Chapitre 9


Terrence raccrocha, irrité au plus au point et se rhabilla. Les bêtises de son petit-ami allaient le conduire à l'autre bout de la ville, en pleine nuit, sous la chaleur étouffante de ce mois d'août. Le jeune homme, mince de nature, n'avait pas encore récupéré toute la masse qu'il avait perdue lors de son hospitalisation. De plus, il lui restait encore une semaine d'antalgiques. Alors, pourquoi avait-il eu l'idée lumineuse d'ingurgiter une grande quantité d'alcool? Ivre, il avait alors commencé à agir de façon inappropriée et dangereuse, ce qui avait poussé Lizaette à appeler le blond à la rescousse. Cette dernière, bien qu'aussi grande que son meilleur ami, n'avait pas la force de le maintenir et de le contraindre à quitter cette soirée. Dans son grand malheur, elle ne pouvait que le surveiller afin qu'il ne boive davantage, évitant ainsi le pire.

Le photographe, d'une humeur massacrante, râlait tout seul au volant de sa voiture de sport. Il eût le temps de maudire la moitié des saints de la création avant d'arriver à destination. Il se gara avec hâte devant la boîte de nuit, privatisée pour la soirée, et entra en claquant la porte. Il repéra bien vite la chevelure brune de Lizzie, dont la queue de cheval s'agitait frénétiquement. La pianiste tentait, tant bien que mal, d'empêcher son frère de cœur de suivre un homme louche dans le carré VIP. Terrence dû se faire violence pour ne pas laisser sa colère exploser et s'avança vers le duo.

-Merci d'avoir appelé Lizaette. Je prends le relais.

Il hésita un instant.

-As-tu besoin que je te raccompagne ?

Elle lui jeta un regard surpris. Depuis quand était-il aussi gentil ? Bien que leur relation avait toujours été cordiale depuis leur première rencontre, le blond ne semblait pas parvenir à considérer la jeune femme comme une amie. Elle avait toutefois vu une amélioration certaine en plusieurs mois et il avait cessé de se montrer anxieux en sa présence. Lizaette espérait de tout cœur que leurs rapports poursuivent sur cette voie et, qu'un jour, ils soient en mesure d'organiser des vacances ou des sorties à quatre.

-Non, je suis venue avec ma voiture. Prends bien soin de lui, je te le confie.

Terrence la salua d'un signe de tête et souleva Sebastian, en tentant de le porter du mieux possible. Ce dernier sursauta et essaya de se débattre.

-Non mais tu vas arrêter oui ! On rentre à la maison, espèce d'ivrogne. Et ce n'est pas avec ta force actuelle que tu risques de te dégager.

Le brun lui fit un doigt d'honneur et commença à bouder. Terrence préféra se taire et installa avec difficulté son compagnon sur l'un des sièges. Il dût user de toute sa diplomatie afin de parvenir à attacher la ceinture de sécurité, ne pas hurler pendant le trajet car le plus jeune avait trouvé amusant de jouer avec les fenêtres et le lecteur de musique. Il découvrit également une nouvelle source de patience, jusque-là insoupçonnée, lorsqu'ils durent rejoindre leur appartement.

-Il est hors de question que tu rentres dans le lit dans cet état. Soit tu te laves, soit tu dors sur le canapé.

Sebastian attrapa son ardoise en souriant.

-«Dors pas. Ah ah ah.»

Le photographe leva un sourcil irrité et se mordit la lèvre inférieure avant de répondre.

-Comment ça, tu ne comptes pas dormir ? Ta piètre résistance à l'alcool aura raison de toi.

Le brun se colla alors à son compagnon et posa sans attendre ses deux mains sur sa ceinture. Ce dernier le repoussa doucement.

-Alors là, tu rêves. Va te laver !

-«Je te veux Terry.»

-Non, tu es complètement saoul. Jamais je ne te toucherais dans un tel état.

Le jeune homme éclata alors en sanglots, sans raison apparente.

-Mais quoi encore ? Tu as l'alcool triste maintenant ? Tu es usant Seb. Allez, installe-toi sur le canapé.

