Mes pieds s'immobilisent devant l'entrée, refusant l'inéluctable. Une colocation imposée par ma mère qu'aucun de nous trois ne désire. Ça promet !

Si je pouvais revenir sur les quatre derniers mois écoulés, je le ferais sans une once d'hésitation. Je n'aurais plus à vivre avec autant de remords, de frustration et de colère envers mes vieux qui ont osé mêler mon frère, Matt, à mes histoires. Lui gâchant par la même occasion sa dernière année universitaire en l'éloignant de sa fraternité.

Je ne suis pas mieux lotis que lui et soupire à l'idée de passer ma première année en marketing à Denver au lieu de Chicago tout en étant couvée par son côté protecteur. Il a beau être cool avec moi, je sais qu'il ne va pas me lâcher. La porte grande ouverte, il apparaît d'ailleurs dans mon champ de vision, les mains sur les hanches.

- Tu vas bouger ton cul ?

Les politesses commencent ! Je m'apprête à le gratifier de mon majeur lorsqu'il est rejoint par un gars de son âge.

- Neal, je te présente ma sœur, Lilou. Lilou, Neal. Mon meilleur pote et ton nouveau coloc.

J'ai un temps d'arrêt en le découvrant. De son teint hâlé, à ses cheveux bruns en bataille en passant par sa barbe naissante, ce mec a un charme dingue !

Les lèvres pincées, il hoche la tête d'un mouvement sec tout en gardant le silence.

- Salut ! m'exclamé-je en esquissant un sourire chaleureux.

- Et c'est une véritable emmerdeuse, conclut mon frère en frictionnant mon crâne.

- Putain, Matt ! m'indigné-je en chassant sa main.

Ils se marrent tous les deux jusqu'à ce que Neal disparaisse dans une pièce sans un regard en arrière. Cette colocation est une très mauvaise idée ! Et pourtant, ma valise en main, je pénètre dans l'étroit couloir de notre appartement en le bousculant.

- Arrête de me traiter comme une gamine !

- Tu n'as que 18 ans, Lilou.

Comment ose-t-il ! Il ne peut pas me balancer ça ! Mes yeux se transforment en deux fentes assassines.

- Et toi ! 23 ans peut-être, mais toujours aussi con !

- Et fier de l'être ! s'esclaffe-t-il. Allez viens, je vais te montrer ta piaule. Ici, c'est celle de Neal.

Pas le temps de jeter un œil à l'intérieur que l'intéressé fait barrage et nous claque la porte au nez. J'inspire à fond pour contenir mon agacement.

- Il faut lui laisser le temps de s'habituer à la situation, s'amuse Matt qui n'a pas raté mon œillade noire qui se passe de commentaires. Ici, c'est la salle de bains !

- Je vous la laisse. Je préfère les douches communes.

- Reviens sur terre ! s'esclaffe-t-il. C'est un immeuble ici, pas une résidence universitaire.

Je souffle de résignation.

- On pouvait compter sur la détermination de notre mère pour que cette cohabitation devienne possible et obligatoire pour nous deux. Adieu à ma première année sur le campus.

- Adieu aux douches communes aussi... Hé, ne prends pas cet air dégoûté. On n'est pas des sauvages ! s'offusque-t-il avec humour.

- Permets-moi d'en douter.

Il éclate de rire.

- Et ici, c'est ma piaule !

Quel bordel ! Pire que quand il vivait chez nos vieux.

- Pas besoin de me le spécifier. Je l'aurais deviné toute seule !

Il grogne.

- Je dois encore prendre mes marques.

- Mouais, répliqué-je en reniflant avec dédain.

Il agrippe mes épaules et me traîne jusqu'à la pièce en face de la sienne.

- Voilà la tienne. Et...

- Merci !

Je lui claque la porte au nez pour enfin savourer un moment d'intimité. Je l'entends rire. Au moins, il n'a pas perdu son sens de l'humour. En même temps, c'est rare de le voir autrement. Et les rares fois... J'exhale un profond soupir pour ne pas me laisser submerger par les souvenirs et chute en arrière sur mon lit, telle une étoile de mer. Même si ce n'est pas l'université de mon choix, je dois me réjouir de ma nouvelle vie. Du moment que ça reste loin de mes vieux !

