Chapitre 15

Trois ans plus tard

Le couple avait, depuis un peu plus d'un an, emménagé dans une grande maison à la campagne, loin de l'agitation et des discriminations du centre-ville. Bien qu'ils en discutaient déjà lors des préparatifs de leurs mariage, ils avaient décidé de sauter le pas après une énième dispute avec l'une de leurs vieilles voisines. Cette dernière avait tellement exagéré dans ses propos, qu'elle avait réussi à mettre Sebastian dans une colère noire. Ce dernier sortait d'une extraction des dents de sagesse deux jours auparavant et le gonflement persistant de sa joue droite l'avait mis de mauvaise humeur. La dame, la même qui avait appelé la police lorsque le brun avait crié pendant l'un de ses streams, lui demanda si Terrence l'avait encore frappé. Le photographe avait soupiré, quelque peu irrité qu'on le pense capable, encore et toujours, de lever la main sur son compagnon. Il avait senti le jeune homme lui lâcher le bras et il avait laissé libre cours à sa colère. Le blond n'avait pas souvenir d'avoir entendu des paroles aussi fleuries et violentes sortir de la bouche de son mari, ni de l'avoir vu aussi rouge et énervé. Il avait d'ailleurs dû se retenir de rire devant la mine outrée de la sorcière, afin de ne pas s'attirer, lui aussi, le courroux de son bien-aimé. Des lasagnes, un gâteau et un câlin plus tard, le brun s'était calmé et était parvenu à s'endormir.

Ce fut à cette période qu'ils apprirent que Louis, l'oncle homophobe et dangereux de Sebastian, avait été libéré pour bonne conduite. Il avait été sanctionné d'une injonction d'éloignement, mais le couple n'en restait pas moins inquiet. Ainsi, une semaine plus tard, ils entamèrent leur recherche de maison, un foyer où ils bénéficieraient d'un grand espace pour travailler et créer, ainsi que d'un extérieur agréable. Ils jetèrent leur dévolu sur une spacieuse villa de plain-pied, située à la sortie d'un petit village où aucun voisin ne pourrait venir les importuner. Ils y emménagèrent le lendemain de la remise de diplôme du jeune homme, qui avait réussi à ne jamais aller à aucun rattrapage. Fier de lui, il était allé dire quelques mots désagréables à son détestable professeur avant de s'en aller définitivement. Ce dernier n'avait cessé de le dévaloriser et avait même tenté de l'humilier devant les autres élèves lorsqu'il avait appris son mariage.

«Je suis marié, diplômé et heureux. Vous et votre jalousie malsaine, je vous emmerde.»

L'arrivée du couple dans le village fut remarquée, notamment à cause de la voiture de sport de Terrence, qui dénotait dans cette ambiance champêtre. Néanmoins, la bonne humeur de Sebastian ne mit pas longtemps à séduire les petits commerçants du coin et, en quelques mois, tout le monde l'appréciait déjà. Il allait faire les courses deux fois par semaine et passait presque toute sa matinée à discuter avec tout le monde. Étrangement, personne ne lui fit la moindre remarque quant au fait qu'il était marié à un homme. La vielle boulangère, lui offrait d'ailleurs souvent des pains au chocolat supplémentaires pour ce dernier.

Terrence, lui, ne sortait que très peu, préférant de loin passer des heures dans leur grand jardin, qu'ils aménageaient peu à peu. Habitué à ce que les gens l'ignorent ou le détestent, il fut très surpris de constater que les commerçants étaient impatients et heureux de le rencontrer. S'il avait su que leur déménagement se passerait aussi bien, il aurait accepté bien avant de quitter leur appartement.

Sebastian, qui était toujours incapable de cuisiner le moindre plat un tant soit peu comestible, avait pourtant entamé la construction d'un petit potager. À ses yeux, il s'agissait de sa contribution aux délicieuses recettes que lui préparait le photographe.

Terrence ne savait par quel miracle, mais son anxiété quant à ce changement de lieu et d'habitudes s'était envolée en quelques semaines à peine et il était désormais un homme serein et heureux. Creuser un immense fossé entre son passé, les regards désobligeants, les rumeurs mesquines et eux, lui avait fait le plus grand bien. Il se sentait libre et en paix avec lui-même.

Sebastian,dont les mèches violettes partaient dans tous les sens, était concentré sur sa nouvelle illustration. Il n'entendit pas son mari entrer dans le salon, où, grâce à la gigantesque baie vitrée, il disposait d'une lumière idéale pour peindre et dessiner. Il poussa un petit cri quand ce dernier posa ses mains sur ses épaules.

-Ne me fais pas peur, je dois finir cette commande pour demain.

Terrence sourit, satisfait de voir son compagnon travailler aussi efficacement et connaître un joli succès, notamment grâce à son ancienne communauté qui avait suivi attentivement son évolution, entre la fin des streams et son début en tant qu'artiste.

-Je voulais juste te prévenir, qu'après mûre réflexion, j'étais d'accord.

Le brun posa son marqueur et se tourna vers son homme.

-De quoi tu parles ?

-Pour le chien. Je suis d'accord pour qu'on en prenne un.

Sebastian sauta dans les bras du photographe et l'embrassa fougueusement.

-Merci mon amour, merci ! Je ne pensais pas que tu changes d'avis un jour !

-Je me suis habitué à cette maison et je m'y sens très bien. Je suis heureux que l'on est pris la décision de quitter notre appartement et la ville. Désormais, je me sens prêt à m'occuper d'un autre être vivant. Mais pitié, prend un gros chien pas trop moche. Je ne veux pas me retrouver avec un rat qui aboie.

