La Vallée - Retour dans la Vallée
1.
Retour dans la Vallée
Dans: La Vallée
Genre: Fantasy
Il s'agit de personnages qui sont dans ma tête depuis des années, seulement, il n'y a jamais l'espace ou le temps idéal pour les mettre en scène. Alors, voici un essaie.
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Sebastião
"Ce n'est pas normal qu'un endroit comme Boisclairs possède une des meilleures écoles supérieures de science médicale de tout le Continent et qu'on y trouve seulement un Dispensaire pour fournir la population en soins médicaux", pense Sebastião da Susa alors qu'il gare son véhicule dans le petit stationnement dudit établissement. "Il doit bien y avoir des malades par ici, comme partout? On ne peut pas envoyer tout les gens qui ont besoin de soin se faire traiter dans ce si petit Dispensaire ou par les étudiants de médecine de l'École supérieure. C'est insensé."
La petite voiture rouge vif scintille sous les chauds rayons du soleil de cet fin d'après-midi d'automne, contrastant parmi les véhicules utilitaires. Pourtant, le jeune homme n'a éprouvé aucun problèmes à se déplacer sur les routes inégales et irrégulières qui sillonnent les alentours de cette ville à la forte population étudiante.
Nichée au creux d'une vallée isolée à l'extrême Est du Royaume d'Héridann, entre deux chaînes de montagnes qui se rejoignent au Nord, la Vallée s'étend vers le Sud jusqu'au Canal de Vigorne. Ce Canal sépare le Royaume d'Héridann et celui d'Orianda, tandis que les Terres Sauvages du Schwartzland se trouvent au delà de la chaîne de montagne la plus orientale.
Sebastião a commencé ses études dans la Capitale il y a deux ans mais cette année, sa soeur aînée de dix-sept ans, Clarissa lui a demandé de venir s'installer avec elle. Ne pouvant rien refuser à sa grande soeur, le voilà donc dans cette petite ville étrange et perdue au fond des terres Héridannaises.
Son transfert de l'Académie Royale de Sciences Naturelles de la Capitale à l'école supérieure de Boisclairs n'a posé aucun problèmes, ses résultats scolaires reflétant son sérieux et son grand talent pour les sciences médicales.
La voix de l'animatrice de radio raisonne dans l'habitacle, le retenant sur son siège. Il est arrivé un peu trop d'avance pour son rendez-vous avec Docteur Hamel et n'a pas envi de se retrouver dans les pattes des employés du Dispensaire qui sont déjà sûrement très occupés.
- Le festival de l'Abondance aura lieu dans un peu plus d'un mois. La vente des billets pour les différents spectacles et activités débutera ce samedi aux points de ventes situés aux Trois Sorcières, au Centre Communautaire, ainsi qu'à la bibliothèque et à la mairie. Tout les profits de la vente des billets seront remis à la fondation du Dispensaire afin de financer la construction d'un centre médical. Le Révérend Vaughan a été mandaté, en tant que parti indépendant pour la gestion du projet.
Sebastião a remarqué, alors qu'il se dirigeait vers le Dispensaire, une construction de pierres blanche, plus haute que toutes les autres, sa tour surmontée d'une grande horloge, s'annonçant comme le Temple du Peuple. En passant devant, il avait pensé que l'endroit avait l'air d'une école primaire. Le module de jeux trônant sur la pelouse à l'avant n'avait fait que renforcer cette impression. Le bâtiment n'a certainement rien à voir avec l'ostentation des églises de la Capitale dédiées à Divin qui regorgent d'ornements et de dorures, toutes plus scintillantes les unes que les autres, mais il n'en est pas moins surprenant parmi les constructions de la ville qui dépassent rarement la hauteur de trois étages.
- Ne manquez pas les vendredis karaoké aux Trois Sorcières, continue l'animatrice, sa voix envoûtante le retenant sur place. Vous courrez la chance de remporter de nombreux prix, parmi lesquels des certificats cadeaux pour les boutiques du centre-ville, des entrées pour le Festival de l'Abondance et des laisser-passer pour le spectacle de la Nuit du Passage d'Elektrik Takeover. Nous enchaînons maintenant avec "Garde-moi une place" de PKD Trio. Vous écoutez l'Heure du Thé avec Lysandre Kjeldström, sur les ondes de Radio boisclairs.
Les notes célestes d'une harpe et la voix chaude et grave d'un chanteur remplacent la voix de cette Lysandre alors que Sebastião éteint la radio et sort de sa voiture pour se diriger vers le Dispensaire de Boisclairs.
À peine a-t-il poussé la porte qu'il reconnaît l'air de PKD Trio qui vient de débuter à la radio. Visiblement, les gens d'ici écoutent tous la même station. Il est vrai que les montagnes entourant la vallée isolent la région du reste du pays. De façon plutôt surprenante, la salle d'attente n'est occupée que par deux patients. Une personne âgée et un grand jeune homme aux cheveux d'ébène qui doit avoir environ l'âge de Sebastiao qui agite la tête au rythme de la musique, une canne de soutien appuyée contre sa chaise.
- Monsieur Da Susa, demande une jeune femme aux cheveux argentés coiffés en pointes au dessus de sa tête, assise derrière le bureau de la réception.
