Chapitre 8
Meriel tint sa promesse. Il revint régulièrement et passa mes pauses avec moi. Je sentis le changement dans mon état d'esprit. Avoir quelqu'un avec qui parler, quelqu'un que je connaissais, en qui j'avais confiance, avec qui j'avais partagé des choses... Je le ressentais comme un miracle après avoir été isolé si longtemps.
Il m'apportait des nouvelles plus concrètes d'en bas. Savoir ce qu'il se passait m'aidait à être moins anxieux et il était au courant. Il me connaissait mieux que moi-même. Ça aurait pu être inquiétant. Pourtant, ça me plaisait de savoir qu'il pouvait anticiper mes pensées et mes actions.
J'aurais aimé pouvoir faire la même chose pour lui. Parfois, j'y arrivais. La plupart du temps, toutefois... Il me prenait au dépourvu. Il me laissait perplexe ou me surprenait ou m'impressionnait. Son intelligence et son esprit de déduction ne cessaient de me sidérer.
Si lui me connaissait déjà, j'étais en train de le découvrir. Je n'avais pas envie de réfléchir à ce décalage. Il pouvait y avoir diverses explications. Elles m'importaient peu. Tout ce qui comptait était cette intimité que son attitude amenait. Cette complicité m'était précieuse et l'expliquer la détruirait.
Je refusais d'analyser les émotions que sa présence provoquait. Ce n'était rien de désagréable. Au contraire. C'était justement le problème. Je ne savais pas quoi penser de ce qui se passait. Ça n'était pas normal. Je n'avais jamais rien ressenti de tel. Pour personne. J'avais lu assez de livres pour avoir une vague idée de ce que ça signifiait et ça n'annonçait rien de bon.
Malgré tout, je ne faisais rien pour renverser la vapeur. Je gardais mes œillères et continuais à faire comme si de rien n'était. C'était plus simple. Je savais que ce n'était pas la bonne attitude, que ça n'allait faire qu'empirer mais que pouvais-je faire d'autre ?
Je préférais regarder au fait que mes ailes étaient presque entièrement nues, désormais. La peau était sensible, constamment douloureuse au point où j'envisageais de les couvrir avec quelque chose pour les protéger.
Rares étaient les jours qu'il me restait avant de devoir affronter Michael. Je n'avais pas hâte. Si j'étais entièrement honnête, je crevais de trouille. Je n'avais pas besoin de le dire à Meriel, il le savait. J'appréciais qu'il ne tente pas de me rassurer. Je lui avais demandé pourquoi.
- Parce que, tant que tu as peur, tu es sur tes gardes. Avec Michael, mieux vaut que tu sois prudent. Il a déjà menacé de te renvoyer dans les Limbes. Gabriel a beau penser qu'il ne le fera pas, nous ne connaissons pas assez Michael pour en être certains.
Son raisonnement était logique. Comme toujours.
Ce fut un mois après la première visite de Meriel que je perdis ma dernière plume. Dans le miroir de poche que m'avait amené Flax, je parvenais à voir les deux horreurs accrochées à mon dos. Elles ressemblaient aux ailes de Lucifer. Malingres, sinistres, laides. Je n'avais aucune envie que quiconque voit une telle abomination.
Malheureusement pour moi, ce fut le jour que Meriel choisit pour revenir. Pour la première fois, il ne frappa pas à la porte avant d'entrer. Il referma rapidement derrière lui et relâcha un souffle. Je ratatinai mes ailes dans mon dos pour qu'elles soient le moins visible possible.
- Quelque chose ne va pas ? questionnai-je.
- Hasdiel, marmonna-t-il. Depuis qu'elle a appris pour ta punition, il semblerait que la discussion que j'ai eue avec elle se soit effacé de sa mémoire. C'est insupportable. Elle ne doit pas savoir que je viens te rendre visite mais elle surveille toutes mes allées et venues.
- Avoir été un espion doit être un avantage pour l'éviter.
- Pas autant que je le souhaiterais. Elle connaît certaines de mes techniques d'esquives. Elle est plus observatrice que je ne lui en ai jamais donné le crédit.
