Chapitre 6

Meriel se tenait dans un coin de la chambre, appuyé contre le mur. Il semblait fatigué. Ses cheveux noirs étaient plaqués contre son crâne, humides. Ses yeux turquoise ne m'avaient jamais paru plus brillants. Ils étaient plissés par l'épuisement, encore plus fins que d'habitude mais vifs.

En quatre mois et demi, il n'avait pas changé et, en même temps, il m'apparaissait différent, comme si j'avais oublié à quoi il ressemblait mais qu'un souvenir fugace demeurait. Je redécouvris les traits lisses de son visage, son teint légèrement beige, la finesse de sa bouche, sa mâchoire avancée, ses centimètres en moins, la fluidité de son corps et sa prestance.

J'avais oublié les détails que, inconsciemment, j'avais retenus lorsque je passais du temps avec lui sur Terre. C'était bizarre de le revoir. Il n'aurait pas dû mais il m'avait manqué. Si je n'avais pas certain qu'il me repousserait comme un malpropre, je l'aurais pris dans mes bras.

- Puis-je savoir pourquoi tu me regardes ainsi ?

- Je me demande si j'hallucine, rien de bien grave.

- Pourquoi dis-tu cela ?

- Je n'ai pas vraiment eu de contact avec quiconque depuis que j'ai été rétrogradé. Ça fait à peine deux semaines que Sabathiel est devenu mon superviseur et que j'ai quelqu'un à qui parler de temps en temps.

Meriel vint s'asseoir à côté de moi. Il sentait le jasmin. Ça me rappela notre conversation chez Ava, lorsqu'il m'avait avoué ne pas être attiré par les femmes. C'était la première fois que j'avais senti ce parfum sur lui. La première dont je me souvenais, en tout cas.

- C'est une surprise que tu ne sois pas devenu fou. Quoi que, avec l'état de tes ailes, j'ai des doutes.

- Ce n'est pas moi.

- Qu'ont dit les Vertus ?

Je ne pus que sourire. Ça me faisait un bien fou de le retrouver. Il savait anticiper. Nous fonctionnions merveilleusement bien ensemble. C'était grâce à lui que nous avions eu une chance contre Lucifer et ses sbires. Il était le cerveau et j'étais le bras armé. Ça ne me dérangeait pas. Ça m'évitait un peu d'angoisse inutile.

- Rien. Gabriel m'a expliqué ce qu'il se passe.

- L'Archange Gabriel ? Que t'a-t-il dit ?

- Que je...

J'hésitai. Pouvais-je lui dire ? Je redoutais sa réaction. Je n'arrivais pas à imaginer ce qu'il allait dire. Je venais à peine de le retrouver depuis dix minutes. S'il repartait en laissant une promesse de ne plus revenir, je ne savais pas quel effet ça allait avoir sur moi.

- Oui ?

- Gabriel m'a dit que je devenais un archange.

C'était sorti, je ne pouvais plus revenir en arrière. C'était quitte ou double.

La surprise vint écarquiller ses prunelles. Il ne s'était pas attendu à une telle réponse. J'aurais pu rire de son expression si je n'étais pas aussi nerveux.

- Explique-moi.

- Selon lui, c'est à cause de ce que Cassiel m'a fait. Orchestrer ma mort pour être assez puissant pour récolter les informations dont il avait besoin. Apparemment, Dieu aime l'équilibre et la justice donc, pour compenser ce qu'a fait Cassiel, je suis censé prendre sa place plutôt que Raziel. C'est pour ça que je perds mes plumes. Mes ailes se transforment. Lorsque ça sera terminé, Michael va m'entraîner.

Il pouffa.

- J'ai hâte de voir ça. Vous allez vous foudroyer l'un l'autre !

La chape de plomb qui m'écrasait les épaules disparut. S'il pouvait rire de ma misère, c'était bon signe. Il adorait se moquer de moi. C'était ce qui m'avait fait le détester au début. Avant que je ne voie plus loin que la muraille.

- Ça n'a rien de drôle. Je suis très bien en tant que gardien. Ce qui est le signe que je mérite ma place, selon Gabriel. Toujours est-il que je n'ai pas envie de diriger les Trônes, d'avoir des ailes de feu et tout ce qui va avec ! Je veux pouvoir descendre sur Terre et profiter de la pluie, aider les mortels... !

Meriel s'orienta vers moi, posant un genou sur le lit et sa cheville sur sa cuisse. Je gardai les yeux rivés sur mes mains. Elles tremblaient.

- Tu veux empêcher que d'autres humains vivent ce que tu as vécu. Tu penses que, en étant sur le terrain, tu seras plus efficace. Tu as tort. Devenir le nouvel archange des Trônes est l'occasion rêvée pour toi de faire ce que tu veux réellement accomplir.

Comment savait-il ce que je n'avais jamais énoncé à voix haute, je l'ignorais. Il avait cette manie de toujours savoir. C'était l'une des choses que j'aimais chez Meriel. Il savait.