J'attrape mon téléphone dans mon sac et enfile mes écouteurs en enclenchant Spotify. Je passe l'heure suivante à déballer mes cartons, arrivés la veille. J'épingle les photos de cet été au-dessus de mon lit et admire mon nouveau chez-moi d'un air satisfait. Le rangement m'a donné soif ! C'est le sourire aux lèvres que je me rends dans la cuisine pour me désaltérer. J'y découvre mes deux colocs en grande discussion.

- C'est Ethan qui organise la soirée, explique Matt.

- Si c'est le même bordel que la dernière fois, ne compte pas sur moi.

La voix grave de Neal a une tonalité chaude qui attire mon attention. Mauvaise idée ! Les bras croisés sur son torse, il me dévisage avec une froideur que je lui rends. C'est plus fort que moi, je m'engage dans un bras de fer et refuse de baisser les yeux en premier.

- Il y aura Jena. Tu t'entends plutôt bien avec elle, insiste Matt.

- Pas assez pour vouloir me taper une nouvelle soirée avec Ethan, réplique-t-il en me fixant avec agacement.

- Il va être déçu si tu ne viens pas, se marre mon frère. Il t'apprécie plutôt bien !

- C'est quoi ton problème ? ! grogne-t-il à mon attention.

- Aucun.

Il ricane, mauvais.

- T'en as de la chance.

Je croise les bras sous ma poitrine.

- OK. Balance ce que tu as à me dire !

- Par rapport à cette coloc de merde ?

- Mec, calme-toi,

- Je sais me défendre, Matt ! pesté-je. Je suis la première à être désolée pour cette coloc, mais je la subis autant que vous deux !

Ses lèvres se tordent de dégoût.

- Ah ouais ? Ça t'arrive de réfléchir avant d'agir ?

- Rendall ! s'écrie Matt d'un ton cinglant. Lâche-la un peu !

Il s'approche de moi d'un air menaçant et la seule chose qui attire mon attention est le gris ombrageux de ses iris. Un regard magnétique dont le charme est rompu quand il riposte :

- Alors fais en sorte de te faire oublier, et tout se passera bien entre nous.

Mais quel connard !

- Dans cet appart minuscule ? Ça va être plutôt compliqué, tu ne crois pas ? ironisé-je.

- C'est toi qui vois, m'avertit-il dans un sourire mauvais. Mais je t'aurai prévenue.

Même si sa proximité me déstabilise, j'affronte son énervement en lui rendant son expression. C'est le souffle plein de contrariété de Matt qui nous sort de notre duel silencieux. L'emmerdeur se tourne vers son pote et lui annonce :

- Je t'attends dans ma piaule.

Dès qu'il disparaît de mon champ de vision, j'interroge mon frère.

- Il est au courant de quoi au juste ?

- Pas grand-chose, soupire-t-il, un brin contrarié.

- Je dois comprendre quoi ?

- Il est au courant de l'embrouille avec les parents et ton histoire avec ton prof. Pour le reste, je t'ai promis et ça restera entre nous.

Génial !

- C'est mon meilleur pote, Lilou.

- Je sais, Matt, soupiré-je de ne pas pouvoir laisser cette histoire derrière moi.

- Il a refusé que je quitte la fraternité sans lui, alors il m'a suivi. Autant t'avouer qu'il ne le fait pas avec le sourire. Mais je ne lui ai rien dit pour...

- Écoute ! Avec tout ce que j'ai traversé, je me suis promis de me consacrer uniquement à mes études. C'est la seule chose qui compte pour moi. Alors qu'il continue à penser ce qu'il veut, je m'en tape ! le coupé-je, plus agacée que je ne devrais J'ai besoin de prendre l'air !

- Tu vas où ?

Il commence déjà à me saouler avec son inquiétude de grand frère protecteur ! Je n'ai pas envie de lui répondre et quitte la cuisine.

- Lilou !

Son injonction est sans appel. Je pivote vers lui énervée et, d'un ton dégoulinant de sarcasme, lui balance :

- J'ai vu trois mecs dehors, et je pense pouvoir les divertir un petit peu.

Ses lèvres frémissent d'amusement. Je lui dédie mon sourire de garce avant de me diriger vers la porte d'entrée.

- On sort nous aussi. N'oublie pas de pr...

- Bon sang, Matt. Lâche-moi un peu ! vociféré-je en claquant la porte.

Il me traite comme une ado, alors pour la peine, il aura le droit à la version ado rebelle !

J'entends son rire dans le couloir et me détends quand je quitte l'immeuble, ma playlist dans les oreilles.