Chapitre 10
Même quarante-huit heures après leur retour à l'appartement, Sebastian ne réalisait pas encore que le photographe lui avait dédié une collection de bijoux. Il n'aurait jamais imaginé qu'un jour il puisse être digne d'une telle attention. Il devait désormais patienter jusqu'à la fin de son concert d'adieu pour en découvrir le contenu. Il trépignait d'impatience et se retint de harceler son compagnon. Toutefois, il était inquiet que Terrence refuse de rester chez eux après son accident. Il craignait que ses blessures n'empirent ou s'aggravent, mais il était physiquement incapable d'obliger le blond à se reposer.
-Ne me regarde pas ainsi, je ne changerai pas d'avis. Je me moque de mon entorse, je vais assister à ton dernier concert, un point c'est tout.
-«Quel intérêt ? C'est du play-back et en plus tu détestes nos chansons. Et puis tes côtes fêlées te font souffrir.»
Il attrapa une cigarette et se dirigea vers le balcon. Il s'était promis de ne jamais fumer près de Sebastian et aucun accident ne le ferait mentir. Intoxiquer son petit-ami était hors de question, peu importait les circonstances.
-Va te préparer au lieu de discuter. Lizaette ne va pas tarder.
S'il était tout à fait honnête, au début de leur relation, il ne supportait guère d'écouter les créations musicales du brun. Mais avec le temps, il avait appris à les apprécier, bien qu'il se soit toujours bien gardé de l'avouer. Il avait également conscience que ces adieux à la scène représentaient une épreuve difficile pour Sebastian, si bien qu'il se devait d'être là pour le soutenir.
Un rêve contre une vie. Assis par terre et adossé contre leur lit, Sebastian scrutait la penderie ouverte d'un air accusateur. Les mille trois cents billets de ce soir s'étaient vendus en un rien de temps et le brun souhaitait que tout soit parfait. Il avait d'ailleurs décidé de retransmettre cet ultime concert en stream, puisque la grande majorité des fans du groupe appartenait à sa communauté. Ainsi, cela lui permettrait de faire un adieu global et lui offrirait une chance de tourner la page le plus rapidement possible. Bien qu'il ait reçu des centaines de messages lui demandant de ne pas arrêter, même s'il ne parlait pas, il ne s'en sentait pas capable. Ce qu'il appréciait dans ses lives, hormis le fait de jouer à différents jeux, était l'aspect interactif. Sans cette communication, il n'avait plus l'envie de continuer. De plus, il avait beaucoup perdu de ses réflexes et de sa proprioception et ne savait pas s'il pourrait de nouveau jouer aussi bien qu'avant. Ses rêves pour sa vie. Et même s'il lui faudrait du temps pour accepter, il ne regrettait plus son choix.
-Tu t'en sors ?
Sebastian sourit. Pour Terrence, pour avoir la chance de demeurer à ses côtés, il ne regrettait rien.
Le trajet en voiture se fit sous un silence pesant et ni Lizaette ni Terrence ne semblaient prêts à engager une quelconque conversation. La pianiste, de plus en plus anxieuse, n'avait pas le courage de parler. Le blond, quant à lui, sentait ses côtes le lancer et il dût prendre sur lui pour ne pas laisser sa douleur transparaître. Il refusait que son compagnon s'inquiète pour lui dans un moment pareil. À peine arrivé, le photographe rejoignit ses futurs beaux-parents en boitant, sa fierté lui ayant fait refuser de sortir avec une béquille. Ces derniers lui sourirent, fait étrange à ses yeux. Il avait encore du mal à réaliser que ce couple qui le haïssait tant, encore quelques mois auparavant, avaient finalement décidé de lui laisser une chance et de l'accepter dans leur famille. Terrence en était venu à regretter son attitude exécrable lors de leur première rencontre et s'en voulait toujours d'avoir prononcé des paroles aussi crues à leur encontre. Avec le recul, il comprenait parfaitement que le couple ait été terrifié d'apprendre que leur unique enfant, leur bébé à peine adulte, quittait la maison pour s'installer avec un homme de quinze ans son aîné et avec un passé parsemé de violence et de prison.
-Terrence, tout va bien ?
Marie semblait inquiète.
-Oui, Sebastian se rétablit correctement et recommence à prendre du poids. Puis il envisage enfin ce qu'il compte faire par la suite.