Après une heure à vomir et à pleurer, l'ancien chanteur s'endormit sur le sol de la salle de bain. Dans un soupir exaspéré, Terrence le porta jusqu'au sofa.

Le soleil vint agresser Sebastian, qui ouvrit les yeux en jurant. Il se sentait encore nauséeux et puait atrocement. Il se rappelait plus ou moins de la veille et réalisa que son compagnon allait très probablement le sermonner. Heureusement, ce dernier avait été assez gentil et patient pour prendre soin de lui lors de cette nuit agitée.

Terrence apparut dans le salon, sans un regard pour le jeune homme.

-Va te laver et te brosser les dents, veux-tu ?

Le brun acquiesça, lui-même dérangé par son odeur. Le ton employé par son petit-ami lui avait semblé très froid, presque comme au début de leur relation. Il eût un mauvais pressentiment, qui se vérifia tout au long de la journée où Terrence refusa de lui adresser la parole ou même de le regarder. Sebastian tenta alors d'envoyer un dernier message au photographe.

-«Putain Terry, parle-moi ! Engueule-moi ! Je suis désolé d'avoir agi ainsi, mais c'est en partie ta faute. Pourquoi tu m'ignores ? Terry ... »

Le blond lut le message et se tourna vers son compagnon.

-Tu veux que je te parle ? Très bien, tu l'auras voulu. J'essaie de m'améliorer et de t'aimer du mieux possible. Et toi, comment tu me remercies ? Tu te mets en danger en me cachant ta maladie, puis en voulant te suicider ou encore en te laissant droguer par un inconnu. Et là, nouvelle connerie de ta part, te bourrer quand tu es affaibli. Si tu veux m'abandonner, il existe des moyens bien plus simple tu sais. Je suis fatigué de m'inquiéter pour toi, alors que tu t'en moques de ton bien-être. Je suis fatigué d'avoir peur de te perdre.

Il rangea son paquet de cigarettes dans sa poche, ignorant les larmes du brun.

-Je vais faire un tour, je reviendrai demain matin.

Sebastian écarquilla les yeux et tenta de s'accrocher à son compagnon. Ce dernier le repoussa, attrapa ses clés de voiture et quitta l'appartement en claquant la porte. Terrence n'avait même pas pris la peine d'emporter son téléphone ; brisant quelque chose dans le cœur du jeune homme.

Sebastian pleura une partie de la nuit, tournant en rond dans leur chambre. Sans le vouloir, il avait blessé le photographe, au point de le faire fuir. Il maudissait sa bêtise et son manque cruel de réflexion. Un éclair illumina la pièce, dévoilant le corps frêle et tremblant du brun, allongé sur le tapis. Tel un enfant en manque d'attention, il avait mal agi. Mais Terrence haïssait les enfants, car lui-même n'avait jamais pu l'être. Le streamer se recroquevilla davantage et pria pour que l'aube lui ramena son compagnon.

Lors de ses années de lycée, Sebastian avait appris à ses dépens, qu'accorder sa confiance à n'importe qui était dangereux. Il avait été frappé au détour d'un couloir vide. Il avait été humilié dans des salles de classe remplis d'élèves avares de spectacle. Il avait été abandonné par des professeurs qu'il pensait bienveillants. Leurs murmures moqueurs résonnaient encore dans ses cauchemars, près de quatre ans plus tard. Sans Lizaette, il aurait tout abandonné et serait resté caché dans un coin sombre de sa chambre. Pourtant, de ces trois années infernales, il ne semblait pas avoir retenu la leçon. Inlassablement, il continuait d'accorder sa confiance, sans jamais penser aux conséquences. Combien de fois ses proches l'avait-il mis en garde ? Et voilà qu'à présent, même son compagnon, en avait eu assez de cette attitude désinvolte.

