CHAPITRE 10
Léa et moi décidâmes de se rendre dans la grange où j'ai pris refuge. Sur le chemin nous n'échangeâmes pas un seul mot. J'étais partagé entre divers sentiments que je n'arrivais pas à contrôler. À la fois la culpabilité de nous avoir mis en danger sans réfléchir, la frustration d'avoir été pointé d'un revolver par un inconnu tout en étant impuissant ; mais aussi la colère. Je ne supportais plus cette situation. Baigner dans l'ignorance était un réel supplice et je ne savais comment changer cela. Il était impératif que je mette les choses au clair avec Léa.
En arrivant, elle rangea ses affaires pendant que je me servis de l'eau dans un verre trouvé dans le placard de la minuscule cuisine. Exténué, je me rinçai le visage dans la salle de bain. Mon reflet était toujours misérable. Je n'osais à peine croiser mon propre regard. Durant de longues minutes, je restai accoudé sur les bords de l'évier, la tête baissée, le regard fixé sur l'eau qui gouttait petit à petit.
Une fois avoir soufflé un bon coup, je rejoignis Léa qui s'était assise sur une botte de paille, son casque audio aux oreilles. Elle était de dos, elle ne pouvait donc me voir l'observer. Je m'assis à ses côtés, elle ne réagit pas. Ses yeux étaient clos. D'un geste le plus calme possible, je lui retirai son casque. Ses paupières s'ouvrirent alors de surprise.
- Je crois qu'on doit parler, déclarai-je avec froideur.
- Parler de quoi ?répondit-elle faisant mine d'ignorer quel était le sujet.
- Inutile de jouer le jeu, tu sais parfaitement de quoi je parle. Je veux que tu me racontes tout ce que tu sais, dans les moindres détails.
- Je t'ai déjà tout dit, rétorqua-t-elle avec un air de défi.
- Non, je ne crois pas. Ton regard qui fuit le mien et ta façon de triturer ta veste lorsqu'on aborde un sujet important ne font que prouver que tu ne me dis pas tout. Loin de là même !m'agaçai-je de plus en plus.
- Julien, je ne te dois rien. Tu ne me connais pas, je ne crois pas avoir de comptes à te rendre.
- Dans ce cas-là, si tu ne me dois rien, tu peux t'en aller maintenant.
Ce fut un instant de silence pesant où nous jaugions chacun le regard et la sincérité de l'autre. Les sourcils froncés, nous attendions que l'un de nous deux prenne la parole. Les secondes défilèrent avec une lenteur écrasante.
Soudain, excédé de cette vaine attente, je me levai d'un coup pour partir en direction des champs.
- Julien, attends !m'apostropha Léa qui s'était levée pour me rattraper.
J'accélérai le pas mais elle se mit à courir. Elle m'attrapa le bras et me retourna face à elle. Je devais quasiment faire une tête de plus qu'elle. Ce fut donc facile de détourner le regard.
- Julien, tu dois comprendre que ce n'est pas facile pour moi cette situation...
- Parce que tu crois que c'est plus facile pour moi ? Ce n'est pas toi qui t'es réveillée sans souvenir dans un hôpital où on enferme ses patients. Ce n'est pas toi qui a perdu ton identité, qui cherche désespérément sa famille disparue on ne sait où, qui doit se cacher de tout le monde car on te croit morte. Ce n'est pas toi non plus qui rencontre des personnes sans savoir qui elles sont mais en sachant qu'elles ont fait partie de ta vie avant, dont certaines sur le point de te flinguer. Ce n'est pas toi qui es perdue, c'est moi !hurlai-je.
À nouveau, ce fut un moment de silence. Après avoir débité ce flot de paroles, je repris mon souffle.
- Je suis désolée... murmura-t-elle d'une voix presque inaudible.
Elle l'était. Tout son corps le prouvait. Ses mains triturant sa veste, sa tête baissée, ses épaules voûtées. Cependant, elle ne semblait toujours pas en position de me parler honnêtement. Alors je me retournai et poursuivis mon chemin.
- Eh ! Tu vas où ?
Je restai muet et continuai. Mais elle me rejoignit en courant. Puis elle me prit la main.
- Julien, je t'ai dit que j'étais désolée.
- Je ne crois pas que cela suffise pour répondre à mes questions et retrouver ma famille.
- Je sais comment me faire pardonner quelques temps, poursuivit-elle avec un sourire malicieux.
- Ah oui ? Comment ?répliquai-je intrigué.
- Comme ça...chuchota-t-elle dans un souffle.
Soudainement, elle se rapprocha de moi. Se mettant sur la pointe des pieds tout en pressant ma main, ses yeux se fermèrent et son visage vint se coller au mien. Puis, attendant de très longues secondes, nos lèvres se scellèrent. Je ne compris pas immédiatement ce qui se passait, mais dès que ce fut le cas, je répondis avec plus de fougue. C'était divinement somptueux ! Ce baiser était tellement ardent que je ressentais mon pouls jusqu'au bout des doigts.
Manquant d'oxygène, nous reprîmes notre souffle avant de nous embrasser à nouveau. Ses mains glissèrent sur ma nuque, me caressant doucement les cheveux. Afin de réduire au maximum l'espace entre nous, je posai mes mains sur sa taille et l'attirai à moi. Le goût de ses lèvres sur les miennes était exquis. Jamais auparavant je n'avais goûté de saveur si enivrante.
