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La douce odeur du pain grillé me sort progressivement du sommeil. Je repousse la couette et ouvre les rideaux. Juste le temps de refaire le lit et je rejoins mes hôtes dans la cuisine. Alors que je m'apprête à les aider, Peeter m'arrête, me prend par les épaules et m'oblige à m'asseoir. Traduction : tu es notre invitée, assieds-toi et profite. Je croise le regard de 315 qui essaie de ne pas éclater de rire. A ses côtés, Vanessa me regarde l'air de dire : aucune objection possible. Je retiens un sourire de dépit et finis par me laisser servir...


Les conversations vont bon train, entre rire et bienveillance, me faisant réaliser à quel point mon cocon familial est triste et sans saveur. Mais je ne m'apitoie pas sur mon sort, au contraire, je profite de l'instant présent comme si c'était le dernier moment joyeux de ma vie.


Fatalement, mon heure de départ finit par arriver et c'est avec regret que je les quitte après de nombreuses embrassades des deux Physiques. Mon camarade de classe m'accompagne jusqu'à une borne de taxi automatique à quelques rues de là. Le trajet se fait en silence, sûrement car aucun de nous deux ne souhaite que cet instant prenne fin. Lui en tenue de Physique, moi en robe de soirée, si l'une de nos connaissances nous croisait elle aurait cru à un rêve, ou pire, à un cauchemar.


Je jette un regard au Cerveau, admirant son style rock avec le pantalon noir déchiré aux genoux, la chaîne en métal sur le côté et le tee-shirt à l'emblème d'un groupe sûrement populaire mais qui m'est inconnu. Pour une fois, ses cheveux blonds sont décoiffés et ses quelques épis ne semblent même pas le déranger. Ses yeux bleus acier se tournent alors vers moi et le temps semble ralentir l'espace de quelques instants. Je détourne le visage, rouge de honte et me reprochant intérieurement ma conduite de Physique.


A mes côtés, un rire retenu vient briser ce silence. Je regarde le blond totalement perdue et celui-ci éclate franchement de rire. Je suis médusée mais je finis contaminée par sa bonne humeur et il est difficile de nous stopper pour reprendre notre souffle.


"Pourquoi... est-qu'on... rit déjà ? l'interrogé-je tout en tentant de retrouver ma respiration.

— Pardonne-moi... Ça me fait vraiment étrange... de te voir aussi naturelle... Je ne comprends même pas comment... j'ai fait pour ne rien remarquer, me répond-il lui aussi essoufflé.

— Pff... Et moi donc, comment j'aurais pu deviner ? ajouté-je en désignant sa tenue.

— Bah quoi ? Tu es jalouse oui, rétorque-t-il avec un rictus.

— Je vais répondre oui pour te faire plaisir", lancé-je malicieuse.


Je l'entends soupirer me confirmant ma victoire pour cette bataille. Je jubile intérieurement n'ayant pas l'habitude de ce genre de discussion, mais ne laisse rien paraître sur mon visage. Nous arrivons finalement devant la borne, 315 insère sa carte d'abonnement, j'entre mon adresse et nous patientons jusqu'à l'arrivée du véhicule. Je sens son regard sur moi, mais je ne souhaite pas faire l'erreur deux fois en le regardant dans les yeux.


La voiture tourne au coin de la rue et se gare devant nous. Le jeune homme m'ouvre la portière et je m'installe sur le siège avant de boucler la ceinture. Je me tourne alors vers lui pour le remercier. Son bras gauche posé sur le toit, sa tête contre le métal, son regard bienveillant posé sur moi... Je réalise peut-être un peu tard la raison de son succès auprès des filles, Cerveaux comme Physiques. Il me remercie à son tour, s'arrête un instant, ne laissant que le son de nos respirations et le chant des oiseaux. Il semble se raviser et finalement me propose de revenir dès que je le souhaite. J'acquiesce, il referme la portière et me fait signe de main alors que le taxi m'emporte déjà. Je me retourne pour l'observer une dernière fois mais il finit par disparaître de ma vue.


Je me rassois correctement et vois une notification sur ma montre. Elle provient du jeu sur ma tablette. Je la sors de mon sac et ouvre l'application. Le titre "Who I am" s'affiche en gros sur l'écran, puis la page d'accueil se lance. Je suis étonnée de découvrir un jeu de rôle en ligne aussi simple. Basiquement, ce monde virtuel est divisé en plusieurs pays sans distinction entre Cerveau et Physique. Tout cela paraît irréaliste mais la curiosité l'emporte et je décide de créer un compte. Je choisis d'incarner un personnage qui me ressemble, une femme blonde à l'aspect plutôt banal. Je valide et on me demande de choisir un pseudo. Je soupire et m'apprête à entrer mon matricule mais une ligne apparaît en rouge. Il est interdit de mettre sa réelle identité, ni des chiffres.


Je lève les yeux et observe les rues défiler en réfléchissant. Finalement j'entre un prénom fictif dans la barre et valide. L'écran devient noir et s'affiche alors en blanc :


Bienvenue Althéa.


Je sens alors la voiture freiner et rapidement j'éteins la tablette pour la ranger dans mon sac. J'ouvre la portière, sors, passe mon sac sur l'épaule, et réponds au sondage de satisfaction sur la vitre avant de prendre la direction de chez moi. Après avoir traversé plusieurs rues, je me retrouve dans l'allée, face à la porte d'entrée. Mon cœur bat à toute allure. Est-ce de la peur ? Je mets ma main sur la poitrine et respire profondément pour me calmer.


