gardant une oreille tendue vers les enfants, les quatre autres sont repartis, emportant des provisions issues du garde-manger et du cellier de la femme avec eux. En les attendant, Chad apprêtera leurs proies de la nuit. Pas la peine de s'encombrer avec des carcasses alors qu'il a le temps de les apprêter.

Il est sur le point de prélever les abats du deuxième cerf - il les servira aux enfants, ça leur fera du bien - lorsque des cris retentissent de la maison.

Rapidement, il retourne à l'intérieur, ouvre la porte de la chambre.

La scène dont il est témoin le désole. Comment ces enfants vont-ils pouvoir survivre à ça? Personne n'est jamais prêt à affronter de telles horreurs!

Au pied du lit, Jared est recroquevillé par terre et hurle sa douleur. Dans ses bras tremblant, le corps d'Ada, complètement blanc. La petite est maintenant dans le même état que sa mère et les plus petit, sèche et incolore. Sur le lit, un Louveteau mystérieusement marqué comme un Léopard est roulé en boule, tentant de se faire le plus petit possible, terrifié. Chad cherche rapidement la quatrième, Eliki. Au premier coup d'oeil, il ne la voit pas et pourtant il perçoit son odeur, ce qui lui indique clairement qu'elle est encore dans la pièce.

La détresse de Jared le force à abandonner ses recherches. Il s'agenouille près de l'enfant, pose une main sur son épaule.

"Ils auront besoin d'Anaq, ça ne fait aucun doute", pense Chad alors qu'il accueille les sanglots du garçon qui se déchire devant lui.

Sa peine dure longtemps, fait mal au coeur du Coyote. Lorsque Mika vient les rejoindre au sol, ses yeux gris-vert disent sa détresse. Jared relâche le corps de sa soeur et entoure plutôt le Louveteau de ses bras. Chad caresse sa tête blonde lorsque le garçon vient chercher plus de réconfort. Ses sanglots s'espacent, les frissons de douleur secouant son corps d'enfant lui laissant le temps de reprendre son souffle entre les secousses.

- Eliki demande Jared. Où est-elle?

- Je ne sais pas.

Chad ne sait pas trop ce qui le pousse à lever les yeux, mais soudainement, il l'aperçoit. La forme noire est presque invisible, réfugiée au-dessus de la garde-robe. Elle les fixe de ses yeux de Panthère des neiges, les battements nerveux de sa queue trahissant son agitation.

- Je l'ai trouvée, dit Chad.

Admirant le miracle qui fait que les enfants peuvent être facilement distraits, Chad contemple le garçon dont le regard ambré s'éclaire. Il scrute la pièce, cherchant sa soeur du regard. Le chasseur comprend que ce doit être un jeu entre eux, car la noiraude se recule au fond de sa cachette, tapie comme une ombre. Jared cherche, observe la pièce dans ses moindres détails.

Chad l'examine, lui. Quelque chose a changé depuis la veille, mais il n'arrive pas à comprendre de quoi il s'agit. Ce n'est que lorsque Mika reprend forme humaine qu'il réalise, car chez lui, il est impossible de ne pas remarquer l'absence de ces horribles marques blanches dans ses cheveux noirs. Les deux garçons sont intactes, ils n'ont plus une seule trace de l'incident de la veille.

- Je l'ai trouvée! s'écrie finalement Mika, pointant le dessus de l'armoire. Jared, tu oublies toujours de regarder en l'air.

L'aîné hausse une épaule et attrape la boule de poils noire qui bondit dans ses bras. Chad sourit, l'espace d'une fraction de seconde, touché par ces enfants. Bondissant par terre, la soeur reprend forme humaine, baisse un instant les yeux vers sa soeur avant de se tourner vers lui.

- Il faut aller la coucher avec maman, Izzy et Fiodor, dit-elle, d'un ton mature qu'aucun enfant de cet âge ne devrait emprunter.

