Chapitre 3
Avant de rencontrer Sebastian, les petits-déjeuners de Terrence ne se résumaient qu'à une tasse de café et à deux cigarettes. Depuis, ses habitudes avaient quelque peu changées, même s'il ne concurrencerait jamais son amant en termes de quantité ingurgitée.
- Regarde Terry, il y a un choix énorme et tout à l'air délicieux. J'ai envie de tout goûter.
- N'abuse pas, sinon tu vas être malade.
- Ne t'en fais pas !
Le brun se dirigea d'un pas joyeux, un plateau à la main, vers le buffet chaud. Bacon, saucisses, jambon, tomates et œufs se pavanaient devant les regards ensommeillés des clients. À quelques mètres de là, le créateur se remplit une tasse de café et s'empara de deux croissants, avant de choisir une table logée dans un coin.
- Sebastian, tu vas réellement manger tout ça ?
- Oui mon chéri ! Bon appétit !
Le blond soupira et s'abstint de tout commentaire. Si le brun vomissait, il ne pourrait s'en prendre qu'à lui-même.
Le chanteur ne laissa aucun répit à son amant, et, à peine eurent-ils terminé de manger, qu'ils entamaient déjà leur visite de Glasgow. Terrence aurait aimé lire et digérer un peu, mais il savait que Sebastian était parfois plus énergique qu'un furet dopé aux énergisants. Ils n'eurent pas à marcher longtemps afin de rejoindre leur premier point d'intérêt. Ils pénétrèrent, impressionnés, dans la gigantesque université. Terrence admira longtemps les voûtes en pierre et l'architecture victorienne, l'inspiration lui venant déjà pour une future collection de broches et de cabochons. Le brun, quant à lui, photographiait chaque recoin du jardin et s'extasia devant une petite corneille qui se battait avec un ver. Le tintement violent d'une horloge leur indiqua qu'il était déjà onze heures. Ils quittèrent à contre cœur cet édifice aux allures de Poudlard et regagnèrent le centre-ville, au niveau de George's Square. Le couple put alors profiter d'un spectacle avec musique et costumes traditionnels. Sebastian observa avec curiosité les artistes.
- C'est courant de porter des jupes pour les hommes en Écosse ?
Terrence s'étouffa avec la fumée de sa cigarette. Il soupira discrètement et baissa les yeux vers son compagnon.
- C'est un kilt, pas une jupe. C'est typique du pays.
- Ah oui, les kilts, c'est vrai ! J'en avais déjà entendu parler.
Le blond préféra ne rien ajouter et se contenta de glisser sa main dans celle de son amant. La foule avait commencé à s'agglutiner et il sentit de l'inquiétude poindre en lui. Si les âmes étaient torturées en Enfer, il était certain que la sienne se retrouverait seule, coincée au centre de milliers de personnes bruyantes.
-Allez viens Terry, allons-nous balader.
Terrence sourit, soulagé de s'éloigner de ce brouhaha infernal. Ils déambulèrent sur la place, s'attardant sur les différentes boutiques. Ils trouvèrent un snack vendant des sandwiches fourrés à la confiture, une poste aux allures de papeterie ainsi qu'un magasin de vêtements au style punk rock. Ce dernier attira l'attention du streamer, qui insista pour faire quelques courses. Le photographe abdiqua devant ce regard océan auquel il ne parvenait plus à résister et se résigna à subir cette séance de shopping. Habituellement, il laissait son petit-ami y aller en compagnie de Lizaette, son amie d'enfance.
-Désolé de t'infliger ce genre de choses. Je me dépêche.
Le blond grogna une insulte incompréhensible et s'enfonça dans le fauteuil noir qui faisait face à la cabine d'essayage. L'amour lui avait offert une source insoupçonnée de patience et de tolérance.
-Ça te plaît ?
Il leva ses yeux verts de son écran de téléphone.
-Les crânes ce n'est pas mon truc, tu le sais. Mais si tu es à l'aise dans ce T-shirt, prend-le. La couleur te va bien.
-Et ça ?
-C'est mignon.
Terrence ne comprenait pas comment les gens pouvaient apprécier de passer des journées entières dans des magasins. Les vendeurs étaient souvent des plus agaçants, les autres clients bruyants et les essayages prenaient des heures. Internet avait, une fois encore, été son salut.
-Terminé ! Allons à la caisse.
-Je te remercie de t'être dépêché.
Le photographe sortit sa carte bleue sous les protestations de son compagnon.
- Terry, tu n'es vraiment pas obligé.
- Je sais, mais j'en ai envie. Fin de la discussion.
Sebastian sourit devant l'air grognon de son petit-ami. Terrence, qui n'offrait jamais rien à personne, avait décidément bien changé...