- C'est moi, répond-t-il en s'avançant vers elle.
- Docteur Hamel vous attends dans son bureau, ajoute la réceptionniste en indiquant le corridor à sa gauche d'une main aux ongles tout aussi argentés que sa chevelure.
- Merci.
Alors qu'il part à la recherche du bureau, une autre femme, dans la jeune trentaine, sort d'une salle d'examen, un dossier sous le bras.
- Vous êtes certainement Sebastião Da Susa, dit-elle. Je suis Alicia. Le bureau de Judith est au bout à droite. Tiffany aurait dû vous escorter.
- Ce n'est pas grave. Je ne me perdrai pas, ce n'est pas très grand, répond Sebastiao.
- Je t'entends, Alicia, fait la réceptionniste, sans se retourner. D'abord, je suis certaine que monsieur Da Susa n'est pas un imbécile. Il y a quatre salles d'examens dans ce corridor et deux bureaux avec chacun une plaque sur la porte. J'ose espérer qu'en troisième année de sciences médicales, il sait suffisamment lire pour faire la différence entre Judith Hamel et Marc Nadeau. Ensuite, tu m'as déjà dit que tu n'aimais pas que je m'approche de ta salle d'examen, apparemment ça dérègle ton matériel. Comme je ne veux pas risquer la sécurité de tes patients, j'évite d'aller derrière lorsque tu es là. Finalement, j'estime que ce n'est pas à Tae de surveiller Monsieur Léonard.
Devant lui, Alicia lève les yeux au ciel et soupire mais n'émet aucun commentaires. Elle se dirige vers la salle d'attente, son regard fixé sur le jeune homme à la canne. Dans son dos, Sebastião remarque que la réceptionniste tire la langue. Lorsque son regard croise le sien, elle lui fait un clin d'oeil complice en agitant comiquement la tête.
- Normalement, nous ne faisons pas entrer Tiffany les jours où Alicia travaille ici, explique une troisième femme, ouvrant la porte à la plaque annonçant Docteure Judith Hamel. Même dans des endroits aussi particuliers que Boisclairs on retrouve des gens qui n'apprécient pas la différence. Toutefois, malgré ses préjugés, Alicia est une excellente physiothérapeute et nous nous estimons chanceux qu'elle nous offre quelques heures par mois.
Sebastião suit la Docteure dans le bureau et prend place alors que la femme referme la porte sur eux. Grande et athlétique, avec des cheveux châtains courts et de petites lunettes, Judith Hamel a l'air d'une femme autoritaire habituée à diriger.
- Je suis très heureuse d'accueillir un étudiant comme vous à Boisclairs. Comme vous vous doutez sûrement, la plupart de mes collègues de l'École Supérieure et moi consacrons une partie de notre temps au Dispensaire de la ville. Quelques uns de mes collègues ont plutôt choisi d'offrir une pratique privée, mais vous rencontrerez la plupart des enseignant du cours de Science Médicale ici. Plusieurs étudiants offrent également des heures afin de procurer un service en tout temps aux habitants de la Vallée.
- J'ai entendu à la radio que vous espérez construire un centre médical, demande Sebastião, intéressé.
Judith Hamel a un mouvement dédaigneux avant de s'expliquer.
- Cela doit bien faire une quinzaine d'années que le Révérend Vaughan essaie de ramasser les fonds nécessaires à la construction d'un établissement où nous pourrions soigner des patients hospitalisés sur une base permanente, mais il semblerait que la mairie a toujours mieux à faire de l'argent ramassée.
- C'est pareil dans la Capitale, commente Sebastião. Depuis que le monde a découvert l'existence des mutations et surtout celle des guérisseurs, il y a toujours mieux à faire avec l'argent destinée aux soins de santé.
Les historiens et anthropologues sont clairs. Il y a toujours eu, depuis aussi longtemps que la civilisation existe, des gens avec des pouvoirs extraordinaires. Ces gens, vivant généralement cachés ont utilisé leur différences pour assurer leur survie à travers les siècles. Guérisseurs, sorciers, héros ou vilains, grands prêtres ou prêtresses de cultes tous plus farfelus les uns que les autres, les mutants ont laissé leur traces, étant généralement à l'origine de légendes et de mythes incroyables.
Cependant, avec l'arrivée de la médecine moderne, on a réalisé que ces gens dotés de pouvoirs n'étaient ni des dieux, ni des monstres mais qu'ils entraient plutôt dans deux catégories différentes. Les Mutés et les Mutants.
Les humains qualifiés de Mutés, nommés Homo Evolutis en langage scientifique, se sont, avec le temps, éloigné de l'espèce humaine à un point tel qu'ils sont devenus une espèce cousine. Ayant vécus dans des enclaves isolées, sur des îles ou d'autres lieux difficiles d'accès afin de camoufler leur différence et de vivre en paix, leur code génétique c'est modifié au point où ils ne peuvent plus produire de descendance fertile avec les humains ne possédant pas de gènes mutants. Leur capacités spéciales sont présente dès l'enfance et ils peuvent même posséder des traits distinctifs presque impossibles à masquer. On les surnomme Mutés, car on estime que le processus de mutation est rendu à un stade suffisamment avancé pour être qualifié de "complet" par opposition aux Mutants, dont le code génétique est transformé à divers degrés entre l'Homo sapiens ne possédant aucun gène mutants et l'Homo Evolutis.
