13
J'entends des cris de surprise suivis par un silence écrasant. Je rouvre les yeux et découvre le massacre dans cet immense hall. Les hôtes d'accueil sont étalés au sol, immobiles. La petite dizaine de joueurs est recroquevillée mais indemne. Je soupire de soulagement, la main sur mon cœur.
Celui que la brune a appelé Charles, est le premier à se relever, visiblement étonné d'être encore vivant. C'est un homme approchant la trentaine, roux, ses cheveux et sa barbe tressée, bien bâtis. Il remet son bouclier, rond en cuir et métal, dans son dos tandis que ses compagnons se relèvent eux aussi tour à tour avec un air éberlué. Le joueur finit par s'accroupir auprès d'un des hôtes et tend sa main vers son dos pour vérifier son état. Mais au lieu de rentrer en collision avec le tissu de la veste de costume, ses doigts passent à travers le corps qui devient légèrement translucide, et viennent rencontrer le sol carrelé. Un rictus étire ses lèvres, il penche la tête vers l'avant alors que ses épaules se mettent à tressauter.
Surprise et légèrement inquiète, je regarde ses compagnons mais tous l'observent sans broncher. Je m'avance alors vers lui d'un pas, tends mon bras en sa direction mais me ravise quand il bascule sa tête en arrière et se met à ricaner. Des frissons parcourent mon dos et je sers les dents tout en écoutant son rire briser le silence.
"Ce sont des hologrammes ! Des hologrammes ! s'esclaffe-t-il les pupilles dilatées par la folie. Des putains d'hologrammes ! Vous avez vu les mecs ?"
Personne ne lui répond mais cela ne semble pas l'étonner puisqu'il repart de plus belle dans son délire. Ses compagnons rangent, se rééquipent, s'organisent, sans même un regard pour lui. Cette situation leur paraît sûrement normale... Mais pas pour moi. Les rires hystériques du roux me nouent le ventre et la gorge. J'ai peur de cet endroit. J'ai envie de m'enfuir loin de ces tarés.
Soudain, la femme brune et un peu rondelette s'avance vers le malheureux, pose une main doucement sur son épaule et lui murmure quelque chose à l'oreille. Le guerrier se retourne vers elle, désormais silencieux et les yeux grands ouverts, se prend une baffe qui résonne dans le hall d'accueil et s'écroule sur le carrelage. Je reste totalement interloquée par la scène qui vient de se dérouler sous mes yeux. Tout s'est passé si vite... Je n'ai même pas eu le temps de bouger ne serait-ce qu'un orteil.
Apparaît alors au-dessus de la tête de Charles : Déconnexion en cours... Et il se pixelise avant de disparaître totalement. La cheffe de groupe tourne alors son attention vers moi. Mon cœur bat la chamade, j'ai les mains moites mais je tente difficilement de soutenir son regard brun. Elle s'approche, sans arrêter de me fixer.
"Blondinette, je suis désolée.
— Pour quelle raison ? l'interrogé-je tout en tentant de maîtriser ma voix.
— Il a totalement pété les plombs et c'est pas beau à voir, me répond-elle en se mordant l'intérieur de la joue. Bref, on n'a pas de temps à perdre. Ton intuition était bonne et t'as l'air d'être une fille de confiance, mais tu ne sais pas te battre ma grande.
— ... Effectivement, concédé-je. Je suppose que vous allez me proposer une alliance ?
— Exactement ! s'exclame-t-elle avant de se tourner vers le reste de ses compagnons. Je vous avez bien dit que cette fille avait de la jugeote ! Très bien blondinette, voilà le deal : tu t'associes à notre guilde le temps de ce test. Tu seras notre cerveau et nous, tes gardes du corps. Qu'en dis-tu ?
— Ca marche."
Elle appuie sur quelques commandes de son tableau de bord, nous nous serrons la main et un message apparaît devant moi. Je regarde ma nouvelle alliée qui affiche cet air carnassier.
Bienvenue dans la guilde Rash, Althéa. Vous avez désormais accès à de nouvelles fonctions et aux missions en équipe.
Je glisse ce message sur le côté droit et une invitation de groupe apparaît. Le meneur est une certaine Léonie. Je la regarde à nouveau et approuve ce nom de lionne. Elle semble vraiment forte, indépendante et prête à dévorer quiconque se met sur son passage. J'accepte l'invitation et sans attendre, la brune dispatche en quelques gestes l'ensemble de l'équipe à travers les différents étages. Visiblement elle veut prendre le contrôle total de la tour.
