Chapitre 1

Bienvenue dans la lecture de ce nouveau récit.

Ce roman est déjà disponible en version intégrale sur Kobo et Bookelis au format numérique (c'est gratuit!). Je posterai tous les chapitres ici.

Une version papier sera disponible un peu plus tard, pour les intéressés (avec quelques goodies).

Bonne lecture!

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     Les emballages des petits œufs de Pâques s'accumulaient derrière la tasse à café dans un rythme endiablé. Minuscules démons colorés au cœur gourmand, ils tentaient d'entraîner, une fois encore, une pauvre âme dans un excès de gourmandise. Sa main en attrapa machinalement un autre, mais sa conscience le retint. Il serait si humiliant et stupide de succomber à une crise de foie. Il n'était plus un enfant depuis longtemps et était capable, en théorie, de résister à la tentation. Dans un élan de courage, il rangea le chocolat dans un tiroir et se promit qu'il attendrait le lendemain pour y toucher de nouveau, certain qu'il ne risquait pas de disparaître.

     En ce mois d'avril, le soleil hibernait encore et ne semblait pas disposé à se montrer. Piégé dans cet étrange printemps automnal, Terrence n'avait jamais été aussi heureux de travailler à l'abri de son grand appartement de centre-ville. Photographe et créateur de bijoux, il ne sortait de son antre qu'en de rares occasions, fuyant la foule et son brouhaha malsain. Chaque jour, il bénissait l'inventeur d'internet, des commerces en ligne et de la livraison à domicile. Il regrettait cependant de ne pas disposer d'un jardin, dernier rempart dans sa quête de tranquillité.

     Le fracas de la pluie, mélodie aussi violente qu'entêtante, assassina sa concentration. Le moment était mal choisi, la date limite pour envoyer ses commandes approchant à grands pas. Il jeta un regard las sur son cendrier bien trop rempli. Il devrait penser à le vider, afin de ne pas attiser l'inquiétude de son compagnon vis-à-vis de cette mauvaise habitude, habitude qu'il avait depuis ses quatorze ans. Bien qu'il lui ait promis de diminuer sa consommation, il n'y était pas encore parvenu, trop effrayé par les conséquences créées par le manque. Terrence craignait de devenir encore plus irritable et difficile à vivre. Il sentit alors une once de culpabilité poindre en lui, flamme fébrile qu'il dissipa en l'espace d'un battement de paupières. Il s'agissait de sa santé et il ne fumait jamais ailleurs que dans son bureau ou sur le balcon. Il n'avait donc pas à s'en vouloir, ou du moins essayait-il de s'en persuader.

     Le blond bâilla, son esprit épuisé par une après-midi entière de création et s'octroya une pause bien méritée. Il s'étira et grimaça en sentant les contractures de son dos. Son corps aimait lui rappeler qu'il n'avait plus vingt ans et il n'appréciait guère être obligé de se ménager. Il appuya sur sa nuque et ne put réprimer un couinement de douleur. Vaincu, il se dirigea vers la chambre à coucher, dans l'espoir de s'offrir une sieste réparatrice ; habitude que son petit-ami l'avait forcé à prendre après qu'il soit tombé d'épuisement. Il avait encore honte de s'être évanouit au beau milieu de son salon, pile au moment où il annonçait à son compagnon se sentir en pleine forme après deux nuits blanches et une infinité de cafés. Le mois qui suivi cet incident, le jeune homme surveillait son aîné en permanence, attentif aux moindres signes de surmenage. Lassé, Terrence avait alors accepté de s'octroyer des pauses régulières et de prendre soin de sa santé.

