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"Que me veux-tu ? hurlé-je à l'intention de cet étrange pirate informatique.
— Pour le moment, rien de bien difficile. Tu devras suivre mes indications et te rendre là où je te le demande, me répond-il très calmement.
— Et si je refuse ?
— T'y risquerais-tu ? Tu es une Cerveau, c'est ta nature de te fondre dans la masse pour ne devenir qu'un simple rouage de ce système instauré par les Grands. Mais je peux te montrer ce que vous recherchez tous : la vérité sur notre monde.
— Tu peux me tenter autant que tu le souhaites, tu ne me connais pas. Il me suffit de désinstaller ce jeu ou de ne plus y jouer pour que tu deviennes impuissant, lui lancé-je sur un ton de défi.
— Essaies pour voir et tu n'auras jamais les réponses à tes questions."
Je reste quelques instants impassible, hésitant sur la conduite à suivre. N'importe qui me dirait d'arrêter tout de suite avant que les choses n'empirent, tant pis pour la vérité. Pourtant, la Cerveau en moi ne peut s'empêcher de vouloir découvrir ce qu'il se cache derrière ces secrets. Peut-être que mes années de recherche porteront leurs fruits ? Peut-être que je découvrirai enfin qui je suis ? D'autre part, ma partie Physique me hurle de donner une leçon à ce type, de lui démontrer que je ne suis pas un mouton et que je suis belle et bien capable de faire mes propres choix.
Finalement je murmure : "Guide-moi."
Je n'ai pas besoin de le voir pour savoir qu'il sourit de fierté. L'icône du plan se met à clignoter, la map s'ouvre et un point rouge apparaît dessus. Il se trouve au centre d'une île appelée Manhattan, à priori quelque part entre les tours que je voyais précédemment depuis le sommeil de la statue. J'entortille quelques mèches de ma tresse et décide de me mettre en route.
Je parviens rapidement au pied de cette étrange femme de bronze et me dirige vers l'embarcadère. Je découvre que je ne suis pas la seule sur cette île de départ car de nombreux groupes de joueurs commencent à se former. Je crois même comprendre que des recruteurs sont parmi le lot. Je continue mon chemin malgré quelques interpellations, et parviens jusque devant un petit bateau correspondant en tous points à celui affiché en haut à gauche de ma vision. Un jeune homme d'une vingtaine d'années est à bord et semble m'attendre. Il me reconnaît, regarde d'un air dédaigneux sa montre, m'invite à embarquer et nous partons en direction de la ville. Le trajet se fait en silence, ce qui me laisse toute à mes réflexions.
Un mal de tête me vrille le cerveau malgré mes tentatives de concentration. Je soupire silencieusement, abandonne les théories et essaie de faire des exercices de respiration pour calmer la douleur. Malheureusement, quand après une demi-heure je pose pied à terre, la migraine n'a pas disparu. Sans aucun adieu, le propriétaire du bateau repart visiblement satisfait. M'amener sur le continent devait faire partie de ses missions quotidiennes à remplir, mais sûrement pas de socialiser avec sa clientèle... Je rouvre la carte en appuyant sur le logo et me mets en marche en suivant l'itinéraire.
Les rues sont animées et l'ambiance est à la fête et la détente. Je me surprends à tenter de deviner la catégorie de chaque personne que je croise, mais contrairement à d'habitude, soit j'en suis incapable, soit je n'en suis absolument pas certaine. Ce sentiment est étrange. Je n'ai pas l'habitude d'une société sans catégorie. Je profite aussi de cette marche pour admirer l'architecture de plus près. Celle-ci ressemble énormément à celle de mon époque mais appliquée à des tours qui paraissent aussi hautes que le ciel. Faites de verre et d'acier, c'est à se demander si ces constructions ne risquent pas de s'effondrer telles des dominos d'un instant à l'autre. Je suis émerveillée par tant de génie et un sourire franc s'affiche sur mes lèvres alors qu'un vertige euphorisant m'envahit.
Je traverse des avenues sans fin, découvre que les joueurs peuvent conduire leur propre voiture et même que les taxis sont jaunes dans cette ville. Tout est étrange autour de moi. Les affichages commerciaux sont sur des panneaux et des écrans réels, et non de simples projections immatérielles. Les couleurs sont tellement vives qu'elles me font presque mal aux yeux et illuminent les rues comme si le soleil ne s'était jamais couché. Mes jambes commencent à me faire souffrir mais je me mords la lèvre inférieure et continue d'avancer parmi la foule pour rejoindre ce fameux point.
Finalement, après vingt bonnes minutes et à bout de souffle, je parviens à la fameuse intersection. Je me plie en deux, les mains sur mes genoux et la tête baissée pour tenter de récupérer une respiration dite normale. Les battements de mon pouls dans mes oreilles finissent par s'estomper et j'en profite pour découvrir ce lieu appelé Time Square.
Je ne sais combien d'écrans m'entourent, mais tous semblent vouloir rivaliser en dimensions. Je tourne sur moi-même. Le plus grand doit bien faire cent mètres de long. Soudain, toutes les images changent pour afficher de nouvelles publicités. J'écarquille les yeux et souris devant une telle chorégraphie graphique. Je remarque alors des personnes avec des tenues noires qui, d'après leurs mouvements, encerclent la place et ses milliers de curieux. Je ne semble pas être la seule à remarquer leur comportement, pourtant cela ne provoque aucun mouvement de foule. Je fronce les sourcils, méfiante face à tant de calme.
