7. Incitation (version éditée)


Edwin et Thibaud accueillirent ensemble le nouveau contingent de Normands dans la haute-cour. Le chevalier blond se porta au-devant du commandant de la troupe.

— Bien vaigniez à Thurston ! Laval, Péronne, je vous présente messire Edwin, le fils aîné de lord Dunstan. Je crois que vous n'avez pas eu l'occasion de vous rencontrer lors de votre dernier passage à Thurston.

— Messires, soyez les bienvenus dans la forteresse de mon père !

— Merci, milord ! Landéan, toujours fidèle au poste à ce que je vois ! Fougères n'est pas là, j'imagine ?

— Non, Gautier est en mission pour le service du roi.

Adam de Péronne fit un mouvement d'acquiescement avant de confirmer :

— Oui, nous nous sommes croisés à Hereford. Il ne doit pas en avoir encore fini avec Conteville.

— Que nous vaut l'honneur de votre visite ? demanda Edwin un peu méfiant.

— Nous sollicitons l'hospitalité pour la nuit. Nous devons remonter dans les Marches au plus vite, mais les chevaux et les hommes doivent se reposer. Nous menons un train d'enfer depuis deux jours déjà.

— L'hospitalité vous est acquise, messires, déclara Edwin en s'inclinant. Entrez donc vous désaltérer.

Les quatre hommes pénétrèrent dans la salle commune et s'installèrent à la table seigneuriale. Une fois qu'Aldys leur eut apporté un cruchon d'ale et des gobelets, ils trinquèrent. Les deux chevaliers ayant annoncé qu'ils n'étaient là que pour une nuit, Thibaud décida d'amorcer son plan sans plus tarder.

— Vous tombez bien, la compagnie est agréable en ce moment.

Ces paroles mystérieuses suscitèrent aussitôt l'attention des deux Normands.

— La compagnie des damoiselles de Thurston est toujours charmante, commenta Adam de Péronne.

Cette remarque lui valut un regard torve de la part d'Edwin et il s'empressa de corriger :

— Côtoyer lady Alinor et damoiselle Aileen est toujours un plaisir.

— En tout bien tout honneur, évidemment ! s'empressa de préciser son acolyte.

— Il vaudrait mieux pour vous, ne put s'empêcher de maugréer Thibaud.

Edwin acquiesça et fit une mise en garde déguisée :

— Mon beau-frère est effectivement un peu chatouilleux quand il s'agit de ma sœur. Je plains celui qui serait assez stupide pour tenter de toucher Alinor.

— Il en est de même avec damoiselle Aileen ! compléta Thibaud.

Devant l'expression légèrement surprise d'Edwin, le chevalier Normand s'empressa de justifier sa remarque :

— Depuis qu'Aileen est devenue sa sœur par alliance, il considère qu'il doit la protéger comme si elle était de sa famille de sang. D'ailleurs, il agit de même avec la petite Élisabeth. Je plains le sottard qui oserait poser les mains sur l'une d'elles, il se retrouverait manchot dans l'instant.

— Oui-da, approuva Edwin. Mais pour cela il faudrait encore que je ne me sois pas chargé moi-même de l'importun. Parce que si je surprends un maraud avoir des gestes déplacés envers l'une de mes sœurs, je vous prie de croire qu'il regrettera ses pensées licencieuses !

Laval et Péronne n'étaient pas sots et comprirent la menace implicite. Ils s'empressèrent aussitôt de rassurer Edwin sur leurs intentions :

— Ne vous mettez pas en peine, Thurston, Fougères a clairement fait passer le message. Nous savons fort bien que vos sœurs sont sous protection et elles ne courent aucun risque en ce qui nous concerne.

Adam de Péronne fit une grimace avant de se lamenter :

— Hélas, toutes les jolies héritières saxonnes sont soit déjà mariées, soit sur le point de l'être, soit trop jeunes pour convoler.

— Ne sont disponibles que les laiderons, ajouta Christian de Laval.

— Dans ce cas, cherchez ailleurs qu'en Angleterre ! rétorqua Edwin.

— Et où ? Tant que nous sommes coincés sur cette île, il n'y a pas beaucoup d'autres choix !

— Christian a raison. J'ai peur qu'il nous faille attendre de rentrer sur le continent pour trouver des bachelettes bien pourvues. Et encore faudrait-il qu'elles soient intéressées par nos faibles possessions actuelles si nous n'avons pas fait davantage fortune d'ici là.

— Si vous ne pouvez retourner en Normandie, la Normandie peut venir à vous ! lança Thibaud avec emphase.

— Depuis quand essayez-vous de faire de l'esprit, Landéan ? demanda Christian de Laval.

