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Le reste de la semaine est passé très lentement selon mon point de vue. Les journées ne se composaient que de sorties discrètes loin des yeux des voisins du quartier doré, d'achats au supermarché pour aider Peeter, d'activités d'intérieur avec la famille et de missions avec Joshua et 315 sur le jeu. Au fil des jours, je sentais monter en moi l'excitation et la pression.
Maintenant, allongée sur le lit au milieu des plantes, je m'apprête à plonger pour découvrir la fameuse ville de Paris. J'inspire profondément pour calmer les battements de mon cœur, attrape les électrodes posées sur la table de chevet à ma gauche, les colle sur mes tempes et active le jeu depuis ma tablette. Les lunettes virtuelles se déploient devant mes yeux et en un battement de cils, je me retrouve sur une place permettant une vue panoramique.
Je tourne sur moi-même pour repérer les lieux. Derrière, deux grands bâtiments formant un demi-cercle coupent la vue sur les boulevards. Je reste quelques instants à admirer leur architecture, les lignes verticales qui donnent un côté très imposant et important à cette place. Je me retourne à nouveau, descends quelques marches et regarde la fontaine en contrebas. Au milieu des jets d'eau et des statues, comme trônant fièrement au milieu de ce décor majestueux, une gigantesque tour de métal s'élance vers le ciel bleu.
Enchantée par un tel spectacle, je m'assois sur le parvis de pierres claires, le regard perdu dans le vague. Soudain, je suis bousculée par un garçon d'environ treize ans. Celui-ci se retourne rapidement vers moi et me lance :
"Désolé m'dame ! Fallait pas rester dans le passage !"
Face à une telle insolence, je serre les poings et m'apprête à répliquer mais il est déjà bien trop loin. J'attrape ma tresse et soupire. Une main se pose sur mon épaule. Je sursaute, me retourne et découvre deux yeux bruns souriants. Joshua s'assoit à côté de moi et ouvre sa fenêtre de jeu. Je me penche sur son épaule, repoussant quelques-unes de ses longues mèches noires, curieuse de savoir ce qu'il recherche.
Apparaissant de nulle part, l'oiseau vert Chrysoprase bat rapidement des ailes et se pose sur l'avant-bras du Non-Conformiste. Ce dernier le salue et lui demande des précisions sur l'histoire de ce lieu atypique. Le volatile se racle la gorge et entame son petit discours de présentation.
"Vous êtes actuellement dans les jardins du Trocadéro, sur la colline de Chaillot qui a donné son nom au palais qui se trouve derrière vous. C'est l'un des panoramas les plus connus permettant d'admirer la Tour Eiffel. Souhaitez-vous des précisions sur ce monument ?"
Nous acquiesçons et Chryso reprend.
"La Tour Eiffel est une tour de fer construite en deux ans par Gustave Eiffel et ses collaborateurs pour l'Exposition universelle de Paris de 1889. Symbole de la capitale française et plus haut monument du monde pendant quarante ans, elle était initialement nommée tour de 300 mètres bien qu'elle en faisait 312. La hauteur de la tour a plusieurs fois augmentée grâce à l'installation de nombreuses antennes, jusqu'à atteindre une hauteur de 324 mètres. Elle servait à de nombreuses expériences scientifiques jusqu'à n'être qu'un émetteur de programmes radiophoniques et télévisés avant la guerre."
J'échange un regard médusé avec mon camarade et nous éclatons de rire. La plupart des personnes et des termes cités nous sont totalement inconnus, à tel point que les explications de l'oiseau ne sont que charabia à nos oreilles.
J'essuie une larme, tente de calmer mon fou rire, et me relève. Je pivote sur moi-même et tends une main à mon compagnon. Joshua lève les yeux, se calme à son tour, met la capuche de son sweat Pac-Man et attrape mes doigts.
Sans même comprendre ce qu'il se passe, je me retrouve entourée par ses bras, les mains sur le logo jaune et le visage beaucoup trop proche du sien. Incapable de réfléchir ni même d'esquisser un mouvement, je reste immobile et muette.
"Alors petit oiseau, me murmure-t-il à l'oreille. Il ne faut pas se laisser surprendre comme ça."
Il me relâche et recule un peu. Je déglutis difficilement, incapable de comprendre toutes ces nouvelles réactions de mon corps. Je pose une main sur ma poitrine, expire profondément et serre les dents. Effectivement j'ai été naïve et ce genre de réaction ne me ressemble pas...
"Alors, tu viens ? me lance-t-il depuis l'autre bout de la place. On ne va pas faire attendre la Tête plus longtemps !"
Je lève les yeux au ciel et m'élance à sa suite, direction la Tour Eiffel !
***
Léonie tape du pied, sa fenêtre de jeu ouverte sur l'heure. Essoufflée après cette course, pliée en deux, les mains sur les genoux, je tente de reprendre mon souffle. Derrière moi, j'entends Jules rire et je lui tire la langue.
A l'ombre de l'immense tour de métal, notre équipe est loin d'être la seule. En effet, déjà plusieurs joueurs semblent nous observer, certains d'un œil critique, d'autres d'un air suffisant. Cette attitude me met mal à l'aise, car elle me rappelle certainement le lycée et la réalité. Je secoue doucement la tête et me concentre sur les consignes de dernière minute que nous communique notre capitaine.
Nos fenêtres de jeu se mettent à sonner, signe qu'il est l'heure de l'épreuve. Des agents en costume noir entourent la tour avec des barrières de métal, enjoignant les curieux à se mettre à l'abri ou à regarder les écrans géants. Au centre de l'esplanade, Vulcain se matérialise et nous dévisage tour à tour. Quand ses pupilles se posent sur moi, je me raidis instinctivement. Son regard nous jauge sévèrement, ne faisant qu'augmenter la pression qui pèse déjà sur nos épaules.
