Chapitre 4


      « J'ai mal Terry, vraiment très mal à la tête ». Ces mots résonnaient comme une funeste prophétie dans l'esprit de Terrence, qui avait décidé de mettre immédiatement un terme à leur séjour, malgré les protestations de Sebastian. Pour la première fois depuis bien longtemps, le photographe ne céda pas aux supplications de son amant. À ses yeux, la santé et le bien-être de son petit-ami était la priorité numéro un, bien au-delà de l'argent perdu et des vacances écourtées. Épuisé et sensible à l'inquiétude de son homme, Sebastian accepta finalement de rentrer chez eux le plus tôt possible.

     Après quelques négociations et un montant assez conséquent, Terrence parvint à obtenir des places pour le prochain vol. Peu après leur entrée dans l'avion, Seb s'endormit, blotti dans son siège du côté du hublot. Il semblait paisible et n'affichait plus aucune trace de sa douleur, bien que le blond soit toujours inquiet. L'ombre de la maladie et de la mort vinrent danser dans son cœur, lui offrant de désagréables frissons de peur. Et si ces céphalées auguraient un drame ? Et s'il s'agissait d'un indice mortifère, annonciateur du pire ? Le photographe refusait d'envisager cette possibilité, tentant d'empêcher son cerveau de créer des scenarii plus inquiétants les uns que les autres. Sebastian l'avait traité de vieux paranoïaque, mais il avait réussi à lui soutirer les coordonnées de son spécialiste, afin de demander un rendez-vous en urgence. Après un long silence où la secrétaire avait lu le dossier du jeune homme, elle confirma que son cas nécessitait une consultation immédiate. Elle l'ajouta donc entre deux patients, aux alentours des seize heures.

    Sebastian bougea dans son sommeil, mais n'ouvrit pas les yeux pour autant. Il avait choisi de feindre le repos, afin de cacher au mieux sa souffrance et son mauvais pressentiment, quant à sa survie. S'il venait à mourir, Terrence poursuivrait-il sa vie ou redeviendrait-il l'homme violent et froid qu'il était avant leur rencontre ? À cet instant, le jeune homme avait peur, non pas pour lui, mais pour son compagnon.

    En comparaison de l'aller, le vol de retour leur sembla relativement court. Un peu trop peut-être. À peine eurent-ils mis un pied dans l'aéroport, que Terrence se dépêcha de récupérer leurs valises, qu'il jeta sans remords dans le coffre de la voiture. Il paya le parking, sans prendre la peine de récupérer la monnaie et mit immédiatement le contact.

- Mon amour, pourquoi es-tu si pressé ?

- Je te signale que tu as rendez-vous dans une heure avec ton médecin. Plus vite on y sera, plus vite on saura.

- Mais tu sais Terry, on est peut-être pas obligé de...

- La ferme ! Tu vas aller te faire ausculter, un point c'est tout !

    Le photographe serra fermement son volant, jusqu'à en faire blanchir ses phalanges. Sebastian n'eut pas le courage de discuter et tourna son regard vers la route. Il connaissait déjà l'issue de cette visite. Il savait que sa tumeur progressait de nouveau et ne se sentait pas le courage d'annoncer une telle fatalité à l'homme qu'il aimait.

    Vingt minutes et quarante insultes plus tard, le couple atteignit l'hôpital. Ils furent accueillis par un grand parc mêlant ginko et platanes. De part et d'autres de la pelouse verdoyante, quelques bancs en bois attendaient sagement des patients. Une modeste fontaine en marbre blanc et un ciel d'un bleu étincelant achevaient ce cadre idyllique, gâché par l'immense bâtiment moderne qui siégeait un peu plus loin. Les deux hommes, main dans la main, entrèrent par la porte automatique. Sebastian, souhaitant reculer la sentence, traînait le pas, mais Terrence l'obligeait à accélérer. Ils empruntèrent le premier ascenseur qui s'offrit à eux et montèrent jusqu'au septième étage. Les murs d'un blanc immaculé et l'odeur d'antiseptique firent grimacer le photographe qui tira son amant vers l'infirmière d'accueil.

- Bonjour. Nous avons rendez-vous avec le Professeur Fagson.

- À seize heures ?

- Oui.

- Attendez un instant ici, il va vous recevoir.