Le brun leva les yeux au ciel en souriant.

-Merci Terry.

-De rien. Si tu veux, on pourra aller à la SPA dès demain. En attendant, je te laisse bosser.

Terrence s'installa sur leur terrasse ombragée, une tasse de café en main. Ce début de printemps au grand air était agréable, bien plus doux et reposant que sur leur ancien balcon. Il joua avec l'emballage des viennoiseries et observa le papier qu'il avait reçu un peu plus tôt. Il s'agissait de l'avis de décès de sa mère, qui avait décidé de mettre fin à ses jours par overdose. Elle qui avait toujours vécu pour et par la drogue et les stupéfiants, Terrence n'était en rien étonné par cette fin. Et pour être tout à fait honnête, cette nouvelle le réjouissait. Pour la première fois de sa vie, il ne craindrait plus que sa génitrice se décide à venir lui causer du tort, son père ayant fini par se tuer bien des années auparavant. Il ne s'inquiéterait plus jamais qu'elle tente de reprendre contact avec Dyron. Le blond se sentait libéré d'un poids, comme si elle avait emporté avec elle une partie de sa rancœur. Ses parents n'étaient désormais plus que poussière et il ne portait même plus leur nom, levant la malédiction de ses souvenirs.

D'ici quelques mois, Terrence fêterait ses quarante ans, âge qu'il n'aurait jamais imaginé atteindre. Dès sa naissance en prison, son jeune corps s'était battu pour survivre, en dépit de la maltraitance aussi bien physique que mentale. Aujourd'hui encore, il se souvenait des jours passés sans manger, des mégots écrasés sur sa peau trop pâle ou des coups qui pleuvaient. Jusqu'à sa mort, les cris et les spectres de la dépravation danseraient dans sa mémoire. Jusqu'à la fin, son esprit combattrait les ombres de son adolescence brisée et de son corps souillé. Pour son jeune frère, pour lui donner une ancre et un phare, il avait continué à vivre mais avait imaginé être emporté par un vice quelconque ou se suicider en prison. Terrence n'avait pas appris à aimer et encore moins à être aimé. Il était un animal solitaire, sauvage et blessé, préférant jouer la carte de la violence plutôt que d'accorder sa confiance. Il n'aurait jamais imaginé que quelqu'un parvienne à l'apprivoiser et à lui donner une raison de s'améliorer. Et même si certaines nuits, de sombres cauchemars le hantaient, le photographe s'estimait en paix avec lui-même et son passé. Il n'avait plus peur de ses réactions et vouait une confiance absolue à son époux. Sebastian avait été son salut dans son combat pour vivre. À présent, son seul regret, sa seule crainte, était liée à leur quinze ans d'écart. Si la vie suivait son cours, il partirait bien avant son mari, le laissant seul avec leurs souvenirs, dans cette grande maison qu'ils venaient d'acheter.

-Terry, tout va bien ? Tu m'as l'air bien pensif.

Le blond sourit à son compagnon et l'invita à s'installer sur ses genoux.

-Mes quarante ans approchent à grand pas. Je réfléchissais à ce que j'ai fait de bien jusqu'à présent. Tu as une idée ?

-Alors déjà, tu as pris soin de ton frère et tu as beaucoup sacrifié pour lui.

-Avec nos parents, je n'ai eu guère le choix.

-Tu aurais pu te montrer égoïste et l'abandonner à son sort.

Sebastian vola la tasse de café et en but une gorgée.

-Quoi que tu en penses, tu es devenu un oncle super pour la fille de Lizaette.

-C'est faux. Je n'aime pas les enfants.

Le brun rit devant tant de mauvaise foi.

-Ce n'est pas l'avis de notre nièce.

Le photographe récupéra sa tasse sans un mot. Il était possible que son époux ait raison et qu'il soit complètement gâteux de l'enfant. Il était toutefois hors de question de l'avouer. 

-Tu sais, tu m'as appris à aimer mon physique et à m'accepter tel que j'étais. Quand je t'ai rencontré, je ne parvenais même pas à assumer mes goûts ou mes décisions.

-Il est vrai que la première fois où je t'ai photographié, j'ai cru devenir fou tant tu étais mal à l'aise.

-Et puis surtout ... Sans toi, je n'aurais eu ni l'envie ni le courage de subir mon opération, de me faire soigner et d'en accepter les conséquences. C'est parce que je savais que tu m'attendais, que j'ai hésité à me suicider. C'est parce que tu m'as encouragé, qu'aujourd'hui je peux vendre mes dessins sans honte. C'est parce que tu m'as appris à me détacher du regard des autres, que je réussis enfin à ne plus être anéanti par les insultes que je peux parfois recevoir. Terry, sans toi, j'aurais abandonné mon combat pour vivre et je me serais contenté de mourir dans un coin de ma chambre, emporté par ma tumeur et le souvenir du harcèlement scolaire. Tu es mon bonheur Terry.

Terrence attira son époux contre lui et l'enlaça avec force.

-Seb, je compte t'embêter le plus longtemps possible, alors j'ai décidé d'arrêter.

Le jeune homme regarda en souriant le paquet de cigarette entamé que venait d'écraser son époux.

-C'est une excellente idée mon amour.

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Merci d'avoir suivi Terrence et Sebastian jusqu'au bout ! 

À bientôt !

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