Les Mutants, coincés entre deux catégories sont certes plus nombreux que les Mutés mais toujours moins nombreux que les Homo Sapiens. Cela les place dans une position inconfortable, pas tout à fait Sapiens et pas non plus Evolutis. Voilà pourquoi, en général, ils tentaient, jusqu'à l'apparition de la Loi 31, de garder leur condition secrète.
Sauf, de toute évidence, à Boisclairs.
Judith Hamel garde les mains croisées sur son bureau alors qu'un dossier à l'emblème de l'École supérieure de Boisclairs, programme de Science Médicale lévite en direction de son vis-à-vis avant de s'immobiliser, en suspension dans l'air. Sans broncher, Sebastião attrape le document dont le poids repose maintenant entre ses mains comme si une main invisible le lui avait remis. Alors qu'il l'ouvre et consulte la liste des cours, l'horaire et le programme de la session, Docteure Hamel poursuit.
- Vous trouverez à Boisclairs une forte concentration de Mutants et de Mutés entre lesquels nous ne faisons culturellement aucune différence. La vallée a longtemps été un refuge difficile d'accès qui a permis aux minorités de s'y faire une place et de vivre en paix. L'École Supérieure offre également des cours permettant aux Mutants de perfectionner leurs talents individuels. Nous savons que votre famille a toujours fait d'énormes efforts pour garder vos capacités secrètes, mais après l'incident du Festival du Solstice, vous ne pouvez pas nous en vouloir de vous avoir fait venir ici.
Sebastião hoche distraitement la tête. Il n'écoute qu'à moitié, concentré sur le dossier entre ses mains. Un nom a attiré son regard. Jeremia Kaiser est un ami de Clarissa depuis des années. S'affichant ouvertement comme Muté, il lute depuis toujours contre la discrimination et est un grand défenseur de l'égalité des chances. Sebastiao n'est nullement surpris de le découvrir parmi les professeurs de ll'École supérieure de Boisclair.
- Nous sommes honorés d'accueillir un étudiant de votre calibre parmi nous, continue Judith Hamel sans rien remarquer de son manque de concentration, et nous espérons que vous saurez trouver votre place au sein de notre équipe. D'ailleurs, à ce sujet, nous sommes prêts à vous offrir un salaire si vous acceptez de faire parti de l'équipe du Dispensaire.
C'était à prévoir, bien sûr, considérant sa mutation. Certes, il est venu au Dispensaire pour rencontrer la Docteure Hamel et recevoir la documentation concernant ses études, mais il a également un but autre et il ne compte pas laisser passer cette occasion.
- Je veux bien faire parti de l'équipe d'intervention d'urgence, répond le jeune homme en levant la tête. J'ai fait parti d'une équipe de premier répondant dans la Capitale.
- Ce n'est pas exactement à ce genre de rôle que nous pensions, proteste la femme.
- C'est ce que vous aurez.
Il pose le dossier sur la table, se reculant sur sa chaise avec assurance, plongeant finalement son regard bleu dans celui de sa vis-à-vis.
- Comprenez-moi bien, Docteure. Je n'ai pas besoin de ce travail. Mes études sont payées depuis longtemps et je suis à l'aise financièrement. J'ai cependant l'intention d'offrir mes talents où ils sont réellement utiles.
La femme hoche la tête, songeuse. L'argument financier n'a aucun poids et elle le comprend déjà. L'allure du jeune homme, ses cheveux retenus à l'arrière à la mode Oriandaise, ses vêtements de marque, ses chaussures sport de qualité supérieures dénotent son aisance. Sans compter la petite merveille d'ingénierie qu'il conduit. Da Susa n'est pas un nom aussi connu dans la Vallée que Kjeldström seulement parce que salvatore da Susa a élu domicile à Orianda depuis des années déjà, laissant une ferme prospère à sa fille aînée. Avec une nonchalance féline, Sebastião poursuit:
- Évidemment, je suis prêt à donner des heures au Dispensaire au même titre que tout les autres étudiants de sciences médicales. Toutefois, mes talents de guérisseurs sont plus adaptés aux situations d'urgence qu'aux soins réguliers. C'est la raison principale qui me pousse à faire toutes ses années d'études.
Judith Hamel voit bien que Da Susa est décidé et qu'elle ne pourra pas le convaincre de dévier de son chemin, du moins pas pour l'instant. Elle suppose que le jour où il réalisera l'ampleur des besoins du Dispensaire, il changera d'idée. Il ne lui parait pas être un méchant garçon, seulement un prince de la Capitale débarquant dans un territoire qu'il ne connaît pas. Elle est confiante, bientôt, il déchantera.
- Très bien. Dans ce cas, organisez-vous avec Tiffany pour déterminer vos disponibilités. Vous allez devoir m'excuser mais je dois m'occuper de monsieur Léonard.