Elle me fait alors signe de la suivre et en quelques mots je lui explique notre objectif. L'unique moyen d'accéder aux étages supérieurs est l'ascenseur se trouvant droit devant nous, au fond du hall. Une fille rousse à la chevelure frisée et très volumineuse s'avance vers la meneuse en lui désignant l'heure. La brune soupire.
"Il ne nous reste que quinze minutes, ce sera suffisant ?
— Amplement suffisant", répondis-je déterminée.
Nous entrons dans la cage et les portes se referment avec un son de clochette. Léonie appuie sur le dernier bouton, le vingt-cinq, et nous sentons le sol s'élever. Sur l'écran au-dessus de nos têtes, nous voyons les étages défiler en silence. La peur, la pression, l'enthousiasme, l'envie de prouver ma valeur, tout cela se mélange en moi tandis que je respire profondément pour tenter d'éloigner ce début de migraine. Il faudra que je trouve l'origine de cette douleur à un moment ou un autre...
Alors que nous atteignons le dix-septième étage, l'ascenseur se stoppe net, nous projetant avec force contre le sol ou les murs en métal. Je lève mon regard vers l'écran pour y trouver des informations mais il est noir. Les lumières se sont éteintes, ne laissant que les ampoules de secours rouges qui se reflètent sur l'aluminium. Je m'avance vers le panneau de contrôle et appuie sur le bouton à côté de l'interphone. Une sonnerie retentit dans la cage, comme si notre appel était en attente. L'impatience monte et je prends ma tresse dans ma main tout en jouant avec mes mèches pour me calmer.
L'écran se rallume, nous dévoilant une vidéo du créateur du jeu. Vulcain semble s'amuser de notre situation, se doutant sûrement des multiples émotions contradictoires se heurtant dans notre esprit.
"Mes chers joueurs, que serait une épreuve sans obstacles inattendus ? Voyez-vous, les secrets de ce monde se méritent, dit-il avec le sourire d'un père faisant un tour de magie à ses jeunes enfants. Par la suite, il vous faudra force et ingéniosité. Alors courage les jeunes. Au-delà des limites, plus ultra !"
C'est sur ces mots étranges que l'écran s'éteint à nouveau. Les phrases tournent dans ma tête à la recherche d'indices, aussi infimes soient-ils. Autour de moi, les membres de la guilde réfléchissent ensemble à un plan d'action. Pour atténuer le son de leurs conversations, je plaque mes mains contre mes oreilles. Cette situation me rappelle le vacarme provoqué en cours par les Physiques et je lève les yeux en soupirant à cette pensée.
Je reste immobilisée un instant. Pour une fois, ces Superficiels m'ont porté chance et un sourire étend mes lèvres. Je me retourne vers l'équipe en leur pointant le plafond de l'index. Les discussions s'estompent et tous suivent la direction de mon doigt. Ingéniosité et force. Une trappe de secours nous attendait juste au-dessus de nos têtes. Quelques-uns m'applaudissent en riant mais, sans attendre, une courte échelle s'organise. La rousse est la première à monter avec agilité, puis après quelques instants pour vérifier la stabilité de l'ascenseur, elle aide le reste de l'équipe à grimper.
Sans hésiter un instant, je pose mon pied sur les mains jointes d'un homme blond d'une vingtaine d'années et attrape les mains que l'on me tend à travers le toit. Ainsi, en quelques minutes nous sommes tous en route vers le sommet, alignés sur l'échelle de secours. Après une longue ascension, Léonie qui est en tête du cortège pousse la trappe de sortie sur le toit. L'éclairage des néons de New York m'éblouit mais je continue d'agripper les barreaux métalliques. Finalement la personne devant moi parvient à son tour au sommet et m'aide à m'extraire du conduit. Je souris à cet homme noir de peau et il détourne le regard en rougissant.
Je le laisse tranquille et m'émerveille face à l'environnement qui nous entoure. Cet immense toit culmine au-dessus de la ville. Je me penche par-dessus la barrière et découvre que, cent onze mètres plus bas, le gorille fait toujours des siennes. Mais entre-temps, les joueurs semblent avoir gagné du terrain à en juger par les blessures de l'hologramme. Je me déplace pour arriver au-dessus de l'écran et me penche à nouveau par-dessus la balustrade pour repérer le diffuseur.
"Alors blondinette, il faut descendre ? me questionne Léonie.
— Oui, tu vois le petit spot juste au-dessus de l'écran géant ? C'est ça que l'on doit désactiver.
— Okay. Plus qu'à utiliser l'échafaudage pour rejoindre notre cible. Vous avez entendu les mecs ? Après plusieurs mois de combat, de galères et de moments difficiles, on va enfin passer la première épreuve de Vulcain. Qui est avec moi ?"
