En équilibre

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— Alice ! cria-t-il de tout sa voix. Alice, putain ! ALICE !

    L’exclamation résonna dans la nuit calme. Une tête pointa enfin sur le rebord du toit et la dénommée Alice se pencha pour observer celui qui l’appelait. Elias tournait en rond, les mains tremblantes et le nez relevé vers le ciel étoilé.

— Oui ? fit-elle d’un air ennuyé, comme si elle ne savait pas ce qu'il allait lui dire.

— Descends ! Putain tu sais que le toit de cette baraque est pas stable ! Qu’est-ce que tu fous là-haut ? Allez s’il te plaît, arrête tes conneries et descends.

— Hé calme-toi ! Je suis pas ton chien, c’est bon j’arrive.

    La jeune fille habillée en noir se laissa couler le long du toit penché et troué puis glissa à terre, retombant sur ses pieds malgré quelques vacillements. Son ami se précipita immédiatement vers elle et s’arrêta à deux pas, comme s’il hésitait à la prendre dans ses bras.

— Pourquoi t’étais là-haut ? la questionna-t-il avec empressement. Tu sais que c’est dangereux en plus bordel, Viv est déjà tombée parce que le toit s’est cassé ! Ne me dit pas que tu pensais que tu pensais que ça s’était arrangé entre temps, je vois bien que la grange est encore plus délabrée que quand je suis parti.

Soupir.

— C’est rien Eli, laisse tomber, lâcha la jeune fille en détournant les yeux.

    Il lui jeta un regard sombre puis elle commença à s’écarter pour rejoindre les autres dans le bâtiment. Le jeune homme resta un instant sans bouger, puis il avança pour la rattraper et s’empara de son bras pour la faire se retourner vers lui. Elle se dégagea vivement.

— Putain ! gémit-elle avec une grimace de douleur.

— Merde ! fit Elias, la lâchant immédiatement. Désolée.

— C’est rien. Comme le reste, sourit-elle avec son air cynique.

— C’est pas rien, murmura-t-il avec plus de douceur qu’auparavant. Je t’ai expliqué la raison de mon absence et ce qui s’était passé durant ce laps de temps, mais tu ne m’as pas encore parlé de toi. Qu’est-ce qui s’est passé Alice ? Et ne me dit pas “rien”, je sais bien que c’est faux.

— C’est compliqué…

— Parce que la mort de ma mère c’était pas compliqué peut-être ? Tout est compliqué, mais c’est pas une excuse pour faire l’autruche et se dire que tout va bien.

    Nouveau soupir. Alice, qui tenait toujours son bras serré contre elle, regardait vers le sol et cachait son visage fatigué sous ses cheveux. Elle ne répondit pas tout de suite et fit un signe de tête pour lui demander de la suivre. Elle se dirigea ensuite vers la bordure de la forêt qui entourait la grange et s’assit sur un tronc d'arbre couché à terre. Il s’installa à ses côtés. 

— Allez parle, l’incita-t-il après une longue minute de silence. Ton petit ami, ton chat, ta mère, ton père, ton grand-frère…

— Alex est un connard.

— Ça m'étonne pas. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Il… Il… Il voulait…

    Elias prit la main de son amie dans la sienne et la pressa en douceur. Après un petit temps d’hésitation, il entoura avec son bras son épaule et attira Alice contre lui pour lui faire un câlin. Elle continua alors à narrer d’une voix hachée, comme si les mots lui brûlaient la langue mais qu’elle voulait les retenir malgré tout.

— Je voulais pas. Il forçait. Tout le temps. Il a fini par me tromper, puis quand je l’ai découvert, il m’a quittée. Il m’a dit que j’étais qu’une gamine pathétique et dépressive et que de toute façon, il ne m’avait jamais aimée. J’ai aucun mal à le croire.

Elle tressaillit en sentant la pression sur sa main gagner en intensité, puis il la lâcha soudainement en prenant conscience de la douleur qu’il lui causait. Le jeune homme se remit debout et commença à tourner en rond en fulminant.

— Putain mais quel connard, l’enfoiré, je vais le tuer, merdre… J’aurais dû être là.

— Oh calme-toi… Je t’ai pas dit ça pour que tu culpabilises, et c’est du passé.

— Non merde, c’est pas juste du passé, il mérite de crever pour ce qu’il t’a fait.

— Il a raison, murmura-t-elle si faiblement qu’elle espérait qu’il ne l’avait pas entendue, en levant ses yeux humides vers les étoiles.

— Non ! Bien sûr que non ! s’écria-t-il vivement. Tu n’es pas ce qu’il dit, c’est un enfoiré, prends pas en compte toutes les conneries qui sortent de sa bouche !

— Ouais, lâcha la jeune fille en détournant son regard.

    Elle se leva. Alors qu’il la regardait arranger ses cheveux, il vit se découper sur un fond étoilé ses mains tremblantes comme des feuilles mortes au vent, et il se mit debout à son tour. Quand il l’appela de nouveau, elle ne répondit pas et resta là, à fixer le sol. Quand elle releva enfin la tête, un rictus sarcastique était placardé sur son visage telle une tenture étendue sur un mur pour en cacher les dégâts.

    Elle commença à partir vers la grange et il resta là, sans savoir que faire. Il avait trop longtemps perdu contact avec elle et, au moment où elle avait le plus besoin d’aide, il ne parvenait pas à renouer ce qui les liaient auparavant. Elle lui paraissait inaccessible.

    Elle s’arrêta à nouveau et attendit un long moment. Les deux adolescents, aussi perdus l’un que l’autre, avaient la sensation de retrouver quelqu’un avec qui ils avaient été très proche sans vraiment que ce soit lui.

— J’avais besoin de toi. J’ai arrêté de fumer. J’ai arrêté de me droguer. Enfin, t’étais déjà parti au moment où j’ai commencé mais j’ai réussi à arrêter ensuite. J’ai essayé de me tuer. Liam est allé à l’hôpital. Etienne s’est disputé avec ses parents, qui se sont séparés aussi. Élora a arrêté de manger. Et même avec tout ça, j'arrive pas à t'en vouloir et je suis juste heureuse de te retrouver.

— T’as… Quoi ?

— Je suis désolée.

— Alice… chuchota-t-il, les larmes aux yeux, en allant la prendre dans ses bras.

    Après une brève étreinte, elle se dégagea légèrement et fixa le sol. Puis elle releva sa tête et fixa son regard sur ses avant-bras, recouverts par ses manches. Elias plongea ses yeux bleus dans les siens et posa avec douceur ses mains sur les poignets de son amie. Celle-ci releva d’une main tremblante son long tee-shirt qui masquait ses bras.

    De longues coupures irrégulières parsemaient les avant-bras de la jeune fille. Les plaies étaient pour la plupart visiblement vieilles de quelques semaines, mais certaines dataient de très peu de temps. Une larme glissa et heurta le bras de la jeune fille, se faufila entre les montagnes de peau abîmée, puis forma un léger ruissellement qui goûta enfin au sol.

    Elias serra délicatement Alice dans ses bras et posa sa tête sur son épaule. Elle fit de même et ils laissèrent échapper toutes les larmes qu’ils retenaient depuis plusieurs années. Ils rejoignirent ensuite les autres, la nuit reprit son cours et les mots coulèrent à flot à la place des pleurs.

***

Voici un nouveau chapitre ! C'est le retour d'Alice et d'Elias, j'espère qu'il vous plaira.

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