-Je parlais de vous Terrence.
Le photographe resta muet de surprise quelques instants, tant il était rare que quelqu'un s'inquiéta pour lui.
-Mon entorse et mes côtes vont guérir, je dois juste me montrer patient. Quant à ma dispute avec Sebastian, ce fut un mal pour un bien. On est prêt à laisser ces mois difficiles derrière nous.
-Je suis heureuse de l'entendre. N'hésitez pas à venir manger à la maison dès que vous pourrez conduire de nouveau.
-Avec plaisir.
À l'abri des regards, le technicien fit signe au duo qu'il était l'heure d'y aller et ils le suivirent jusqu'à la scène. La retransmission sur sa chaîne de stream était désormais lancée et près de six mille abonnés étaient déjà présents. Les deux amis s'installèrent dans le calme, sous les murmures provenant de la salle. Une voix annonça que le spectacle commençait. Le rideau s'ouvrit dans une infinie lenteur, sous un torrent de cris et d'applaudissements. Le play-back fut lancé, Lizaette commença à jouer et le brun ferma les yeux, imaginant qu'il chantait pour de vrai.
Dans une valse réglée au millimètre, leurs chansons se succédèrent. Le brun eût alors l'étrange sensation d'être revenu quelques mois en arrière, quand rien n'avait encore changé. Deux heures passèrent ainsi, s'évaporant à une vitesse inouïe, lui laissant un goût amer dans la gorge.
Il était désormais temps d'éteindre la lumière, celle de ces projecteurs multicolores qui avaient illuminée toutes leurs prestations. Grâce à leurs chansons, ils leur avaient apporté du bonheur et les avaient diverti. Toutefois... Chers amis, cher public, ce soir c'était la fin. Au revoir, au revoir, cet ultime concert était leur cadeau d'adieu. Plus que quelques minutes, et la chanson se terminerait, et à cet instant précis ils vous salueraient une dernière fois.
Merci à vous, de les avoir soutenu et de leur avoir permis d'accéder à la célébrité. Ils ne vous remercieraient jamais assez de leur avoir permis d'exaucer leur rêve d'étoiles et de paillettes. Ils auraient tant voulu continuer à vous offrir leurs chansons et leur musique, mais...
Chers amis, cher public, ce soir c'était terminé. Au revoir, au revoir à vous qui les avez suivi jusqu'ici, jusqu'à la dernière seconde. « Un de ces jours, nous reviendrons », ne gardez pas en vous cet espoir, car à leur grand regret, il ne se réaliserait pas.
À présent, ils saluaient cette scène qui les avait accueillis, en espérant que vous avez apprécié ces adieux. Maintenant, la chanson touchait à sa fin et le rideau ne tarderait pas à tomber sur eux, qui ne reviendraient jamais devant vous.
Le groupe continuerait à jouer dans votre cœur et dans votre mémoire, tant que vous écouterez leurs albums et sa voix. Le temps avait passé trop vite, et le concert s'achevait déjà. Encore quelques ultimes phrases, et ils devraient vous tirer leur révérence. Désormais, la course de la musique continuerait sans eux.
Ils reviendraient ensemble... Voilà ce qui était prévu. Ils reviendraient devant vous... Tel était leur souhait. Malheureusement, ils ne reviendraient jamais, alors adieu. Adieu à vous tous, grâce à qui ils étaient là aujourd'hui. Adieu, vous ne les reverrez plus ici.
La musique s'arrêta. Les applaudissements et les cris fusèrent. Main dans la main, Sebastian et Lizaette avancèrent devant la scène. Sur le live, plus de trente mille abonnés avaient répondu présent. Ils saluèrent leur public une dernière fois, leurs larmes coulant à l'unisson. Son amie prononça un dernier « merci » et un ultime « adieu ». Le rideau tomba alors devant eux. Terminé. Tout était terminé. Ici s'achevait leur carrière, ici leur rêve prenait définitivement fin. La lumière s'éteignit progressivement dans la salle et ils rejoignirent les loges, où Terrence attendait.
Sebastian se jeta dans les bras de son homme et laissa couler ses larmes, retenues depuis trop longtemps. Un jour, il sourirait en se souvenant de tout ça, il en était sûr. En attendant, il allait entamer une vie nouvelle, loin des paillettes et des lumières, une vie nouvelle pour se construire un avenir radieux, auprès de ceux qu'il aimait et sur les douces notes de l'amour et de l'amitié.
