| Chapitre 5 |


Ça fait peut être une semaine environ que c'est arrivé. Je n'arrive toujours pas y croire...
Les bombardements se succèdent de plus en plus violents et de plus en plus réguliers. Les gens commencent à désespérer, à croire que jamais ce cauchemars ne finira.
Moi tout ça ne m'atteint même pas. J'ai l'impression d'avoir été vidée de toute conscience, il n'y a même plus de place dans mon esprit pour me laisser le loisir de penser. La douleur me détruit de l'intérieur et aucun bombardement ni bataille ne sera assez puissante pour surpasser cette souffrance qui m'empêche de respirer sans m'affoler.
J'agis comme un automate, je bouge seulement si j'y suis obligée, je ne mange que très peu et je ne me souviens plus de la dernière fois ou j'ai dormis.
Je suis comme anesthésiée à la tristesse du monde qui m'entoure, le mien est trop insupportable.

Je sais bien que tout le monde meurt un jour, que tout le monde perd des gens qu'ils aiment...
Je me croyais forte et assez grande pour surmonter ça... Mais j'avais tord.
Je suis cassée. Complètement brisée. Je me croyais forte mais je n'était pas prête à... à le perdre lui.
Mais le malheur qui s'est emparé de moi à plusieurs visages...
La culpabilité quand je regrette d'être en vie. Parce qu'il est évident que c'est lui qui méritait de vivre. Pas moi.
La colère quand j'ai envie de frapper de toutes mes forces dans un mur ou quand je rejette la faute sur la guerre... C'est d'ailleurs peut être ça qui fait le moins mal, mais je me sens si faible de choisir parfois cette facilité de ne pas vouloir assumer la vérité.
L'absence... Quand je le cherche des yeux dans la foule... Quand je cherche son regard doux et ses bras protecteurs. Mais je ne vois que des fantômes... Des souvenirs de lui partout où je vais.
Et enfin, le pire de tous... Celui que j'ai le plus de mal à comprendre. Le fait de ne rien pouvoir ressentir. Parce que ça, c'est comme si on vous enlevait votre vie toute entière parce que sans cette personne, vous n'êtes qu'un corps sans âme. Et c'est ce que je supporte le moins. J'aurais du mal à poser des mots sur ce sentiments... Tout ce que je peux expliquer, c'est que je suis au dessus d'un précipice. Et que absolument rien ne me retient de tomber.

Parce qu'il n'est plus là.

Toutes les couleurs ne sont que du gris pour moi... Chaque voix n'est qu'un son lointain et tous les paysages ne sont que des dessins d'enfants.

Je n'ai plus pleuré depuis la nuit où ça s'est passé.
Notre maison est à moitié détruite alors en attendant que les réparations sois terminées, nous dormons chez les Wilson.
J'aurais préféré dormir dans la grange mais maman à insisté pour que je m'éloigne de la maison un moment...
Maura essaie du mieux qu'elle peut de réconforter ma mère mais quand on perd son enfant, je crois qu'il n'y a pas de pansement qui existe pour panser cette blessure.
Je crois que Margot va bien. Du moins ce qu'on peut aller bien quand son grand frère vient de mourir.
Quand à moi, je me contente de laisser mon regard vide se perdre dans le néant. Mon voisin qui est médecin m'a proposé des anti-douleur... Mais justement, il n'y a rien à ressentir a part l'absence totale de celui qui me rendait vivante.
Je surprend parfois Ethan entrain de me fixer avec inquiétude du coin de l'œil.

Il est un peu plus de midi et je suis assise sur la colline occupée à arracher l'herbe frénétiquement. J'essaie de me concentrer sur ce que je ressens pour être sûre de ne pas avoir perdu mes sensations. Depuis que j'ai réalisé que se sentir vide était affreusement malsain c'est ce que j'essaie de faire. Ça ne donne pas grand chose mais ça m'occupe l'esprit.
Le vent me caresse la peau et fait voler mes cheveux.
L'herbe chatouille légèrement mes mains osseuses et mes jambes squelettiques sont étendues sur le sol.
Le soleil fait briller mes yeux et éclaire mes iris claires.
Je m'impose un rythme pour respirer car j'ai perdu ce geste pourtant automatique. J'inspire par le nez. J'expire par la bouche. Et quand l'air passe entre mes lèvres vermeilles, je sens ma poitrine se baisser.
L'odeur des fleurs me calme et les ombres des arbres sont comme des monstres dessinés à l'encre. L'hiver est proche mais pas encore destructeur.

