Chapitre 5
J'entends du bruit. Une respiration. J'essaie d'ouvrir mes paupières, mais je n'y arrive pas. Je me concentre donc sur les bruits. Un bruit de verre que l'on repose sur une plateforme. De l'eau qui bouge. Je sens quelque chose sur mon front. Une serviette mouillée.
- Chut... Calme-toi. Respire. Insipre, expire, souffle une voix qui me semble familière.
Je fais ce qu'il me dit. Je tente une nouvelle fois d'ouvrir mes yeux. Une nouvelle tentative, vaine. C'est ce que je crois, jusqu'à ce que quelque chose devant moi attire mon atention. Le fameux verre d'eau éclairé. Mes yeux sont donc ouverts. Je regarde autour de moi et aperçoit une silhouette. Elle appartient sûrement à la voix que j'ai entendue. Je plisse un peu les yeux pour mieux la distinguer dans la pénombre.
- Père...?
- Oui, me répond-t-il
- Où sommes nous ?
- Dans le salon, sur le canapé.
- Quelle heure est-il ?
- Ving-trois heures.
Suite à sa réponse, j'essaie de me lever. Mais il me dit de rester couchée.
- Nous devrions être couchés. Si les Commandants apprennent que nous sommes réveillés, ils nous sanctionneront.
- Il ne l'apprendront pas, répond mon père. Comment te sens-tu ?
Je ne comprends pas sa question. Cette même question qu'il m'a déjà posée. Cependant, la réponse à celle-ci m'échappe.
- J'ai mal à la tête.
Je ne comprends pas la réponse non plus. Qu'est-ce que ça veux dire ?
- Il y a cinquante ans, un scientifique a créé un remède capable de ne plus nous faire ressentir quelque chose. Ce scientifique a décidé de l'administrer à la population. En apparence, ce n'était pas une mauvaise chose. Le monde était détruit et les gens cruels. En leur administrant ça, peut-être que le monde redeviendrait comme avant. Cependant, ce remède ne supprimait pas que les mauvais sentiments tel que la colère, la jalousie... Non, il supprimait également les bons, comme la joie, l'amour, l'amitié... Ces-derniers rendaient le monde magnifique. Au début, quelques semaines après avoir donné le remède à la population, tout se passait bien. Le monde retrouvait de ses couleurs. Mais, un jour, le scientifique à découvert une personne qui ressentait encore des sentiments et émotions. Il ne comprenait pas, ça marchait sur tout le monde sauf lui. Stan More. Il lui réinjecta le remède, seulement, rien ne changea. Stan ressentait toujours des choses. Peu de temps après, Stan disparut.
Mon père arrêta son dicours. More, sentiments, émotions, scientifique... Je ne comprenais pas. Comment mon père pouvait prononcer les mots interdits ? Et puis, qu'est-ce que ma famille avait à faire avec toute cette histoire ? Je regarde mon père, attendant une explication.
- Stan était mon père, autrement dit, ton grand-père. Stan aurait pu être une exception. Mais, il s'avère que toute la famille More est insensible au remède. Tu es insensible, tu ressens des choses. Je ressens aussi des choses. Ces choses que nous appelons mauvaises. Les Commandants ne sont pas au courant que nous ressentons cela. Cependant, ils nous surveillent. Pour ma part, je me fonds dans la masse pour qu'ils n'aient pas de doute. Tu vas devoir faire pareil.
Il s'arrête de nouveau. Je ressens donc des... sentiments ? Je pourrais ne pas le croire, mais c'est mon père, ma famille. Et puis, pourquoi me mentirait-il ? Mais, si mon père et moi ressentons des sentiments, ça veut dire que ma mère et Stayley aussi ? Comme si mon père avait entendu ma question, il me répond :
- Ta mère ne ressent rien. Le remède fonctionne sur elle.
- Pourquoi ?
- Elle ne descend pas de Stan. Elle n'a donc pas son sang.
- Mais, j'ai aussi son sang... et je ressens des choses.
- Oui, mais il semble que mon sang, celui des Immunisés, est plus fort que celui de ta mère.