Le streaming avait été une véritable révélation pour le jeune homme. En sécurité derrière son écran, il pouvait laisser libre cours à son enthousiasme, ce qui lui avait valu un succès immédiat. Il gagna en popularité à une vitesse impressionnante, les internautes appréciant sa joie et son côté adorable. Malgré ce sentiment de bien-être, Sebastian ne parlait jamais de son couple et avait attendu un an avant de confirmer les rumeurs courant au sein de sa communauté. À son grand étonnement, il n'avait reçu que très peu d'insultes, même si celles restantes le blessaient encore et toujours. Il aspirait à devenir comme Terrence, lui qui se moquait toujours de l'avis des autres. Son compagnon n'avait honte de rien, comme si les remarques néfastes glissaient sur sa peau sans jamais parvenir à transpercer son cœur. Le jeune homme se souvenait encore de cette après-midi, où un modèle avait débarqué, furieux, à leur appartement. Il s'agissait du mannequin qui avait tenté de saboter la nouvelle collection de Terrence en annulant leur séance au dernier moment. Il ne comprenait pas comment le photographe avait réussi à trouver un remplaçant. Le blond avait souri, attrapé son petit-ami par le poignet et l'avait embrassé langoureusement.

"Quand tu as ton inspiration à tes côtés, tu n'as jamais besoin de remplaçant."

Le mannequin, vexé, avait déserté en claquant la porte. Terrence, satisfait, était retourné travailler, l'air de rien, laissant le brun pantois.

Le réveil fut difficile pour Sebastian, le sol n'étant définitivement pas le meilleur endroit pour s'assoupir. Il se releva avec difficulté et jeta un œil à son téléphone. La matinée était déjà bien entamée mais le soleil ne lui avait pas rendu son compagnon. Lui en voulait-il au point de ne plus souhaiter rentrer chez eux ? Ou alors ... Le cœur du brun se serra à l'idée qu'il ait pu arriver quelque chose de mal à Terrence. Ses mains commencèrent à trembler et ses idées se mélangèrent. Comment savoir ? Que devait-il faire ? Bien qu'en partie étouffé par l'inquiétude, il rangea un peu la cuisine et réfléchi à sa tenue pour son adieu à la scène. La plainte incessante de l'horloge du salon ne faisait qu'accroître son angoisse et il s'enferma dans leur chambre pour ne plus entendre cette mélodie infernale. Aux alentours de quinze heures, chaque longue minute devinrent une torture. Même fâché, Terrence aurait déjà dû revenir, ne serait-ce que pour continuer à travailler. Le jeune homme poussa un soupir et se décida à aller chercher le courrier, dans un vain espoir de calmer sa vague d'hyperactivité. Quelque chose attira alors son attention et il retourna le plus rapidement possible à leur appartement. Tant pis pour son sentiment de honte, il allait, une fois encore, demander de l'aide à sa meilleure amie. Il attrapa son téléphone et commença à pianoter.

«Lizzie, j'ai fait une connerie et Terrence est parti hier soir, sans prendre son téléphone. Il devait revenir ce matin, mais il n'est toujours pas là. Il avait pris ses clés de voiture, mais elle est encore garée devant l'immeuble. Je ne sais pas où il est. J'ai tellement peur Lizaette ... Tu peux m'aider ?»

La réponse ne se fit pas attendre.

«Évidemment que je vais t'aider. J'appelle les hôpitaux et les commissariats, puis, je te tiens au courant. Ne fais pas de bêtises. Bisous.»

Lui qui haïssait le ménage plus que tout, avait nettoyé tout l'appartement les deux heures suivantes, tant l'attente lui était insupportable. Bien qu'il essayât d'éloigner son esprit des pires scenarii, ce dernier semblait s'amuser à lui promettre l'odeur de la mort et du deuil. Ce fut la sonnette qui le tira de ses funestes pensées. À sa porte, sa meilleure amie. Elle ne pleurait pas, mais ne semblait pas non plus de bonne humeur, accentuant son mauvais pressentiment.

- Il a été admis à l'hôpital hier soir. Apparemment il va bien, mais comme je ne suis pas de la famille, je n'en sais pas plus. Je peux t'y conduire si tu veux.

Sebastian dut se faire violence pour ne pas craquer à l'annonce de cette nouvelle. Il se mordit la lèvre et acquiesça à la proposition de Lizaette.

