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Le week-end fini, l'interrogatoire sur le déroulement de la soirée passé, je retourne au lycée non sans lassitude. La simple idée de revoir les Physiques me dégoûte. Malheureusement, n'ayant pas le choix, je franchis le portail en soupirant.
Une main se pose sur mon épaule, je tressaille légèrement, et me retourne pour découvrir le sourire de 315. Le blond, de nouveau dans des habits simples de Cerveau qui lui donne un air de premier de la classe, me salue et m'entraîne vers l'entrée du bâtiment principal tout en discutant de théories récentes. Cette rencontre me fait oublier l'espace de quelques minutes mes mauvaises pensées, et c'est avec un immense sourire sur les lèvres que nous rejoignons les casiers, puis la salle de cours. Les autres Têtes sont déjà rangés et bavardent de choses et d'autres. Nous nous mêlons à notre tour aux discussions, serrant quelques mains au passage, en attendant que la sonnerie résonne et que le professeur de rhétorique nous ouvre.
Je file m'asseoir à ma place, sors mon cahier et ma trousse, et lève les yeux vers le tableau. Mon sourire disparaît immédiatement quand je vois entrer le brun à la veste en cuir au bras de Stacey. Une boule se forme dans ma gorge tandis que je détourne le regard. Alors que je les entends s'exclamer face au nouveau sac d'une Physique, dans ma tête résonne encore la phrase hautaine de Joshua. Je m'enferme dans mon mutisme pendant que les Superficiels font leur petit tour à la recherche des derniers potins.
Finalement, le professeur - lui-même un Physique - sort ses affaires et commence son cours par un récapitulatif de ce qu'il nous a enseigné la semaine précédente. Mon voisin s'assoit et allume sa tablette.
"Hey petit oiseau ! me chuchote-t-il. Comment vas-tu ce matin ?"
Je ne lui jette même pas un regard et recopie ce qu'il y a au tableau.
"Hé ho ? Tu m'entends ?
— Malheureusement oui, répliqué-je glaciale.
— Alors comment vas-tu ? insiste-t-il.
— Je n'ai rien à répondre à un Superficiel."
Je n'ai pas besoin de le regarder pour deviner sa réaction : bouche entrouverte, yeux écarquillés de stupeur et d'incompréhension. Une colère sourde boue en moi mais je m'oblige à garder une apparence calme et distante. J'ai été naïve une fois, j'ai cru que nos sociétés n'étaient pas incompatibles, qu'il me considérait comme une personne à part entière et non une Cerveau interchangeable. J'ai eu tort et j'apprends de mes erreurs : plus jamais je ne me laisserai influencer par un Physique !
Le cours se poursuit, il tente à quelques reprises d'entamer la conversation, mais je suis devenue une forteresse silencieuse. Quand la sonnerie finit par retentir, je range mes affaires et rejoins rapidement 478 et 315. Nous sortons de la salle sans un regard en arrière et filons dans le couloir pour rejoindre le cours de mécanique. Le blond pose une main sur mon épaule pour me rassurer. "C'est pour le mieux" semble vouloir signifier son sourire. Je soupire et esquisse une grimace en retour, avant de poursuivre mon chemin.
Nous franchissons la porte et nous nous asseyons dans un coin. La brune aux cheveux courts est à côté de moi tandis que 315 est devant à côté d'un autre Cerveau. Sans attendre, la leçon du jour débute dans un silence studieux. En effet, ce cours est le seul réservé exclusivement aux Cerveaux, pour mon plus grand soulagement.
La journée continue, heureuse lors des intercours, pesante quand mon voisin est présent. Je sens souvent son regard sur moi mais je fais tout pour l'éviter grâce à l'aide de mes deux amis. D'autant plus que le sourire de Stacey aux côtés du brun me fait serrer les poings. Cette vipère mériterait de s'étouffer avec son chewing-gum rose fluo... À chaque fois, 315 change de conversation et parvient, grâce à maintes stratégies, à maintenir mon attention et ma bonne humeur.
Finalement, après huit heures de concentration, le soir arrive et je l'accueille avec joie. Le sourire aux lèvres, accompagnée de 478, je me rends une dernière fois à mon casier bordeaux au second étage. La brune s'appuie contre la balustrade du corridor, le dos face au vide et au palmier géant du rez-de-chaussée. Après quelques minutes de réflexion où j'en profite pour fouiller dans ma sacoche et inverser quelques classeurs, elle se décide à prendre la parole.
"652, es-tu déjà tombée amoureuse ?"
Je m'arrête dans mon geste, surprise par cette question. L'ai-je déjà été ? Qu'est-ce que l'amour finalement ? Je termine de ranger et ferme la petite porte carrée avant de faire face à mon amie.
"Si on parle d'une attirance inexplicable envers une personne, avec des désirs de proximité physique, je ne pense pas. Pourquoi une telle question ?
— Oh rien. Juste la puberté qui me fait croire à des choses qui n'existent pas.
— Une personne t'attire en particulier ? l'interrogé-je curieuse.
— Attirer est un bien grand mot. Mais, comment dire... J'aimerais bien qu'il s'intéresse à moi de temps en temps.
— Ah oui ? continué-je avec un sourire entendu.
— Mais il ne me regardera jamais : plusieurs filles ont des vues sur lui et, lui aussi, semble intéressé par une autre fille", concède-t-elle en baissant la tête.
Je m'approche et me penche pour pouvoir la regarder malgré son visage baissé.