- Me repousse pas, demande doucement une voix que je connaît bien.

Je ne le regarde pas mais je ressens sa présence.
Je sens qu'il veut dire quelque chose, n'importe quoi. Mais il ne trouve aucun mot adéquate... Moi non plus je ne saurais pas en trouver. Je ne sais même pas si le silence me fait plus de bien que des mots dépourvus de sens. Mais parfois, le silence en dit bien plus que des phrases choisies inutilement.

- Je me sens bête de pas savoir quoi te dire, dit Ethan en soupirant.

Je sais qu'il n'attend pas de réponses de ma part. Il sait que Jason était important pour moi... Alors je ne me sens pas obligée de répondre. J'ai envie qu'il continue de parler... Ses mots me rassurent et sa voix m'apaise.

- Je dois te saouler avec mes phrases stupides... Mais je me sens vraiment obligé d'essayer de te montrer que je suis là pour toi.

T'es pas obligé Ethan... pensais-je.

Il soupire doucement et prend ma main. Je sursaute légèrement, surprise de ce geste que je ne repousse pas. Il entrelace nos doigts et dit :

- Serre ma main une fois pour oui et deux fois pour non. Tu te sens bien ?

Je souris intérieurement du mal qu'il se donne pour que je me sente bien. Ça lui tient vraiment à cœur que j'aille bien. Alors même si je ne sais pas comment je vais... Je serre sa main une fois. Je le sens sourire un peu et ça me fait plaisir.
Il caresse le dos de ma main avec son pouce et me parle encore.

- Je peux faire quelque chose pour toi ?

Je serre sa main deux fois.
Non Ethan... À moins que tu es une machine à remonter le temps, tu ne peux rien faire.

- T'as envie de parler ?

Je tourne doucement la tête vers lui et je me plonge dans ses yeux bleus marines. On se regarde un petit moment et je fini par trouver la force de chuchoter :

- Merci.

Je me rapproche de lui et pose ma tête sur son épaule. Je garde ma main dans la sienne et de son autre main, il me caresse les cheveux.
Je ne sais toujours pas si je vais bien. Mais je sais une chose, ça va aller. Pas aujourd'hui ni demain. Mais oui, ça va aller.

Quelques jours plus tard, j'étais en chemin vers le village des plus riches pour leur apporter le linge que ma mère à repassé. J'arrive devant l'immense maison des Jacobs. Je toque à la porte peinte d'un bleu turquoise et Mme Jacobs vient m'ouvrir, habillée d'une élégante robe de plusieurs tissus. Ses cheveux relevés en un chignon complexe elle m'invite à entrer et me serre une tasse de thé. D'habitude c'est à peine si elle me regarde... J'ai horreur de la pitié mais je ne peux pas me permettre de faire perdre un client à maman. Alors je prend la tasse et bois de petites gorgées.

- Alors, dit-elle, comment allez vous ?

J'avale de travers et je manque de m'étouffer. C'est une blague ?

- Je suis désolée, s'excuse-t-elle, j'essaie simplement de détendre l'atmosphère.

Détendre l'atmosphère ? Sois elle est terriblement stupide sois elle se fou royalement du fait que j'ai perdu mon frère il y a moins d'un mois. Ou même un peu des deux.

- Oh fait, se rappelle-t-elle subitement, mes condoléances !

Elle me regarde intensément comme si elle attendait que je dises quelque chose. Je dois répondre quoi ? Merci ? Elle rêve !

- Vous pouvez garder vos condoléances, je vivrais parfaitement sans, répondis-je en la défiant du regard.

Elle semble un peu choquée et vexée mais reprend son petit air mi-supérieur mi-compatissant.

