9. Découverte (version éditée)
Une fois qu'elle fut certaine que les deux chevaliers ne se lançaient pas à sa recherche et retournaient dans leur chapiteau, Alinor se sentit rassurée. Elle observa l'intérieur de l'antre du baron. La tente était basse et étroite. La toile reposait sur des pieux de bois et se tendait à une ou deux mains du sommet de sa tête. La longueur de l'abri ne devait pas excéder douze pieds et seuls deux hommes avaient suffisamment de place pour s'y allonger. Un coffre était posé à même la terre au fond de l'abri et quelques armes étaient abandonnées sur son couvercle. Il y avait deux nattes de jonc tressé étalées sur le sol. On pouvait apercevoir des plaques de mousses qui en dépassaient et qui isolaient les couchages de la terre battue. Une fourrure était pliée sur chacune des nattes. Visiblement, il s'agissait de deux paillasses sommaires. La jeune femme supposa qu'elles avaient été préparées pour son mari et son cousin. Un petit brasero près de l'entrée et une grosse bougie, disposée sur le couvercle du coffre, complétaient l'aménagement rudimentaire de la tente.
Un sourire aux lèvres, elle pensa que Gautier et Thibaud n'avaient pas les mêmes exigences de confort que leurs compatriotes. Par certains aspects, les deux cousins étaient finalement plus saxons que normands!
Soulagée d'avoir échappé à la curiosité de Laval et Péronne, Alinor déboucla son ceinturon et posa ses armes sur le coffre avant de se laisser tomber sur la couche la plus proche. Elle se redressa brusquement en se rappelant un fait précis et elle jura sourdement.
«Tudieu! J'ai oublié mon casque dans la tente des deux impudiques! Comment vais-je pouvoir le récupérer sans éveiller les soupçons?»
Elle chercha en vain une idée pendant quelques minutes, puis finit par abandonner. Elle trouverait bien un moyen plus tard, elle était trop fatiguée pour réfléchir. Épuisée par la chevauchée et rassérénée d'avoir réussi à prévenir son père du piège tendu par les rebelles, la jeune femme ferma les paupières avec l'intention de se reposer un petit moment en attendant son mari. Mais, vaincue par la fatigue, elle sombra de nouveau dans le sommeil.
Le baron de Fougères rejoignit sa tente en fin d'après-midi pour ôter son équipement guerrier et être plus à son aise. La lumière du jour commençait à baisser et il ne vit pas immédiatement le corps étendu sur la paillasse, quand il écarta les pans de l'ouverture pour pénétrer dans l'abri. Dès que ses yeux se furent habitués à la pénombre, Gautier repéra la forme roulée en boule sur sa couche. Surpris, il se raidit instinctivement et porta la main à son épée. Sans faire de bruit, il s'approcha pour détailler l'intrus. Mais il se détendit aussitôt en reconnaissant Alinor. Même si elle était vêtue de son harnois et que le turban cachait sa chevelure, Gautier n'eut aucun mal à l'identifier.
Avec précaution, il s'assit sur la paillasse et se pencha sur la dormeuse. Il lui caressa la joue, mais Alinor ne broncha pas. Elle était visiblement plongée dans un profond sommeil et Gautier hésita à la réveiller. Mais, intrigué par sa présence incongrue dans le campement, il passa outre ses réticences. Il effleura les lèvres de sa femme pour l'éveiller en douceur. Sous ses frôlements répétés, Alinor bougea légèrement en gémissant. Gautier ne put s'empêcher de sourire quand elle prononça son prénom. Sa Saxonne avait vraiment le sommeil lourd, mais, même inconsciente, elle percevait sa présence. Ou alors elle le reconnaissait, ou rêvait de lui? Peu importe! L'une ou l'autre possibilité montrait qu'elle était sensible à sa proximité. Irrémédiablement attiré, il s'allongea sur la fourrure à ses côtés pour être plus près d'elle. Il recommença à l'embrasser de manière plus appuyée, tout en lui caressant le visage et la gorge avant de murmurer: «Réveillez-vous, Alinor.»
Sous les cajoleries insistantes de Gautier, Alinor finit par sortir de sa léthargie. Elle reprit péniblement connaissance en entendant un murmure rauque: «Allez, Amour, réveille-toi!» Elle reconnut la voix de son mari et sourit, les yeux clos, avant de se blottir contre lui. Sa réaction provoqua l'hilarité du Normand. Sous sa tête, Alinor sentit le torse puissant secoué par un rire bas. Il la serra brièvement dans ses bras, puis l'écarta de lui en susurrant: «Fais un effort, ma douce.» Les paupières de la jeune femme étaient lourdes et elle cligna plusieurs fois des yeux avant de distinguer le visage qui était penché sur le sien. Gautier attendit qu'elle soit pleinement éveillée. Dès qu'il vit son regard s'éclaircir, il l'interrogea:
— Que faites-vous ici, Alinor?
— Cela ne se voit pas? Je suis avec vous, messire mon mari.
— Je vois bien, mon épouse, mais pourquoi n'êtes-vous pas à Thurston?
