Chapitre 4

Vers 21 h, on frappe à la porte. J'accueille Alice qui brandit en l'air son ordinateur.

– Lilou, il faut que tu mates ce film avec moi. Je n'ai pas envie de pleurer toute seule.

– C'est quoi ? m'enquiers-je en la faisant entrer.

Nos étoiles contraires.

Tu ne l'as jamais vu ?!

– Non. Jamais eu vraiment l'envie jusqu'à maintenant.

– Installe-toi dans le salon, j'arrive avec la boîte de mouchoirs, lui annoncé-je en rigolant.

– Sam n'est pas avec toi ?

– Non, il m'a plantée car il devait terminer un travail important.

– Ce gars semble ne pas avoir de vie à part ses études, pouffe Alice. Il refuse souvent de venir aux fêtes, il faudrait qu'il apprenne à relâcher la pression.

– C'est un passionné, riposté-je.

– Un passionné avec une vie chiante à mourir.

Même si elle le dit avec humour, ça me gêne et résonne comme un écho en moi. J'attrape la boîte de mouchoirs sur la table basse et lui jette sur les genoux.

– Chiante à mourir pour toi, peut-être.

Elle me sourit pour toute réponse. Je pars chercher en cuisine une bouteille de jus de cranberries et un paquet de cookies, puis m'affale à ses côtés. À peine le film est mis en route que Matt fait irruption dans le salon en compagnie de Neal et d'une nana que j'ai déjà croisée plusieurs fois. Nina, je crois.

– On n'est que de passage ! J'ai oublié ma boîte de capotes ! nous informe mon frère avant de se diriger vers sa chambre.

– C'est le genre d'infos que je me serais bien passée d'entendre, me gaussé-je.

Alice est trop occupée à dévisager le canon qui accompagne Matt pour parler ou même sourire. Aïe ! Je n'ai plus aucun doute sur le fait que la malheureuse soit accro à mon frère. Mais ma voisine n'a aucune chance de toucher son cœur d'artichaut.

Nina nous salue avant de le suivre. Quant à Neal, une épaule contre le chambranle de la porte, les bras croisés sur son torse, il nous scrute en silence. Pour éviter tout conflit dans le but de terminer une bonne soirée comme je l'ai commencée, je reporte mon attention sur l'écran de l'ordinateur au moment où il décide de l'ouvrir.

– Jack Bowner est ton frère ?

– Oui ! s'exclame Alice, le sourire retrouvé. Tu le connais ?

– Yep. Un chouette gars. Il était dans le même cursus que nous en économie et management.

– Exact ! Il a fini l'année passée et il bosse chez Ariston & Smith. – À New York ?

Elle opine de la tête.

– Joli ! Tu lui transmettras mes félicitations.

– C'est sympa, merci. Encore faut-il qu'il me réponde ! Il est tellement impliqué dans son boulot que le reste du monde n'existe pas. Ce qui ne plaît pas forcément à ma mère, glousse-t-elle.

Neal esquisse un sourire et ses prunelles pétillent d'amusement. Ce mec est un appel au sexe ! OK, je l'ai pensé, mais hors de question que je le reconnaisse.

– Une mère, c'est sacré ! Il faut en prendre soin.

C'est mignon qu'il dise ça. Ça pourrait presque le rendre sympathique à mes yeux. Concernant ma mère, je la laisse aux bons soins de Matt. D'ailleurs je n'ai toujours aucune envie de l'appeler malgré ses coups de fil répétés.

– Ma fraternité organise une soirée, tu veux venir ? s'enquiert-il alors que j'ai perdu le fil de la conversation.

– La dernière fois que je suis venue, rigole-t-elle, Jack avait pété un plomb.

– Il n'est plus là et compte sur moi pour ne rien lui dire, réplique t-il en lui décochant un clin d'œil qui fait dégringoler en flèche mon moral.