Suite à un copieux déjeuner, le couple rejoignit le car qui devait les emmener jusqu'à la petite ville d'Oban, plus au nord. Terrence contempla la beauté des étendues verdoyantes, de ces paysages plats et sauvages, si caractéristique du pays. Il imaginait déjà une ligne de bracelets rappelant les couleurs de cette nature écossaise. Sa rêverie fut très vite brisée par les plaintes de Sebastian. Ce dernier, le front posé contre la vitre, avait pâli.
- Terry, j'ai mal au cœur.
Le créateur soupira. Une fois encore, il avait prédit que ce genre d'incident arriverait. Une fois encore, son amant avait décidé de ne pas l'écouter.
- C'est entièrement de ta faute. Il ne fallait pas te goinfrer autant depuis ce matin.
Le brun couina doucement.
- Je me sens vraiment pas bien.
-La prochaine fois, tu prendras peut-être la peine de m'écouter. Ça t'apprendra à être plus têtu qu'une mule.
Peiné de le voir ainsi et n'ayant aucune envie qu'il lui vomisse dessus, Terrence fouilla dans son sac à dos à la recherche d'un médicament.
- Tiens, prends ça.
- C'est quoi ?
- Pour le mal des transports. Avales-en deux et garde tes yeux sur la route. Tu devrais vite te sentir mieux.
- Merci. J'ai de la chance que tu aies tout prévu.
-Évidemment. Je savais que tu n'en ferais qu'à ta tête. Comme d'habitude. Maintenant, repose-toi, on devrait arriver d'ici une heure.
Le blond jeta un regard tendre sur son compagnon, ce jeune homme qui lui avait offert une chance d'avoir une vie normale, une chance de tout recommencer. Grâce à lui, il savait qu'il avait le droit d'être aimé ; même s'il n'avait pas toujours l'impression de le mériter.
Ce fut dans la soirée, aux alentours de dix-huit heures, qu'ils atteignirent Oban ; une magnifique petite ville portuaire du Nord de l'Écosse. Le couple se dépêcha d'abandonner les valises dans une chambre où la fenêtre ne s'ouvrait plus depuis longtemps et partirent se promener. Faute à l'heure déjà tardive, seuls quelques magasins de souvenirs demeuraient ouverts pour les éventuels touristes. Ils firent le bonheur de Sebastian, qui en profita pour commencer, comme il l'appelait lui-même, " sa quête aux cadeaux", au grand désespoir de son homme.
-On prend quoi pour ton frère, Terry ?
-Je m'en moque. Choisis.
Le brun eut rapidement pitié et décida de mettre fin au calvaire de son homme en stoppant ses achats. Il avait trouvé une boule à neige pour Lizaette et une assiette gravée pour ses parents. Quelques mètres plus loin, la façade d'une distillerie avait attisée la curiosité du streamer. Terrence en profita pour tourner les yeux en direction de la colline où un imposant monument reposait.
- Tiens, ça ressemble au Colisée romain, c'est étrange tout de même. Je me demande bien ce que ça peut être.
Un vent frais balaya les rues et, bien entendu, le chanteur avait laissé sa veste à l'hôtel.
-Seb, on y va ?
- Oui, j'arrive!
-On devrait rentrer, tu vas attraper froid.
-Pas tout de suite, je te promets que je me sens bien.
Ils parcoururent deux fois le centre-ville avant que le jeune homme accepta de retourner à leur hôtel qui surplombait la mer. Le soleil commençait à se coucher et le brun s'appuya contre la rambarde en acier. Le blond posa ses mains sur les épaules de son amant.
- Tout va bien ?
- Regarde la vue que l'on a. C'est fantastique. J'ai rarement pu assister à un aussi beau spectacle.
Terry, lui aussi, se laissa aller à la contemplation de cette eau si calme et à la teinte gris-bleu. À l'horizon, se détachait des masses ébène, traversées par un violent faisceau lumineux, permettant au soleil de se refléter majestueusement sur la surface paisible. À ce tableau féerique, s'ajouta un discret cygne blanc.
- Merci Terry. Merci de m'avoir amené ici.
Pour toute réponse, le blond enlaça son petit-ami avec tendresse.
Épuisés par leur longue journée, le couple regagna sa chambre afin de s'octroyer un repos bien mérité. Le photographe s'installa sur le lit sans attendre, dans un espoir fou de poursuivre la lecture du livre qu'il avait entamé dans l'avion. Sebastian étant toujours très long à prendre sa douche, il avait estimé avoir un bon quart d'heure de calme devant lui. À peine cinq minutes plus tard, un cri retentit depuis la salle de bain. Terrence referma le roman avec violence et jura. Connaissant la maladresse légendaire de son compagnon, il se demanda dans quel état il allait le retrouver.