     À peine fut-il entré dans la pièce, que le monstrueux désordre des étagères le frappa. Il soupira, ne tentant même pas de résister à ses pulsions et commença à ranger. Il se rendait bien compte que son côté maniaque relevait presque de l'obsession, mais il ne pouvait guère s'en empêcher, trop rassuré par l'ordre et la propreté. Ainsi, Terrence se demandait souvent comment il parvenait à vivre avec une personne si désordonnée ; à croire que l'amour lui avait offert un supplément de patience. Il enleva avec un manque certain de délicatesse les livres de leur support et les balança un à un sur le lit, s'interrogeant un instant sur la raison qui le poussait à les garder. Les liraient-ils à nouveau ? Avait-il apprécié le récit au point de souhaiter le conserver ? L'ouvrage en lui-même était-il beau ? Sa passionnante réflexion fut troublée par une enveloppe blanche qui tomba de l'un des bouquins, un roman d'horreur qu'il n'avait jamais vu. À sa connaissance, son petit-ami lisait peu et détestait ce genre d'histoire. Curieux, il ramassa la missive et la décacheta. Il y trouva deux feuilles argentées pliées en deux. La première se révéla être un testament. Dehors, le tonnerre avait rejoint l'averse.

« Moi, Sebastian Warne, né le 9 mars 1997, je lègue la moitié de mes biens financiers à ma meilleure amie, Lizaette Bernoit, née le 20 mai 1997 ; et l'autre moitié, ainsi que l'intégralité de mes possessions , à mon compagnon,Terrence Harvett, né le 7 novembre 1982 .

En ce qui concerne mes obsèques et mes cendres, je donne les pleins pouvoirs à Terrence Harvett. »

     Terry ne put réprimer un frisson. Était-ce une procédure normale pour un chanteur d'un groupe en plein essor ? Qui plus est quand ce chanteur était également un streamer connu ? Cet espoir fut balayé en un instant par la lecture de la seconde lettre. Lui qui était sujet à des accès de colère, il dût se faire violence pour ne pas tout casser dans la pièce. Le tonnerre se rapprocha, illuminant la pièce de terribles éclairs.

«Cette lettre est adressée à Terrence Harvett.

Cher Terry,

Je me demande dans quel état tu es en ce moment. As-tu pleuré le jour de mon enterrement ? Ma présence te manque t-elle ? Essaies-tu de m'oublier ou penses-tu sans cesse à moi ? Et surtout... M'en veux-tu de ne t'avoir rien dit ? Tu sais Terrence, je n'ai jamais cherché à te mentir. Jamais. Cependant, je n'ai pas trouvé le courage pour te parler de ma maladie. J'avais peur que tu me rejettes en l'apprenant. J'ai été égoïste. Pardon. Tu sais, ce n'est que trois mois avant notre rencontre que les médecins m'ont annoncé que mon mal était stabilisé depuis suffisamment longtemps pour qu'une opération ne soit pas à envisager. Lassé par les rendez-vous médicaux, j'ai décidé de ne plus me faire surveiller. Malheureusement, si tu lis cette lettre, c'est que je suis mort et que ma tumeur a fini par m'emporter. Je suis désolé de ne pas m'être fait surveiller. Je suis désolé de te laisser. Je voudrais que tu saches que ces années que j'ai passé avec toi, ont été les plus belles de ma vie malgré les difficultés. Tu as été le seul à qui j'ai offert mon cœur et à qui j'ai confié mon âme. Merci de m'avoir accepté à tes côtés. Merci de m'avoir aimé à ta manière. Merci de m'avoir fait confiance. Merci de m'avoir appris à m'accepter. Merci pour tout, mon amour. Désormais je veillerai sur toi de là-haut afin que ton cœur ne redevienne jamais froid. Un jour, nous nous retrouverons dans le firmament, je te le promets. Adieu Terry, mon cœur, mon amour. Je t'aime.