Je tourne la clef dans la serrure et pousse la porte. Les volets sont ouverts, tout est en ordre mais les ordinateurs ne sont pas sur la table... Je m'en approche et découvre une feuille avec l'écriture de mon père. Je souris. Des deux c'est celui qui a la typographie la plus lisible.


Nous sommes partis sur terrain pour interroger les témoins de la fête de Stacey et passerons le reste de la journée au centre de recherche. Nous prendrons ton témoignage à notre retour vers 20h00 à plus ou moins 30 minutes.


Bref, direct et dénué d'émotion. Un message typique de mes parents. La pression se relâche et je m'étale sur le canapé, ferme les yeux et profite du silence. Après quelques minutes, je repousse ma tresse et décide de monter dans ma chambre pour réviser, m'installe à mon bureau et commence à sortir mes classeurs. Sans tarder, j'enchaîne les matières et copies doubles. Mon stylo plume glisse entre les lignes pour former d'abord des lettres, puis des mots, puis des phrases qui elles-mêmes porteront mes idées. Au bout de deux heures, je mets le point final et me repose dans le fond de mon fauteuil pour m'étirer. Ça fait du bien de retrouver le confort de son petit quotidien. J'attrape ma sacoche et sors la tablette pour scanner mes copies et les envoyer aux enseignants. Mais en l'allumant je retombe sur ce jeu.


J'hésite. Regarde tour à tour l'écran et les feuilles étalées sur mon bureau. Finalement, je mets l'application en veille et scanne mes documents. Sept minutes plus tard, je m'allonge sur mon lit et réactive Who I am.


Bienvenue Althéa, veuillez mettre vos lunettes.


J'attrape une petite boîte sur ma table de chevet, l'ouvre, prends les deux neurotransmetteurs et les place sur mes tempes. A partir de ma montre je les active et des lunettes se déploient devant mes yeux, me plongeant au cœur du jeu. Je m'allonge confortablement et décide de laisser parler ma curiosité.


L'écran d'accueil finit par disparaître, et je découvre alors un paysage des plus merveilleux. Le soleil se couche au loin en projetant des couleurs chaudes allant du rouge à l'orange en passant par le rose. Sur cet arrière-plan se détachent des tours immenses de verre et d'acier. Je baisse mon regard et découvre un pont suspendu enjambant une large rivière. Étonnée, je tourne sur moi-même et découvre l'édifice sur lequel démarre mon aventure : une torche géante.


Apparaît alors de nul part un petit oiseau vert. Ce dernier se pose sur la rambarde devant moi et commence à m'expliquer ce jeu.


"Enchanté je suis Chrysoprase, votre guide, mais vous pouvez aussi m'appeler Chryso ! Vous êtes actuellement au point de départ : la Statue de la Liberté. Si vous souhaitez des renseignements sur un monument, appuyez sur le cercle vert avec l'image de bâtiment."


Je lève ma main virtuelle et appuie sur l'icône. L'oiseau se met alors à m'expliquer les détails concernant cette étrange structure, mais certains mots me sont inconnus. Je grimace mais le laisse terminer son monologue.


"Avez-vous des questions avant que je ne vous explique les principes de base ?

— Où sommes-nous et à quelle époque ?

— Vous êtes à New York, une des principales villes des Etats-Unis d'Amérique. Ce jeu est la reproduction du monde tel qu'il était avant la grande guerre qui a mené les Grands au pouvoir. A l'époque on appelait cette période le "vingt et unième siècle". Avez-vous d'autres questions ?"


J'hoche négativement la tête, complètement sonnée par ces révélations. Je vais enfin découvrir le monde tel qu'il était avant ? Tant d'années de recherches auraient leurs réponses ici ? A cette simple pensée je suis toute excitée et je n'ai qu'une hâte : découvrir les moindres recoins de ce jeu. Chryso profite de mon silence pour reprendre ses petites explications.


"Vous aurez quotidiennement des quêtes à réaliser. Dès que l'une des tâches est cochée, vous recevrez de l'argent qui vous permettra de profiter des avantages de la vie à cette époque. Les temps de déplacement sont divisés par deux par rapport au déroulement du temps dans votre vie réelle, prenez donc garde de vérifier la durée et la destination avant de valider un déplacement. De plus, de nombreuses guildes se sont créées dans ce jeu, n'hésitez pas à en rejoindre une pour réaliser des missions en équipe qui vous rapporteront plus ! Votre inventaire contient déjà les objets indispensables à votre aventure ainsi qu'une carte de la planète. Et pour bien commencer, je vous offre dix milles dollars américains. Si vous avez des interrogations j'y répondrais avec plaisir !"


Je le remercie et le petit oiseau disparaît, ne me laissant qu'un petit icône à son image en cas de problèmes. Je me retrouve seule sur la plateforme et je décide de m'accouder à la balustrade pour profiter de la vue. Le soleil semble se coucher car les fenêtres et les rues s'allument au fur et à mesure. C'est étonnant de passer de la matinée à un couché de soleil en l'espace de quelques instants.


Après quelques minutes de contemplation, je me rends à l'intérieur du monument et découvre un étonnant musée. Je prends mon temps pour déambuler dans les allées et finis par arriver à l'entrée de la boutique souvenir. Mon écran se met alors à bugger et une voix retentit dans ma tête.


"Althéa... Pas mal comme pseudo.

— Qui êtes-vous ? Sortez de mon esprit !

— Oh que non, je ne risque pas de te laisser puisque c'est moi qui ai piraté ta tablette pour télécharger ce monde virtuel et t'y faire venir."

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