- Je suppose que tu l'as évitée de justesse.
- En effet.
Il m'observa quelques secondes et inclina la tête.
- Quelque chose ne va pas ?
Je sentis mon visage s'enflammer. Je détournai le regard.
- Tout va bien.
- Tu es le pire des menteurs. Dis-moi.
- C'est rien. Vraiment.
- Rahel.
- J'ai fini de perdre mes plumes, c'est tout ! m'agaçai-je. Heureux ?
Il s'approcha et ne me laissa pas l'esquiver. Je luttai pour l'empêcher de regarder à ce qu'il restait de mes ailes. Je ne sus pas si c'était mon coude ou mon aile qui le frappa par mégarde. Toujours fut-il qu'il tituba en arrière en se tenant le nez. Du sang ne tarda pas à passer entre ses doigts. La honte et la panique vinrent se disputer le premier rang du maelstrom d'émotions que cela provoqua.
- Meriel ! Ça va ? Je suis désolé !
Il me jeta un regard noir. Le sang dégoulinait à une telle vitesse que le devant de sa chemise blanche était déjà largement devenu rouge.
- Laisse-moi voir.
Je tentai de retirer sa main de son nez mais il résista. De peur de le blesser à nouveau, je n'osai trop tirer.
- Ça va, dit-il, sa voix devenue très nasale. Tu m'as cassé le nez. Donne-moi une minute.
- Je suis désolé ! Vraiment !
Je réalisai que je tenais toujours ses mains. Sa peau chauffa sous la mienne. Je reconnus la sensation de mon énergie qui s'échappait, s'usait. Les prunelles turquoise de Meriel s'écarquillèrent. Il repoussa mes mains. Son nez avait cessé de saigner.
- Tu viens de me soigner, souffla-t-il.
- Non. C'est toi. Tu t'es soigné toi-même. Je ne sais pas comment faire donc ça ne peut pas être moi.
- C'était toi. Je l'ai senti. Je l'ai vu. Tu avais les yeux des Trônes, emplis de feu.
Jereculai et secouai la tête. C'était impossible. Je venais de perdrema dernière plume. La transformation ne pouvait pas déjà avoirlieu !
Non. Ce n'était pas moi.
Merielme saisit à bras le corps et serra sa prise. Je luttai faiblement.Son visage se pressa entre mes ailes pour lui donner plus de forcepour m'empêcher de tourner en rond. L'humidité sanglante de sachemise colla à mon dos.
Calme-toi, m'intima-t-il. Tout va bien. Ça devait arriver.
Jesecouai la tête frénétiquement.
Tout va bien. Michael va t'aider à contrôler tes nouveaux pouvoirs. Tout va bien.
Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas.
Ça va aller. Calme-toi. Ça va aller.
Qu'ilme répète de me calmer ne m'aidait pas. Au contraire. Il mestressait. M'énervait.
D'unautre côté, son contact m'ancrait dans l'instant présent,m'empêchait de me perdre dans le flot paniqué de mes pensées.
Il fallait que je reprenne le contrôle. Que je ferme la vanne qui abreuvait mon anxiété et que je reprenne les rênes. La soudaineté des événements m'avait fait perdre le fil mais je pouvais faire avec. Que je le veuille ou non, les choses évoluaient sans que j'aie le moindre contrôle dessus. Si Dieu ou l'Univers, ou quoi que ce soit qui décide de tout ça, avait décidé que je devais devenir un archange, je ne pouvais rien faire contre. Je pensais l'avoir accepté. Visiblement, ça n'avait été qu'un écran de fumée.
- Te sens-tu mieux ?
- Non. Mais je suis plus calme.
Prudemment, Meriel me relâcha. Je détendis mes ailes. Je n'avais pas eu le temps de les écarter avant qu'il ne m'attrape et, maintenant, elles me faisaient un mal de chien. La peau tiraillait, brûlait, me démangeait. Les os me paraissaient compressés, écrasés, prêts à céder. Je ne savais pas si c'était normal et je doutais que ça le soit.