Les images lumineuses sur les écrans changent à nouveau, et cette fois, affichent toutes la même personne : un homme d'environ 65 ans, aux cheveux longs, blancs, à la barbe rasée très proprement et portant un costume noir. Je remarque sur sa boutonnière un étrange symbole représentant un disque jaune auquel on aurait retiré un sixième sur le côté droit. D'un seul coup, des dizaines de haut-parleurs retentissent, emplissant Time Square de la voix grave de cet individu.
"Bienvenue à toutes et à tous ! Pour les petits nouveaux je suis Vulcain, le créateur de ce jeu. Je ne suis probablement plus des vôtres depuis bien longtemps mais sachez que si vous parvenez à franchir les différents obstacles et intrigues de ce mmorpg, il vous sera possible de découvrir l'actuel maître du jeu et la réalité sur le monde d'avant ! Ce jeu n'en est qu'un pâle reflet qui a pour but de vous transmettre notre vision avant qu'une guerre ne la réduise à néant. Mais n'oubliez jamais : l'avenir de votre société dépend totalement de vous et de vos choix. Ceci n'est que mon premier sermon bande de gamins ! Trêve de bavardage, que cette première épreuve commence !"
Des centaines de questions se bousculent dans ma tête, mais trop peu trouvent des réponses. Je manque de temps. Autour de moi, les joueurs s'esclaffent en cœur, ayant hâte de débuter ce test. L'immense majorité semble le tenter pour la énième fois au vu de leur organisation et de leur coordination. Font-ils partie d'une de ces fameuses guildes ?
"Ôtes-toi du chemin la noob. Tu gênes", me lance un homme en me poussant hors de son passage.
Je manque de tomber sur le bitume mais je suis retenue dans ma chute par quelqu'un. Je reprends mon équilibre, soupire de soulagement et me retourne vers cette personne. Ma sauveuse est une femme assez grande d'une quarantaine d'années, rondelette, brune avec une coupe en carré dégradé laissant ses belles boucles naturelles retomber et encadrer son visage rond. Elle me sourit et s'assure que je vais bien. Je lui rends son sourire et la remercie. Un peu plus loin, d'autres joueurs l'interpellent et notre discussion en reste là.
Au centre de la place, un gorille géant hurle en frappant son torse. Pourtant, ses assaillants ne reculent pas, bien décidés à l'abattre. Depuis quand ce singe géant est-il apparu ? Comment est-il passé inaperçu dans une ville ? Ça existe vraiment des animaux de cette taille d'ailleurs ? A cet instant, une salve d'explosions fait reculer la créature. Je me bouche les oreilles, ma curiosité à son paroxysme, et remarque qu'un coude de l'animal est passé à travers une des tours. Furtivement, mais c'est une certitude. Un hologramme ?
Je souris. Finalement c'était simple. Je lève le regard vers les étages supérieurs des tours et finis par trouver ce que je cherche au sommet de l'écran le plus haut. Bingo ! Au milieu de tout ce raffut, il ne m'est pas difficile de m'éclipser discrètement et je m'éloigne du champ de bataille pour rejoindre le pied de la tour. Deux vigiles gardent l'entrée. Je m'approche d'eux, bien décidée à passer cette double porte vitrée. Arrivée à leur hauteur, l'un d'eux s'avance. Un instant je redoute qu'il me barre le passage, mais il prend la poignée et m'ouvre tout en me souhaitant la bienvenue. Je ne montre rien des sentiments qui me traversent, incline la tête pour le remercier et entre dans le hall.
Quand j'entends le claquement derrière moi et les bruits extérieurs s'étouffer, je soupire silencieusement, relâchant la tension. Je finis par me diriger vers l'accueil où un homme et une femme me sourient. Je ne tarde pas à comprendre que ce sont des hologrammes eux aussi : ils ne bougent pas et ne me répondent pas... Je parcours la salle du regard et remarque un ascenseur derrière eux. Parfait, la chance semble me sourire aujourd'hui finalement.
C'était sans compter sur les deux hôtes d'accueil. Ou plutôt la rangée de dizaines d'hôtes... Des copiés-collés en plus. Leur sourire commencent à me glacer le sang et je sens une sueur froide couler dans mon dos tandis que mon rythme cardiaque accélère. Mauvais signe. Tous en cœur, ils penchent leur tête doucement sur le côté droit et passe la main de ce même côté dans leur dos. Je fouille la salle des yeux à la recherche d'un objet quelconque pouvant me servir d'arme, mais je ne vois qu'un vieil ours en peluche ayant eu une vie bien mouvementé à en juger par son état. Je reporte mon attention vers les hologrammes et les découvre avec un couteau dans la main. Et pas un petit couteau à beurre.
Alors que je suis figée au centre de ce hall, j'entends la porte s'ouvrir et laisser entrer d'autres joueurs. Je reconnais la voix de la femme m'ayant retenue dans ma chute quelques minutes plus tôt. Doucement je me retourne.
"Alors blondinette, besoin d'aide ? me lance-t-elle une arme à feu dans la main gauche.
— Ce n'est pas de refus, répondis-je en reprenant mes esprits.
— Vous êtes prêts les mecs ? Celui qui fait carton plein je lui offre le resto", termine-t-elle avec un sourire carnassier avant de se jeter dans la bataille avec ses acolytes.
Les coups de feux retentissent, mais aucun ne semble efficace.
"Merde ! De vrais zombies, peste la brune. Charles ! Changement de plan et en vitesse."
Le dénommé Charles s'arrête de tirer et se met à réfléchir. Mes propres rouages se remettent en route et je ricane face à ma propre bêtise.
"Cessez le feu !" hurlé-je à leur attention.
Le groupe s'arrête et se tourne vers moi étonné. C'est ce moment que choisissent les hôtes d'accueil pour nous fondre dessus avec leurs armes blanches. Je ferme les yeux alors qu'ils s'apprêtent à poignarder les joueurs dans le dos.
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