- L'avantage, c'est qu'il y aura moins de bouches à nourrir. J'imagine que vous avez besoins d'argent.

Elle dit ça tellement naturellement et spontanément que j'ai envie de vomir. Comment peut elle se regarder dans un miroir avec cette mentalité ? C'est écœurant de voir comment les riches pensent sincèrement que l'argent fait tourner le monde et que on est digne d'exister seulement si on en a.

- Je donnerais ma vie pour celle de mon frère, dis-je froidement. Mais bien sur c'est quelque chose que vous ne comprenez pas.

- Oh, je comprend parfaitement. J'ai peut-être été un peu brusque ?

- Je ne m'attendais pas à plus... Quand on ne manque de rien, on s'en fou de ce que peuvent ressentir les autres.

Elle paraît très vexée et irritée. Non mais sérieux, ce serait pas plutôt à moi d'être vexée ?

Elle m'invite poliment à sortir et je m'en vais avec une petite poignée de pièces qu'elle me donna.
C'est d'ailleurs sûrement la dernière somme d'argent qu'elle donnera à ma famille.

Je retourne chez moi en ruminant. Pourquoi le malheur ne s'abat que sur ceux qui n'ont plus rien ? Pourquoi des gens comme les Jacobs n'ont pour seul problème le choix de leur vêtement le matin ?
La vie est faite d'injustices... Et malheureusement on peut rien à ça.

Je retourne donc chez les Wilson et je vois Margot sautillant partout et ma mère entrain d'enlacer quelqu'un. Je suis bien trop loin pour voir de qui il s'agit, je suis encore près de la lisière de la forêt, même en plissant les yeux je ne vois pas grand chose. Soudain, le regard de Margot croise le mien et elle tire sur la manche de la personne qui est dans les bras de ma mère.
Ils se séparent et mon cœur s'arrête pendant une seconde. Non c'est impossible...
Je me pétrifie totalement.

- Jason... murmurais-je.

La silhouette se rapproche lentement de moi. Et au fur et à mesure, je perçois les traits du visage, les yeux, les cheveux...
Ça ne peut être qu'une illusion, je suis en plein délire !

Mais quand il est assez proche de moi pour que je reconnaisse tout de lui, je me met à courir comme une folle vers lui. Lui aussi se met à courir vers moi et nous nous fixons dans notre course.
Nous courons et nous courons, notre respiration saccadée et notre esprit concentré sur le visage de l'autre.

Quand j'arrive devant lui, je lui saute au coup et il enroule ses bras autour de ma taille en me faisant tourner.

- Jason c'est toi. C'est bien toi... murmurais-je en le serrant très fort contre moi.

Je le serrais très fort et me blottissait entre ses bras. Je me foutais du pourquoi du comment il était en vie. Il est là et c'est tout ce qui compte pour moi.
Que cet instant soit réel ou pas, je l'aime et je veux juste le stopper et profiter de ce moment au maximum.

- Tu m'as tellement manqué Bess... chuchote-t-il en enfouissant son visage dans mon cou.

- Je croyais que t'étais mort... dis-je en me retenant de pleurer et en riant nerveusement.

- Je suis là... me rassura-t-il. Je suis là.

Nous restons un long moment dans les bras de l'autre et quand nous décidons de rentrer, il m'entoure les épaules de son bras. Ma mère pleurait de joie et Margot souriait comme jamais.
Jason se sépara de moi un moment et souleva dans les airs ma petite sœur qui riait aux éclats. Il la couvre de baiser sur les joues et le front. Il enlace une nouvelle fois ma mère et grand-maman.
Maura, Tim et Ethan nous regarde en souriant.
Jason revient vers moi et je m'accroche à lui de toutes mes forces. Toute la peine que j'ai accumulé ce mois-ci s'en va et je me sens sereine.
Je restais collée à lui toute la journée et quand vint le moment du diner, nous nous asseyons autour de la table et Jason nous explique ce qui s'est passé.

