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ATTENTION : Ce chapitre contient un passage violent avec présence de sang. Si vous êtes sensible, des astérisques délimiteront ces quelques paragraphes. Bonne lecture !
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Alors que nous visitons le zoo de Central Park avec la chanteuse canadienne, Léonie s'éloigne un instant pour contacter quelqu'un qui paraît important. Je hausse les épaules et poursuis mes explications sur les différentes espèces et leurs caractéristiques. La femme blonde, le visage assez long et pointue, les joues légèrement creusées par l'âge, regarde avec attendrissement les petits animaux. C'est vrai que d'un point de vue Physique, ils sont plutôt mignons.
Tandis que nous continuons notre périple, l'ambiguïté dans le caractère de ce personnage non jouable me laisse à la fois pantoise et admirative. Ni Cerveau, ni Superficielle, c'était la première fois que je découvrais une Non-Conformiste qui s'assume totalement. Avant les Grands, tout le monde était ainsi ? Libre de ses actions et de ses pensées ? Libre du regard des autres ?
La capitaine d'équipe finit par nous rejoindre au niveau de la cage aux lions. Mais pas seule. A ses côtés, se tient un homme assez grand, le visage camouflé par la capuche de son sweat noir. Sur le tissus, un disque jaune incomplet est imprimé. D'abord étonnée de ce motif, je me rappelle soudain l'avoir vu en broche sur la veste de Vulcain.
Plongée dans mes pensées, Noa et Jules, nos deux gardes du corps, me dépassent et vont serrer la main de cet inconnu tout en lui donnant une franche accolade. Visiblement, ils se connaissent déjà et sont proches.
"Hé beau gosse ! lance notre capitaine d'équipe. Viens par là qu'on te présente la nouvelle. Althéa, je te présente le meilleur joueur de la guilde Rash : Jay."
Il se rapproche de moi et tend sa main droite. Le blond, Jules, lui retire sa capuche en riant avant de frapper la main de Noa, probablement complice. Je découvre alors le visage plutôt banal de ce nouveau camarade : la mâchoire carrée, des yeux bruns et des cheveux mi-longs noirs corbeau. Je prends sa main en retour et il me serre doucement les doigts, sans me lâcher du regard.
Dès que je le peux, je romps notre poignée de main et m'éloigne de cet étrange individu. Depuis quand on dévisage les gens qu'on vient de rencontrer ? Je rejoins madame Dion et reprends mes explications là où je les avais laissées. Notre mission se poursuit ainsi pendant plusieurs heures par les rues commerçantes et des petits achats dans les grandes boutiques de luxe.
Mal à l'aise au milieu de tant de matérialisme, et ne voulant pas gêner mes coéquipiers, je ressors et m'assois sur un banc, épuisée, les jambes tremblantes. Je respire profondément tout en enroulant une mèche de ma tresse, le regard perdu dans la contemplation des gratte-ciels. Pourquoi n'ai-je pas deviné plus tôt la catégorie des membres de Rash ? Qu'est-ce que je fais sur ce jeu entourée de Superficiels ?
Quelqu'un s'assoit à mes côtés. Je me tourne vers le nouveau venu et découvre le corbeau avec son sweat à capuche, lui aussi en pleine admiration de la magnificence de New York.
"Que représente l'image de ton pull ?" lui lancé-je en désignant l'étrange logo.
Lui-même jette un œil sur son habit et se tourne vers moi en souriant avec nostalgie.
"Pac-Man, un personnage de jeu d'arcade datant de l'avant-guerre.
— Pac-Man ? Un jeu d'arcade ? répété-je sans comprendre le sens de ces mots.
— Allez, viens je vais te montrer, rit-il en se levant et en me tendant les mains avant d'ajouter face à mon hésitation, ils en ont pour quelques heures. Ce sont des Physiques après tout."
Je soupire, le sourire aux lèvres. Il n'a pas tort. Je prends ses mains, il m'aide à me relever et m'entraîne quelques rues plus loin. Nous entrons dans un bâtiment tout à fait commun vu de l'extérieur, mais ce qu'il contient me fait écarquiller les yeux. Dans des enfilades de salles sombres, des dizaines de grosses boîtes avec des écrans pixelisés encastrés sont alignées. Des joueurs de tous âges, seuls ou en bandes, se bousculent devant dans l'espoir de tenter les multiples expériences proposées.