Sebastião se lève et échange une poignée de main avec la femme qui part d'un pas rapide et déterminé vers la salle d'attente. Une famille a fait son entrée et à prit place sur les sièges. Alors qu'il s'approche du comptoir pour donner ses disponibilités à Tiffany, il perçoit une odeur surprenante dans un endroit aussi aseptisé que le dispensaire. Les effluves d'oranger et de jasmin, rehaussé d'une légère pointe épicée attirent son attention. C'est alors qu'il remarque que le jeune homme à la canne et la réceptionniste discutent avec la propriétaire du parfum.
- Vous êtes certains que ça ne vous dérange pas? demande Tiffany en tendant ses clefs à une fille dont les longs cheveux d'un rouge cerise ondulent le long de son dos jusqu'à sa fine taille.
- Ça va nous prendre dix minutes, répond la fille et Sebastião reconnait la voix de l'animatrice de radio. Je passe par chez Tae pour qu'il ramasse ses affaires, on récupère ensuite ta batterie pour l'emmener au local et je reviens te porter tes clefs. Ce n'est pas si compliqué.
- Mais, tu viens de passer la journée à la radio.
Sebastião a du mal à détacher son regard de Lysandre. L'air de rien, elle porte un pantalon cargo, des bottillons de randonnée et une veste à capuche ouverte, dévoilant un t-shirt à l'effigie d'un groupe de musique qu'il ne connaît pas. Elle tend une main aux ongles courts et propres, sans vernis vers Tiffany et les filles échangent un sourire.
- Et toi, tu viens de passer la journée au Dispensaire, Tiff. J'ai le temps de le faire et ça me fait plaisir. J'ai même le temps d'aller te chercher à souper aux Trois Sorcières.
- Vraiment? Lys, t'es un amour! s'exclame Tiffany en laissant tomber ses clefs dans la main tendue de son amie.
- On va te laisser finir ta journée, déclare Tae en poussant la porte du Dispensaire. On se revoit au local pour la répétition.
- À tantôt! chantonne Tiffany alors que l'animatrice de radio disparait dans le stationnement derrière son ami, son parfum s'évanouissant dans l'air.
- Prend un numéro, dit la jeune femme aux cheveux argentés d'un ton plein de cynisme sans même se retourner vers lui.
Sebastião sursaute, se tournant vers elle. Elle lui adresse un sourire espiègle, ses yeux, d'un violet surprenant aux pupilles verticales comme celles d'une vipère brillants d'un amusement évident.
- Au moins 75% des hommes et 50% des femmes trouvent Lysandre Kjeldström attirante. Les autres sont des menteurs. Si elle m'entendait, elle te dirait que j'exagère, mais elle est totalement inconsciente de ce qu'elle dégage. Comme ça, je dois t'ouvrir un dossier d'employé?
Le changement de sujet le déstabilise un peu. Il hoche la tête et glisse sa carte d'identité et son permis de conduire sur le comptoir afin que Tiffany puisse entrer ses informations. D'un geste de la tête, elle l'invite à venir la rejoindre de son côté du comptoir.
- Si tu as le temps, je vais préparer ton dossier et ensuite je te ferai faire la visite des lieux. Si on prend assez notre temps, je pourrai sûrement te la présenter lorsqu'elle reviendra avec mon repas!
- Ce n'est pas nécessaire, répond Sebastião, se sentant un peu mal à l'aise et stupide, prenant la deuxième chaise derrière le comptoir. Il suppose que cette Lysandre doit être une vedette locale, ce qui la rend certainement inaccessible. De plus, il a l'impression d'avoir déjà entendu ou lu le nom Kjeldström quelque part. N'ayant jamais habité la Vallée pour plus de quelques mois d'affilés au cour de sa vie, il ne connaît pas grand chose à la région.
- Certes, mais c'est amusant, dit Tiffany en lui glissant un formulaire et un crayon. Si tu veux bien inscrire tes informations de contact et tes disponibilités. Marc va t'appeler demain pour te faire signer le contrat d'embauche et te parler du salaire. C'est lui qui s'occupe des finances ici.
Le laissant à ses formulaires, la jeune femme se retourne vers sa dactylo et commence à créer le dossier d'employé. Sebastião, comme toujours, prend le temps de lire l'ensemble du document avant de remplir quoique ce soit. À sa machine à écrire, Tiffany tape, préparant tout le nécessaire. Elle est, pour le Dispensaire, bien plus qu'une réceptionniste. C'est elle qui s'occupe du réseau de communication entre les différentes équipes. Sur son étrange machine, elle grave une plaquette mécanique qui sera introduite dans un émetteur-récepteur qu'elle remettra à Sebastião en même temps que sa carte d'employé. L'appareil utilise les ondes radios d'un circuit spécialement adapté au vase clos de la Vallée, permettant aux équipes médicales ainsi qu'à d'autres privilégiés de communiquer entre eux en tout temps et peu importe où ils se trouvent dans la région.
Lorsqu'elle termine l'encodage, elle se penche et sort du tiroir du bas de son bureau le petit appareil noir qu'elle ouvre afin d'y introduire la plaquette qu'elle vient de sortir de sa machine à écrire. Ensuite, elle prend les formulaires que Sebastiao lui tend, lui remettant ses cartes d'identités dans un même mouvement. Survolant le formulaire afin de s'assurer qu'il ne manque rien, elle tend la main vers le photocopieur. Puis, un détail capte son attention. Au lieu de terminer son parcours vers l'appareil, la main manucurée de Tiffany dévie son chemin et s'empare d'une paire de ciseau.
