Envol
CW : passages sombres
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Ses cheveux battaient son visage, fouettés par le vent qui jaillissait de la fenêtre. Sasha, le coude posé sur le rebord, regardait depuis déjà une heure la ville et le béton qui la recouvrait. Paysage morne.
L’heure était venue. Ses pieds quittèrent le sol pour venir s’appuyer sur le mur et enfin passer à travers l’embrasure de la fenêtre. Sasha s’assit là et ses jambes vinrent se balancer dans le vide, dans les vingt-sept mètres qui séparaient son corps du sol, pendule régulier qui rythmait ses respirations. Le soleil naissait à peine au milieu des nuages de pollution et caressait le monde de ses rayons. Sasha n'arrivait même plus à s'émerveiller devant ce spectacle qui hypnotisait des personnes chaque jour.
Une fatigue étouffante pesait sur son esprit et engourdissait la moindre de ses pensées, chape de plomb qui l’empêchait d’agir et de réfléchir. Ce qui était autrefois ses passions l'ennuyait maintenant au plus au plus haut point. Mais tout cela prendrait bientôt fin : son salut n’était qu’à un pas. Un sourire dévorant envahit son visage.
Ses doigts grattaient le mur avec douceur comme s’ils cherchaient à trouver un trésor en dessous. Le trésor se trouvait en bas, cependant, la peur des regrets retenait ses gestes pour encore quelques secondes. Son choix était définitif et sa vie prendrait un tournant tel qu’un retour en arrière serait impossible. Le plus beau tournant de sa vie. L’envol.
Sasha poussa de ses mains et ses pieds et projeta son corps frêle à travers la fenêtre. Le vent sifflait dans ses oreilles comme des hurlements de créatures monstrueuses et jouait de ses doigts fins dans ses cheveux ébouriffés. Sa chute lui paraissait durer une éternité et ses yeux se fermaient lorsqu’une douleur sourde envahit ses membres.
Le cri qui montait dans sa gorge se transforma en grondement féroce alors que tout son corps se métamorphosait. Une longue queue hérissée de piques poussa dans le prolongement de sa colonne vertébrale et son dos se déchira pour laisser échapper de gigantesques ailes pourpres et parcheminées. Sa peau se recouvrait intégralement d’écailles écarlates et son volume dépassa presque celui d’une maison, de même que son poids.
Son cœur battait aussi vite que ses ailes qui l’emportaient au-delà de la pauvre cour sur laquelle ses yeux se posaient tous les jours, vibrant et palpitant. Sasha contemplait enfin ce qui avait été sa prison de béton et de verre pendant dix-sept longues années de haut, dominant la ville comme si elle était son royaume.
Malgré ses écailles rouges et rutilantes et le tonnerre que provoquaient ses ailes, les regards ne se levaient pas pour observer son passage dans le ciel. Les gens restaient fixés, emprisonnés dans les contraintes et les routines qu’ils avaient eux-mêmes forgées. Personne ? Non, son regard effleura celui d’une fillette aux jolis yeux bleus qui s’ennuyait sur le banc de son école et qui dévorait le ciel par la fenêtre pour faire passer plus rapidement le temps. Quand elle raconterai à sa maîtresse, à ses parents et à ses amis qu’elle avait vu un immense lézard rouge qui traversait les nuages, ils féliciteraient simplement son imagination sans oser la décevoir ou la blesser.
Sasha espérait que cette fillette soit elle aussi capable un jour d’étendre ses ailes et de s’envoler si elle étouffait parmi les hommes. Elle ne pouvait pas devenir un autre de ses clones sans vie qui finissaient leur vie noyés sous les cadavres des rêves qu’ils n’avaient pas sû suivre. Elle saurait prendre son envol, un jour, quand elle serait prête. Elle suivrait ses traces.
Le soleil se gonflait enfin de toute sa taille face à Sasha. Il transperçait de ses rayons les ailes de cuir et ricochait sans un bruit sur son corps qui ondulait à travers les nuages. La distance qui les séparait s’amenuisait au rythme de ses battements d’ailes et son but se trouvait tout proche.
Un majestueux rugissement jaillit de sa gueule quand la silhouette de la ville disparut derrière les nuages cotonneux. Rugissement qui se mua en une gerbe de flamme grandiose qui vint lécher la face du soleil comme le défier de briller plus qu’elle.
Son museau, ses ailes, son échine hérissée de piques et enfin sa queue se fondirent alors dans la lumière. Tout son corps devint une myriade de particules d’or que le vent eut vite fait d’apporter au soleil, tandis que toute sa conscience se fondait dans l’astre gigantesque. Sasha n’était plus qu’éclats et extase.
Beaucoup plus bas, là où tout est gris, dans la cour, un attroupement s’est formé. Des gens, des femmes, des hommes, des anonymes, regroupés en cercle. Les murmures qui en jaillissent par intermittence sont teintés de mille nuances de stupéfaction, d’horreur et de tristesse. Un rayon de lumière transperce une larme comme une lame, la faisant paraître aussi éclatante qu’un cristal. Elle est vite rattrapée par une manche : elle ne doit pas tomber sur le corps. Le soleil brille bien trop fort pour un événement si tragique.
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Hello ! Me revoilà pour un nouveau texte ^^
Je l'ai écrit sans contexte particulier, en me donnant une petite contrainte au niveau du style ! Est-ce que vous avez trouvé ?
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