Chapitre 1
- On arrive dans dix minutes, m'informe la voix de ma mère.
Je me retiens de soupirer et tourne la tête vers la fenêtre afin de lui cacher le trouble qui grandit en moi à mesure que nous approchons de notre destination. Ce changement d'horizon me laisse un arrière-goût d'échec. Il constitue la preuve que je n'ai pas réussi à m'adapter à la nouvelle personne que je suis et que je suis obligée d'aller poursuivre ma vie ailleurs pour espérer retrouver le bonheur.
Le bonheur... Un concept que je ne peux définir qu'en noir et blanc désormais alors que je le voyais haut en couleurs auparavant. Avant, quand j'étais encore une fille comme les autres : une adolescente brune, de taille moyenne avec de yeux noisette qui percevaient chaque nuance du monde, dotée d'une petite poignée d'amis seulement, mais auxquels j'accordais grand soin. Je menais une vie simple, mais elle me convenait entièrement. Jusqu'à cet accident survenu il y a deux ans qui a ôté toute couleur à mon quotidien, réduisant ma vie à différentes nuances de gris.
À l'hôpital, on m'a dit qu'on appelait ce trouble « achromatopsie ». Les spécialistes m'ont expliqué qu'une lésion cérébrale m'avait fait perdre non seulement ma perception des couleurs, mais également ma capacité à me les remémorer. Dans le processus, mes yeux sont devenus plus sensibles à la lumière, ce qui me force désormais à porter des lunettes avec des verres teintés. Les médecins étaient même parvenus à me rassurer : mis à part ces effets, je pouvais continuer à vivre comme je l'avais toujours fait. Je n'avais plus qu'à m'adapter.
Seulement, s'adapter n'a pas été aussi facile que ce que les sourires des soignants à l'hôpital avaient laissé penser. S'habituer à ce nouveau monde morne ne s'est pas fait en quelques semaines, ni même en quelques mois. Et si mes amis ont d'abord été attirés par la nouveauté que je représentais et qu'ils ont tenté de me redonner le moral, ils ont fini par se lasser de se sentir impuissants en me voyant me morfondre inlassablement chaque jour. J'ai alors commencé à entendre des murmures sur mon passage et à me faire pointer du doigt. J'étais devenue la fille qui ne pouvait pas coordonner ses vêtements, qui devait plisser les yeux pour voir quand il y avait du soleil, qui ne pourrait jamais conduire... J'ai été entraînée dans une mort sociale rapide, affublée de l'étiquette de « bizarre ».
J'ai terminé mes années de lycée seule à cause de ma différence. C'est pour cette raison que ma mère m'a offert cette nouvelle possibilité pour mon entrée dans les études supérieures : partir habiter chez sa meilleure amie à Santa Monica afin d'entrer dans une université où je ne connaîtrais personne. Ma mère m'a soutenue tout le long de ma période d'adaptation, c'est elle qui a motivé mes efforts et m'a donné la force de me battre lorsque je désespérais. Je ne peux que me sentir reconnaissante de la savoir sensible à l'étiquette dont on m'a affublée et de la voir si prompte à me prompte trouver un nouvel air, même si cela signifie nous séparer le temps de mes études.
Je n'ai pas hésité longtemps. Je connais très bien Holly qui vient de temps en temps nous rendre visite. J'ai pris cette opportunité comme l'occasion de commencer une nouvelle vie sans que personne ne connaisse mon histoire. Je ne compte pas faire deux fois la même erreur, et même si ma mère n'approuve pas mon choix, j'ai décidé de cacher ma différence dans cette nouvelle ville. Je compte prétexter une vue des plus déplorables pour expliquer la correction de mes verres, mais je n'ai pas l'intention de dire un mot sur mon achromatopsie.