- Les Immunisés ?
- C'est comme ça que nous sommes surnommés. Stayley ne peut rien ressentir non plus. C'est un Immunisé par génération. Tu es l'Immunisée.
- Comment sais-tu qu'il n'y en a qu'un par génération ?
- Stan avait une soeur, elle n'était pas insensible au remède. Quand Stan a eu des enfants, moi et... mon frère, il nous a fait part de sa théorie. Elle s'est révélée vrai.
- Ton frère ? Mais tu n'as pas de frère ?
- Si, Antoine. Il a disparu peu de temps avant ta naissance.
Je ne savais pas que mon père avait un frère et donc, que j'avais un oncle. Pourquoi m'a-t-il caché ça ?
- Il faut que tu remontes dans ta chambre, dit-il en regardant par la fenêtre. Nous en reparlerons demain.
Je me lève doucement et monte me coucher. Quand je suis dans la chambre, je regarde Stayley. Elle n'est pas insensible... Je suis l'Immunisée.
Le lendemain, je me lève et commence ma routine du matin. Sous la douche, je repense à la veille. Autant de révélations en une soirée. Quand je descends dans la cuisine, je vois ma mère qui comme d'habitude fait la cuisine et ma soeur qui prend son petit-déjeuner. Je les salue et commence à manger. Mon père en face de moi me fixe. Je le regarde et hoche la tête. Je ne sais pas pourquoi j'ai fais ça, sûrement pour qu'il arrête de me fixer. Je termine mon petit-déjeuner et aide ma mère à faire la vaiselle. Ensuite, je prends mes affaires et me dirige vers la porte. Je presse mon doigt sur le petit bouton et ouvre la porte d'entrée quand mon père m'appelle.
- Tu as oublié ça. Reste calme et pense à respirer, pour ne pas que les Commandants remarquent quelque chose, chuchote-t-il.
Je n'avais rien oublié finalement. Je lui réponds oui et sors. Respirer et rester calme. Si, malgrè tout, les Commandants remarquaient quelque chose ? Je serais sanctionnée. Personne ne sait vraiment en quoi consistent les sanctions sauf ceux qui les subissent. A la station, j'aperçois Harley. Hugo n'est pas présent, comme c'est l'un des Elus. Rien que penser son prénom... Respire, inspire, respire, inspire. Reste calme.
- Bonjour. Hugo est l'un des Elus. Félicitation à lui, même s'il n'est pas là. C'est une grande mission.
-Bonjour. Oui, une grande et importante mission.
La journée se passe comme de coutume. Je vais en cours, en récréation puis de nouveau en cours et enfin je rentre chez moi. L'absence d'Hugo a créé un vide en moi. Je ne sais pas ce qu'est un vide et pourquoi je ressens ça. Cette pensée est venue seule. Le vide est-ce un sentiment ? Je pourrais demander à mon père.
J'ouvre la porte, dépose mes affaires et vais aider ma mère à poser la table. Quand j'ai fini, je monte dans ma chambre où se trouve déjà Stayley.
- As-tu besoin d'aide ?
- Peux-tu m'aider à faire ce calcul et me faire réciter les Règles ?
- Bien sûr, je réponds.
Je m'assois sur le lit de ma soeur, juste à côté de cette-dernière. Je la regarde. Un peut trop longtemps, mais je n'arrive pas à détourner le regard. Je me dis que j'aurais voulu que ça soit elle l'Immunisée. Cette petite fille, ma soeur. Pourquoi est-ce que ça doit être une seule personne par génération ? C'est comme si je prenais la dernière part de gâteau et ma soeur me regardait la manger. Je détourne finalement le regard et lui fait réciter ses Règles. Nous descendons ensuite manger. Avant d'aller me coucher, mon père me chuchote :
- Ne prends pas la pilule du sommeil.
Je suis assise sur mon lit, la pilule dans la main, attendant Stayley. Que dois-je faire ? La prendre ou ne pas la prendre, comme me l'a dit mon père ? Je ne sais pas. Beaucoup de chose que j'ignore en ce moment... Ma soeur entre dans la chambre, s'allonge dans son lit, prend sa pilule et me regarde.