Avec étonnement, Sebastião la regarde découper avec minutie une partie du formulaire qu'il vient de remplir avant de prendre la découpure en main et de la transformer, de façon incompréhensible, en une fine pierre grise qu'elle effrite du bout d'un ongle jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un amas de poussière.
- Ici, nous ne croyons pas aux taux de mutation, dit-elle d'une voix froide. Enfin, si, nous y croyons puisqu'il existe. Nous ne sommes pas des sceptiques incultes qui réfutent les preuves scientifiques. Disons plutôt que nous n'adhérons pas à la Loi 31.
Sebastião hoche la tête. Une partie de lui est soulagée. Cette nouvelle réglementation sur la divulgation du taux de mutation est dérangeante. Les conséquences dans la Capitale vont dans tout les sens. Un emploi, un accès à un certain établissement scolaire ou une subvention peuvent vous être refusé parce que vous êtes trop, ou encore pas assez Mutant. Heureusement, les soins de santé sont encore disponibles pour tous, mais Sebastiao suppose que la discrimination à ce niveau ne saurait tarder.
Tiffany glisse la feuille tronquée dans le photocopieur et termine ses opérations avant de bondir sur ses pieds en souriant.
- Viens, je vais te faire faire le tour! Ce n'est pas très grand, et c'est normalement toujours plein à craquer, mais c'est chez nous!
Tiffany lui présente le reste du personnel présent et lui fait faire la visite de la salle de pause.
- Nous avons également cinq chambres de patient dont trois peuvent accueillir deux occupants au besoin. Il y a du personnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre au Dispensaire, qu'il s'agisse de bénévoles ou d'employés. Malheureusement, toutes les opérations ne pouvant être effectuées en médecine d'un jour dans la clinique du pavillon des Sciences Médicales doivent partir pour PlaiaNueva à Orianda, c'est plus près que la Capitale. Évidemment, cela entraîne des coûts considérables dont les familles des malades n'ont pas besoin. La Fondation du Dispensaire et la Communauté du Révérend Vaughan font ce qu'ils peuvent pour aider, mais ce n'est pas toujours assez.
Les explications de Tiffany attristent Sebastião. Il est néanmoins surpris de la dévotion du personnel. Il rencontre une équipe motivée qui fait de son mieux pour améliorer la situation des habitants de la vallée.
Lorsqu'ils reviennent à la réception, un homme petit et mince aux cheveux blancs est assis derrière le comptoir. Il désigne d'un geste de la tête un sac de papier vert foret au lettrage d'un scintillant vert tendre annonçant Les Trois Sorcières.
- Mademoiselle Kjeldström a laissé ça pour toi. Elle dit que tes clefs sont à l'intérieur.
- Merci! Oh, Arthur, je dois te présenter Sebastião. Il sera bientôt sur l'équipe des premiers répondants.
- Enchanté, mon garçon. J'espère que nous n'aurons pas à nous voir trop souvent. Je suis le réceptionniste de nuit et je suis très heureux lorsque je n'ai pas à appeler les équipes d'urgence pour aller chercher un alpiniste égaré ou démêler les restes d'une famille accidentée.
- Je comprends, répond Sebastião en serrant la main de l'homme.
Après avoir ramassé son sac des Trois Sorcières, Tiffany accompagne Sebastião jusqu'à sa voiture.
- Je suis déçue, dit-elle. J'aurais vraiment voulu te présenter Lys. Il faudra que tu viennes aux Trois Sorcières un vendredi soir. Je vous présenterai.
- Non, refuse Sebastião en secouant la tête. Je n'aime pas particulièrement les bars.
Tiffany éclate de rire, ses cheveux argentés réfléchissant les derniers rayons du soleil assez puissants pour atteindre le fond de la vallée lorsqu'elle envoie sa tête en arrière.
- Les Trois Sorcières, ce n'est pas un bar, c'est un café. Mais ça fait rien, je suis convaincue qu'un jour tu viendras.
Avec un sourire taquin, elle lui bouscule l'épaule. Étrangement, il ne se sent pas envahi ou dérangé par ce geste très familier. Tiffany dégage quelque chose d'enthousiaste et charismatique qui la rend amicale et attachante.
- J'ai un bon feeling, dit-elle en s'éloignant d'une démarche dansante. À plus, et bienvenue à Boisclairs!
Se demandant à propos de quoi Tiffany a un "bon feeling", Sebastião prend place derrière le volant de sa voiture. Lorsqu'il démarre, la radio vient envelopper l'habitacle, la voix de l'animateur, bien que plaisante, n'arrivant pas à la cheville de celle de Lysandre Kjeldström.
Les paroles du Docteur Hamel lui reviennent en tête alors qu'il se glisse dans la circulation quasi inexistante de Boisclairs.
"Nous savons que votre famille a toujours fait d'énormes efforts pour garder vos capacités secrètes, mais après l'incident du Festival du Solstice, vous ne pouvez pas nous en vouloir de vous avoir fait venir ici."