Blasé et tentant de conserver son calme, le blond entra, sans se presser, dans la salle de bain. Il y trouva un Sebastian avec juste une serviette autour de la taille, assis sur le rebord de la baignoire. Il avait les larmes aux yeux et soufflait sur sa main droite.
- Qu'est-ce que tu as encore fait ?
- Je me suis brûlé, tu le vois bien.
Son ton, inhabituellement froid, lui signifia que sa blessure était réelle et douloureuse. Cela n'empêcha pas le photographe de se moquer un peu.
- Tu ne sais même plus régler l'eau de ta douche ? Tu sais, c'est grave à ton âge.
Son amant lui jeta l'un de ses rares regards noirs.
- Je ne suis pas débile Terry. Vas-y, fais-le, puisque tu es plus intelligent que moi.
Bien que surpris par une telle provocation, Terrence haussa les épaules et commença par ouvrir le robinet d'eau froide. Il poussa instantanément un juron de douleur.
- Putain de merde ! Quel est le fils d'imbécile qui a fait ça ?
- Tu vois Terry, ce n'est pas de ma faute si les robinets d'eau froide et d'eau chaude sont inversés... (1)
Quelque peu vexé, le blond ne répondit rien jusqu'à ce qu'une idée lui traversa l'esprit.
- Je m'en voudrais que tu te blesses davantage. Que dirais-tu que je t'aide à prendre ta douche ? Juste au cas où ... Ensuite , on s'occupera de soigner ta brûlure.
Joignant le geste à la parole, il s'approcha de son amant pour l'embrasser.
- C'est une très bonne idée mon amour, je suis bien trop maladroit pour rester tout seul dans une douche si dangereuse.
- Je vais te protéger de ces vilains robinets, ne t'en fait pas.
Terrence entendit des coups discrets à la porte de leur chambre, mais il décida de les ignorer.
- SERVICE DE CHAMBRE !
-Terry, tu devrais aller ouvrir.
Ce dernier grogna quelque chose de particulièrement grossier et de bien trop fleuri pour les oreilles de Sebastian, qui leva les yeux au ciel.
-Mon amour, soit gentil avec la dame.
Le blond, irrité, n'adressa pas un mot à la pauvre employée et lui claqua presque la porte au nez. Il s'allongea ensuite sur le lit et se replongea dans son polar. Il fut rejoint par son compagnon, qui visiblement avait vaincu l'épreuve de la salle de bain. Ce dernier s'installa à ses côtés et posa sa tête contre lui.
-Tu es vraiment un vieux grincheux.
Terrence, qui n'appréciait pas qu'on lui rappela qu'il avait déjà trente-six ans, se mura dans le silence, vexé.
-Tu boudes ?
Sebastian murmura quelque chose à l'oreille de son petit-ami en souriant. Celui-ci haussa un sourcil et posa son livre.
-Tu ne m'achèteras pas ainsi, sale gosse. Il est l'heure de dormir.
-Rabat-joie.
-Oui, oui, je sais. Allez, dors bien.
Sebastian se blottit contre le photographe à la recherche de chaleur.
-Bonne nuit. Je t'aime, Terry.
Terrence appartenait à cette catégorie de personne qui ne parvenait pas à fonctionner tôt le matin et pour qui le café était une boisson sacrée, l'ambroisie des humains.
- Terry ! Allez, réveille-toi mon chéri !
Le blond sursauta et ouvrit les yeux avec difficulté. Pourquoi son amant hurlait-il de la sorte alors que le soleil ne semblait pas encore tout à fait levé ?
- Quoi ?
- Il faut te réveiller ! Le car part à huit heures et il est déjà sept heures ! En plus, le petit-déjeuner est servi !
Le créateur de bijoux étouffa un grognement dans son oreiller. Il maudit son petit-ami pour avoir opté pour un circuit au lieu d'un séjour classique et plus reposant. S'il ne l'aimait pas autant, il l'aurait déjà copieusement insulté pour l'avoir éveillé ainsi. Il se contenta de soupirer et de se lever sans enthousiasme. Il renonça à se raser et à se coiffer. Il jura en se cognant contre le coin de l'armoire et jeta un œil envieux au lit qui semblait l'appeler. Il résista tant bien que mal à ce chant de sirène et termina de s'habiller.
- J'arrive.
Le car roulait depuis près de deux heures sur une route traversant les Highlands, permettant au couple d'admirer ces paysages si spécifiques à l'Écosse.
- Terry, tu ne trouves pas que c'est super beau ?
- C'est plat je dirais. Mais oui, c'est joli.
