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"C'est de ma faute. Je n'aurais jamais dû t'impliquer dans mes problèmes."
Ma phrase se perd dans le silence de la chambre du Cerveau. J'entortille les mèches blondes s'échappant de ma tresse, tout en évitant le regard du blond. Vu l'ambiance qui règne, cela ne m'étonnerait pas de finir en glaçon...
Je l'entends bouger sur le lit, ses vêtements frottant avec le drap, ses pas se posent sur le paquet flottant et s'approchent doucement de moi. Son ombre s'allonge, je ferme les yeux, consciente de mes erreurs, il s'assoit sur le sol. Dans le silence, seules nos respirations sont audibles.
Soudain, des coups timides retentissent depuis la porte. 315 soupire, pose doucement sa main sur le sommet de ma tête et se lève pour ouvrir. Je rouvre les paupières, surprise et me tourne vers l'entrée de la chambre.
"Luka..., tente piteusement son père.
— Althéa, tu peux aller chercher tes neurotransmetteurs ?"
Le ton du fils est sans appel. Je me lève sans bruit et file dans ma chambre chercher le boîtier. Quand je reviens, Peeter est allongé sur le lit et se tord nerveusement les doigts. Je lui souris pour le rassurer et lui tends les petites ventouses qu'il applique directement sur ses tempes. Il inspire profondément tandis que je charge une nouvelle partie et que les lunettes holographiques se déploient devant ses yeux.
Par message, je préviens Léonie afin qu'elle s'occupe de ce nouveau joueur, Joshua étant injoignable. Je lève mon regard de l'écran et découvre le blond assis aux côtés de son géniteur. Son attitude montre à quel point l'affection de ses parents compte à ses yeux. Il veut leur appui et leur accord.
Derrière moi, surgit Vanessa. A la vue de son mari plongé dans le jeu, celle-ci se tourne vers nous et demande expressément des explications. Nous échangeons un regard et lui apprenons ce qu'il s'est passé quelques minutes auparavant. Sans nous laisser le temps de terminer notre discours, elle ressort de la pièce et revient presque immédiatement avec un boîtier identique au mien. Surpris, nous restons immobiles.
La Physique, devant notre mutisme, en profite pour s'allonger aux côtés de Peeter et applique les neurotransmetteurs avant de m'ordonner de lancer une autre partie. Je m'exécute et les deux adultes se retrouvent plongés dans le New York d'avant guerre.
***
Lentement, l'un après l'autre, les cils battants, les deux Physiques se réveillent de leur voyage. Ils se redressent sur leur coudes, observent la chambre de leur fils et sourient à ce dernier. Face à leur réaction, les épaules du blond se détendent et il se permet même un petit rictus en retour.
Les heures suivantes se passent en discutions et émerveillement face aux différents aspects de l'ancien monde. La bonne humeur et la chaleur du foyer reviennent, me permettant de me sentir de nouveau à l'aise. Vanessa, après s'être extasiée sur les rues illuminées de New York, sur la beauté de l'architecture et sa diversité, s'adresse à son fils :
"Luka, finalement, commence-t-elle en échangeant un regard complice avec son mari, tu peux emprunter mes électrodes.
— Vous m'autorisez vraiment à y jouer ? s'étonne l'intéressé.
— A condition que tes résultats scolaires n'en pâtissent pas et que cette information reste confinée au sein de cette maison.
— Je le promets", affirme-t-il en portant une main à sa poitrine.
La joie se lisait sur son visage, à tel point qu'il aurait pu lâcher une larme sous le coup de l'émotion. Mais 315 reste un Cerveau, et à aucun moment il ne se lèvera pour prendre ses parents dans ses bras; ce genre de sentimentalisme n'est pas accepté dans cette société. A la place, le blond se tourne vers moi et déclare :
"Il est temps de plonger pour la première fois dans ce monde ensemble. Je préviens Joshua et en route pour résoudre tous les mystères de Vulcain !"
Sa bonne humeur est contagieuse. Un sourire se dessine sur mes lèvres et j'acquiesce en me levant. Nous n'avons plus de temps à perdre et personne pour se mettre en travers de notre détermination. Nos sociétés vont changer, j'en suis persuadée. Mais cela sera-t-il en mieux ou en pire ? Les cartes sont dans nos mains. Reste à savoir ce que nous réserve le jeu de notre adversaire : les Grands.
***
Après quelques heures d'avion, nous débarquons finalement à Los Angeles, ville de la côte Ouest des Etats-Unis d'Amérique, selon les informations de Chrysoprase. La grandeur et la diversité de ce pays ne cesse de m'étonner, ce qui provoque les rires du groupe. A peine sortis de l'aéroport qui nous apparaît comme antique en comparaison avec ceux de notre époque, nous montons dans un "minibus" (quelle drôle d'expression) qui nous conduit vers le quartier de Beverly Hills.
La joue contre la vitre, laissant le chauffeur à ses explications, j'admire les avenues ensoleillées et plantées d'immenses palmiers. La dernière fois que j'avais vu ces étranges arbres, c'était dans le hall du lycée il y a de cela plus de deux semaines. Je soupire à ce souvenir et un doigt vient doucement enfoncer ma joue. Je me retourne vers Jules et le regarde d'un air exaspéré. Le Physique blond, tout sourire, semble très fier de sa taquinerie. J'expire bruyamment et frappe légèrement son épaule de mon poing. Ce geste, de ma part, l'étonne mais il se reprend vite et continue de m'embêter à chaque fois que je tente de me plonger dans mes pensées.
