Namjoon prit quelques secondes pour se calmer et endosser le masque inexpressif qu'il lui fallait afficher pour affronter l'interrogation. Il se savait observé par l'oeil maussade d'un gardien de cellule et du regard attentif de Joonhwi, son assistant mais n'était pas particulièrement dérangé par cela.
Non, son véritable obstacle se trouvait derrière la porte métallique et l'attendait patiemment. L'inspecteur lissa un pli invisible sur sa chemise et poussa enfin la porte, curieux de savoir quelle sorte de personne se trouvait à l'intérieur.

La pièce où il entra avait des murs d'un gris métallique et n'était éclairée que par des néons à la lumière blanchâtre; et assis sur la chaise pliante de fer en face de la table de bois, se trouvait le suspect numéro cinq.

Namjoon s'attendait à beaucoup de choses: un homme tout de noir vêtu aux cheveux hirsutes et à la voix gravelleuse comme ceux qu'on voyait à la télévision, peut-être.
Lorsqu'il découvrit enfin à qui il avait affaire, la personne lui évoqua une ville enneigée, quelque chose qui semblait paisible et silencieux, presque ensommeillé mais qui dissimulait sous son manteau blanc des choses dont on ne pouvait se douter de l'existence. Namjoon avait beaucoup réfléchi à ces choses là durant les cours qu'il avait suivi pour entrer dans la Force; naissait-on criminel ? Était-ce seulement à cause de l'influence de l'entourage et du mode de vie qu'on le devenait ?

Il n'avait pas de réponse. Peut être était-ce parce qu'elle se trouvait quelque part entre ces deux options. Une chose était sûre, les apparences pouvaient se révéler trompeuses; fatales.

Le suspect en face de lui était calme, l'air posé, installé dans sa chaise d'acier d'une manière si naturelle que les menottes qui entouraient ses deux poignets et limitaient ses mouvements n'étaient quasiment pas visibles au premier abord; leur présence semblait presque incongrue.
Cheveux de jais sans une mèche rebelle, yeux sombres mais vides d'une once de trouble, lèvres teintées de rose pâle non pas retroussées dans un rictus de colère mais seulement boudeuses ce qui lui donnait l'air d'être ennuyé; comme si c'était lui qui attendait Namjoon pour l'interroger.

Ce dernier s'installa à son tour directement en face de l'autre, le visage impassible.

– Enchanté.

– Oh, vous n'allez pas sortir une matraque et essayer d'avoir l'air effrayant pour m'intimider ? Je suis agréablement surpris, rit le suspect.

Il avait une voix de velours véritablement teintée d'amusement. Namjoon lui sourit en retour.

– Nous sommes toujours deux êtres humains.

– Mais l'un de nous deux a peut être ôté la vie d'un autre, rappela son interlocuteur.

– Je garde cela à l'esprit, Seokjin. Kim Seokjin-ssi. Êtiez-vous proche de la victime ?

Seokjin eut un rire, presque déstabilisant par sa présence dans la cellule si maussade.

– Je ne sais même pas qui est mort, avoua-t-il.

– C'était l'un de vos collègues, Seokjin-ssi. Jung Hoseok.

Il y eut un silence, une pointe de tristesse teintant brièvement le regard de l'interrogé.

– C'est regrettable. Nous n'étions pas particulièrement proches mais il était très chaleureux à l'égard de l'ensemble des employés.

– Pas tous apparemment, puisqu'il est mort aux mains d'un d'entre eux, souffla Namjoon. Mes condoléances.

– Retrouvez le criminel. Présentez-moi vos condoléances plus tard.

– Vos désirs sont des ordres. Où vous trouviez-vous la veille ?

– Je n'ai pas vraiment d'alibi vérifiable dans la période de temps durant laquelle le meurtre a été commis; sans quoi je ne serais pas bloqué dans cette cellule. Vous le savez probablement, inspecteur, mais je travaille ici en tant que médecin légiste et j'occupe le laboratoire du sous-sol, détailla l'homme en croisant les jambes et en s'adossant contre la chaise. Hier n'avait rien de spécial, j'étais sur les lieux dès dix heures.

– Dix heures tapantes ?

– Je suis plutôt ponctuel, oui, rit Seokjin. Je suis passé devant l'entièreté du bureau pour rejoindre le laboratoire -- notamment le secrétaire qui pourra en témoigner.

– Vous êtes restés là-bas toute la journée ?

– Je suis humain, inspecteur. J'ai quitté l'office vers treize heures pour aller déjeuner. J'ai l'habitude de prendre ma pause après le reste des employés, j'ai donc croisé Jung Hoseok-ssi qui revenait de la cafétéria. 

Lorsque Namjoon lui demanda si c'était la dernière fois qu'il avait vu la victime, le médecin avait acquiescé sans un bruit.

– Je suis revenu de ma pause à quatorze heures et n'ait pas quitté le laboratoire jusqu'à la fin du service, c'est à dire seize heures.

– Mais personne ne peut attester de cela, n'est-ce pas ?

– Le secrétaire n'était pas à son poste. C'était très surprenant de sa part, j'ai l'habitude de lui souhaiter une bonne soirée à chaque fois que je quitte l'office, remarqua Seokjin. Remarquez, il n'est peut-être qu'allé aux toilettes.

Namjoon nota l'absence du secrétaire avec une attention particulière. D'après la description qui lui avait été donnée par Joonhwi, l'homme était un employé modèle qui avait été promu rapidement dès son entrée dans le service; il serait le prochain sur sa liste.

– Merci de votre coopération, Seokjin-ssi. Nous nous reverrons bientôt, le salua-t-il en se levant pour replier sa chaise et la placer contre un des murs.

– Je n'espère pas, répondit l'homme alors que l'inspecteur quittait la salle. Si nous nous revoyons, cela sera probablement parce que vous avez une preuve décisive contre moi; ou que vous avez besoin de mon aide.