Bruyères mauves, herbes vertes et champs ocre coloraient ces plateaux , uniquement peuplés de moutons et de vaches aux longs poils. Avec ses vastes étendues, cette région offrait un merveilleux aperçu de l'infini. Terrence nota dans un coin de son esprit, d'investir dans des pierres revêtant ces différentes teintes.
- C'est super bizarre qu'il n'y ait presque aucune maison.
- Avec sept habitants au kilomètre carré, c'est normal.
- Pardon ?
- Non, rien. Profite bien de la vue, on devrait arriver à Tomintoul d'ici une heure ou deux.
Le car arriva à destination, un superbe hameau de quarante habitants, pour l'heure du déjeuner. Ils dégustèrent un repas typique dans le restaurant de leur hôtel, aux allures de manoir hanté. À chaque pas, les marches et le plancher grinçaient, si bien que Sebastian fut persuadé de la présence de fantômes dans les lieux.
-Seb, ne fait pas l'enfant. Les fantômes ne servent qu'à créer des attractions pour touristes.
-Comment tu peux en être si sûr ? J'ai peur et c'est tout.
-Crois ce que tu veux, moi je dors.
-Terrence, je t'interdis d'éteindre cette lumière.
Le photographe jeta un regard désapprobateur au brun.
-Tu te fous de moi ?
-Pas du tout.
Le blond prit une grande inspiration.
-Tu sais que je t'aime, mais là tu me fatigues. Seb, je suis épuisé. Vraiment. Alors, dort dans mes bras si tu veux ; garde les yeux ouverts, je m'en fous, mais laisse-moi dormir.
Sebastian, ne souhaitant pas énerver son homme davantage, acquiesça.
-Et puis de toute façon, un fantôme n'aurait pas grand-chose à bouffer sur toi. Tu ne risques rien.
Le blond grimaça en recevant un coup de coude, qu'il savait mérité, et s'endormit paisiblement en serrant son petit-ami contre lui. Ce dernier, après plus de deux heures à scruter le moindre bruit, s'abandonna à son tour aux bras de Morphée ; bercé par la respiration de son amant.
Le lendemain matin, Terrence fut surpris par l'enthousiasme modéré du brun.
-Tu n'es pas content d'aller voir le Loch Ness ?
-Bien sûr que oui ! Je suis juste un peu fatigué, ça va passer.
Rassuré, le photographe vérifia son matériel avant de rejoindre le bus les menant à l'embarcadère. Il avait prévu d'utiliser les clichés du lac pour sa collection de bijoux de l'été prochain.
-Tu crois que le monstre est réel ?
- C'est possible qu'il existe un animal dans les profondeurs. Après, je ne pense pas qu'il s'agisse du monstre bizarre que tout le monde imagine.
Terrence avait visionné, des années auparavant, un documentaire sur le sujet, avec l'hypothèse que Nessie serait en fait un requin du Groenland. Il n'avait toutefois pas l'envie d'expliquer plusieurs heures de reportages à neuf heures du matin.
-Mais je trouve assez drôle d'imaginer un vieux monstre immense dormir tranquillement au fond de l'eau. Allez viens, la croisière va commencer.
Une heure durant, les touristes purent admirer la beauté du lac sous un ciel plus que clément. Le soleil brillait, bien qu'un délicat voile de brouillard planait çà et là. L'eau, grise et brillante, et la forêt émeraude sur les rives, renforçaient l'effet magique du paysage, un spectacle surnaturel digne des contes de fées. De bonne humeur, Terrence avait prêté son appareil à son amant. Ce dernier, ravi, prenait des photographies à une vitesse impressionnante, augurant une somme de travail colossale au blond. Il sourit toutefois devant l'entrain du brun, jusqu'à ce que celui-ci fasse tomber l'appareil sur le sol du bateau. Le sourire de Terrence s'effaça en un millième de seconde.
- Mais fais attention, bon sang ! C'est mon outil de travail.
- Désolé Terry ...
Sa voix était étouffée, comme retenue dans sa gorge. Il se leva, s'assit à côté du blond et attrapa sa tête entre ses mains. Quelques larmes de douleur s'échappèrent de ses yeux.
- J'ai mal Terry... Mal à la tête... Vraiment très mal...
L'inquiétude emplit les yeux verts du photographe. Il espérait de tout cœur que cela n'ait absolument aucun lien avec la lettre qu'il avait trouvée le mois dernier. Il serra son amour de toutes ses forces afin de le calmer un peu. Sebastian appuya sa tête contre le torse de son homme, dans un vain espoir d'apaiser sa douleur. Leurs vacances s'achèveraient ici, sous des augures que Terrence n'appréciait guère.
(1) Basé sur des faits réels
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