Seb. »

     Le photographe lâcha la lettre et tomba à genoux sur le sol. Il fixa avec dédain la missive funeste, augure d'un futur chamboulé. Il aurait tout donné pour qu'il s'agisse d'une mauvaise blague, d'un canular de très mauvais goût. Malheureusement, il savait incapable son compagnon d'une telle méchanceté. Sebastian était bien trop jeune pour mourir et surtout, il n'en n'avait pas le droit. Lui, qui, hier soir encore, riait aux éclats, pourquoi avait-il rédigé une telle abomination ? Terrence tenta d'apaiser les spasmes qui lui parcouraient le corps et prit une grande inspiration dans un vain espoir de se calmer. Dehors, le déluge se poursuivait, inondant caves et petites rues. Il se mordit la lèvre inférieure et laissa son poing s'abattre sur le mur. Rouge. Couleur de l'amour. Couleur du sang. Il observa sa main, tremblante et blessée, sans vraiment la voir. Dans sa bouche, un goût métallique, bien trop familier, se répandit peu à peu. Les tremblements de Terrence s'accentuèrent. Il ne devait pas perdre le contrôle. Surtout pas. Une petite voix inquiète, soleil vivace au milieu de sa tempête intérieure, lui parvint de l'entrée de la pièce.

- Terrence chéri, ça va ?

     Le blond, dont le dos était de plus en plus douloureux, se releva avec lenteur et se tourna vers son amant, dont les cheveux bruns dégoulinaient de pluie. Ses habits trempés lui collaient à la peau, offrant un tableau aussi adorable que désespérant ; car, une fois encore, il avait oublié son parapluie. Face à la flamme menaçante qui luisait dans les yeux verts de son homme, Sebastian esquissa un mouvement de recul.

- Terry ? Je ne t'ai jamais vu ainsi et tu me fais peur. Je suis désolé de mouiller le parquet. Je vais prendre une douche et tout nettoyer.

-Je m'en bats bas les couilles du parquet !

     Sa voix était sourde et menaçante, revêtant un ton que son interlocuteur n'avait jamais entendu. Ce dernier frissonna, inquiet et apeuré. Quelques gouttes s'échappèrent de l'une de ses mèches violettes et s'écrasa sur sa joue.

-Terry, qu'est-ce que tu as ?

     Le créateur ne répondit pas et avança vivement vers le chanteur, qui se retrouva plaqué le dos contre le mur abîmé. Jamais il n'avait vu son petit-ami sous un jour si effrayant. Jamais, il n'avait eu affaire à la version violente de son compagnon, cette facette de sa personnalité qui lui avait offert un sombre passé.

- Terrence...

     Une voix malveillante, chimère de vils commérages, lui murmura de fermer les yeux car il allait être frappé. Toutefois, il entendit seulement un coup porté contre le mur, ce malheureux mur qu'il devrait de nouveau réparer. Soufflant un grand coup, il rouvrit ses paupières et s'aperçut que son amant était à quelques millimètres à peine de lui et avait une main de chaque côté de son corps, lui interdisant tout mouvement. Seul vingt centimètres les séparaient, mais le streamer se sentit soudain minuscule.

- Terry, tu me fais vraiment peur... Et en plus tu t'es blessé. Qu'est-ce que tu as ? Dis-le-moi, s'il te plaît.

     Le photographe, dont l'agressivité l'avait autrefois conduit en prison, tenta d'inspirer profondément. Il ne souhaitait pas effrayer son ange, mais sa colère, bien trop vivace, prit le dessus.

- Que signifie cette lettre ? QU'EST-CE QUE ÇA VEUT DIRE, BORDEL ?

     Il indiqua le papier argenté posé sur le sol. Le jeune homme déglutit avec difficulté, le poids de son secret coincé dans la gorge. Il baissa ses yeux bleus, honteux, tel un enfant prit en faute.

- Pardonne-moi.

     Et Terrence détestait les enfants.

- Réponds à ma question, Sebastian ! Réponds ! Tu ne t'en sortiras pas avec une simple excuse ! Et puis, bon sang, regarde-moi quand je te parle !

     Terry attrapa son amant par les épaules et le secoua avec force. Celui-ci éclata alors en sanglots, désormais terrorisé. Jamais il n'avait vu son homme dans un tel état et il n'avait aucune idée sur ce qu'il allait se passer. Il avait toujours eu confiance en lui, mais son esprit refusait de se calmer.

