Frustration

- C'est bien partie pour être une journée de merde.

- Pourquoi ? Je trouve les résidents plutôt calmes pour l'instant.

-Je parlais de la météo Alice.

-Oh...

La fumée de cigarette se dissipait dans l'air froid de ce début de matinée. Les rayons du soleil peinaient à traverser l'épaisse couche nuageuse, plongeant la terrasse sur laquelle ils se trouvaient dans une semi-pénombre. Les deux soignants, levés depuis 4h du matin, s'autorisaient enfin une pose cigarette ainsi qu'un petit déjeuner. Derrière la bais vitré la grande horloge de la salle de séjour affichait 9h30, en dessous on pouvait voir Héléna, l'une des 9 résidentes de cette unité, fixer les soignants de son regard rendu vide par sa pathologie, ou les médicaments, Alice ne saurait dire.

Écrasant sa cigarette dans le cendrier, Roger prit la parole :

- C'est quoi que tu as tenté de faire aux cheveux d'Héléna ?

- Euh...une tresse ? Au début elle était partante puis ça l'a très vite ennuyée, j'ai dû la lui finir en la suivant au pas de course dans le couloir, c'était une erreur de croire qu'elle aurait la patience d'attendre.

- C'est comme ça qu'on apprend, souris-il.

La jeune femme resserra ses doigts rougis par le froid autour de sa tasse de café. Tout juste sortie du Bac, elle avait intégré une école pour devenir aide-soignante. Elle entamait maintenant sa deuxième et dernière année ainsi que son troisième stage, première fois dans un établissement psychiatrique, elle l'avait beaucoup appréhendée, surtout avec tous les préjugés qu'elle en avait. Mais après une semaine sur place, elle s'y était très vite accommodée, le lieu, les patients et l'équipe étaient tous sympas. La preuve : Roger, la quarantaine, Moniteur-éducateur de formation s'était occupé d'elle depuis son arrivée, lui pardonnant ses étourdissements et la rassurant sur ce milieu très spécifique.

Des bruits de taule froissée résonnèrent dans l'arrière-cour, suivis de cris dans lesquels Alice cru y discerner les paroles de "libérée délivrée".

Roger rit :

-Je te présente Mohamed, un jeune homme de 34 ans fan de Disney et qui adore chanter dès le matin en frappant contre les murs, on peut dire qu'il est en forme ce matin.

-Ça surprend...

-T'inquiète, il n'est pas méchant, juste bruyant.
D'ailleurs rien à voir, mais tu as eu le temps de lire les dossiers des résidents ?

En effet, les dossiers regroupait toutes les informations concernant chacun des résidents: leurs alter, familles, antécédents médicaux, action, traitements,...tout y était soigneusement consigné. Alice aux travers de ses feuilles de papiers découvrait la pathologie, l'histoire, l'évolution et même la personnalité de chacun des 9 résidents de l'unité n°3 où elle avait été assignée pour les 5 prochaines semaines. Le pavillon où elle était contenait trois unités, la 1,2 et 3, contenant chacune 9 résidents qui y vivait à l'année, tous majeurs avec des troubles mentaux les empêchant d'être indépendants. Les pathologies étaient diverses, cela pouvait aller de la psychose à la trisomie.

-Nan pas du tout, j'ai juste eu le temps de lire ceux de Jérémie et Bernadette, les deux plus gros, comme ça c'est fait. Et l'histoire de Bernadette m'a vraiment mis un coup au moral hier, j'avais plus la foi de continuer...

- C'est vrai qu'elle et sa sœur ont vécu un enfers

Entre deux feuilles sur son assurance maladie et la dernière prescription de Neuroleptique, on pouvait trouver dans le dossier de Bernadette un rapport de police, ou figurait le témoignage de sa sœur. Il racontait comment un soir, le père des deux petite fille, toutes deux âgée de 4 et 8ans à l'époque, après une violante dispute avec sa femme, avait complètement vrillé et l'avait tuer a l'aide de son alter. Il racontait aussi comment la plus vieille des deux avait pris sa sœur dès les bras pour s'enfuir dans le champ de vigne adjacent à la propriété. Il racontait dans les moindre détails la façon dont leurs pères les avaient traquées, d'abord avec des mots doux, puis avec des insultes car elles ne répondaient pas. Il racontait aussi, avec des mots d'enfant, la façon dont il avait fini par se donner la mort, pensant qu'elles s'étaient enfuies, alors qu'elles n'étaient caché qu'à quelques mètres de lui.

Alice avait failli vomir en lisant le rapport.

-On est bien loin des histoires de super héros que nous vend la télé à longueur de temps.

