Chapitre 3

Le départ de ma mère le lendemain après-midi ne se fait pas sans que l'émotion ne fasse briller nos yeux. Elle a toujours été mon pilier dans la vie et encore plus ces dernières années. La quitter est donc difficile, mais je m'efforce de retenir mes larmes. Je sais aussi que cette séparation va nous faire du bien. Ma mère a besoin de prendre du temps pour elle sans avoir à s'inquiéter pour moi. Bien sûr, elle n'a jamais fait de remarque à ce sujet, mais je sais bien que s'occuper de sa fille déjà marquée par la morosité de la vie ne doit pas être de tout repos. De mon côté, il s'agit plutôt de quelque chose que j'ai besoin de me prouver. J'ai toujours vécu en me sentant protégée par sa présence, si bien que je ne sais pas réellement ce que je vaux par moi-même. J'appréhende cette épreuve, toutefois, savoir que je vais vivre auprès d'une présence familière m'empêche de me sentir complètement dépaysée.

Je fais signe à ma mère jusqu'à ce que la voiture disparaisse au coin de la rue. Le sourire que je prenais soin d'afficher tombe aussitôt. Holly se rend compte de mon changement d'humeur et s'empresse de proposer :

— Et si tu allais faire un tour en ville pour te familiariser un peu avec les lieux ? Je n'ai pas le temps de t'accompagner, mais je suis certaine qu'Eyden se fera un plaisir de te montrer les environs, n'est-ce pas ?

Les derniers mots, plus appuyés que le reste de la phrase, s'adressent clairement à son fils, le mettant au défi de refuser. Le zigoto a assisté bien malgré lui à cette scène d'au revoir, forcé par Holly de venir saluer une dernière fois leur invitée. Je ne l'ai croisé qu'une seule fois depuis la scène qu'il a faite sur le balcon, et seulement parce que l'appel de la nourriture l'a fait sortir de sa grotte. Devant ma mère, il a joué le garçon taciturne mais sympathique, répondant calmement à chacune de ses questions tandis que je crevais de révéler sa véritable nature. J'ai finalement décidé de ne rien raconter à ma mère pour qu'elle puisse partir l'esprit tranquille. Et puis, avec l'accord d'ignorance mutuelle que nous avons conclu tacitement, j'ai l'espoir de passer un séjour relativement calme. Enfin, c'était avant qu'Holly ne déguise son ordre sous forme de demande pour que son fils me tienne compagnie. Fils qui darde d'ailleurs sur moi un regard noir comme si je lui avais demandé en personne de jouer le guide touristique. J'ai plutôt l'impression qu'il va chercher à me perdre par tous les moyens pour que je ne retrouve jamais le chemin de la maison.

Je suis la première étonnée lorsqu'il finit par grogner :

— Ouais, si tu veux.

Visiblement, j'ai sous-estimé la capacité d'Holly à influencer le comportement de son fils. Ce qui ne veut toutefois pas dire qu'il s'en donne à cœur joie puisqu'il s'éloigne dans la rue sans vérifier si je le suis bien. Je le suspecte d'avancer exprès à grandes enjambées, ce qui m'oblige à trottiner pour parvenir à le suivre. Je suis traînée à ce rythme pendant dix bonnes minutes avant que nous ne parvenions dans ce qui ressemble au centre-ville. Pour les prochaines fois, je peux compter cinq bonnes minutes supplémentaires en temps de trajet en marchant à une allure normale. Mon charmant guide s'arrête brusquement et se tourne vers moi sans que je m'y attende, si bien que je lui rentre accidentellement dedans. Ma maladresse le fait inspirer profondément, comme s'il cherchait en lui une patience qu'il ne possédait pas, puis il me repousse légèrement pour me décoller de lui. Plus je passe du temps avec lui et plus je trouve qu'il possède des manières d'homme des cavernes.

— Voilà, tu es dans la rue principale. Tu vas réussir à te retrouver toute seule ?

L'ironie moqueuse de sa question ne m'échappe pas, et je réplique sans avoir le temps de m'en empêcher :

— C'est drôle, tu n'osais pas vraiment la ramener devant ta mère tout à l'heure.

Sa mâchoire se serre, mais je n'ai pas le temps de m'en inquiéter qu'une voix nous coupe avant qu'une dispute n'éclate.

— Eyden ! Qu'est-ce que tu fais là ?

Notre attention est attirée par une fille de l'âge de mon adorable colocataire. Quand je regarde la nouvelle arrivante, un seul mot me vient à l'esprit : chaleur. Que ce soient ses joues rondes rehaussées par un doux sourire, ses cheveux noués par un double bun ou bien sa robe salopette, elle m'apparaît comme un soleil à elle seule. Un moment, je crois qu'elle s'est trompée d'Eyden – parce qu'il n'y a pas moyen qu'une fille lumineuse comme elle soit amie avec la personne renfrognée à mes côtés –, mais la réponse qui suit me convainc du contraire.

— Quoi ? Je dois t'envoyer un message dès que je mets un pied hors de ma maison maintenant ? ironise le brun.

Alors que je m'attends à ce que son amie se vexe, elle se contente de lever les yeux au ciel, pas l'air perturbée pour deux sous. C'est à ce moment qu'elle m'aperçoit à mon tour.

— Oh excuse-moi, je n'avais pas vu qu'Eyden n'était pas seul. Il faut dire que c'est plutôt étonnant. Je suis Rose, enfin Rosemary mais, par pitié, ne m'appelle jamais comme ça. Et accessoirement, je suis aussi la meilleure amie de monsieur ici présent. Ne t'en fais pas, il crie beaucoup, mais il mord rarement.