- Arrête Terrence ! S'il te plaît...

    Les larmes de Sebastian firent revenir le photographe à la réalité et il le lâcha, choqué de s'être emporté de la sorte. Le chanteur se laissa glisser contre le mur en pleurant.

- Terry... Je suis tellement désolé, si tu savais... Je ne cherchais pas à te mentir, mais j'avais peur. Peur que tu saches.

    Calmé par le désarroi apparent de son amour et sentant la culpabilité l'envahir face à son accès de violence ; Terrence s'accroupit et enlaça son homme. Il tenta de prendre sa voix la plus douce avant de parler à nouveau.

- Seb, explique-moi. S'il te plaît. Je suis désolé de t'avoir violenté ainsi. Je n'ai aucune excuse. Pardon mon ange. Jamais je ne lèverai la main sur toi. Jamais je ne pourrais te frapper. Tu le sais, n'est-ce pas ? Je ne veux pas que tu aies peur de moi.

     Les tremblements du brun s'apaisèrent.

- Je sais Terry, je sais. Tu m'as effrayé, mais ça va aller. Et j'ai toujours une confiance absolue en toi, ne t'inquiètes pas. En ce qui concerne la lettre ... Tu ne vas pas me laisser ?

- Bien sûr que non, imbécile. Je ne t'abandonnerai pour rien au monde.

- Comme tu le sais déjà, j'ai toujours eu une santé assez fragile. Malheureusement, il y a quelques années, les médecins ont découvert une tumeur dans mon cerveau. Elle était vraiment très discrète. Après des mois et des mois de surveillance, elle ne progressait toujours pas. Une opération n'était donc pas à envisager. Comme j'en avais assez, je ne suis plus jamais retourné me faire contrôler. Depuis près de deux ans je vais bien et j'espère que cela va durer. Si j'ai de nouveau de violents maux de tête, je te promets que je retournerai consulter. Mais pour le moment tout va bien ! Ne t'inquiètes pas, d'accord ?

- Qui est au courant ?

- Mes parents et Lizaette.

- Sebastian, tu veux bien me faire une promesse ?

- Tout ce que tu voudras, Terry.

- Promets-moi qu'au moindre symptôme étrange, tu iras consulter. Promets-moi de ne pas mourir.

- C'est d'accord.

     Terrence serra avec force son ange dans ses bras pendant quelques minutes et l'embrassa sur le front.

-Encore désolé pour mon attitude. J'ai l'impression d'être un monstre.

Sebastian lui caressa la joue.

-Terry, je ne t'en veux pas. Je comprends très bien pourquoi tu as perdu tes moyens. C'est de ma faute, je n'avais pas à te mentir. Et ne redis jamais que tu es un monstre, tu sais que ça me rend triste.

     Il posa ses mains sur la chemise de son amant et étouffa un léger rire en sentant l'humidité du tissu .

-On est trempé tous les deux maintenant.

     Terrence se releva avec difficulté et attira son compagnon contre lui.

-Quand penseras-tu à ton parapluie ?

-Jamais, Terry. Jamais.

-Sale gosse. Je vais nous préparer un bain chaud avant qu'on ne tombe malade.

-Ce n'est pas comme ça que tu vas me convaincre de penser à prendre mon parapluie.

     Le photographe leva les yeux au ciel.

-Allez viens, au lieu de dire des bêtises.

-J'arrive.

     Sebastian s'assura que son compagnon avait quitté la pièce et ramassa sa funeste lettre.

- Désolé mon amour, mais je vais tout de même la garder car je ne suis pas certain de pouvoir tenir ma promesse. Par moment quelques maux de têtes m'assaillent, bien que très supportables. Pardonne-moi de ne pas aller consulter. Pardonne-moi de ne pas m'inquiéter. Pardonne-moi de , dans le pire des cas, me laisser mourir. 

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