Chapitre 9

Il yavait quelqu'un dans ma chambre. Je pouvais sentir une silhouette faite d'énergie à ma gauche. Je la voyais clairement malgré mes yeux fermés. Elle ressemblait à un nuage de moustiques qui vibrait sur une fréquence plutôt basse.

Je me redressai dans mon lit, curieux de voir de quoi il s'agissait réellement. Je fronçai les sourcils.

- Hasdiel ? Qu'est-ce que tu fiches ici ?

- J'ai suivi Meriel, répondit-elle. Je savais qu'il faisait quelque chose qu'il n'était pas censé faire. Je me doutais que ça avait quelque chose à voir avec toi. Comme d'habitude, tu l'entraînes dans les ennuis.

- De nous deux, je crois que c'est toi, qui lui causes le plus d'ennuis.

Elle se leva, dépliant des jambes plus musclées que dans mon souvenir. Je m'assis sur le bord de mon lit pour ne pas être trop désavantagé si elle tentait quelque chose.

- Il ferait n'importe quoi pour toi, grinça-t-elle. Pourquoi ? Je lui ai tout appris. J'ai toujours été là pour lui. Même lorsque j'étais un homme ! Alors pourquoi toi ?! Tu ne lui apportes rien !

- C'est à lui qu'il faut poser la question.

Meriel ferait-il réellement n'importe quoi pour moi ? Ça me paraissait peu croyable. Il me l'avait dit : il allait là où il avait le plus de chances de survie, se cachait derrière celui qu'il pouvait imaginer vaincre. C'était pour cela qu'il avait travaillé avec moi contre Lucifer, Asmodeus et Crowley. Parce qu'il était certain que je pouvais arriver à les battre.

Ce que je n'avais pas entièrement fait. Je n'avais fait que distraire Lucifer pendant qu'Ava fermait la dernière porte de l'Enfer. C'était une victoire mais minime en sachant que nombre de démons rôdaient sur Terre avec leur maître aux commandes.

- Maintenant, sors d'ici, ordonnai-je.

- Non. Pas avant de savoir pourquoi tu as droit à des quartiers dissimulés aux autres anges.

- Ça ne te regarde pas. Dégage d'ici. Je ne parie pas sur ce qui t'arrivera si on apprend que tu as refusé de partir lorsque je te l'ai dit.

Ses yeux turquoise devinrent deux pics à glace qui ne voulaient qu'un echose : m'empaler. Elle se rapprocha, étendant ses courtes ailes pour se rendre plus impressionnante. Je roulai des yeux. Se rappelait-elle que j'avais eu un face à face avec Lucifer ?

- Qu'est-ce que tu caches ? Dis-le-moi. Dans quel pétrin as-tu encore entraîné Meriel ?

- T'es bouchée, ma parole ! Je t'ai dit de sortir d'ici !

Je pressai mes lèvres pour lutter contre un sourire lorsque je remarquais l'ombre dans l'encadrement de la porte. Elle ne remarqua rien.

- Puis-je savoir ce que vous pensez faire ici ? tonna la voix glaciale de l'Archange Michael.

Hasdiel se décomposa. Lorsqu'elle se retourna, il avait déjà traversé la pièce et elle se retrouva nez à nez avec lui. Je pouvais voir les éclairs courir sous ses ailes. Il était furieux. Pas que ça change de d'habitude.

- Je... euh... Je...

Elle me jeta un regard désespéré et je haussai les épaules. Qu'elle se débrouille. Elle avait refusé de m'écouter, elle assumait. Même Meriel ne m'en voudrait pas de ne pas l'avoir aidée. Du moins, je l'espérais. Elle était pour ainsi dire sa seule amie. Cependant, au vu des derniers événements entre eux, je doutais vraiment qu'il m'en veuille.

De l'index, il lui fit signe de s'approcher. Elle m'apparut terrorisée mais incapable d'aller contre l'ordre de l'archange. Ce dernier saisit son visage entre ses mains d'une pâleur cadavérique et pressa ses paumes contre ses oreilles. Un air vague lissa les traits de Hasdiel, comme si son esprit était ailleurs.

Après une dizaine de secondes, il la poussa hors de la pièce jusque dans le couloir et vers ce qui devait être la sortie. Il se tourna vers moi. C'était perturbant de ne pas pouvoir voir son visage. De ne rien pouvoir voir de lui si ce n'était un amas de plumes rouges. Pour lui, la règle semblait déroger. D'ordinaire, les ailes n'avaient qu'une aura colorée plus ou moins prononcée. Pas celles de l'archange des Séraphins. Les siennes étaient entièrement rouges.

- Que faisait-il ici ?

- Elle cherchait des réponses que personne ne veut lui donner. Elle me déteste.

J'avais tendance à oublier que la notion de genre était propre aux mortels. Les anges pouvaient jongler entre les pronoms pour une même personne sans être le moins du monde perturbés. La distinction homme/femme ne les atteignait pas. Je n'étais pas certain qu'il la comprenne. Ils ne se voyaient pas comme étant d'un sexe ou de l'autre. Ils étaient, rien de plus, rien de moins.