- Quand tu es partie avec les soldats, commence mon frère en me regardant avec tendresse, j'étais certain que j'allais y rester. Je crois que je me suis évanouie à cause de la fumée et quand je me suis réveillé, des médecins et des militaires sont venus me chercher. J'étais dans un piteux état alors ils m'ont directement emmené à Londres pour me soigner. Je remercie encore le ciel de m'avoir envoyé des soldats bienveillants ! Sinon je ne serais peut être pas là...

Je frissonne en entendant ça et en me voyant, il prend mes mains. Puis il continue :

- Le voyage entre Brighton et Londres à pris une journée entière en voiture et je me sentais très mal. Ils m'ont transféré dans un hôpital et j'ai reçu des soins. J'étais étonné d'être soigné vu ma classe sociale... Mais je crois que vu la gravité des choses, ils ne faisaient pas attention de l'identité des malades. Ils m'ont renvoyés à Brighton et ils m'ont laissés sur la place du village. Ils faisait nuit et j'entendais des coups de feu alors j'ai passé la nuit dans une caisse de riz. Le lendemain, j'ai suivi un chemin dans la forêt pour ne pas être vu. Et... Me voilà.

- Le ciel soit loué... dit ma mère.
- Et comment tu te sens ? demande Maura.
- La fumée à endommagé mes poumons et j'ai une sorte de fièvre qu'ils disent "potentiellement grave mais pas toujours mortelle". Mais je ne penses pas que ce soit si grave.

Ma mère sursaute en entendant le mot "mortel". Moi, je sais que Jason ne mourra pas de cette maladie. Il a survécu à un bombardement, alors pourquoi pas à une fièvre ?

Cette nuit là, je dormis paisiblement.
Je dormis une journée entière car je n'avais pas bien dormi depuis plusieurs jours.
Je me réveille en ce Dimanche matin dans la maison des Wilson. Je tourne la tête et je vois Margot allongée à côté de moi, ses yeux grands ouverts.

- Coucou ! dit-elle en souriant.
- Coucou Margot, souriais-je.
- Tu es heureuse aujourd'hui ? dit-elle d'un air innocent.
- Oui, terriblement heureuse.

Elle rit et m'assure que elle aussi.

Nous allons vite nous laver et nous changer pour l'Appel.
Nous attendons une charrette et nous partons.

- Ai pas peur Bess, dit Jason. Tout va bien aller maintenant.

Je me force à lui sourire et il me plaque un baiser sur la joue.

Nous arrivons sur la place et nous nous mettons dans la queue.
J'attend et j'avance jusqu'à entendre ma famille.

- Jason Éric Jackson !

Quand les militaires posent les yeux sur mon frères et sur ses nombreux bandages, ils s'étonnent. De toute évidence, tout le monde est au courant de ce qui s'est passé...

- Elisabeth Diana Jackson !

Je m'avance et ils cochent mon nom. Je reconnais le soldat qui m'a noté et il me lance un regard supérieur. Je maintient le regard.

Une fois que la distribution des matières premières est finie, un commandant demande l'attention et fait une grande annonce :

- Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, commence-t-il. Comme vous le savez, l'Amérique fait pression sur nous et les bombardements se multiplient. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de riposter vu notre manque de volontaires pour rejoindre l'armée. Nous sommes conscient que la majorité des hommes de vos familles se battent bravement pour l'honneur de notre pays. Mais cela ne suffit malheureusement pas. C'est pour ça que nous vous imposons une nouvelle loi : Un homme de chaque famille de plus de 16 ans devra se présenter à cette place même demain matin à la première heure !

Le silence s'installe pendant plusieurs minutes. Puis, des pleures, des cris, des gémissements et des protestations. Cela ne cessera donc jamais... Nous n'aurons donc jamais de paix ? Il faudra toujours une ombre sur le tableau.

Mon père est déjà engagé... Le seul homme qui reste dans notre famille est... Jason. Je le regarde complètement paniquée et je plaque mes mains sur ma bouche pour ne pas hurler. Il me prend dans ses bras rapidement et me chuchote que tout va bien se passer... Mais c'est faux. Rien ne se passe jamais comme on l'espère. C'est ce qu'on appelle la guerre.

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Et noooooooon ! Jason n'est pas mort ! Ahah désolée de vous avoir fait peur ^^
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