Seule Holly, évidemment, est au courant. Elle a bien un fils, Eyden, qui a deux ans de plus que moi, mais il ne l'a jamais accompagnée à Brentwood. J'ignore donc tout de lui comme il ignore probablement tout de moi. Ma mère et Holly n'ont jamais réellement abordé le sujet devant moi, mais j'ai déjà surpris cette dernière à pleurer dans les bras de sa meilleure amie et je sais donc que la vie de son fils n'est pas des plus simples non plus. Holly a montré les mêmes hésitations que ma mère quand elle a su que je comptais cacher mon handicap, mais face à ma fermeté, elle m'a assuré qu'elle ne dirait rien si c'était ce que je désirais vraiment. Malgré leurs réticences, le soulagement que j'ai éprouvé lorsqu'elles ont accepté de garder le silence m'a convaincu qu'il s'agissait de la meilleure décision à prendre pour moi.
Nous avons convenu toutes les trois que mon arrivée se fasse trois semaines avant la rentrée pour que j'aie le temps de m'acclimater à Santa Monica. Même si les deux villes restent relativement proches, je n'y ai jamais mis les pieds jusqu'à aujourd'hui et je dois dire que ses grandes plages ont grandement contribué à mon désir de changer d'air. Seulement, je dois avouer que le soulagement n'est pas l'unique émotion que je ressens à l'idée de ce grand changement. Je place beaucoup d'espoir en ce nouveau départ, et je ne peux pas m'empêcher de ressentir de la peur. Et si je ne parviens pas à cacher mon achromatopsie ? Et si tout recommence ? Et si j'ai fait tous ces efforts pour rien et qu'au final je ne suis acceptée nulle part ?
J'inspire un grand coup pour chasser ces pensées. Je me suis promis de ne pas craquer aujourd'hui. Mes appréhensions sont normales, c'est à moi de faire de mon mieux pour que la suite se passe bien. Cette pensée me redonne un peu de courage. Si je fais attention, ma pathologie peut passer inaperçue. Avec mes lunettes adaptées à ma vue, personne ne peut la deviner aussi simplement. D'autant plus qu'elle est très peu connue, personne ne se risquerait à supposer qu'une fille ne percevant pas les couleurs se cache parmi eux.
- Nous y voilà !
L'annonce de ma mère me sort de mes pensées. Je constate alors que nous sommes garées devant une belle maison plutôt moderne. Elle semble accueillante et je commence à me détendre un peu, comme si une de mes craintes inconscientes venait de s'ôter de mes épaules. Ma mère m'offre un sourire encourageant avant de sortir de la voiture pour ouvrir le coffre et m'aider à descendre mes bagages. Holly, qui devait guetter de notre arrivée, sort peu de temps après pour venir nous souhaiter la bienvenue.
- April ! Anaé ! Comme ça me fait plaisir de vous voir ici !
Son sourire suffit à enlever mes dernières traces de gênes. La joie de Holly est contagieuse et son enthousiasme me redonne un regain de confiance pour l'avenir. Je craignais de débarquer chez elle et de me sentir de trop telle une intruse, mais son accueil chaleureux me prouve le contraire. Mon hôte nous guide jusqu'à l'intérieur pour que je puisse poser mes affaires. J'examine ce qui sera mon nouvel espace de vie pour un bon moment. La décoration, dans les tons noir et bois, est plutôt épurée tout en dégageant un style cosy. Je remarque par ailleurs la présence de plantes et fleurs qui égaillent le séjour. Holly me mène directement jusqu'à l'escalier pour me guider jusqu'à ma chambre afin que je puisse me décharger. La maîtresse de maison ouvre la porte juste en face sur le palier avant de s'écarter pour me laisser entrer la première. Je découvre alors une pièce aux murs blancs et beige, plus grande que ma chambre à Brentwood. Comme ce que j'ai pu apercevoir du rez-de-chaussée, l'espace est décoré avec goût. Je tombe aussitôt sous le charme. Un grand lit deux places trône dans un coin de la pièce, un bureau ainsi qu'une bibliothèque déjà garnie lui font face et une belle armoire termine de remplir les lieux. Alors que je laisse mon regard fureter plus en détail, je ne peux retenir une exclamation de surprise en constatant que je possède un mini balcon pour moi seule. Je m'empresse d'ouvrir la porte fenêtre et le vent marin me frappe aussitôt, se faufilant dans mes cheveux. L'air iodé me procure un sourire béat alors que tout semble devenir soudainement si concret.