"Bienvenue pour cette seconde épreuve, annonce-t-il sombrement. Aujourd'hui, il est temps pour moi de voir réellement de quoi vous êtes capable."
Son ton grave, bien loin de celui taquin de la première épreuve, ne fait que renforcer notre peur de l'inconnu.
"Sans plus attendre, voici donc les règles du jeu. Vous devez vous rendre au sommet de cette grande dame de fer le plus vite possible. Le premier groupe qui m'y rejoint réussira peut-être ce test."
La dernière phrase me fait tiquer mais je n'ai pas le temps de poser de question à ce sujet car, déjà, les joueurs se mettent en place. Je me mets aussi en position, sachant parfaitement que si je pars en retard je serais un poids pour mon équipe. L'excitation m'envahit. Je tente de maîtriser ma respiration, mais la curiosité est bien trop forte. Je veux savoir quel secret se cache en haut de ces 324 mètres.
"A vos marques. Prêts ? Partez !" s'exclame le créateur du jeu.
Comme précisé un peu plus tôt par Léonie, je suis dans la foule la chevelure rousse d'Alice. La jeune femme, rapide mais repérable par cette caractéristique, nous sert d'éclaireuse. Derrière elle, Charles équipé de son bouclier rond bouscule nos adversaires pour nous ouvrir un chemin.
Je jette un regard en arrière. Resté au point de départ, Jay nous observe en souriant, visiblement confiant pour notre réussite. Se rendant compte que je le fixe, il me montre un point dans le pied de la tour vers lequel nous courons. Je me retourne et comprends la raison qui pousse la majorité des équipes à emprunter ce passage : l'ascenseur.
Devant moi, Alice parvient la première à passer la porte. Charles s'engouffre derrière elle, repoussant quiconque tente d'entrer dans la cabine. Le souffle court, nous les rejoignons et nous faufilons à l'intérieur. Je m'apprête à appuyer sur le bouton de fermeture des portes, mais Léonie retient mon geste en arborant un sourire carnassier. Un frisson glacé me parcourt. Je laisse mon bras retomber.
"Votre attention s'il vous plaît, commence la capitaine à l'attention des autres équipes. Comme vous le voyez sur ce petit écriteau, seules quarante-six personnes sont autorisées dans cet ascenseur. Sauf si les maths ne sont vraiment pas votre fort, nous sommes sept et mon camarade est du genre qu'il ne vaut mieux pas mettre en colère."
Les bousculades et les cris ont disparu, ne laissant que la voix de la brune résonner et emplir l'espace. Chacun se tient à carreau, visiblement conscient que leur réussite dépend désormais de notre bon vouloir. Les différents représentants des équipes adverses s'avancent, déterminés à embarquer qu'importe la méthode.
Étant une Cerveau d'origine, je me retrouve écartée des conversations, mon sens de la logique ne me permettant pas une compréhension de la notion de relations humaines selon les Superficiels. Cette décision me révolte mais, pour le bien du groupe, je reste en silence contre la paroi avec Luka.
Après plusieurs longues minutes, la cabine se remplit sur les deux étages et l'ascenseur se met en branle. Je me retourne pour admirer la vue par la vitre. Bien que cette dernière ne soit pas très propre, je vois défiler les barres de métal qui forment l'armature de la grande dame de fer. Finalement je me laisse émerveillée par le spectacle qu'offre cette ascension vers les cieux, par le vertige produit par la hauteur et le sentiment de liberté que cela éveille en moi.
Je m'attendais à ce que la cabine atteigne le sommet, mais soudain, elle ralentit à l'approche du premier étage. Étonnée, je me tourne précipitamment vers la porte et découvre les expressions vengeresses des concurrents. En un instant, des mains empoignent mes bras, les plaquent de manière à ce que je ne puisse pas me débattre, et je suis poussée à travers la foule jusqu'à me retrouver éjectée de l'ascenseur.
Je prends un certain temps pour retrouver mes esprits, temps que prennent mes compagnons pour tenter de forcer le passage. En vain. Je vois Noa, les poings serrés, frapper les portes en métal de la cabine dans un geste de rage et de désespoir. J'hésite un instant, mais finis par poser ma main sur son épaule pour qu'il nous fasse face. Sa peau toujours aussi sombre ne laisse rien paraître de ses émotions, mais ses yeux, eux, sont si expressifs que le joueur m'apparaît comme un livre ouvert.
"On a plus qu'à prendre les escaliers, soupire Léonie peu fière.
— Selon les informations de Chryso, reprend 315, il y a trois ascenseurs pour monter jusqu'au second étage et deux autres pour accéder au troisième palier. Les escaliers ne sont ouverts au public que jusqu'à l'étage deux et comportent 674 marches depuis le sol. En montant, on pouvait les apercevoir.
— Tu as vraiment retenu toutes ces informations inutiles ? interroge Jules entre l'admiration et l'exaspération. A quoi ça va nous servir ? Autant foncer et on verra après.
— J'en ai déduit qu'il nous reste encore 327 marches.
— Donc préparez-vous psychologiquement..." termine la capitaine.
Nous contournons les piliers et fonçons jusqu'au Sud. Arrivés au pied de l'escalier métallique, nous levons nos visages vers le sommet. Celui-ci semblait si loin, presque inaccessible au commun des mortelles. Jules est le seul à commenter cet instant, confirmant tout haut ce que chacun pensait.
"327 marches tu disais... Eh bien, haut les cœurs !"
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