"Je suis certaine qu'un jour ta patience sera récompensée. Tu es gentille, attentionnée et sincère, s'il ne s'en rend pas compte c'est qu'il est idiot ! Et puis, comme disent les Superficielles : un de perdu, dix de retrouvés. Ne désespère pas pour un Cerveau aveugle, il y en aura forcément un qui t'appréciera pour qui tu es."
Elle sèche une larme et me sourit, visiblement reconnaissante de mon soutien. Sa confidence me touche et témoigne de sa confiance à mon encontre. La séquence émotion s'arrête là et nous redescendons dans le hall pour rejoindre d'autres Cerveaux.
Après une vingtaine de minutes, la plupart du groupe est déjà partie. Pour ma part, mes parents étant absents toute la semaine pour leurs recherches, je n'ai pas vraiment hâte de rentrer. 478 me serre la main et sors à son tour suivie de deux autres filles. Je termine alors ma conversation sur les anneaux de Saturne avec un Cerveau, puis il me salue à son tour. Je me retourne et rencontre le regard bleu de 315.
"Ne reste que deux pseudo-Cerveaux, rit-il. Tu dois rentrer pour quelle heure ?
— Mes parents passent la semaine au labo, donc pas de couvre-feu pour sept jours.
— Le rêve ! Tu comptes en profiter pour faire quoi ?
— Aucune idée, répondis-je en haussant les épaules. Peut-être visiter le monde dirigé par la chèvre du prof de rhétorique ?
— Le plus important n'est pas de détenir la vérité, mais de persuader les autres que l'on a raison, poursuit-il en citant le professeur. Un vrai Physique...
— Dit une Tête ayant des parents Superficiels", dis-je ironiquement en lui donnant un coup de coude dans les côtes.
Nous éclatons de rire. Entre ces Physiques exaspérants qui nous en font voir de toutes les couleurs, et nos situations irrégulières cachées au quotidien, il y avait de quoi finir fou.
"Si tu veux, je vois avec mes parents ce soir s'il est possible que tu passes la semaine chez nous ? Je connais la réponse d'avance mais au moins tu ne seras pas seule à tourner en rond chez toi."
J'acquiesce, heureusement à l'idée de revoir ce foyer accueillant et touchée par sa proposition.
"A demain alors ! On passera chez toi avant pour récupérer tes affaires, ça évitera les questions déplacées au lycée.
— Ok, à demain alors."
Nous nous serrons la main et sortons du hall, laissant le palmier seul jusqu'au lendemain. En passant le portail, je crois reconnaître 478 qui tourne au coin de la rue. Je me ravise, me rappelant qu'elle est partie depuis déjà une dizaine de minutes, et pars en direction de la station de métro.
***
Mes devoirs terminés, le dîner dans mon estomac, ma douche faite, je m'allonge sur mon lit. Je prends ma tablette et regarde mes notifications. La plupart n'ont pas d'importance et je les supprime donc. Vers la fin, je repère celles qui m'intéressent vraiment : celles concernant le jeu Who I am. Je lance l'application et pose les neurotransmetteurs sur mes tempes avant de les activer grâce à ma montre. Des lunettes digitales se déploient devant mes yeux et je me retrouve plongée au cœur du New York d'avant guerre.
Je descends de la plateforme de matérialisation et file vers la rue pour arrêter un taxi. Quelques minutes plus tard, je suis au pied de ce que l'on appelle un gratte-ciel ou building dans ce monde. Cette immense tour de verre et d'acier abrite le siège de la guilde Rash, guilde que j'ai rejoint lors de la première épreuve de Vulcain. Dans le hall d'entrée, Léonie la capitaine d'équipe, Jules, Alice, Charles et Noa m'attendent. La brune rondelette semble en colère et râle sur le moindre livreur qui ose s'approcher trop près d'elle. La main ébène de Noa se pose sur mon épaule, me faisant comprendre que je n'ai rien à craindre. Je lui rends son salut et me tourne vers le roux visiblement désolée pour sa crise de folie de la dernière fois. Je lui souris aussi pour lui faire comprendre qu'il est pardonné, mais je retiens dans un coin de ma tête : fou furieux, faire attention en cas de pétage de câble. La rousse, quant à elle, se tient à l'écart et s'amuse avec une dague.
Alors que je joue nerveusement avec ma tresse, Léonie rassemble notre petite équipe pour annoncer la mission du jour.
"Salut blondinette ! Pile à l'heure. Aujourd'hui, Vulcain nous assigne à la protection d'une star de la pop internationale : une certaine Céline Dion. C'est un personnage non jouable d'après nos informations, donc une personne de l'époque de création du jeu. Pas de temps à perdre selon le maître de guilde, on doit s'entraîner pour la prochaine épreuve majeure."
Une célébrité de l'époque ? Une Physique si elle avait vécu maintenant donc. J'entortille une mèche de ma tresse entre mes doigts, curieuse de découvrir son état d'esprit, et surtout, l'objectif de Vulcain. Le créateur ne semble pas faire les choses au hasard, tout semble pré-calculé.
"En bref, Alice et Charles vous serez en mode camouflage parmi la foule et à l'affût du moindre danger. Noa et Jules vous serez assignés à la garde rapprochée, donc costume pour vous les mecs."
Les deux se regardent, le plus jeune visiblement excité comme un enfant à l'idée de se déguiser, le métisse exaspéré de devoir mettre une tenue formelle.
"Althéa, j'espère que tu as bien révisé l'histoire de la Grosse Pomme car on va jouer les guides touristiques."
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