-C'est la vie jeune fille, malheureusement les super héros sont là pour gérer les super vilains, pas les drames familiaux.

-Pfff j'ai jamais compris pourquoi autant de gens voulaient devenir des super héros.

-Parce que c'est le summum de la classe ! Tu sais que quand j'étais jeune je voulais le devenir ?

-Comment ça ce fait que tu sois ici alors ?

-Parce que mon alter ne convenait pas ! Je peux tirer des rayons laser avec mes yeux.

-Genre ? Ça vaaaa , y'a dix fois pire ! Moi je peux à peine faire des étincelles en claquant des doigts !

-C'est vrai que j'ai pas a me plaindre, mais pour revenir au sujet de base : on t'as au moins fait un résumé sur les résidents ?

- Nan du tout, on m'a dit que je le découvrirai en lisant les dossiers.

- C'est pas sympa ! Qui t'as dit ça ?

- Euuuh je sais pas son nom, mais elle est Infirmière, la cinquantaine je dirais, brune et yeux bleu.

- Mirabelle ?

- Peut-être ? Je sais pas...

- Bon bah si c'est Mirabelle t'inquiète c'est normal, elle est proche de la retraite et est très bougonnette, elle est excellente pour tout ce qui est geste technique mais sur le plan humain...c'est pas tout à fait ça on va dire.

- Qu'es qu'elle fait en psychiatrie alors ?

- Bonne question...Bref, autant que je te fasse un petit topo. Alors vu que tu sais déjà pour Jérémie et Bernadette...il nous reste...Ah bah tiens ! Tu t'es un peu occupé de Jean ?

- Nan pas du tout.

- Alors parfais, t'en approche pas trop.

- Pourquoi ?

- Il aime un peu trop les jeunes filles...il a déjà plusieurs fois tenté des attouchements sur des ASH et infirmière. Vraiment c'est pas sympa que personne t'es prévenu.

- Okaaaaay...et on peut pas genre... le punir pour ça ?

- Bah à par lui dire que c'est pas bien,...pas vraiment. Il n'a pas la capacité de comprendre que ce qu'il fait est mal, il obéit juste à ses envies sans prendre en considération l'autre.

- Génial.

- Après on as Tom, il est très gentil mais fait attention parce qu'il est intolérant à la fr-

Un bip sonore retentit, le coupant dans sa phrase : c'était le téléphone de l'unité. Roger décrocha.

-Hanna ! Que me vaut l'honneur de cet appel ?

Alice tendit l'oreille pour entendre la conversation entre les deux, Hanna étant l'infirmière actuellement chargée de l'unité n°2. Une voie aiguë grésilla :

-J'ai besoin de ton aide ! Nathan s'est amusé à cracher son mucus gluant sur la serrure de l'infirmerie est comme y'avait pas d'infirmier de garde hier personne ne s'en ai rendu compte, maintenant c'est impossible a ouvrir puisque ça a séché.

- Appelle le service technique, ils sont là pour ça.

- S'il te plait Roger, je suis pressé et tu sais qu'ils mettent toujours plusieurs heures à venir...

- Utiliser son alter est interdit par la loi sans licence. Tu sais que je risque une amende ?

- Pff arrête, c'est pas la première fois que tu le feras et personne ne s'est jamais fait arrêter pour un truc aussi stupide qu'avoir ouvert une porte à une infirmière a détresse, alors bouge ton cul !

- Je te fais marcher Hanna, j'arrive.

Il se leva de sa chaise en ricanant :

-Bon, Le devoir m'appelle Alice, je te fais confiance. J'en ai pour une trentaine de minutes, je te laisse le téléphone, si il se passe quoi que ce soit de grave t'appuie sur le bouton rouge : ça déclenche les ppt et tous les soignants du pavillon vont rappliqué. Et si c'est moins grave tu m'appelle sur mon portable perso.

Alice n'eut même pas le temps de lui dire qu'elle n'avait pas son numéro qu'il disparu dans le couloir.

Laissée seule sur la terrasse, transi de froid, elle se décida bien vite de rentrer dans la tisaneri. A peine la porte fut déverrouillée que Tom, l'un des résidents, vînt la voir.

-Je peux avoir du sirop ?

-Pas maintenant Tom, il est à peine 10h.

Il répartit donc.

Alice commença à faire la vaisselle, et Tom débarqua une nouvelle fois :

-Je peux avoir du sirop ?

-Non Tom, je viens de te dire quoi ?