Deux éléments ressortent de cet affirmation. Docteure Hamel est au courant de ce qu'elle qualifie d'incident ayant eu lieu lors du dernier Festival du Solstice, et elle admet que quelqu'un s'attribue sa venue à Boisclairs.
Pour ce fameux incident, il ne peut rien faire. Il ne regrette pas, et ne regrettera jamais d'avoir soigné l'enfant à la peau bleue que la foule a piétiné lors de la fusillade orchestré par un groupe terroriste se déclarant humaniste lors de la parade d'ouverture du Festival. Lui-même est encore un peu surpris de la puissance de ses pouvoirs de guérison, mais l'espoir qu'il a lu dans les yeux de la mère de l'enfant lorsqu'il a prit le petit corps mutilé de son fils dans ses bras vaut encore et toujours tous les ennuis qu'il a eu par la suite.
Possédant un taux de mutation si élevé qu'il se trouve à la limite supérieure de la catégorie des Mutants, il a pris conscience de ses talents très jeune. Guidé par ses capacités, il a toujours voulu soigner les gens, peu importe leurs origines et leur taux de mutation. Toutefois, jusqu'à la catastrophe du Festival, ses dons n'avaient jamais été très impressionnants. C'est d'ailleurs ce qui l'a incité à étudier les sciences médicales.
Son cheminement a été couronné de succès en dépit de ses dons difficiles à maîtriser, du moins, jusqu'à ce que l'émeute du Festival du Solstice lui fasse réaliser la vraie nature de ses talents.
Au départ, se retrouvant devant la femme à l'enfant piétiné, il s'était dit qu'il n'avait pas grand chose à perdre. Si personne ne tentait de soigner cet enfant, il n'avait aucune chance de survivre.
C'est à ce moment que son Talent avait fusé à une vitesse surprenante et avec une puissance invraisemblable, Ramenant l'enfant à un état qui ne nécessitait même pas une visite à l'hôpital. Il se demande encore, trois mois plus tard, comment il a pu réaliser un tel exploit. Il commence à soupçonner que la puissance de ses dons est directement liée à l'urgence de la situation, mais, à moins de mettre des gens en danger, il ne peut pas vraiment vérifier sa théorie.
En revanche, l'allégation voulant qu'on l'ait fait venir à Boisclairs est facile à vérifier. Dès qu'il arrivera à la ferme de sa soeur, il compte lui en parler. Clarissa lui dira tout; ils ne se sont jamais rien caché malgré leur incroyable différence d'âge.
* * *
Clarissa est dans la cuisine lorsqu'il fait son entrée dans la maison. De petite taille et très musclée, ses cheveux noirs remontées en queue de cheval, elle est constamment en mouvements. Née du premier mariage de Salvatore Da Susa et Mara Galierni, elle et Sebastião n'ont en commun que leurs yeux bleus vifs et intelligent. Si Clarissa ressemble aux Da Susa, Sebastião, lui, tient de sa mère, Ada Vassilieva, célèbre danseuse des Ballets Héridanniens dont Salvatore est soit disant tombé amoureux dès la première fois qu'il l'a vue danser.
- Salut, fait Clarissa en le voyant entrer. Je t'ai réservé une assiette dans le four. Et tu as intérêt à la manger car Esteban a failli faire la grève lorsque je lui ai interdit de se servir une troisième portion.
- T'aurais pu lui laisser, dit Sebastião en allant se laver les mains. Je me serais fait un sandwich ou quelque chose du genre.
- Ridicule. Les gars doivent se faire à l'idée que tu habites avec nous maintenant et qu'ils doivent partager.
Clarissa élève seule trois garçons, tous adolescents désormais. Mara, leur grand-mère habite également la ferme avec eux et lui apporte aide et soutient, mais Clarissa subvient aux besoins de sa famille admirablement en vendant la laine somptueuse de ses moutons et des légumes de ses jardins.
- Comment ça s'est passé en ville, demande la grande soeur, sortant l'assiette et les couverts pour son frère.
- Je vais travailler au Dispensaire. Sur l'équipe d'urgence. D'ailleurs, je vais peut-être devoir me trouver quelque chose là-bas. La ferme est un peu loin pour répondre en vitesse s'il y a une urgence.
- Je comprends. Mais es-tu certain d'en avoir les moyens? demande Clarissa, prenant place en face de lui.
- Le vieux paie tout mes frais d'études et Ada me fourni le reste. Je devrais pouvoir m'organiser.
Clarissa acquiesce en silence. Leur père n'est pas parmi leurs sujets de conversation préférés.
Le silence s'installe, confortable, alors que le frère mange son plat et que la soeur frotte une tache sur la chemise d'uniforme scolaire d'un des trois garçons. Carlos à en juger par la taille du vêtement.
- Clara, est-ce que quelqu'un t'a suggéré de me contacter avant que tu me demandes de revenir? demande Sebastião après un moment.
Ils n'ont pas l'habitude de passer par quatre chemins. C'est pourquoi le jeune homme est surpris lorsque sa soeur ne lui répond pas. De l'autre côté de la table, les mains de clarissa ralentissent leur travail mais elle reste silencieuse. Aussitôt, Sebastiao s'inquiète. Il pose ses couverts, préférant offrir toute son attention à sa soeur.
