7. Délation (version éditée)

Quand Alinor repéra le fanion de lord Dunstan, elle se dirigea nonchalamment vers la petite tente. La jeune femme avait gardé son casque et entre les lunettes de métal et le voile de mailles qui servait de camail, il était impossible de distinguer son visage. Seuls ses yeux étaient visibles. Après avoir regardé discrètement tout autour d'elle, elle se glissa sous l'abri de toile et s'assit à même le sol. Pour se mettre plus à l'aise, elle ôta son casque et détacha le fourreau de son épée avant de les poser sur la terre battue. Elle replia ses jambes devant elle, les encercla de ses bras, puis appuya son front sur ses genoux en fermant les yeux. Enfin! Elle était arrivée à rattraper le contingent de Thurston! Elle allait pouvoir prévenir son père. Elle savait pouvoir s'en remettre à lui pour trouver une solution à propos d'Edwin. Cette tâche ne pèserait plus sur ses épaules et l'angoisse la quitterait. Elle pourrait peut-être se détendre et prendre un peu de repos. Elle était tellement fatiguée... Progressivement, la jeune femme glissa dans le sommeil.

Lorsque lord Dunstan rejoignit sa tente, il eut la surprise de découvrir un guerrier en cotte de mailles, roulé en boule dans un coin. Le chevalier était visiblement d'un gabarit assez frêle et de noble extraction, car il portait un haubert annelé. Par précaution, le seigneur saxon empoigna son épée et avança vers l'intrus. Quand il s'approcha, il reconnut le casque et le fourreau posés non loin. Un coup d'œil au turban sur la tête du soldat suffit à confirmer ses craintes.

«Par la Mordiable! Que fait donc Alinor ici? Pourquoi n'est-elle pas en sécurité à Thurston?»

Perplexe, le seigneur de Thurston rengaina sa lame et se pencha sur la jeune femme. Connaissant les réflexes belliqueux de sa fille, il posa sa botte sur l'épée abandonnée au sol, puis il lui secoua l'épaule avec douceur pour la réveiller.

Alinor reprit péniblement connaissance. Elle sentit qu'une main ferme la bousculait et son instinct de survie prit le dessus. Elle empoigna sa lame, mais perçut immédiatement le poids qui l'immobilisait. Aussitôt, elle roula sur elle-même tout en balayant les jambes de son adversaire avec les siennes. Elle profita de l'avoir déséquilibré pour se saisir de son arme et se redresser, mais, saisie d'un vertige, elle retomba au sol. Dans un ultime geste de défense, elle dirigea la pointe de son épée vers son assaillant.

— Doucement! Doucement, Alinor! Ce n'est que moi!

Reconnaissant la voix de son père, Alinor baissa instinctivement sa lame. Lord Dunstan tendit la main et releva sa fille, d'une poigne ferme. Il n'eut que le temps de percevoir l'expression d'intense soulagement de la jeune femme avant qu'elle ne s'abatte dans ses bras, les larmes aux yeux.

Il la serra contre lui un court moment pour la réconforter et lui permettre de retrouver son équilibre, puis l'éloigna de lui pour la fixer.

— Que se passe-t-il, Ali? Pourquoi es-tu ici? Et d'abord, où est ton escorte?

— Je... je...

— Alinor! Où se trouve ton escorte?

— Je suis venue avec Wilf.

— Qui t'a accompagnée?

— Il n'y a que Wilf.

Aussitôt, le seigneur de Thurston se mit à vitupérer.

— Quoi? Mais tu es inconsciente! Tu as fait tout ce chemin avec seulement un palefrenier? Mais à quoi songeait ton frère, pour te laisser ainsi dans la nature sans protection? Et Andrew? Ils vont m'entendre, ces deux-là!

— Ils... ils ne savent pas que je suis partie.

— De mieux en mieux! Maintenant, tout le monde va te chercher et va s'inquiéter!

— Non, personne ne le saura.

— Tu te gausses, ma fille! Tu crois que personne ne s'affolera de ton absence peut-être? Ils doivent déjà être en train de mettre la forteresse sens dessus dessous pour te retrouver!

— Mais non, vous dis-je! Personne ne s'en rendra compte, Brynn gardera le secret.

— Et voilà! Tu as encore entraîné ta servante dans tes manigances. Quand cesseras-tu de n'en faire qu'à ta tête? Je pensais que le mariage tempérerait tes ardeurs... Visiblement, Fougères n'a pas réussi à te mater!

Excédée par les remontrances de son père, Alinor s'énerva. Elle poussa brutalement sur le torse de son géniteur pour l'éloigner, puis d'une voix basse et grondante elle lui répondit:

— Il suffit! Écoutez-moi donc! Je ne suis pas venue jusqu'ici par caprice! Je devais vous prévenir d'une grave menace.

À ces mots, lord Dunstan fronça les sourcils et demanda d'une voix tendue:

— Qu'y a-t-il?

— Vous êtes en danger! Les rebelles ont prévu de vous tendre une embuscade. Ils prévoient de tuer Gautier et Thibaud et tous ceux qui sont fidèles aux Normands.

— D'où tiens-tu ces informations?

— C'est... c'est...

— Mais parle donc!

— J'ai surpris une conversation entre un rebelle et... et... un des nôtres. Il leur a révélé votre itinéraire.

Une rage sans nom se peignit sur le visage de lord Dunstan. Inconscient de sa force, il empoigna Alinor par le bras pour la rapprocher de lui et l'interrogea d'une voix menaçante:

— Qui? Qui nous a trahis?

— C'est... Je...