Son visage se crispa mais il repartit. Alice prit le temps de l'observer. Elle avait cru comprendre qu'il était autiste en écoutant parler les soignants. Tom était arrivé dans le pavillon l'année dernière et ils avaient le même âge : 19 ans. Cela faisait très bizarre à la jeune femme d'avoir de l'autorité sur des personnes de sont âge, au point de parfois les traiter comme des enfants, mais cela faisait partis de son futur métier. Cependant leurs âges était sans doute leurs seul point commun, Tom mesuré 1m95 pour 120kg , Alice qui peinait à atteindre les 50kg ne faisait absolument pas le poids face à lui, sans mauvais jeux de mot, ce qui, de son avis, rendait la scène encore plus ridicule lorsqu'elle lui refusait sa boisson.

Après avoir mis la vaisselle à sécher et fermé la tisanerie à clef, elle se rendis dans le petit bureau de l'unité, n'ayant pas grand chose à faire. Cependant elle sentit son bras se faire saisir sur le chemin, et en se retournant elle remarqua Jean, lui tendant un paquet de cartes avec un sourire...étrange ?

-On joue ?

Alice sentit son estomac se tordre, après ce que lui avait dit Roger, elle se voyait mal partagée une partie de carte avec cet homme. Surtout maintenant qu'elle était toute seule dans l'unité. Elle dégota donc une excuse :

-Je peux pas, j'ai du travail.

Elle sentis sa poigne se desserré et un air penaud s'installer sur son visage, faisant naître un sentiment de culpabilité chez la jeune femme.

-Je vois, peut-être plus tard alors ?

-Hum oui, peut-être.

Et il partis. Alice n'eut pas le temps de souffler qu'elle vit Tom s'approcher d'elle, le visage complètement fermé et d'un air déterminé.

-Je peux avoir du sirop ?

Alice répondit un peu trop sèchement en lui tournant le dos :

-Non Tom !

Elle ne vit pas son visage se crisper de colère, trop occupée à essayer d'ouvrir la porte du petit bureau.

-Je peux avoir du sirop !

Alice, exacerbé se retourna et cria à son tour :

-J'ai dit non !

Elle n'eut pas le temps de regretter ses mots qu'elle vit la bais vitré, portant renforcé, voler en éclats.

La scène se déroula au ralentit, figée sur place par la peur, elle ne put que contempler Tom dont les mains était durcie et devenue grise par ce qui devait être son alter, faire valdinguer une table, puis donner un coup de pied dans la bibliothèque dont le panneau céda, tout en hurlant. Elle ne put que crier lorsqu'il commença a fracassé la porte de la tisanerie pour pouvoir accéder au sirop, et les pieds toujours scotchés au sol par la terreur, elle ne put voir la bibliothèque s'effondrer sur elle.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle put constater qu'elle était allongée dans un brancard, soulevée par des pompiers. Incapable de bouger, elle sentait sa tête caler entre deux morceau de mousse et rattaché à des sangle au niveau du menton et du front, de même pour le reste de son corps. Elle vit alors le visage de Roger apparaître au dessus du siens :

-Ça va ma belle ?

-Non, j'ai atrocement mal à ma jambe.

-Laquelle ?

-La droite.

-C'est normal alors.

-Pourquoi ?

-et bien euh...

Un pompier l'interrompit :

-Bonjour mademoiselle, vous sauriez me dire qui vous êtes et quel jour on est ?

-Bah euh je suis Alice Girard et on est le 21 novembre 2020 je crois...

S'en suivit un léger interrogatoire sur ce qu'il venait de ce passé pendant qu'ils descendaient les marches. Une fois arrivée à l'accueil, Alice distingua des bruits rapides et secs contre le plafond. Les pompiers la posèrent au sol, le temps d'aller chercher un deuxième brancard, elle n'avait pas tout compris mais apparemment ils n'avaient pas le droit de la transporter en ambulance dans ce qu'ils appelaient "le plan dur".
Incapable de bouger la tête, la lumière des plafonniers lui bruler les yeux malgré ses paupières fermées. Se fut une nouvelle fois Roger qui s'imposa en sauveur, avec sa tête qui apparut au-dessus de la sienne.
-Je suis désolée ma grande...j'aurais jamais dû te laisser seule dans l'unité. Tom est un ange d'habitude...Avant de recevoir l'appel d'Hanna, ce que je voulais dire, c'est qu'il est intolérant à la frustration. C'est ça qui la conduit ici, il ne sait pas gérer ce sentiment.
-C'est vrai qu-

Un pompier l'interrompit en entrant dans l'accueil suivit de bruits métalliques, sans doute le fameux brancard, tout en s'écriant :
- Fait chier ! il pleut des cordes dehors.

Alice, encore scotché au brancard, pouffa :

-Hé Roger !
-Oui ?
-Il est quelle heure ?
- 11h03

- T'avais raison, c'est bien partie pour être une journée de merde.

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