Elle se redresse comme prise d'un élan d'excitation tout en me dévisageant avec regret.

– Tu ne m'en voudras pas trop si je dis oui ? J'ai vraiment envie d'y aller.

– À condition que tu me laisses ton ordi, lui annoncé-je, tout sourire.

– Mais non ! Viens avec nous ! T'es la bienvenue, s'écrie-t-elle avec emphase.

La bienvenue, j'en doute fort. J'ai bien entendu le tu et pas le vous.

– Non, j'ai un cours important qui commence à 8 h. Une autre fois peut-être.

– T'es sûre que ça ne te dérange pas ? geint-elle en minaudant.

– Pas du tout ! pouffé-je. Amuse-toi bien.

– Tu me laisses cinq minutes le temps de me préparer ? interroge t-elle mon enfoiré de coloc qui acquiesce d'un signe de la tête.

Elle se lève et se précipite vers la porte d'entrée. Comme me retrouver seule avec lui ne donne jamais rien de positif, je m'extirpe du fauteuil, l'ordi sous le bras, dans l'intention de me réfugier dans ma chambre.

– Si ton frère t'accorde la permission, alors ramène-toi si tu veux.

– Je n'ai besoin d'aucune autorisation pour sortir, grincé-je des dents en me tournant vers lui.

– Il faudra bien te surveiller, commence-t-il alors que je lui jette une œillade assassine. C'est quoi ce regard de merde ? Ce n'est pas moi qui ai tendance à agir comme une gamine sans penser aux conséquences de mes actes.

– On en est encore là ?! m'exclamé-je autant indignée que dépitée.

J'en ai marre qu'il me juge sans me connaître. Alors autant que je lui donne raison ! Avec un calme qui me surprend alors qu'à l'intérieur je bous de rage, je m'avance vers lui sans un mot. C'est à mon tour de le plaquer contre le mur.

– Tu joues à...

Ma poitrine s'écrase contre son torse quand je me mets sur la pointe des pieds pour choper sa lèvre inférieure entre mes dents. Il reste interdit par mon audace et son inertie me rend téméraire. Je la suçote, puis la mords d'un coup sec jusqu'au sang. Il me bouscule en arrière.

– Putain ! T'es malade ! s'indigne-t-il en essuyant sa bouche meurtrie.

– Tu mettras ça sur le compte de mon immaturité. Mais tu sais quoi ? J'emmerde ton opinion à mon sujet ! À l'avenir, reste loin de moi !

Je l'abandonne en trombe, chamboulée par toutes les émotions aussi fortes qu'intenses qu'il m'inspire. Je ne me reconnais pas.

Dans le couloir, je rencontre Matt et sa copine. Il me dévisage et, comme un sixième sens, me demande :

– Tout roule, ma puce ?

– Nickel !

Je les scrute avec plus d'attention. Cheveux en pagaille, joues rougies et look débraillé.

– Les festivités ont bien commencé à ce que je vois, déclaré-je d'un ton badin. Bon amusement pour la suite !

Ils se marrent, assumant pleinement leurs actes.

Arrivée dans ma chambre, je claque la porte et m'adosse contre le battant en bois tout en reprenant mon souffle.

– Qu'est-ce que j'ai fait, bordel ! marmonné-je.

Je touche ma bouche du bout des doigts. Il m'a poussée à bout et je suis toujours à vouloir autant le baffer que lui sauter dessus. Je pourlèche mes lèvres et m'injecte un shoot de son odeur. De lui.

Bon sang, je n'aurais jamais dû !

***

Mon cours a été annulé...

La journée commence bien !