- 3..., je commence
- 2...
- 1...
Ma soeur la prend et moi pas. Je regarde Stayley. Ses yeux sont clos et elle respire régulièrement. Je la touche et la secoue.
- Elle ne peut pas se réveiller. Les pilules nous endorment pendant une durée définie, choisi par les Commandants, m'informe mon père.
Je me retourne et le regarde. Il me fait signe de le suivre. Nous nous dirigeons vers le salon et, une fois dans celui-ci, nous nous installons sur le canapé.
- Je me doute que tu as beaucoup de questions, chuchote mon père.
- Que veux dire doute ?
- Je te l'apprendrais. Poses-moi tes questions, notre temps est limité.
- Pourquoi ça m'arrive maintenant ? Pourquoi ça ne m'est pas arrivé à ma naissance, ou plus tard ?
- On ne choisit pas le moment où les sentiments se réveillent. Généralement, il se réveillent après un événement marquant. Un événement qui nous fait ressentir un sentiment ou une émotion.
- Hugo...
- Oui, tu as été triste d'apprendre son départ. Sûrement parce qu'il compte beaucoup pour toi.
- Mais comment ? Comment il peut compter pour moi alors que je ne ressentais rien ?
- Chez les Immunisés, les sentiments ont toujours été présents. Tu ressentais des choses sans t'en rendre compte directement. Maintenant, tu vas ressentir des choses et tu seras incapable de mettre un mot dessus, de comprendre d'où ça vient. Il va te falloir plusieurs semaines pour que tu puisses parfaitement contrôler tes sentiments. Je serais là pour t'apprendre.
- Pourquoi...?
Ce mot fut le seul que je puisse répéter pendant cinq minutes. Je ne vais pas pouvoir le gérer. Je n'ai rien demandé moi ! Je n'ai pas besoin de ça, je ne veux pas être différente ! Je vivais tranquillement et ces choses débarquent comme ça, du jour au lendemain ! Je sens de l'eau sur mes joues. De l'eau qui coule. Qu'es-ce que c'est ? La tristesse..., souffle une voix. Quel est ce mot ? Encore des mauvaises choses ! Laissez moi ! Partez, je ne veux pas de vous ! J'entends un cri. Comme si j'étais à moitié endormi, je prends petit à petit conscience de ce qui m'entoure et me rends compte que c'est moi qui vient de pousser ce son. Ce n'est pas le même cri que les oiseaux, seul cri que nous connaissons. Non, ce cri est plus fort, plus puissant. La colère..., souffle la même voix que tout à l'heure. Mais quelle est cette voix ?! Est-ce mon père, ma mère, les Commandants ? Les Commandants... S'ils apprennent, je serais sanctionnée. Quelles sont les sanctions ? Je ne veux pas être punie ! La peur... Peut-être qu'ils m'enleveront à ma famille, je ne verrais plus ma soeur, ma mère et mon père. Je ne veux pas non plus. Je veux rester avec eux. L'amour... Je ne verrais plus non plus Harley. Ma camarade. L'amitié... Comme si on aspirait ma vue, le salon tourbillone et s'en va laissant place à un fond noir. Je me redresse, de l'eau sur moi. Ma tête tourne. Mon père est assis en face de moi et me regarde.
- C'est passé, me dit-il.
Je le regarde, ne sachant pas de quoi il parle.
- En ce moment, tu ressens de l'interrogation. Une émotion. Tu te demandes de quoi je parle.
C'est vrai. Je ressens exactement ce qu'il me dit. C'est donc ça les sentiments et les émotions... Toute cette histoire est bien réelle ? Je ressens ces choses mauvaises, interdites ?
- Tu as subis la phase 2, me dit mon père, me ramenant au salon. Elle consiste à ressentir les principaux sentiments les uns à la suite des autres. Cette étape peut-être douloureuse ou pas. Je constate que sur toi, elle est légèrement douloureuse.
J'hoche la tête.
- Tu devrais aller te choucher. Ne prends pas la pilule.
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Happy Halloween !!!! :)
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