     Effectivement, à peine quelques minutes plus tard, un homme d'une cinquantaine d'années et les cheveux grisonnant s'approcha d'eux.

- Sebastian... J'espérais ne jamais vous revoir.

- Moi non plus docteur. À vrai dire, c'est Terrence qui a pris rendez-vous pour moi.

- Bien. Je vais vous examiner.

    Le médecin emmena le jeune homme au scanner, abandonnant ainsi Terrence à ses sombres pensées. Il aurait juré avoir lu de la résignation sur le visage de son amant et une vague d'inquiétude traverser le regard du professeur. Il s'installa sur l'une des chaises inconfortables de la salle d'attente et crut y perdre sa santé mentale. Une heure. Il avait dû attendre une maudite heure avant de retrouver son petit-ami. Celui-ci l'enlaça immédiatement et le cœur de Terrence se figea.

-Quelque chose ne va pas, n'est-ce pas ?

    Sebastian ne répondit rien et tira son petit-ami dans le bureau du médecin. Lui, au moins, aurait le courage d'annoncer la terrible nouvelle.

-Monsieur Harvett, vous avez eu raison de convaincre Sebastian de venir consulter au plus vite. Sa tumeur a énormément progressé et il est même étonnant qu'il n'y ait eu aucun signe annonciateur.

    Le brun baissa instantanément le regard, tel un enfant prit en faute. Le photographe, soupçonneux, tourna la tête vers lui.

-Ne me dis pas que tu savais. Ne me dis pas que tu avais déjà mal.

    Le jeune homme se recroquevilla sur sa chaise, honteux.

-J'ai eu quelques symptômes mais rien de spécial. Mes maux de tête ont repris il y a trois mois, mais c'était tolérable. Je ne voulais pas que tu t'inquiètes. Je ne voulais pas que tu saches. Je ne voulais pas revenir ici.

-Je te jure qu'on reparlera de ça plus tard. Et donc, professeur, quels sont les résultats ?

    Le visage du médecin se ferma et il jeta un regard désolé à son patient.

-Ici, la seule solution est l'opération, suivie ou non d'un traitement. Si nous n'opérons pas dans les plus brefs délais, je ne peux promettre que vous viviez jusqu'à Noël, Sebastian. Voici la documentation. N'hésitez pas à me contacter si vous avez des questions.

-Merci docteur. Je vous tiendrais rapidement au courant. Terry, tu viens ? On rentre à la maison.

    Terrence se dépêcha de rejoindre sa voiture, vérifiant à peine si son petit-ami le suivait. Perdu dans ses pensées, il demeura silencieux pendant tout le trajet, si bien que Sebastian n'eut pas le courage d'engager la conversation. Le chanteur, qui n'envisageait pas d'accepter l'opération, ne savait comment annoncer cette horrible décision à son homme.

    À peine furent-ils rentrés que Terrence s'enferma dans son bureau, claquant la porte au nez du streamer. Il éclaira son ordinateur et commença machinalement à retoucher ses derniers croquis. Toutefois, les paroles du médecin résonnaient sans cesse dans sa tête, en une chanson sans fin. Son compagnon ne pouvait pas mourir. Pas déjà. Pas maintenant. Il balança sur le sol, avec violence, les livres qui traînaient sur la table. Il ne pouvait pas s'imaginer une vie sans lui. Le ton de sa voix, ses yeux bleus, son sourire enfantin, son odeur fruitée, la douceur de ses lèvres et la chaleur de son corps contre le sien... Personne n'avait le droit de le lui enlever. Si le destin lui avait offert une chance de tout recommencer, à quoi bon la lui reprendre ? Seul sans Sebastian, Terrence n'aurait plus aucune raison d'être quelqu'un de bien et de combattre ses démons. Sans lui ... Il ne voulait même pas y penser.

    Le jeune homme s'était assis derrière la porte close du bureau et commença à réfléchir. Il entendait son compagnon s'agiter mais n'osa pas le déranger, n'étant pas encore prêt à subir ses foudres. À dix-neuf ans, lorsqu'il avait rencontré Terrence pour la première fois, il vivait encore chez ses parents. Il se voyait alors comme un adolescent et s'était trouvé stupide d'être tombé si rapidement amoureux d'un homme de quinze ans son aîné. Et pourtant, malgré leurs différences, malgré le passé tumultueux du photographe, malgré le regard des autres, leur histoire avait tenu et leur amour avait grandi peu à peu. Sebastian ne regrettait en rien ces deux années et son souhait le plus cher aurait été de vieillir aux côtés de son homme. Toutefois, il ne pensait pas avoir le courage de supporter une opération, voire de lourds traitements. Il ne voulait pas devenir un poids pour ses parents, sa meilleure amie et encore moins pour Terrence. Le blond avait assez souffert, il n'avait pas envie d'en rajouter.