Jay presse doucement ma main pour me sortir de mes pensées, je lui souris désormais excitée à l'idée de découvrir ces nouveaux univers, et il m'entraîne devant l'une des machines. Je découvre alors sur l'écran le diagramme circulaire jaune. Mon accompagnateur insère une pièce dans la machine et m'explique les différentes commandes et principes du jeu le plus novateur et célèbre de cette époque.
Créé par des japonais, un pays de l'autre côté de l'océan, nous devons déplacer Pac-Man dans un labyrinthe pour récupérer ce qu'ils appellent des "pac-gommes" tout en évitant des fantômes. Rien de bien compliqué sur le papier mais je découvre rapidement ce qui a fait son succès : un principe addictif qui change des jeux de tir, des couleurs vives et attirantes, et la possibilité de jouer seul ou à deux.
Après plusieurs parties, Jay m'entraîne vers d'autres bandes d'arcade. Que ce soit de la course, de la simulation, du tir comme Space Invader, du sport comme Pong, ou encore de la danse, il me bat dans tous si aisément que s'en est presque frustrant. Finalement, après presque quatre heures de divertissement, de franche rigolades et de nouveaux contacts avec des joueurs du monde entier, nous sortons du bâtiment plus proches et détendues que jamais.
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Soudain, tandis que nous retournons vers les boutiques de luxe, un homme me bouscule. Jay me rattrape et alors que je m'apprête à crier de faire attention, je prends conscience que cet individu est poursuivi. La peur se lit dans ses yeux, comme un animal à quelques minutes de sa mort. Une femme avec un gun lui barre le chemin tandis qu'un garçon le plaque à terre. Une quinzaine d'autres personnes sortent de nulle part et l'entourent avant de le frapper. Le pauvre hurle de douleur, tente de s'expliquer malgré le sang qui coule sur son visage, se roule en boule en gémissant. La femme tire sur sa cuisse. La détonation résonne entre les bâtiments et dans mes oreilles. Sa proie crie à plein poumon avant de se prendre un violent coup de pied dans les côtes, provoquant des craquements. Ses assaillants rient, les spectateurs sont immobiles, le malheureux tourne son visage larmoyant vers notre direction, tend vainement sa main à la recherche d'une aide qui ne viendra pas. Un nouveau coup retentit, un trou se forme dans sa poitrine, un filet de sang coule le long de son menton, ses yeux se vident alors qu'il expire son dernier souffle de vie. Un frisson me parcourt.
"Il ne fallait pas défendre tes très chers Grands, numéro 650, hurle l'un des assaillants. Nous ne sommes que des pièces interchangeables ! Un de plus, un de moins qu'importe : ils ne bougeront pas le petit doigt pour sauver notre tête !"
Je sers les poings. Qu'importe ce que ce pauvre homme défendait, personne ne mérite de mourir ! J'ouvre ma fenêtre d'interaction de jeu, bien décidée à contacter un modérateur ou un maître du jeu.
"Hé ! Toi là-bas ! Ouais toi la blonde. Tu fermes ça tout de suite ou tu subiras la même punition", me lance la femme en pointant son gun vers moi.
Je ferme la fenêtre et lève les mains, non sans la fusiller du regard.
"J'aime pas ton air supérieur, poulette. J'ai beau être aussi une Physique, on ne me regarde comme ça. J'aurais pu être gentille, mais cet idiot m'a déjà mise sur les nerfs, alors bye bye chérie !"
Je ferme les yeux, le coup part. Je sens des bras m'entourer et sans comprendre, je me retrouve plaquée au sol. Je rouvre les paupières et découvre Jay qui me protège de son corps, ses cheveux mi-long recouvrant une partie de son visage. Derrière lui, une flamme rousse est en plein combat. Alice, des poignards dans chacune de ses mains, ne retient pas ses coups face à celle qui aurait pu devenir ma meurtrière.