— Parce que... parce que...
Ne pouvant se résoudre encore à lui expliquer la raison de sa présence, Alinor se laissa porter par son instinct. Elle passa les bras autour du cou du chevalier et l'attira vers elle pour l'embrasser. Quand ses lèvres se posèrent sur celles de Gautier, toute pensée rationnelle le déserta et il oublia ses questions. Dans un grognement, il entrouvrit la bouche pour l'embrasser plus intimement. Voyant Alinor s'enhardir de plus en plus, il sentit son sang s'échauffer. N'y tenant plus, il se coucha sur elle et prit le contrôle de leur étreinte. Il lui caressa la langue de la sienne, pesant de tout son poids sur elle. Il lui donna un baiser profond et fougueux qui semblait ne jamais devoir se terminer. Il explora la bouche de sa femme, testant tous les angles possibles comme si un seul d'entre eux ne suffisait pas. Le sexe douloureux, à force d'être comprimé dans ses braies, Gautier s'apprêtait à déshabiller Alinor pour s'enfouir en elle lorsqu'une exclamation de stupeur outragée retentit dans son dos. Aussitôt, il roula sur lui-même et se mit debout prêt à dégainer son épée.
À son grand étonnement, il se retrouva face à face avec Robert de Conteville accompagné de Thibaud. Si le regard de son cousin reflétait une surprise incrédule, le visage du frère du duc de Normandie montrait un profond dégoût.
— Vous me décevez, Fougères! Votre comportement est inadmissible!
Décontenancé par les paroles virulentes de son vis-à-vis, Gautier essaya de comprendre la raison de cette attaque verbale.
— Que voulez-vous dire? Je ne comprends pas ce...
— Il suffit, Fougères! Je vous ai repris a forfet!
— Repris a forfet à quel propos?
— Je ne veux pas de fot-en-cul dans mes rangs! Jamais je n'aurais cru cela de votre part!
— Mais... enfin, Robert! De quoi parlez-vous? Pourquoi m'accusez-vous ainsi?
Comme Conteville faisait un signe vague vers la paillasse tout en prenant un air dégoûté, Gautier supposa que ces remontrances avaient un rapport avec la scène interrompue par l'arrivée du Normand. Il tenta de se justifier:
— Ce n'est pas ce que vous croyez, Robert, je...
— N'essayez pas de me lober. Je ne veux pas entendre parler de vos fornications avec cet écuyer!
Comprenant aussitôt l'origine du quiproquo, Gautier voulut clarifier la situation, mais il n'en eut pas le temps. Alinor, qui avait assisté à l'échange houleux et qui avait compris la méprise du frère du roi, se précipita au-devant de celui-ci en contournant son mari.
— Vous faites erreur, messire! Le baron de Fougères n'est pas sodomite! Je ne suis pas un homme!
Sur ces paroles, Alinor se débarrassa prestement de son turban. Dans le mouvement, les deux lourdes tresses qu'elle avait enroulées sur son crâne s'écroulèrent sur ses épaules et encadrèrent son visage, ne laissant planer aucun doute sur son sexe. Les yeux exorbités par la surprise, Robert de Conteville dut se rendre à l'évidence; le soldat qu'il avait tout d'abord pris pour un jeune écuyer était en fait une femme. Effaré, il ne put que bégayer:
— Da... Da... Damoiselle Alinor??? C'est vous?
Alors que la Saxonne se contentait de faire un signe de tête pour acquiescer, Gautier ne put se retenir de reprendre le chevalier de Conteville et de préciser:
— Dame! C'est dame Alinor, maintenant! Alinor n'est plus bachelette, elle est mariée désormais. Avec moi.
— J'avoue que je préfère cela. Oui, je préfère vous voir culbuter une femme, Fougères! Mais... que fait votre épouse céans?
À ces mots, Gautier se tourna vers Alinor qui devint cramoisie. Lui aussi attendait une explication, car elle n'avait toujours pas répondu à sa question concernant la raison de sa présence à Maidstone. La jeune femme ne savait quoi dire. Elle ne pouvait pas donner la véritable raison de sa venue, puisque la trahison d'Edwin devait rester secrète. Elle rougit encore plus sous l'œil scrutateur des trois hommes et commença à se tordre les mains. Constatant son malaise, Gautier vint à son secours. Il l'attira contre son flanc et répondit à sa place:
— Mon épouse m'a rejoint pour m'aviser d'un problème à Gwenthal. Elle avait besoin de connaître ma décision à ce propos. J'ai oublié de lui laisser des instructions avant mon départ.
— Fort bien. Mais ce n'est pas prudent de laisser votre dame courir les routes. Vous devriez davantage veiller à sa sécurité, Gautier. Il vaut mieux qu'elle se fasse discrète, garder une femme dans un campement comme celui-ci n'est pas des plus judicieux.
— Ne vous inquiétez point, Robert. Alinor va rester avec moi et elle regagnera Thurston sous escorte dès que possible.
Repris a forfet: pris sur le fait.
Fot-en-cul: sodomite.
Lober: tromper.
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