- Clara?
Encore un moment de silence puis Clarissa relève la tête, fixant son beau regard bordé de longs cils sur son frère.
- Jemmy m'a laissé entendre que tu étais en danger là-bas. En conséquences, lorsque l'émeute du Festival a eu lieu et que toutes ses rumeurs ont éclatées dans les journaux j'ai eu peur. J'ai demandé à Jemmy qu'il m'aide à pousser ton admission à l'École Supérieure et je t'ai rappelé à la maison.
- Donc, tu n'avais pas besoin de mon aide, conclu le frère, ce qui semble irriter Clarissa un instant avant qu'elle se reprenne. Le regard brillant elle lui répond d'une voix pleine d'espièglerie:
- Sérieusement, Sebino. À chaque fois que tu as passé les étés ici, tu n'as jamais servi à rien sur la ferme. Tu tiens beaucoup trop de ta mère pour être un fermier.
La boutade le surprend. Il secoue la tête, légèrement découragé.
- Je ne suis pas un fermier, tu as raison, mais ne crois-tu pas que tu exagères quand même un peu?
- Je n'ai pas besoin de ton aide ici, poursuit Clarissa, ignorant son commentaire. Par contre, j'ai besoin de toi en sécurité. J'ai besoin de toi vivant. Laisse les gens de la Capitale qui nous ont presque rejeté hors des frontières d'Héridann se battre entre eux. Je n'ai pas besoin que tu apprennes à traire des brebis ou à tondre des moutons. Les garçons le font de mieux en mieux. Mais j'ai encore moins besoin de me faire annoncer que mon... - la voix de Clarissa tremble et des larmes perlent sur ses iris azurés -que mon petit frère a été assassiné ou mutilé par une bande de fou pro humains ou je ne sais trop quelle connerie. Notre famille est déjà assez défectueuse comme ça, j'ai bien le droit de tenter de la préserver.
Sebastião est ému. Il ne se souvient pas de la dernière fois où il a vu sa soeur pleurer. Il se lève, contourne la table et vient la serrer dans ses bras. Clara appuie sa tête contre lui, la chemise tachée de Carlos froissée entre ses poings crispés.
- Cette tache, ce sont des gamins à l'école qui ont attaqué Carlos parce qu'il porte le nom Da Susa. Ils disent, sans doute sans comprendre l'ampleur de leurs paroles, qu'ils sont des membres de la Guilde Humaniste. Carlos s'est défendu, tu le connais, il a du mal à contrôler son mauvais caractère. Il a été suspendu de l'école pour s'être battu.
Sebastião caresse les cheveux de sa soeur sans un mot. Il comprend sa peur et son besoin de les avoir tous auprès d'elle, incluant lui. Il espère que la folie qui s'empare peu à peu de la Capitale ne se rendra pas jusque dans leur vallée. Boisclairs est un endroit particulier, un refuge pour plusieurs et il espère que cela ne changera pas.
Rapidement, Clarissa se ressaisi et le repousse gentiment.
- Allez, termine ton assiette, avant qu'Esteban ne rentre.
- Il peut avoir le reste. Tu m'en as gardé beaucoup trop.
- J'avais oublié que tu mangeais comme un oiseau, mon Sebino.
Les paroles de Clarissa le font sourire, tout comme les trois adolescents qui entrent en chahutant. Esteban, l'aîné, plonge directement vers l'assiette de son oncle.
- Va te laver les mains! ordonne la mère, se redressant. Carlos a fait ses devoir et ses leçons durant la journée, mais vous-deux, je suis certaine que vous en avez.
À l'insu de sa mère et de son aîné, Milo, le cadet, enfourne à toute vitesse une boulette de riz, le regard malicieux.
- J'y vais tout de suite! dit-il en prenant la fuite, après avoir adressé un clin d'oeil à Sebastião.
- Maman! Milo a tout bouffé! s'écrie Esteban en se retournant.
- Voyons, cesse de faire l'enfant, sermonne sa mère. Il en reste encore plein. Soit tu manges le reste soit tu vas faire tes devoirs.
Pendant ce temps, Carlos, le benjamin, se faufile dans le salon, cachant quelque chose qui gigote et qui miaule sous son vêtement. Sebastiao sourit, détendu. Il a l'impression d'avoir quitté cette ferme la veille. Et pourtant, cela doit bien faire six ou sept ans qu'il n'a pas mis les pieds dans la Vallée, car avant son inscription à l'École des Sciences Médicales de la Capitale, il a passé plusieurs années, sous la recommandation de Mara et Clarissa, chez un cousin à Orianda afin de suivre le cour intermédiaire.
Il quitte la cuisine et va rejoindre la matriarche sur la véranda. Elle tient un agneau sur ses genoux et lui donne le biberon en chantonnant de vieilles berceuses Oriandaises. Sebastião l'embrasse sur la tête avant de prendre place sur l'autre chaise.
- Tu aurais du rentrer à Orianda plutôt que de venir ici, dit Mara, retournant à sa langue maternelle en présence de celui qu'elle considère comme un petit fils plutôt que comme l'enfant de son ex-mari.