Une balle fuse, frôle le bras de l'ennemi et part s'enfoncer dans le mur derrière elle. Je regarde le sommet du building derrière moi et découvre Charles qui nous fait un signe de la main gauche, tout sourire, avec un sniper dans la main droite.
"Sacré viking, soupire Jay à mes côtés. Allez on file."
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Il me prend la main alors que j'aperçois Jules et Noa qui arrivent tout juste en renfort.
Les spectateurs fuient la rue à grands cris, propageant la peur à travers la cité. J'entends des joueurs s'inquiéter de l'absence de la police, ou encore, s'étonner qu'aucun modérateur n'ait pris de décision. Tenant toujours la main du brun, je tente de le suivre dans sa course effrénée. Brusquement, il tourne à droite et s'engouffre dans le hall d'entrée d'une tour. Il s'arrête enfin, après avoir vérifié que nous soyons hors de vue et de danger.
Je glisse contre le mur, à bout de souffle et frissonnante. Je ferme les yeux mais les rouvre aussitôt. Les visions de l'homme tué sous mes yeux me hantent. Une chaleur recouvre mes épaules. Je remarque alors que Jay a retiré son sweat et l'a posé sur mes épaules. Je resserre les manches autour de moi et le remercie sincèrement. Un silence s'installe entre nous, seulement rompu par quelques hurlements distants.
"Les Grands ne sont pas appréciés ici, souffle-t-il.
— Pourquoi ?
— C'est logique pourtant. Tout le monde d'avant a disparu par leur faute. Plus d'identité, plus de communautés diverses, plus de libertés, de propriété ou de remise en question du système.
— Mais ce jeu est une reproduction. Qui te dit qu'il n'a pas été embelli, tenté-je doucement.
— Althéa, les Grands ont créé cette guerre. Ils ont influencé le monde d'avant pour monter les gens les uns contre les autres. Aujourd'hui, ils nous contrôlent toujours en divisant le peuple en deux..."
Je ne réponds rien. Que savons-nous des Grands après tout ? Ils sont les sauveurs de nos sociétés selon les livres d'histoire. Que savons-nous du monde d'avant-guerre ? Officiellement, rien. Des années de recherches ne m'en ont même pas donné une piste, alors ce jeu vidéo créé par un certain Vulcain... Beaucoup trop beau pour être vrai. Pourtant, Jay comme tous les joueurs semblent persuadés de son authenticité.
"La révolution gronde. Tu es nouvelle ici mais cela fait des mois que la colère monte sur Who I am suite aux révélations d'un groupe d'aventuriers. Ils sont les plus avancés dans les quêtes de vérité de Vulcain.
— Mais quelle influence peut avoir un jeu comparé au monde réel ?
— Ne sous-estime pas la puissance d'un groupe en colère. Quoiqu'il en soit, fais attention quand tu es seule, ajoute-t-il en me regardant droit dans les yeux."
J'acquiesce. Une fenêtre de dialogue s'ouvre alors devant nous pour nous indiquer que la mission de protection de la chanteuse Céline Dion a été accomplie. Je soupire, ayant totalement oublié cet objectif, et ferme l'interface après avoir récupéré les récompenses.
Entre alors dans le hall Léonie. Jay lui fait signe et elle nous rejoint dans notre cachette.
"Je viens de raccompagner le PNJ au point final, vous avez empoché le pactole ? nous interroge-t-elle tandis que nous acquiesçons. Bien, on va s'arrêter là pour ce soir. Il est trop tard, on remet le farming à demain soir.
— Le farming ? l'interrogé-je.
— Yep on va récolter un max d'objet et d'argent pour augmenter nos niveaux en prévision des épreuves de Vulcain."
Ayant ma réponse, nous nous saluons et je me déconnecte. Mes membres me font souffrir et c'est avec douleur que j'attrape ma tablette. Je découvre alors une notification qui me fait grincer des dents :
Fais attention à toi 652.
Forcément, ce n'est pas signé, mais je n'ai pas besoin d'un nom pour savoir qu'il s'agit du pirate informatique.
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