Finalement, nous parvenons à Beverly Gardens Park, sortons du véhicule et suivons Jay à travers les allées. Selon lui, ce lieu renferme une quête à la fois simple et généreuse en récompense. Nous nous arrêtons devant la statue noire et brillante d'un homme en tenue de chasse, assis sur un rocher. Ses yeux sont vides et son expression semble évoquer la tristesse. Charles dégaine sa hache, visiblement méfiant. Je pose ma main sur le bras du roux pour l'obliger à baisser son arme, lui faisant comprendre par la même occasion que je souhaite régler cette mission pacifiquement. Le guerrier grogne dans sa barbe tressée, mais finit tout de même par ranger sa lame.
D'un signe, Jay invite la leader du groupe, Léonie, à taper gentiment sur l'épaule de la statue. Celle-ci n'hésite pas et frappe un grand coup dans le dos du personnage non jouable. Le corbeau porte la main à son front et le frappe pour montrer son exaspération. Cette situation me fait sourire, c'est du pur Léonie.
J'ouvre rapidement mon interface et demande des informations supplémentaires sur la sculpture. Chryso se matérialise et me présente donc Hunter and Hounds, traduite par "Le chasseur et les chiens". L'artiste supposé est un certain Henri Alfred Marie Jacquemart, français ayant notamment étudié à l'Ecole des Beaux Arts de Paris. Je lève le regard, mais remarque qu'un aspect important de l'œuvre a disparu : les deux chiens.
Chryso, inarrêtable, continue ses explications. Cette statue aurait été un hommage au fils d'une des premières familles de la ville : les Longyear. Le jeune homme serait décédé en France en 1918, lors de la Seconde Guerre Mondiale, pendant la bataille de Château Thierry. Sur le coup je ne comprends rien et les regards de mes compagnons me montrent qu'eux non plus. A ma connaissance, il n'y a eu qu'une seule grande guerre ayant permis l'ascension des Grands au pouvoir, pas deux. Ne possédant aucun élément de réponse, je reporte mes interrogations à plus tard et me concentre sur la mission.
Le chasseur s'était retourné suite à la baffe de la lionne brune et explique dorénavant le but de sa quête : retrouver ses deux chiens dans le parc et les ramener vivants. Cette précision me semble inutile et je ne m'attarde donc pas dessus. Léonie se retourne vers notre groupe, nous attribue par duo des zones du parc et nous nous élançons à la recherche des deux canidés.
Je suis de mon mieux Jay à travers les allées, mais ma respiration se fait courte et je peine à maintenir la distance. Il finit par ralentir devant un bassin surmonté des mots probablement lumineux "Beverly Hills". Au milieu des nénuphars et des gerris, les poissons font des allers-retours, aveuglent aux événements qui secouent ce monde virtuel. A mon tour je parviens à la hauteur du garçon en sweat à capuche noir à l'effigie de Pac-Man, haletante et tentant vainement de reprendre rapidement une respiration normale. Je finis par avaler de travers et évite de m'étouffer grâce à l'aide du corbeau.
Les yeux encore rouge, je regarde autour de moi et aperçois un buisson qui bouge étrangement. Nous échangeons un coup d'œil, quelques signes et contournons le bassin chacun de notre côté pour le prendre en tenaille. Alors que nous approchons enfin de notre cible, je frissonne en entendant Jay marcher sur une branche morte. Le chien de métal relève la tête, les oreilles dressées, et s'élance vers le joueur. Ce dernier n'a pas le temps d'esquisser un geste, que déjà, une grande masse noir et brillante le plaque à terre et se met à lécher son visage avec sa langue métallique.
Je soupire de soulagement, une main sur mon cœur, et éclate de rire face à cette scène et sous l'émotion. Je m'approche d'eux et tends une main à mon camarade pour l'aider à se relever. Il me remercie d'un sourire et nous nous occupons du chien. Celui-ci court en décrivant un cercle autour de nous. Alors qu'il repasse devant moi, je l'attrape par les flancs et me mets à le caresser énergétiquement. Le canidé de métal, tout content d'obtenir de l'attention, se couche sur le côté, roule sur le dos et joue avec mon pied. Jay se joint à nous et petit à petit, nous l'attirons vers la statue du chasseur.
Derrière nous, des cris retentissent. Je crois entendre mon nom et je me retourne pour découvrir Alice en train de s'élancer à toute allure vers notre binôme. Je m'arrête, surprise et en pleine incompréhension, quand soudain le corbeau enroule ses bras autour de moi et me plaque au sol. Le choc de la chute m'étourdit un peu et je bats des paupières tout en regardant autour de moi pour comprendre. Un sifflement tranche l'air et une lance vient se planter violemment dans la tête de l'animal, la traverse et vient se figer dans la terre. Le métal, replié sur lui-même à cause de la puissance du coup, laisse échapper des grésillements électriques et quelques gouttes de carburant noir.
Les yeux écarquillés, l'estomac retourné, je me tourne vers la route et vois une camionnette lancée à toute allure. Par les fenêtres, j'aperçois le reflet métallique d'armes et, sur la portière du conducteur, le symbole du sablier en feu. Pourquoi les évolutionnistes attaquent-ils aussi ce jeu ?
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