- Oui, tu as raison.

Elle sort de la pièce puis revient, un instant plus tard, une couverture tricotée à la main.

- Couchez-la dedans, elle va aimer ça, dit Eliki. C'est ma couverture, mais je la lui donne, elle l'aimait plus que la sienne de toute façon.

Une boule d'émotions noue la gorge du Coyote. Il étend la couverture au sol avant d'y enrouler le corps de la fillette décédée. Les trois autres sont à nouveau regroupés, les deux garçons entourant leur soeur qui tient leurs mains réunies en un seul point devant son coeur.

- Est-ce que vous voulez venir avec moi?

Les trois secouent la tête mais ne disent rien. Chad soulève le petit corps inerte, tellement léger, beaucoup trop léger et va le porter avec les autres. Avant de retourner auprès des survivants, il remet les carcasses à l'abri, il doit d'abord s'occuper des vivants, c'est tellement plus important.

Dans la maison, les frères et la soeur ont troqué leurs pyjama pour des vêtements. Chad les surprend, en train de nettoyer leur visage fatigué et leur mains, tous trois debout autour d'un sceau à moitié plein. De toute évidence, ils ont l'habitude d'une routine bien orchestrée.

- Je dois aller chercher les oeufs, dit Mika en le voyant. Et Jared va rentrer les bûches pour la journée. Mais qui va aller chercher l'eau?

Les trois se regardent puis Chad voit Eliki hocher la tête. Il aimerait bien découvrir le genre de dialogue intérieur qu'a cette fillette.

- Je vais y aller, dit-elle. Il faut aller verser celle-là sur le jardin de toute façon, et c'est moi qui le fait normalement.

Ses frères ne s'obstinent pas, la laisse partir avec le sceau. Jared sort à sa suite, se dirigeant vers le côté de la maison où se trouve le bois cordé.

- Maman ne veut pas que personne touche au feu, c'est elle qui fait le déjeuner. Les provisions sont là, dans cette armoire.

Mika s'avérera le plus loquace, presque aussi verbomoteur que son Dymah. Chad ravive le feu, voit à préparer un déjeuner. Lorsque la petite revient, ses joues sont cramoisies d'avoir forcé.

- Je n'ai pas su remplir l'eau comme Ada, s'excuse-t-elle. Ada...

Sa voix brise, ses yeux s'embuent. Chad voit sa lèvre inférieur trembler, la regarde combattre ses larmes. Pauvre petite, elle ne peut pas tout garder à l'intérieur de la sorte, c'est impossible. Spontanément, Chad tend les bras, comme il le fait pour Dymah et la petite lâche l'anse du sceau, se précipite contre sa poitrine, s'accroche de toute ses forces d'enfant à sa chemise.

- C'est bien, ma puce. Tu as le droit d'être triste, c'est normal.

- C'est ma faute... Ada, elle voulait que je l'aide, mais je ne savais pas comment.

- Petit chat, que racontes-tu là?

Rien, apparemment. Car il a beau la cajoler, la réconforter, accueillir ses larmes, sa peine, sa peur, Eliki ne dira plus rien. Elle ne mentionnera plus l'événement, du moins pas en sa présence. Chad la bercera dans ses bras, lui chantant l'air qu'il chante à ses enfants jusqu'à ce qu'elle sèche ses larmes et lui rappelle que même blessés, même traumatisés, les petits Synergétiques ont besoin de calories. Chad les regardera manger avec appétit mais peu d'enthousiasme, à peine capable d'avaler quelques bouchées lui-même.

Après le repas, les enfants lavent la vaisselle puis rangent la cuisine, sous le regard médusé du Coyote. Lui aussi a du travail, mais il n'a pas le coeur de les laisser.

- Je dois aller finir de décortiquer les cerfs. Voulez-vous m'aider?

Sans émettre un son, ils hochent la tête et le suive dehors.

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