— Rose, dit lentement l'ours en avertissement.

Je l'ignore royalement pour répondre à ma nouvelle personne préférée de cette ville.

— Ravie de te rencontrer, je suis Anaé. Holly m'accueille chez elle pour mon entrée en études supérieures cette année.

— Oh, c'est toi la fameuse nouvelle habitante !

À son ton, je comprends qu'elle a effectivement dû entendre parler de moi. Et pas en bien si c'est Eyden qui a mentionné ma venue. Sûrement pour pester contre la squatteuse qui allait débarquer sous son toit. Une soudaine appréhension s'empare de moi. Rose m'a tout de suite fait bonne impression, pourtant il n'y a aucun doute que, maintenant qu'elle m'a identifiée, elle va rejoindre le choix d'Eyden et m'ignorer. Je m'en veux aussitôt pour la petite déception que j'éprouve. Je ne suis pourtant plus aussi naïve que ça. Toutefois, c'est bien de la joie que m'apportent les prochains mots de Rose.

— Bienvenue à Santa Monica ! N'hésite pas à venir me voir si cet énergumène t'en fait voir de toutes les couleurs !

Le sourire qui me montait aux lèvres échoue à se former complètement à l'entente de la métaphore plus que mal choisie. Voir toutes les couleurs, voilà bien mon souhait le plus cher. Je ravale toutefois ma grimace pour ne pas gâcher le moment. Mon nouveau départ commence dès à présent. Je dois cesser de me crisper dès qu'il est question de couleurs. Je m'efforce de détendre mes épaules et m'avise plutôt de la remercier.

— Alors, qu'est-ce que vous aviez de prévu ? relance alors Rose.

Eyden grommelle dans sa barbe en réponse.

— Il parle uniquement par grognement ? C'est une sorte de code ou quoi ? je demande à Rose en me détournant de l'intéressé.

Elle rit à ma remarque.

— Si seulement ! Il a ses phases, on va dire.

— C'est bon, vous avez terminé ? intervient plus franchement Eyden, manifestement agacé par la tournure de la discussion.

Sentant que l'atmosphère s'apprête à changer, je décide de répondre en ville.

— Nous nous apprêtions à nous séparer. Eyden m'a gentiment guidée jusqu'au centre-ville alors je vais visiter un peu.

Le coin des yeux de ce dernier se rehausse brièvement en entendant l'adjectif ironique de ma phrase. Je me demande si ça lui arrive souvent, de réfréner ses réactions de la sorte. Je décide alors que ça n'a pas d'importance puisque je viens tout juste de faire la même chose. Je suis bien placée pour savoir qu'il n'est jamais bon de creuser ce que l'on cherche à cacher.

— Parfait, c'est moi qui prends le relais alors ! s'enthousiasme Rose.

Je crois d'abord qu'elle s'apprête à prendre ma place auprès d'Eyden, mais c'est mon bras qu'elle agrippe pour m'entraîner avec elle.

— Je te la rends pour le déjeuner, ajoute-t-elle l'adresse d'Eyden.

Lequel hausse les sourcils à la précision.

— Je ne suis pas son père.

Rose ne s'en formalise pas, visiblement habituée au flegme de son ami.

— Je sais bien, j'essaie juste de t'inculquer quelques rudiments de sociabilité. Là, c'est le moment où tu nous dis « à plus tard ».

Eyden la toise un long moment, et alors que je pense qu'il va tourner les talons sans rien dire, il lâche finalement :

— À plus tard, Rose.

Ma nouvelle guide soupire à mes côtés tout en commençant à m'attirer à sa suite.

— Je commence à désespérer, me confie-t-elle avec un sourire de connivence qui prouve le contraire.

Décidément, je ne comprends vraiment pas comment ces deux-là peuvent être meilleurs amis. Quelque chose dans ce fait me dépasse.

— Oh, désolée ! reprend Rose face à mon silence. Je ne t'ai même pas demandé si ça te dérangeait que je te touche ! Je sais que j'ai tendance à être trop tactile, alors surtout n'hésite pas à me dire si je suis trop envahissante.

Je rattrape son bras alors qu'elle commençait à le faire glisser du mien et lui adresse un sourire sincère.

— Je suis à l'aise, ne t'en fais pas. Mais merci de t'en soucier, c'est très attentionné.

Elle me retourne mon sourire et c'est un soleil qui m'illumine alors.

Rassurée, Rose m'entraîne plus franchement vers la rue principale.

— Maintenant que nous nous retrouvons entre filles, nous allons pouvoir faire plus ample connaissance. Et je vais définitivement te donner quelques tips pour survivre en compagnie de notre grincheux préféré.

Mon visage se fend d'une mine amusée. La bonne humeur de Rose est communicative et suffit à écarter le poids qui écrasait ma poitrine depuis le départ de ma mère. Je n'arrive pas à ignorer les bonnes ondes qu'elle propage. Peut-être que je peux faire une exception. Si j'arrive à enlever mon handicap de l'équation, je suis sûre que cette amitié peut fonctionner. L'excitation de commencer une nouvelle vie me donne envie de commettre la folie d'oublier un peu tout ce qui me retient. En espérant que je ne le regrette pas. 

*   *   *

Et voici le troisième chapitre réécrit ! J'avance moins vite que je l'espérais, mais je n'oublie pas cette histoire ! Quelle est votre première impression sur Rose ? 

N'hésitez pas à venir échanger en commentaires !

Amé

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