- Je tirerai cette histoire au clair moi-même. Suis-moi.

Il tourna les talons et quitta ma chambre. Je dus me presser pour pouvoir le suivre et ne pas manquer l'ouverture qui était soudainement apparue dans le mur du couloir qui, jusque là, avait toujours été lisse et uniforme. Elle se referma derrière moi.

Résigné, je suivis l'archange jusqu'à ce qui ressemblait à un jardin. Je doutais que ça soit le Jardin d'Éden malgré sa beauté surnaturelle.

Des bosquets de fleurs s'épanouissaient de tous les côtés, laissant apparaître des allées d'herbe soigneusement tondue, des fontaines de pierre taillée, des pergolas, des bancs. Les couleurs explosaient contre les nuances de vert, les roses, les bleus, les jaunes venant donner vie au tableau. Un doux brouillard couvrait la partie la plus éloignée du jardin et un soleil de fin de journée nimbait l'endroit d'une atmosphère magique. De hauts arbres jaillissaient d'entre les buissons pour couvrir les bancs d'une ombre fraîche et donner encore plus de hauteur au paysage.

C'était le plus bel endroit qu'il m'eut été donné de voir de toute mon existence. Il fit naître en moi un sentiment d'émerveillement et de paix profonde. J'aurais pu me perdre le long de ses allées sans jamais regretter la Terre ou les Cieux.

Michael ralentit son allure. Je me calai sur son pas. J'effleurai une branche lourde de lilas d'un blanc pur et parfait. Son parfum m'enlaça avec force et douceur. Dans mon dos, je sentis mes ailes s'agiter.

Je me figeai. La sensation m'était familière mais dans un sens que je n'aurais pas songé pouvoir revivre. C'était un souvenir que toutes les âmes humaines avaient lorsqu'elles ouvraient pour la première fois leurs ailes après être devenues des anges. Ce poids, cette étrangeté, cette fascination... C'était un moment qui ne durait qu'un court instant mais qui demeurait gravé dans les mémoires. C'était le premier contact avec la magie.

En l'instant, je ressentis cette exacte sensation. Comme si le siècle passé avait été effacé et que mon corps redécouvrait ses ailes. Je les sentis s'étendre derrière moi, vis leur ombre dans l'allée. Quelque chose clochait. Où étaient passés les tourbillons de feu caractéristiques des Trônes ? Je me dévissai le cou pour tenter de voir par-dessus mon épaule.

Michael me prit par le bras et m'orienta vers une fontaine. Il me fallut quelques secondes pour comprendre. Mon reflet. Il voulait que je regarde mon reflet dans l'eau.

Je me penchai sur le bassin en pierre et tressaillis. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas regardé. Sur Terre ou dans le miroir de poche offert par Flax, mon apparence n'avait aucuneimportance. Seules mes ailes comptaient. C'était la première fois depuis très, très longtemps que je pouvais voir à quoi je ressemblais, ce que les autres voyaient en me regardant.

Des cheveux mi-longs d'une couleur brun rouge, une peau plus pâle que dans mes souvenirs, des traits saillants, grossièrement taillés, de fins yeux enfoncés dans leurs orbites. C'était un visage plus en santé que je ne l'avais jamais vu. Je me souvenais de combien il avait été creusé et sec dans le passé. Depuis, les joues s'étaient remplies et j'étais devenu l'un de ces visages dont personne ne souvient.

Ce que je voyais de mon buste était moyen. Des épaules de largeur moyenne, des bras fins, rien de particulier. Si ce n'était que, dans mon dos, deux ailes immenses s'étendaient vers le ciel.

Ce n'était pas deux ailes banales de plumes blanches mais des ailes tissées de feu. Les détails étaient précis et délicats, le mouvement des flammes perpétuel et gracieux. Elles étaient encore plus belles et majestueuses que tout ce que j'aurais pu imaginer.

- Dépêche-toi. Tu n'es pas là pour t'admirer.

Je sursautai. J'avais oublié où j'étais, avec qui et pourquoi. Je cillai comme un idiot. Michael se tenait à quelques mètres, étonnamment posé. Ce jardin avait un effet apaisant sur lui et je n'allais pas râler.

- Pourquoi n'ai-je pas les ailes des Trônes ? l'interrogeai-je prudemment.

- Les voulais-tu ?

- Non.

- Tu as ta réponse.

Il ne parlait pas, il grognait. Il n'avait aucune envie d'être là et de répondre à mes questions. Dommage pour lui, il était coincé avec moi autant que j'étais coincé avec lui.

J'avais du mal à réaliser que, simplement parce que je n'avais pas voulu des ailes typiques des Trônes, mes ailes les représentaient mais apparaissaient différentes. Ça ne pouvait pas avoir été aussi simple.

- Comment ça ? insistai-je. Je suis censé être le nouvel archange des Trônes, non ? Je devrais avoir leurs ailes, que je le veuille ou non.