Nous nous séparâmes quelques minutes plus tard, la respiration saccadée. Nos fronts collés, les yeux clos, nous savourions ce moment de bonheur.
- Cela faisait tellement longtemps que j'en avais envie...prononça Léa.
Puis, brusquement, elle se défit de mon étreinte et partit en courant rejoindre la grange. Je n'avais même pas eu le temps d'esquisser le moindre geste.
Je me déplaçai un peu plus au cœur des brins de blé jusqu'à trouver un tronc d'arbre mort. Mon poing cogna dessus avec une telle puissance que l'écorce en fut marquée. Vint ensuite le deuxième poing, puis le troisième... Je frappai de plus en plus fort, de plus en plus rapidement. Submergé par la colère et la frustration, la douleur ne me parvenait pas.
J'avais été une nouvelle fois berné ! Léa m'avait embrassé pour l'unique raison de me faire oublier mes paroles plusieurs minutes plus tôt. Elle voulait que j'oublie de la questionner. Elle avait des secrets qu'elle devait me révéler. Et pour cela, je la pousserai à bout. Je ne me souvenais plus de la personne que j'étais dans mon ancienne vie, mais celle que je suis aujourd'hui n'est pas naïve. Et je compte bien le lui faire comprendre !
Cette fille avait joué avec mes sentiments pour obtenir ce qu'elle souhaitait. À présent, c'était à mon tour de jouer avec les siens. J'avais pourtant plus qu'apprécié ce baiser. À vrai dire, j'espérais poser mes lèvres sur les siennes depuis le moment où l'on s'est vu au bureau de tabac. Mais cette envie ne devait en aucun cas m'empêcher d'avancer dans mes recherches.
Une heure entière défila où je frappais un arbre sans m'arrêter. Épuisé, je reculai d'un pas et inspectai l'état de mes mains. Les jointures étaient ensanglantées, le sang coulait abondamment. Malgré cela, je ne ressentais qu'une légère douleur. Il fallait que je nettoie avant que cela ne s'infecte.
D'un pas lent, je me dirigeai vers la grange. Léa avait son casque sur les oreilles mais m'observait arriver avec un petit sourire. Jusqu'à ce que ses yeux se posent sur mes mains pleines de sang. Je comptais aller dans la salle de bain mais elle fut plus rapide que moi et vint se mettre en face de moi. Son regard était horrifié par la quantité de sang provenant de mes mains.
- Bon sang, Julien ! Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
- Rien. Laisse-moi passer, je dois nettoyer, répliquai-je froidement.
- Je vais le faire, attends, dit-elle toujours inquiète.
- Non, je n'ai pas besoin de toi. Maintenant laisse-moi passer, continuai-je sur le même ton.
Je décelai alors de l'incompréhension dans son regard, comme si j'étais devenu une autre personne.
- Tu es sûr que ça va ?insista-t-elle d'une voix plus calme.
Aucun son ne sortit de ma bouche. Qu'avais-je à répondre à cette question ? Sans un regard, je la contournai pour accéder à la salle de bain. En fermant la porte, j'aperçus son regard apeuré et cela me procura des frissons.
Pendant plus d'une demi-heure, je passais mes mains sous l'eau. Mais cela n'y fit rien, je n'arrivai pas à les nettoyer. Agacé, je donnai un coup de pied dans la porte accompagné d'un cri de rage. Ce n'était vraiment pas ma journée. Alertée par le bruit, Léa frappa à la porte pour savoir si tout allait bien. Je ne lui répondis pas immédiatement mais lui ouvrit la porte.
- Je n'arrive pas à enlever tout ce sang. J'ai pourtant passé des litres et des litres d'eau dessus, lui expliquai-je.
- Tu as désinfecté ?
- Non.
Brusquement, elle partit sans un mot puis revint avec la trousse de premiers secours. Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ? Mon entêtement, à coup sûr.
- Assieds-toi, m'intima Léa en me montrant la chaise de la cuisine.
J'obéis sans contredire. Ma colocataire – si on peut l'appeler ainsi – s'assit en face de moi et appliqua le liquide désinfectant sur un coton avant de le poser sur ma main gauche. Je tressaillis au contact du produit qui piquait légèrement mes jointures abîmées. Elle répéta le même geste sur ma main droite puis jeta les cotons. Léa prit le rouleau de bandage et le fit tourner autour de mes deux mains avant d'en couper le bout et le coincer entre deux bandes.
- Voilà, c'est fait, déclara-t-elle.
- Merci.
Je retournai dans la salle de bain pour nettoyer l'évier du sang amassé dedans tandis que Léa mit la table. Ensuite, je préparai les haricots verts dans une casserole, qui seront accompagnés de jambon cru dans l'assiette. Une fois le repas prêt, nous mangeâmes avec pour dessert une pomme chacun.
Après nous être lavés les dents, nous partîmes nous installer pour dormir. Apercevant Léa qui approchait son sac de couchage du mien, je me décalai pour m'éloigner un peu plus. Elle l'avait remarqué mais ne dit rien. Finalement, nous nous endormîmes vers 21h30.
Dans la nuit, je me réveillai en sentant un courant d'air froid. En jetant un coup d'œil, je vis Léa profondément endormie et emmitouflée dans son sac de couchage. Elle s'était encore rapprochée de moi. Cependant, cette fois-ci, je fis de même et me collai presque au tissu de son lit. Cela me permettra de récolter un peu de chaleur, je l'espère. Malgré tous mes tourments, je parvins à fermer les yeux et rejoindre le monde des songes.
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