Terrence se maudit pour la énième fois, depuis que les pompiers l'avaient transportés à l'hôpital. Il avait voulu jouer au fier en n'emportant pas son portable après leur dispute, et maintenant il se retrouvait dans l'incapacité de contacter Sebastian. Il se jura d'apprendre son numéro par cœur et grimaça en imaginant son compagnon mort d'inquiétude. Pour ne rien arranger, les infirmières avaient refusé qu'il se lève pour aller fumer, sous prétexte qu'ils n'avaient pas terminé de panser sa cheville. Frustré, il demanda pour la centième fois quand il pourrait rentrer chez lui.

«Demain».

Cette réponse, toujours la même, ne lui convenait pas. Il avait promis à Sebastian de rentrer aux premières heures. Qu'allait-il penser en ne le voyant pas revenir ? Allait-il imaginer qu'il avait été abandonné ? Terrence savait que l'esprit de son compagnon était encore fragile des suites de son opération et s'en voulait d'être parti. Toutefois, il n'aurait pas pu prévoir un tel accident. Le photographe sursauta, lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit avec fracas.

-Seb ?

Le brun tenta de lui sauter dessus, mais il fut retenu de justesse par Lizaette qui le suivait, juste au cas où.

-Seb, ne casse pas ton homme. Je vais dans le couloir, appelez-moi si besoin.

Le jeune homme s'assit sur le rebord du lit et ne put retenir ses larmes plus longtemps. Il remercia tous les dieux et les saints, pour que le photographe soit en vie. Terrence lui caressa les cheveux.

-Désolé de ne pas être rentré ce matin comme promis. J'ai eu un petit contre temps.

Le brun renifla, le visage toujours caché contre le torse de son petit-ami.

-En sortant de l'immeuble, j'ai oublié de regarder avant de traverser. Heureusement pour moi, la voiture ne roulait pas vite. Je m'en sors avec une entorse à la cheville et trois côtes cassées. Tu vois, moi aussi je fais des idioties parfois.

Sebastian releva la tête et lui jeta un regard noir.

-On est deux idiots. Tu veux bien me dire pourquoi tu as agi de façon inconsidérée l'autre soir ?

Le jeune homme attrapa son téléphone et rendit à Terry le sien.

«Je voulais que tu me regardes. »

-Pardon ?

-«Depuis nos vacances, tu n'as plus voulu de moi. »

Le photographe soupira, ne parvenant pas à croire ce qu'il lisait.

-Sebastian ... En peu de temps, j'ai appris que tu avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête, dite épée qui a finalement décidé de tomber. On t'a opéré puis j'ai failli te perdre. Et là, tu commences à peine à te remettre. Mon ange, je te désire toujours pareil mais ce n'est pas le plus important.

Terrence arrivait à peine à croire que ces paroles étaient les siennes. L'amour l'avait changé à un point qu'il n'aurait jamais imaginé possible.

-Quel monstre j'aurais été si j'avais voulu te toucher alors que tu souffrais autant ? Quel égoïste j'aurais été si j'avais fait passer mon désir avant ton rétablissement ? Oui, ton corps me manque, tout comme tes caresses. Mais je m'en moque. Pour la première fois de ma vie, le sexe n'est plus une priorité pour moi. Ton bien-être et ta santé passent avant tout. Et n'essaie plus d'être bourré, je ne céderai pas non plus. Ivre, tu serais incapable d'être consentent et ça, c'est hors de question pour moi. Et ça, tu le sais déjà.

Sebastian ne s'attendait pas à une telle déclaration et il embrassa son compagnon avec une infinie douceur.

-«Merci mon amour. J'ai été bête de douter de toi. Mais mon apparence depuis la fin de l'opération ne me plaît pas. J'ai perdu le peu de confiance que j'avais réussi à gagner. Je suis désolé.»

-Ne t'en fait pas, tu vas vite devoir la regagner.

Le brun fronça les sourcils.

-Je vais encore avoir besoin de tes services pour les photos de ma nouvelle collection.

-«Terry ... »

-C'est une collection très spéciale, car il s'agira d'une édition limitée.

La panique pouvait désormais se lire sur le visage du l'ancien chanteur.

-«Pourquoi moi alors ?»

Terrence sourit et caressa la joue de son compagnon.

-Parce que vois-tu, il s'agit de ta collection, celle que j'ai créée tout spécialement pour toi.

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