- Ça ne marche pas comme ça. Cette position n'est pas naturelle pour toi. Elle t'est imposée en réparation de ce que Cassiel a fait parce que c'est ce qui est la meilleure chose pour toi. Les ailes ne sont qu'un détail. Tu ne voulais pas des ailes naturelles des Trônes, les Cieux se sont adaptés. Ils t'ont donné ce qui était le meilleur compromis possible.

Je supposais que son raisonnement était crédible. Une chose m'étonnait, cependant. Il n'avait pas parlé de Dieu. Il avait parlé des Cieux. C'était un détail qui en disait long pour moi. Malgré les siècles qui étaient passés, j'avais la sensation que Michael ne croyait pas en Dieu.

- Les Cieux ? Pas Dieu ?

- Il me semble que tu crois autant en Dieu qu'un athéiste.

- Ce n'est pas totalement exact. Je peux envisager qu'il existe. Il me faut simplement des preuves.

- Je n'en ai jamais eues malgré les nombreux millénaires que j'ai passés ici. Je doute que tu parviennes à en obtenir. Je doute qu'il en existe.

- Et ça ne pose pas de problème ?

- Non. Chacun possède ses propres croyances. Tout ce qui compte, c'est ce qu'il y a dans le cœur, dans l'âme. La générosité, la miséricorde, la chaleur... Toute cette lumière qui peut habiter une personne. Que l'on soit croyant ou non, que l'on soit chrétien, musulman, bouddhiste, païen... Ça ne change rien si l'on est une bonne personne. Les Cieux ne voient que le poids de ton cœur.

- Comme Anubis ?

Michael s'orienta vers moi. Je lui imaginai un mono-sourcil froncé.

- De quoi parles-tu ?

- Laissez tomber.

Évidemment qu'il ne connaissait rien des mythes égyptiens. Je ne me souvenais plus du contexte dans lequel j'avais appris l'existence de cette pesée du cœur faite par le Dieu Anubis. Découvrir qu'un mythe égyptien pouvait expliquer la répartition entre Paradis et Enfers m'avait initié au lien entre toutes les religions. Je n'avais plus été aussi récalcitrant à l'idée de l'Univers, de son influence, de son pouvoir.

Michael sortit du jardin par une allée se faufilant entre deux épais arbres qui montaient si haut qu'ils semblaient toucher les nuages. Le ciel disparut sous une toiture de branches entremêlées qui ne laissaient filtrer que de minces filets de lumière teintés de vert. Quelques mètres devant nous se trouvait une clairière aussi large qu'un petit village. Seul le centre était entièrement éclairé. Les arbres entrelaçaient leurs branchages pour tenter de la recouvrir totalement. Ils avaient encore du travail mais pas tant que ça.

- Voyons ce que tu sais faire, engagea Michael. Il paraît que tu sais utiliser l'électricité dans l'air. Montre-moi. Foudroie cette pierre.

Il me désigna une grosse pierre au pied d'un arbre millénaire.

J'hésitai. Maintenant que je n'étais plus un ange, mes capacités allaient-elles fonctionner de la même manière ? Comment allait-il réagir si je n'y arrivais pas ?

- J'attends.

Je fermai les yeux et tentai de me calmer. C'était simple. Je l'avais déjà fait. Si je l'avais fait en étant un ange, pourquoi ne pourrais-je pas le refaire en tant qu'archange ? Ça n'avait pas de sens.

Je plongeai en moi à la recherche de mon énergie. Je n'avais jamais eu de mal à la trouver mais, cette fois, j'étais bien incapable de la situer. J'eus beau chercher, il n'y avait rien de plus que moi. Juste l'énergie qui me maintenait en vie, tangible.

- Je ne peux pas, admis-je dans un murmure.

- Essaie encore.

- Comment ? Je ne ressens plus mon énergie. Je suis vide.

- Tu ne l'es pas. Tu es différent. Tu n'es plus un ange gardien. Tu es un archange.

- Si vous me disiez comment faire, ça serait bien plus facile, vous savez !

L'air autour de nous s'emplit d'électricité. Je frémis. Pas besoin d'un regard noir pour savoir que je commençais à l'énerver.

- Je ne peux pas. Crois-moi, si c'était aussi simple, nous en aurions déjà fini. Tu dois trouver par toi-même. Seulement ensuite, je pourrais t'apprendre à transformer ton énergie en actions. Maintenant, fais ce que je t'ai dit et connecte-toi à ton énergie. J'ai tout mon temps.

Il alla s'asseoir contre un tronc, se transformant en une boule de plumes rouge sang qui, je le sentais, observait le moindre mes mouvements.

Je me massai les tempes et soupirai. J'étais bon pour y passer un moment.

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NdlA : et voilà un nouveau chapitre ! Qu'est-ce que vous en dites ?! J'espère qu'il vous a plu !

Sinon, vous ne devenez pas trop timbrés avec le confinement ? Parce que moi si ! J'ai telleent hâte de retrouver le boulot, vous n'imaginez même pas ! Le seul point positif, c'est que je peux écrire autant que je veux et que j'ai BEAUCOUP avancé dans l'écriture de COLD DAYS IN HEAVEN ! Pour tout vous dire, j'ai bientôt terminé ! Devinez ce que ça veut dire... ? :p


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