- Le balcon juste à côté du tien est celui de la chambre d'Eyden, m'informe Holly. Tu le verras ce soir, il est sorti avec des amis cet après-midi.
Je hoche la tête par politesse. Rencontrer son fils n'est clairement pas en premier sur l'ordre de mes priorités, si on peut même dire qu'il y figure. Je suis bien plus fascinée par ce paysage qui s'étend devant. À vue d'œil, je me dis que la mer doit se trouver à deux kilomètres de la maison, ce qui me permettra d'y aller à pied très facilement. Je savoure par avance cet avant-goût de liberté. Pendant un instant, je me demande à quoi ressemblerait ce que j'ai sous les yeux en couleurs. Le bleu était ma couleur préférée avant, et pourtant je suis incapable de me souvenir de son apparence.
Je secoue la tête pour abandonner cette idée. Il ne sert à rien de courir après un rêve inatteignable. Je retourne à l'intérieur de ma nouvelle chambre pour constater que ma mère et Holly sont redescendues afin de me laissant mon intimité pour m'installer. Je prends une vingtaine de minutes pour sortir mes vêtements de la valise et commencer à remplir mon armoire. Je dépose mes affaires scolaires dans les tiroirs du bureau en notant mentalement de les trier plus tard. Mes affaires de toilettes sont abandonnées sur le dessus du meuble en attendant de trouver la salle de bain. Je termine en sortant ma pile de livres personnelle que j'entasse sur la bibliothèque, n'osant pas l'envahir pleinement en la sachant déjà occupée. Certains titres me sont familiers tandis que d'autres attisent ma curiosité sans que je n'ose pourtant y toucher. Je me doute que ces livres ne seraient pas ici si l'on n'avait pas voulu que j'y touche, mais je préfère en parler avant avec Holly pour m'assurer qu'il ne s'agit pas d'un oubli.
Je décide de me changer avant de descendre retrouver ma mère et son amie. Le jean que j'ai enfilé pour faire la route jusqu'ici est bien trop chaud pour la température affichée par le thermomètre et j'enfile donc mon combi-short avec grand plaisir. Je relève mes cheveux dans une queue haute pour aérer ma nuque avant de me m'inspecter dans la glace de l'armoire. Et je souris.
Pour la première fois depuis un bon moment, je me sens légère. Ici, je suis débarrassée de la crainte d'être reconnue et dévisagée. Dans le miroir, je vois enfin une jeune fille comme les autres, prête à profiter avec insouciance de son été. Cette vision me redonne de l'espoir. Peut-être que c'est possible finalement. À condition que je protège mon secret, ce que je compte faire coûte que coûte.
Je ne laisserai pas passer ma chance.
* * *
Hello !
C'est avec plaisir que je viens poster le premier chapitre réécrit ! J'ai terminé l'écriture des Eight samedi dernier, et je n'ai pas perdu de temps avant de reprendre le début de Color my life qui ne me satisfaisait pas. Le premier chapitre est plutôt fidèle, les changements consistent en des approfondissements du passé d'Anaé, au développement des émotions et de ses pensées ainsi qu'en un ajout de descriptions.
J'ai également changé les prénoms féminins pour plusieurs raisons. Hana devient Anaé pour ne pas créer la confusion avec des personnages de mes autres romans, j'ai toutefois gardé un prénom proche pour ne pas le dénaturer. Alice, sa mère, devient April, et la mère d'Eyden (lui garde bien son prénom, je vous rassure), devient Holly. Ces deux derniers changements ont été faits pour adopter des prénoms américains puisque c'est là où se déroule l'histoire.
Certains chapitres auront des changements relativement mineurs comme celui-ci, même si je vous conseille de les relire si vous êtes d'anciens lecteurs puisqu'ils approfondissent les personnages. D'autres chapitres reprendront le cours des anciens chapitres mais auront des ajouts majeurs, voire seront entièrement nouveaux. Je vous le signalerai à chaque fois dans le mot de fin.
J'espère que vous apprécierez la lecture ou la relecture de ces nouveaux chapitres, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !
Vous pouvez trouver en média le trailer réalisé par Caslilalpha14 que je remercie grandement <3
Merci à tous pour votre présence,
Amé
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