Des cris du cœur retentissent sur la terrasse et quelques instants après, je suis sur une échelle à une centaine de mètres du trottoir... Du courage qu'il disait ! J'inspire profondément pour calmer les battements désordonnés de mon cœur. Je descends doucement le long des plaques et des tubes en métal. J'ai beau faire de mon mieux, je suis bien trop lente. Mes autres coéquipiers m'aident mais la rousse n'arrête pas de hurler le nombre de minutes restantes. J'ai l'impression d'être réellement un poids pour eux, de ne pas être à la hauteur...
Finalement, je parviens à l'endroit voulu mais il ne nous reste que trois minutes. Je m'élance en courant vers le petit appareil électronique. Essoufflée, je vois un bouton rouge mais arrête directement les autres joueurs qui tentent déjà d'appuyer dessus. Au-dessus une petite flèche est gravée et pointe vers le bas. Je regarde à travers les trous dans les planches métalliques et découvre un second appareil identique mais inaccessible.
Léonie surgit à mes côtés et me présente un baudrier accroché à un élastique. Sans me laisser le choix, elle m'équipe et me pousse vers le bord de la passerelle. Sa seule excuse : je suis la seule ici à pouvoir résoudre un casse-tête assez rapidement en cas de besoin. Dis plutôt que tu n'as pas envie de sauter oui ! J'inspire et expire profondément, puis sens une main dans mon dos. Prête ou pas, on ne me pose même pas la question. Je hurle à pleins poumons et sens le câble se tendre. Je fais le yo-yo pendant encore quelques instants avant de me stabiliser suffisamment pour observer l'émetteur.
Au-dessus du bouton rouge est gravé un carré coché. Sans hésiter, je presse ma main contre l'appareil et ferme les yeux dans l'attente d'une nouvelle réaction inattendue. J'entends alors un son de corne de brume et les huées des joueurs au pied du bâtiment ayant échoué au test. Lentement, je rouvre les paupières et vois au-dessus de moi les membres de la guilde me remonter.
Quand je remets les pieds sur l'échafaudage et qu'on me retire l'équipement, je suis la fille la plus heureuse de ce jeu. Cette réaction excessive de soulagement fait bien rire les autres. La tension accumulée depuis le lancement de l'épreuve s'évanouit peu à peu. Je profite de la bonne humeur collective pour demander quelques noms : la rousse se nomme Alice, le blond qui faisait la courte échelle, Jules, et celui qui m'avait aidé sur le toit (et avait rougis d'ailleurs), Noa.
Ma vision se brouille alors, remplaçant les rues éclairées par le visage ravie de Vulcain. Le créateur du jeu toujours dans son costume noir avec son étrange broche, semble ravie.
"Félicitation à vous ! Première épreuve réussie et soyez déjà fiers de vous. Il va être temps de prendre du repos mes chers joueurs car dans une semaine, le maître actuel vous enverra la localisation de la seconde épreuve. Profitez de ce temps pour vous améliorer et vous préparer au mieux, dit-il malicieux. Mais où sont mes manières ? Il est temps de vous offrir la première récompense. Tout d'abord de l'argent pour vous aider à avancer, et ensuite, une petite explication."
Je n'ai que faire la monnaie, mais en tant que Cerveau, mon attention est focalisée sur les révélations à venir.
"Le thème de cette épreuve était l'illusion. Vous avez découvert la véritable nature des hologrammes mais gardez en tête que ce jeu est lui aussi fictif. Ce monde que vous découvrez appartient au passé et il vous sera impossible de revivre cette époque. Concentrez-vous sur votre vie réelle et sur le futur car il vous appartient ! Mon rôle à travers ce mmorpg est seulement de vous enseigner les erreurs à ne pas répéter...
— Et la dernière partie ! L'ascension par les échelles de sécurité ? hurlé-je sans savoir si ma question serait entendue.
— Si vous vous demandez ce que représente la dernière étape, c'est pour vous montrer qu'aucun chemin n'est tracé; il y a toujours plusieurs moyens d'atteindre le sommet. Souvent il suffit de persévérer et d'une once de folie pour y parvenir. Jetez-vous dans le vide, prenez des risques et vous serez récompensés !"
Le vieil homme disparaît alors, remplacé par ce message : Déconnexion. Je rouvre les yeux et reste allongée quelques instants sur mon lit, perdue dans mes pensées. Un son venant de ma montre m'annonce une notification. Les lunettes digitales se rétractent, je retire les électrodes de mes tempes et appuie sur l'écran à mon poignet pour lire le contenu du message.
Alors Althéa ? Tu ne regrettes pas d'avoir suivi mes instructions ?
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