— Il semblerait que vous soyez fort chanceux, messires ! Il se trouve que nous avons céans une beauté normande. Une héritière de surcroît ! Et qui cherche un époux, vaillant guerrier, correctement éduqué et point brutal.

Aussitôt les deux Normands se montrèrent intéressés.

— Vous avez toute notre attention, Landéan. Que fait une Normande à Thurston ? Serait-ce une de vos parentes ?

— Nenni. Il est vrai que la donzelle est arrivée avec la famille de Gautier. Mais elle a traversé la Manche dans le but de l'épousailler.

À cette annonce, les deux chevaliers se montrèrent très surpris :

— Plaît-il ?

— Quelle est cette gausserie ? Fougères est déjà marié, non ?

— La situation est un peu complexe, commença Edwin.

— Il s'avère que les parents de Gautier ont contracté une promesse de mariage en son nom avec la damoiselle de Verneuil, sous l'égide de la reine Mathilde. Et la donzelle veut faire respecter le contrat au motif que la promesse aurait été signée avant celle de mon cousin et lady Alinor.

Thibaud entreprit d'expliquer les tenants et les aboutissants du contrat passé par son oncle et sa tante. Comprenant le dilemme auquel était confronté le chevalier de Fougères, et après avoir médité quelques instants sur la situation, Adam de Péronne se redressa brusquement, l'œil brillant et lança :

— Cela signifie que lady Alinor n'est plus l'épouse de Fougères alors ? Elle est donc libre de convoler de nouveau ?

— Nenni, gronda Edwin. Ma sœur et Gautier sont bel et bien mariés. Il est hors de question que cette union soit dissoute, tenez-le-vous pour dit !

Thibaud renchérit à son tour :

— Comme je vous l'ai dit, Gautier n'a pas l'intention de renier son épouse.

— Que faites-vous des prétentions de la Normande dans ce cas ? Fougères va laisser ses sœurs être spoliées ?

Le chevalier blond secoua la tête et prit un air de conspirateur pour continuer :

— Il suffirait que la damoiselle de Verneuil soit surprise dans une position que la décence réprouve pour que Gautier puisse rompre ce contrat inepte sans dommage.

Adam de Péronne, plissa les yeux et demanda méfiant :

— Vous pouvez préciser votre pensée, Landéan ?

— Si damoiselle Odeline était surprise avec un galant, elle ne pourrait plus prétendre s'unir à mon cousin et n'aurait d'autre choix que d'épouser son suborneur pour peu qu'il lui offre de réparer.

Pour être certain d'avoir bien compris l'allusion de son compatriote, Christian de Laval laissa tomber négligemment :

— Je saisis où est l'intérêt pour Fougères, mais je ne vois pas pourquoi vous nous parlez de cela.

— Vous conviendrez avec moi qu'il faudrait que le chevalier en question soit nigaud pour ne pas profiter d'une aubaine pareille, sachant que la donzelle est confortablement pourvue en biens et terres.

— Pourvue à quel point ?

— Extrêmement bien pourvue.

— Où est le piège ? demanda Adam de Péronne. La fille est-elle difforme ou hideuse ?

— Que nenni ! Au contraire, c'est une beauté. N'est-ce pas, Edwin ?

Edwin grommela :

— Elle n'est pas repoussante mais je plains celui qui voudra l'épouser.

— Pourquoi donc ? s'étonna Christian.

— Cette fille est une véritable plaie ! Elle est aussi récalcitrante qu'une mule et aussi revêche qu'une vieille veuve acariâtre.

Voyant que Laval et Péronne grimaçaient à cette description peu engageante, Thibaud donna un discret coup de pied au Saxon sous la table et tenta de tempérer ses propos :

— N'écoutez point Edwin, la donzelle est plus avenante qu'il ne le dit.

— C'est une petite vipère !

— Mais non, Edwin ! Elle est juste un peu perturbée par la situation, s'agaça Thibaud.

— Elle est orgueilleuse, fière à l'extrême, imbue d'elle-même, sans considération pour...

Le Saxon fut interrompu dans sa diatribe furieuse par l'arrivée d'Alinor, Aileen, Clarie et Emeline. Laval et Péronne se levèrent pour les saluer. Ils bavardaient ensemble depuis quelques minutes quand dame Adelise entra en compagnie d'Odeline. Aussitôt, l'air se chargea de tension. Alinor, Edwin et Aileen se raidirent de concert à l'approche de la jeune fille. Thibaud fit les présentations et nota avec satisfaction que les deux chevaliers étaient sensibles à la beauté de la Normande et tentaient de faire plus ample connaissance avec elle.


Ale : bière blonde sans amertume.

Bachelette : jeune fille célibataire ayant l'âge de se marier.

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