De retour à l'appart, je suis soulagée de constater que la porte des chambres de mes colocs est fermée. J'ai mis beaucoup de temps à m'endormir hier. Je n'ai pas arrêté de ressasser notre échange et ai pris le parti de le détester, c'est un sentiment plus facile à gérer. Je devrais me foutre de ce que Neal pense de moi, et pourtant, je n'y parviens pas, parce qu'au fond, il y a une part de vérité. Mais il se permet de juger sans connaître toute l'histoire et je m'en prends plein la gueule car il ne digère toujours pas d'avoir dû quitter sa fraternité. À l'avenir, s'ignorer ou s'éviter est la meilleure manière d'agir si l'on veut que notre cohabitation tienne toute l'année. Mais en attendant, j'ai besoin d'évacuer toute cette tension accumulée.

Une fois dans ma chambre, j'échange mon jean, puis mon pull contre un legging noir et un sweat plus léger. Je m'assois sur mon lit pour lacer mes baskets de sport dans le but d'aller courir. Allez, c'est parti !

Ça fait plus de trente minutes que mes pas foulent le sol et j'ai l'impression d'être à l'agonie. OK, je me suis laissé aller pendant l'été, mais ce n'est pas une raison pour que j'éprouve autant de mal à récupérer mon souffle. Malgré les muscles de mes cuisses qui crient de douleur, je ne lâche rien et continue.

Je suis déconcentrée par un jogger qui, à quelques mètres de moi, s'arrête et retire sa capuche. Il lève la tête au ciel en inspirant et expirant profondément les yeux rivés devant lui, et, devant lui, il y a moi. Nos regards se télescopent. J'ai le temps d'admirer la finesse de ses traits, ainsi que l'aura de virilité qu'il dégage juste avant de le dépasser. Si c'est pour le croiser souvent quand je cours, alors je vais m'y mettre plus sérieusement. En attendant, je recouvre un élan d'énergie. Et surtout, le sourire !

De retour à l'appart, je suis interpellée par Alice dans le couloir de l'immeuble.

– Tu es allée courir ?

– Oui. Mon cours a été annulé.

– Tu cours depuis longtemps ?

– Depuis deux ans. Je devais entretenir ma condition de cheerleader, l'informé-je en insérant la clé dans la porte de l'appart.

– Cheerleader ?! Tu m'impressionnes, Lilou, s'enthousiasme-t-elle en me suivant à l'intérieur.

– Rien d'extraordinaire, pouffé-je. J'ai suivi les copines. Et ta soirée ?

– Pas trop mal... T'as vu Matt ?

– Pas encore. Pourquoi ? m'enquiers-je en traversant le couloir. – Je ne sais pas trop quoi en penser, m'avoue-t-elle. Interpellée, je me stoppe et pivote vers elle.

– De quoi tu veux parler ?

– J'adore ton frère.

Sans blague !

– On a pas mal discuté pendant la soirée, il était intéressé... Tu vois le genre.

– J'imagine, oui.

– C'était génial ! soupire-t-elle en proie à un dilemme. Mais Nina... Tu la connais ?

– Juste de vue, réponds-je en parvenant jusqu'à ma chambre. – J'avais l'impression qu'elle ne voulait pas lâcher ton frère. Elle...

Une porte s'ouvre. Eh bien sûr avec la chance que j'ai, il faut que ce soit celle de mon coloc préféré ! Juste vêtu de son caleçon, les cheveux ébouriffés, Neal nous dévisage. J'ai beau le détester, ce mec est hyper sexy. Ça me fout de mauvais poil. Surtout quand il porte son attention sur moi avant de nous dépasser comme si on gâchait son réveil. J'en ai autant à ton service, connard !

Nous pénétrons dans ma chambre quand elle chuchote :

– Il a tiré cette gueule dès le début de la soirée. Quand Matt lui a demandé ce qu'il avait, il l'a envoyé chier.

Je claque la porte derrière nous et m'y adosse.

– Comment ça ?

– J'ai pas compris. Mais ça a surpris ton frère de voir son pote disparaître en cours de soirée, seul.

Je ferme les paupières en me sentant coupable de mettre de la tension dans leur amitié. Ça n'aurait jamais dû arriver et je ne peux pas nier que c'est en partie de ma faute. Je me perds dans mes réflexions quand la voix suraiguë de mon amie me ramène sur terre.