    Le chanteur pensa être certain de sa décision, lorsqu'il se rappela ce que Terry lui avait murmuré quelques mois auparavant, lorsqu'il avait attrapé une mauvaise grippe.

     «T'es vraiment une andouille Sebastian. Je t'avais dit de faire attention et maintenant tu dors avec quarante de fièvre. La prochaine fois, écoute-moi quand je te demande de te vacciner. S'il te plaît. Je sais à quel point tu es borné, mais c'est pour toi que je dis ça tu sais. Tu te rends compte que tu me rends inquiet ? Et tu sais quoi, je n'aime pas ça. Quand mon frère est rentré dans les ordres, je le savais en sécurité et j'ai pu me relâcher. J'ai pu me contenter d'être une ordure violente et pas fréquentable. Parfois, je me demande encore pourquoi tu es resté, pourquoi tu as pris le temps de soigner mes blessures invisibles, le temps pour m'apprivoiser sans jamais me brusquer. Je ne regrette même plus d'avoir détruit ta guitare cette nuit-là, sans quoi je ne t'aurais pas rencontré. Tu as été la lumière que je n'aurais jamais espéré avoir et tu m'as appris à aimer de nouveau. Tu m'as prouvé que je méritais d'être aimé. Tu sais Seb, quand tu te réveilleras de ta fièvre, je ne te dirai probablement jamais tout ça, mais je t'en prie, ne m'abandonne pas. Jamais. Je t'aime, tu sais. Je t'aime beaucoup plus que ce que tu penses, beaucoup plus que je veux bien l'admettre. J'ai besoin de toi à mes côtés mon ange, alors guéris-vite. S'il te plaît.»

     Ce ne fut qu'une fois la nuit tombée que le photographe daigna sortir de son antre. Il retrouva son amant devant la télévision, entrain de regarder un dessin animé japonais. Il tenta de rejoindre leur chambre en silence, mais la voix du chanteur retentit.

- Terry, tu tombes bien. Comme je ne savais pas quand tu sortirais de ton bureau, j'ai téléphoné à Lizaette et je lui ai fait part de ma décision. À présent, je souhaiterais t'en parler si tu as un moment.

    Vaincu, le blond rejoignit son petit-ami sur le canapé en cuir noir.

- Je t'écoute, Seb.

- J'ai décidé d'accepter l'opération.

- Je te demande pardon ?

    Terrence était persuadé que le chanteur refuserait, si bien qu'il fut stupéfait par sa révélation.

- Terry... Si tu me promets de rester avec moi, je trouverais probablement le courage de subir cette intervention et de suivre les traitements s'il y en a. Si tu es d'accord pour m'accompagner dans cette triste aventure, je suis prêt à tout tenter pour demeurer à tes côtés le plus longtemps possible.

    Terrence sentait ses yeux piquer et enlaça fortement son amant afin de cacher son trouble.

- Je ne t'abandonnerai jamais, espèce d'andouille. Jamais.

- Terry ?

- Seb, même si je ne te le dis presque jamais, je t'aime. Tu le sais, n'est-ce pas ? Je t'aime plus que tout, alors tu as intérêt à guérir.

- Je ferai de mon mieux. C'est promis.

    Le photographe renforça son étreinte sur le corps frêle de son compagnon, espérant que le destin ne le faucherait pas.

    Dès que Sebastian eut informé le spécialiste de sa décision, tout se passa très vite, face à l'urgence de la situation. En moins d'une semaine, le jeune homme enchaîna de nombreux rendez-vous et remplit de multiples papiers, plus déprimant les uns que les autres. Terrence, quant à lui, ne put que prier pour la réussite de l'intervention et demanda même à son frère d'inclure le brun dans ses offices. Même s'il ne croyait pas tellement en la vie après la mort, il était certain qu'il n'y retrouverait jamais son compagnon, leurs âmes à jamais séparées entre l'Enfer et le Paradis.

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