- Va chercher Gabriel, ordonnai-je, les dents serrées.
Pour la énième fois, je bénis sa compréhension immédiate d'une situation. Cela venait sûrement de son passé d'espion mais je n'en étais pas moins reconnaissant. La plupart des personnes auraient demandé des explications, une raison valable ou se seraient inquiétés. Pas Meriel. Il ne lui avait fallu que ma demande sifflée et un regard à mon expression faciale pour obtempérer.
Je me pliai en deux pour tenter de soulager la pression dans mon dos. Mes ailes allaient se détacher. C'était impossible autrement. À chaque seconde passée, elles pesaient plus lourd, me faisaient un peu plus souffrir. Je n'aurais pas été surpris de les voir en train d'être rongées par des mites. J'aurais pu les arracher moi-même si j'avais été assez flexible et assez fort.
Je n'avais pas réalisé que je tentais de mettre mes envies à exécution avant que quelqu'un ne m'attrape les poignets et ne les bloque entre ses mains. Gabriel.
Combien de temps s'était-il passé depuis que j'avais envoyé Meriel le chercher ? Sûrement plus que je ne le pensais.
Meriel n'était pas revenu.
- Je l'ai envoyé chercher Michael, dit Gabriel, semblant avoir lu dans mes pensées. Je ne chercherais pas à savoir depuis combien de temps vous détournez les règles car je n'en ai cure. Tout ce qui compte, c'est de te maintenir conscient pendant toute ta transformation.
- Pourquoi ?
- Parce que si tu perds le contrôle, tu risques de mourir durant le processus.
Je me dégageai violemment, réveillé par la douche glacée qu'il venait de me faire subir.
- Quoi ?! Pourquoi ne pas me l'avoir dit avant ?!
- Quel intérêt cela aurait-il eu ? Ce n'est pas une chose à laquelle tu aurais pu échapper, que tu saches ce qui t'attendais ou non.
La seule raison pour laquelle je ne me jetais pas sur lui pour le frapper fut les spasmes qui paralysèrent mes ailes. Je me pliai en deux. Gabriel m'empêcha de heurter le sol. Je m'accrochai à lui en grognant de douleur. Il ne broncha pas quand j'enfonçais mes ongles dans ses avant-bras.
- Ça a commencé ?
La voix m'était familière mais trop distante pour que je la reconnaisse. Je sentis des mains dans mon dos, sur mes ailes. Elles se mirent à les pétrir sans la moindre douceur. Je hurlai. Je m'effondrai contre Gabriel qui me laissa faire.
Le processus fut long. Aussi long si ce n'est plus que ma mort. Aussi atroce et douloureux que ma mort. C'était une souffrance différente que celle de se faire dévorer par des chiens affamés. Toutefois, Gabriel dut user de toute son intelligence pour réussir à me faire garder conscience.
Dans ces moments, je pouvais sentir mon esprit se faire dévorer par l'algie. Le mécanisme se mettait en pause lorsque Gabriel me giflait ou me plongeait le visage dans de l'eau glacée. Il se remettait en route dès que je faiblissais à nouveau.
Jusqu'à ce la douleur cède sa place à un engourdissement désagréable et que Gabriel me laisse m'étaler sur le sol frais.
- Est-il encore conscient ? questionna Michael (j'avais fini par le reconnaître).
- À peine. Il va avoir besoin de temps pour se remettre. Je te l'enverrai lorsqu'il se sera remis.
- Bien.
La porte claqua derrière Michael. L'atmosphère fut tout de suite moins lourde. Mes paupières commencèrent à peser sur mes yeux.
- Tu serais mieux dans ton lit.
J'utilisai le bras de Gabriel pour me hisser sur mon matelas, tombant tête première dans les oreillers. Il ne me fallut pas plus d'une seconde pour m'endormir.
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NdlA : Alors ? Ce chapitre ? Qu'est-ce que vous en avez pensé ? Je le fais beaucoup souffrir, non, notre petit Rahel ?
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