- Cela ne peut pas être si terrible, Abuellita.
- La vallée est prospère, les gens s'y sentent en sécurité et la communauté est tissée serrée. Évidemment que cela n'est pas si terrible. Des gens comme les Vaughan veillent sur nous et même les Kjeldström, maintenant que le vieux renard est mort, s'investissent pour la Vallée. Sauf qu'un jour, Le gouvernement Héridannais finira bien par se rappeler que nous existons.
- Qui sont ces Kjeldström, demande Sebastião, intrigué.
D'un geste, Marra pointe vers le nord de la vallée, où s'étend un vaste verger. Le plateau, encore illuminé par les rayons du soleil couchant verdoie, écrin d'émeraude autour du joyaux d'un lac cristallin.
- Ce sont d'étranges gens, venant du Schwartzland. On dit que le vieux renard a acheté ce plateau pour ériger un domaine pour sa descendance. Comme bien des Schwartzlandois, la malchance s'est abattu sur la famille. Des trois fils, un s'est suicidé, l'autre a été répudié parce qu'il préfère les hommes et le troisième s'est enfui avec l'idée de jouer les super-héros. Il a fini assassiné avec son épouse Oriandaise, laissant une adorable orpheline à son frère musicien. Le vieux Kjeldström a fait fortune, certes, mais il a perdu tout les siens.
- Parles-tu de l'animatrice de radio, Abuellita?
Marra lui fait un sourire moqueur, reconnaissant une note d'espoir dans le ton de son interlocuteur. Elle dépose le biberon sur la table à ses côtés et caresse la tête de l'agneau endormi dans ses bras.
- Tu l'as déjà vue? Tu viens à peine d'arriver!
- Elle était au Dispensaire pour venir chercher un ami.
- Il devait s'agir de Tae Vaughan, un des garçons du révérend Vaughan. Depuis que le pauvre garçon a eu son accident dans la montagne du Diable, ils sont inséparables.
Sebastião se surprend à être déçu. Il se demande pourquoi cette information l'incommode. Il a l'impression de ne pas vraiment avoir sa place à Boisclairs. Marra le remarque et serre gentiment son avant-bras de sa main ridée.
- Tu viens à peine de revenir, Nino, laisse-toi le temps d'arriver.
- J'ai l'impression d'être atterri dans un autre monde, soupire le jeune homme.
Marra dépose l'agneau dans un panier et le borde comme un bébé avant de se redresser péniblement pour observer les alentours.
- C'est un peu ça, tu sais? dit-elle d'une voix douce. Au Nord-Est, de l'autre côté de ses jolies montagnes verdoyante, il y a les Territoires du Schwartzland. À l'Ouest, derrière la Chaîne du Diable se trouve Héridann. Au Sud, une fine coulée d'eau de quelques kilomètres à peine de large nous sépare d'Orianda Et pourtant, personne ne se sent particulièrement lié à aucune de ses trois nations. Le gouvernement Héridannais nous ignore la plupart du temps et les autres ne peuvent pas vraiment intervenir en notre faveur puisque Héridann possède ce territoire.
Sebastião hoche la tête. Mara a raison, bien sûr. Soudain, d'un mouvement décidé, elle lui pointe le panier de l'agneau.
- Accompagne-moi à la bergerie. Je ne peux pas transporter Lolita jusque là et il fait trop froid pour la laisser dormir sur le balcon.
Prenant le panier, il offre son bras à la mère de Clara pour l'aider à descendre de la véranda.
- Profite de ta vie, mon Nino, ce n'est pas drôle d'être vieille.
- Mais voyons, Abuellita, tu n'es pas si vieille.
- Je suis bien plus vieille que je le voudrais, mon Nino... bien plus vieille. Et toi, tu es trop gentil de faire croire à une vieille femme qu'elle a encore de l'importance.
Ils font quelques pas en silence, profitant de l'air encore tiède, se laissant bercer par le chuchotement du vent dans les arbres au loin, l'écoutant caresser les pâturages des moutons.
- Tu sais, Abuellita, Ada ne m'a pas appris grand chose. Nous savons tous qu'elle n'a pas été une très bonne mère.
La vieille l'écoute, attentive. Sebastião ne parle pas souvent de sa mère, elle l'a trop fait souffrir lorsqu'il était enfant. La pauvre Ada n'était encore qu'une enfant elle-même lorsqu'elle s'est retrouvée enceinte. Pleine de rêve de gloire et de richesse, Mara sait que la danseuse à longtemps vu son fils comme un parasite nuisant à sa carrière. Est-ce pour ça qu'elle s'est autant attachée au garçon? Peut-être. Mais qu'importe, au fond, car celui qu'elle appelle affectueusement "mon Nino" lui rend si bien.
- Mais, il y a une chose qu'elle a tenu à m'inculquer, c'est que les gens âgés sont des trésors. Ils sont riches de connaissances, d'expériences et de sagesse et on a tout intérêt à les traiter avec tout le respect qu'ils mérites. Ada m'a souvent et beaucoup menti, Abuellita. Mais sur ça, elle avait totalement raison.
- Toi aussi, tu es un trésor, mon Nino, n'en doute jamais.
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