La tristesse de son compagnon serra le cœur du photographe. Il se sentait impuissant et ne savait quoi faire pour l'aider. Il lui avait alors murmuré :
-Seb, je ne t'imposerai pas ma présence. Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là.
Sebastian lui en fut reconnaissant, car son homme avait compris qu'un peu de solitude lui serait nécessaire afin de remettre de l'ordre dans son cœur.
Les deux jours suivants, le blond resta cloîtré dans son bureau, travaillant sur l'un de ses nouveaux projets, celui inspiré des paysages écossais. Il ne dérangea pas le brun dans le tri de ses affaires, le laissant entamer son deuil à son rythme. Le lendemain, il entendit le jeune homme entrer à pas de loup dans son bureau.
-Tu as besoin de quelque chose ?
-«Si tu as un moment, j'aimerai voir la collection. J'ai hâte.»
Terrence sourit, amusé par l'impatience de son compagnon.
-Je ne pensais pas que tu tiendrais aussi longtemps sans me demander.
Le brun lui tira la langue, laissant apparaître son piercing rouge et s'installa sur le tabouret.
-Je te présente donc ta collection, composée de trois bracelets et deux piercings. C'est en or blanc, bien évidemment. Tu as l'air surpris.
-«C'est la première fois que tu crées des piercings mais aussi qu'il n'y a pas de collier ou de pendentifs. C'est tellement beau.»
-Je n'allais pas mettre un collier dans ta collection, alors que tu n'aimes pas ça.
Il observa avec attention chacune des pièces.
-«Ça me fait l'effet de plumes gravées. Un peu comme une aile d'ange.»
-Qui sait ...
-«Et toutes ces pierres bleues, c'est vraiment magnifique. Elles ont tellement de reflets différents !»
Le photographe ne releva pas sur "les pierres bleues", sachant que son petit-ami ne saurait pas distinguer l'or de la pyrite.
-Allez viens là, sans m'écraser les côtes.
Sebastian prit place sur les genoux de son homme et posa sa tête contre son épaule.
-«Merci mon amour. »
Terrence l'enlaça avec douceur.
-Il s'agit de mon métier et je n'avais même pas encore pu t'en faire vraiment profiter. Tu le mérites, tu sais. Dans les prochains jours, on pourra prendre les photos, si tu veux bien ?
Sebastian hocha la tête et ferma les yeux, caressant la nuque de son homme.
Le blond n'avait guère envie de briser ce moment de tendresse, mais ils devaient discuter de l'avenir.
-Seb ... L'hôpital a appelé pour me prévenir que tu avais annulé toutes tes séances d'orthophonie et de psy. Je peux savoir pourquoi ?
L'ancien chanteur se blottit davantage contre le torse du photographe, en prenant garde à ne pas appuyer sur ses côtes blessées.
-«Je n'ai pas envie de retourner là-bas. Et puis la psy est trop méchante. Je la déteste.»
- Sans l'aide précieuse de l'orthophoniste, tu sais que tu risques de ne pas parvenir à parler pendant encore plus longtemps, n'est-ce pas ? Comment ça, méchante ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?
-«Laisse-moi gérer ça s'il te plaît. Je veux reparler. Fais-moi confiance. Et je t'interdis d'insinuer que je devrais commencer à apprendre le langage des signes.»
-Très bien, fais comme tu le sens.
Terrence se retint de soupirer. Malgré son envie irrésistible de traîner son compagnon à ces séances, car sa voix lui manquait, il demeura calme. À bientôt trente-sept ans, il avait passé l'âge d'agir comme un enfant capricieux et, surtout, il ne souhaitait pas se disputer de nouveau avec son amant.
-Par contre, tu ne m'as pas répondu pour la psy.
Sebastian soupira.
-«C'est une vieille femme aigrie. Elle n'arrête pas de dire que ce sont les jeux vidéo et mon homosexualité qui m'ont conduit à ma tentative de suicide. »
-Quoi ? Mais qu'elle aille se faire pendre. En effet, il est hors de question que tu retournes la voir.
-«Je n'en ai pas besoin de toutes les façons. Je vais beaucoup mieux et c'est grâce à toi.»
Le photographe déposa un doux baiser sur son front, heureux d'avoir pu être utile à l'homme qu'il aimait.
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