– Et cette Nina, je ne la sens pas. Elle n'arrêtait pas de coller ton frère alors que le courant passait bien entre nous. Je lui ai fait comprendre qu'elle me gonflait.

– T'as bien fait, lui réponds-je alors que j'écoute à moitié, trop perturbée par ce qu'elle m'a dit sur Neal.

– Tu crois que c'est du sérieux entre eux ? m'interroge-t-elle d'une intonation torturée.

– Je ne pense pas que le jour où mon frère tombe amoureux soit arrivé. Il est plutôt du genre à profiter de chaque occasion.

– Je me disais aussi, pouffe-t-elle, pas très sûre d'elle.

Je n'ai pas le temps de creuser le sujet. J'ai juste envie qu'elle parte pour réfléchir.

– Je vais prendre une douche.

– On se voit après, me déclare-t-elle en se redressant. – J'ai cours. En soirée si tu veux ?

– D'accord. Je t'enverrai un message.

– Bonne idée.

Dès son départ, je me laisse tomber sur mon lit et fixe le plafond. Il est hors de question que la relation entre Matt et Neal s'envenime à cause de moi. Je vais oublier mon coup d'éclat d'hier et continuer à faire en sorte que notre cohabitation se passe au mieux.

Mes vêtements de rechange sous le bras, j'arrive en cuisine pour siphonner un grand verre d'eau quand l'objet de tous mes tourments fait son apparition. Il se sert une tasse d'un liquide noir fumant.

– J'ai préparé du café. T'en veux ?

– Non.

Un seul mot qui sonne comme une sentence.

– Il faut qu'on parle, me somme-t-il.

– Ah non, c'est une très mauvaise idée ! craché-je. Ça finit toujours par dégénérer.

J'ouvre le robinet et remplis mon verre d'une eau bien fraîche que je bois.

– Je suis...

– Non ! le coupé-je en brandissant une main devant lui. Je n'ai pas terminé !

Chose étrange, il s'adosse contre le plan de travail, les bras croisés sur son torse nu que je refuse de mater si je ne veux pas perdre le fil de mes idées. Je reste focalisée sur ses lèvres qui s'étirent en un rictus amusé. Le genre de sourire qui me donne envie de réitérer mon geste d'hier. Je suis un cas désespéré ! Agacée, je frappe mon verre un peu trop brusquement sur la table et son sourcil se rehausse d'interrogations. Je hais cet enfoiré et son sex-appeal !

– On se supporte à peine, et la meilleure des choses pour tout le monde est de s'éviter.

– Comme tu l'as si souvent répété, on ne pourra pas s'éviter bien longtemps.

– Eh bien, on s'ignore !

– Une réaction pas très mature, ricane-t-il.

– Ah parce que tu trouves que notre manière de nous comporter l'est ? m'enquiers-je en lavant mon verre, dos à lui.

J'ai besoin de m'occuper les mains et de fuir son regard qui me perturbe un peu trop. Le silence qui s'ensuit me dérange. J'en suis même à me demander s'il n'est pas parti ! Je me retourne alors et le surprends à reluquer mes fesses dans mon legging de course. Même s'il me scrute ensuite d'un air impassible, ses doigts expriment son agitation. Ils agrippent le rebord du plan de travail jusqu'à faire blanchir ses articulations. S'il ose me dire encore une fois que je joue la provocation telle une nana facile comme la dernière fois, je ne réponds plus de rien. Seulement, les traits de son visage se durcissent et je sens l'irritation le gagner. Il expire bruyamment en fixant le mur.

– T'ignorer est dans mes cordes.

– Dans les miennes aussi, lui confirmé-je alors que je n'en pense pas un mot.

Il me jette une brève œillade en opinant de la tête et disparaît de la cuisine en oubliant d'emporter sa tasse de café.

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