Alinor avait du mal à parler, la gorge obstruée par l'angoisse. Elle n'arrivait pas à se résoudre à dénoncer son frère. La main de son père lui enserrait l'avant-bras, et la pression ainsi exercée était douloureuse. Par réflexe, elle chercha à se soustraire à sa poigne et secoua son bras ce qui fit instantanément prendre conscience de son geste au Saxon. Aussitôt, il s'adoucit et la relâcha avant de s'excuser d'une voix bourrue.

— Pardonne-moi, ma fille, je me suis laissé emporter. Alinor, dis-moi qui nous a trahis.

— C'est... c'est... Ed... Edwin, bégaya la jeune femme.

— Edwin???

— Oui-da! J'ai entendu que le roi lui avait recommandé de ne surtout pas parler du plan à quiconque, car sinon vous seriez en danger Gautier et vous.

— Et...

— Et Edwin a promis le secret. Mais dès le lendemain, je l'ai surpris en train de donner votre itinéraire à ce rebelle. Il lui a même indiqué les meilleurs endroits pour vous tendre une embuscade.

Voyant que son père ne réagissait pas, Alinor s'inquiéta davantage.

— Je n'arrivais pas à en croire mes oreilles. D'ailleurs, je ne peux toujours pas concevoir un tel acte de sa part! Que s'est-il passé, papa?

— Que veux-tu dire, Alinor?

— Qu'est-il advenu pendant que vous étiez prisonniers après Hastings? Comment Edwin a-t-il pu changer ainsi? Comment peut-il maintenant trahir sa famille?

Lord Dunstan éluda les questions gênantes de sa fille et détourna la conversation.

— Alinor, pourquoi es-tu venue?

— Pourquoi??? Mais... mais pour vous prévenir! Je ne veux pas que vous tombiez dans une chausse-trappe!

— Pourquoi me prévenir moi? Pour quelle raison n'es-tu pas allée vers Fougères?

— Mais... parce que... parce que... Gautier est un Normand et...

— Ton époux est normand, et alors? Nous lui avons juré fidélité, je te le rappelle.

— Je ne peux pas! Je ne peux pas trahir un des miens!

— Pourtant, ton frère nous a trahis, non?

— Il doit y avoir une raison. Je ne sais pas laquelle, mais il doit y avoir une explication. Les Normands ne chercheront pas à la connaître. Si Gautier apprend qu'Edwin nous a trahis, il va le faire exécuter! Je ne veux pas!

— Que ne veux-tu pas, Ali?

La jeune femme ne put empêcher ses larmes de couler.

— Je ne veux pas qu'Edwin soit tué! C'est mon frère!

— Donc, tu es venue me voir moi, plutôt que ton mari, pour éviter la mort à Edwin. C'est cela?

— Je... Oui. Vous allez faire attention pour les embuscades?

— Ne t'inquiète pas, ma chérie, nous ferons attention. Tu nous as prévenus, nous ne courrons plus le danger d'être surpris.

— Et pour Edwin? Que dois-je faire, une fois de retour à Thurston?

— Tu ne fais strictement rien! Tu fais comme si tu ne savais pas et surtout... surtout tu ne te préoccupes plus de rien. Je vais régler le problème et faire en sorte que tout aille pour le mieux pour nous et pour Edwin. Ne t'approche surtout plus des rebelles! Tu as compris?

— Oui-da!

Rassurée, la jeune femme enlaça son père et l'embrassa sur la joue.

— Je suis soulagée que vous preniez les choses en main. Soyez très prudents surtout.

Voyant qu'Alinor ramassait son épée et son casque, lord Dunstan fronça les sourcils.

— Où crois-tu aller, ma fille?

— Eh bien... je... je rentre à Thurston.

— Sans même voir ton mari?

— Je n'ai pas le temps, je dois me mettre en route.

— Oh non! Sûrement pas! Ne crois pas que je vais te laisser retourner là-bas ce soir. Il est hors de question que tu dormes au bord des routes. Tu vas d'abord te reposer, tu as l'air épuisée. Tu ne reprendras le chemin de Thurston que lorsque je t'aurai trouvé une escorte.

— Non! C'est impossible!

— Pourquoi donc?

— Personne ne sait que j'ai quitté la forteresse. Tous croient que je suis alitée et malade. Je dois rentrer au plus tôt sinon ma ruse sera découverte et cela risque d'alerter les rebelles. Et je dois rentrer seule. Si l'on me voit revenir accompagnée, on s'interrogera.

— Hum... effectivement, tu as raison. Personne ne doit savoir que tu t'es absentée pour me prévenir. Je vais réfléchir à ce qu'il convient de faire, la nuit porte conseil. En attendant, va donc rejoindre ton mari, je suis sûr qu'il sera ravi de te voir!

— Mais... mais je ne peux pas!

— Et pourquoi donc?

— Comment vais-je pouvoir justifier mon arrivée? Je ne peux rien lui dire à propos d'Edwin.

— Ne t'inquiète pas. Tu n'as qu'à lui dire que tu es venue parce qu'il te manquait trop! Je suis certain qu'il ne cherchera pas plus loin, il sera trop content de profiter de l'aubaine.

À ces mots et ce qu'ils sous-entendaient, Alinor rougit fortement. Ce qui fit rire lord Dunstan qui ne put s'empêcher de rajouter:

— Soyez discrets et évitez de faire trop de bruit; il serait gênant que ta présence s'ébruite dans le camp...

Le visage de la jeune femme devint cramoisi quand elle croisa le regard moqueur de son père. Pour échapper à ses yeux perçants, elle enfila d'un geste brusque son casque, ceignit son épée et sortit de la tente.



Camail: sorte de cagoule en mailles portée sous le casque et protégeant le cou et les épaules.

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