- Tu représenteras la justice, l'ordre des choses, l'équilibre. Tu seras au premier rang pour empêcher quiconque de tenter de refaire ce qu'a fait Cassiel. Au lieu d'un bouclier sélectif, tu pourras englober toute l'humanité. N'est-ce pas mieux ?

- Si tu as raison, oui. Peut-être. Sûrement. Tout ce que je sais, c'est que j'aimais bien être un gardien.

- C'était moins effrayant.

J'acquiesçai.

- Et moins solitaire.

- Il me semblait avoir remarqué que tu n'aimais pas être seul. Tu ne le seras pas. Pas vraiment.

- Tu sais aussi bien que moi que je le serais. Les autres archanges ne me parleront pas et les Trônes ne feront que venir prendre leurs ordres. Ils ont tous été créés, ils n'ont jamais été humains. Ils ignorent ce que c'est d'avoir besoin de parler ou simplement d'avoir envie de faire autre chose que travailler. Je le vois avec les Cupidons. Ils ne s'arrêtent jamais. Ils n'ont pas besoin de se reposer. Ils descendent, remplissent leur mission, reviennent, en reprennent une et repartent. Plus j'y pense et plus je comprends pourquoi Michael est devenu si aigri.

Meriel inclina la tête. J'avais oublié qu'il manifestait sa curiosité et son intérêt comme un chiot. C'était franchement mignon. Ça cassait son image de grand cynique.

- Que veux-tu dire ?

- Gabriel m'a révélé que Michael n'a pas été créé un archange mais un ange. Lucifer était l'Archange des Séraphins. Michael l'a remplacé parce que Lucifer lui a fait la pire chose possible ; le forcer à l'affronter. Michael adorait son frère, apparemment. Devoir l'envoyer en Enfer... Ça n'a pas été facile pour lui. C'est pour ça qu'il ne me supporte pas. Je lui rappelle ce qu'il a subi.

- Si c'est vrai, ça se comprend. Personne n'aime qu'on leur rappelle qu'ils ont dû condamner leur frère préféré.

- N'empêche que c'est lui qui va m'entraîner et que je n'ai pas hâte.

Il rit.

- Je n'en doute pas. Tu devras te rappeler que c'est l'occasion pour toi de protéger les humains.

Je me pris la tête dans les mains et soupirai. Je tressaillis lorsqu'il posa une main sur mon épaule. Son regard était assuré mais exprimait en même temps une sollicitude et une chaleur qui me firent détourner les yeux. Depuis quand faisait-il aussi chaud dans cette pièce ?

- Tu peux le faire, Rahel. Dès que je t'ai rencontré, j'ai su que tu étais destiné à tous nous dépasser. Il y a quelque chose chez toi... C'est criant. Ça s'est illustré durant l'affrontement. Alors que Raziel a fui devant Lucifer, tu lui as fait face. Tu savais que tu n'en avais pas la force, que tu risquais fortement de perdre et pourtant, tu l'as fait. Si, en tant que simple gardien tu es capable de faire reculer Lucifer, imagine ce dont tu seras capable en tant qu'archange ?

Sa main glissa sur mon bras jusqu'à mon avant-bras. Sa peau était chaude et douce. Son teint couleur de miel tranchait sur ma pâleur. J'aimais ce contraste. Cette chaleur qui venait réchauffer la glace.

- Je ne veux pas devenir un archange, soufflai-je. Je commençais à trouver ma place.

Meriel se rapprocha encore, le plus qu'il put. Sa jambe chevauchait presque la mienne. Mon corps s'orienta de lui-même vers le sien.

- Tu ne seras pas seul, Rahel. Quoi qu'il arrive, tu as des amis. Et puis, si j'ai réussi à venir ici alors que tout est fait pour t'isoler, penses-tu vraiment que je ne réussirais pas à venir te voir quand tu seras un archange ?

Je cherchai son regard. Aussi mal à l'aise que je sois, je ne me détournai pas.

- Comment tu as fait ? Et pourquoi ? Tu es censé protéger Declan et Ava.

- Ils sont sous bonne garde, ne t'en fais pas. Quant à ma raison pour venir te voir, elle est simple. Je voulais savoir ce qu'il se passait. Ariel s'est contenté de me dire que tu avais été rétrogradé chez les Cupidons et que je devais te remplacer auprès ta charge. Je n'ai pas réussi à obtenir la moindre réponse de sa part. J'étais inquiet. Tu étais dans un sale état en arrivant et tu n'es jamais redescendu. Que Ariel, qui est de notre côté, ne me dise rien... Oui, j'étais inquiet.

Ma poitrine se serra lorsqu'il affirma s'être inquiété pour moi. J'avais tellement redouté qu'il retourne sa veste et cesse d'être mon ami que mon soulagement était indicible. À tel point que je cessai de réfléchir et que je le serrai contre moi, mes bras autour de son cou. Je pus entendre son « umph » avant qu'il ne se relaxe.

- Merci, chuchotai-je. Merci.

Ses bras vinrent me rendre mon étreinte. Il se montra d'une telle délicatesse en se glissant sous mes ailes que ce sentiment dans ma poitrine enfla encore. J'enfouis mon visage dans son cou et resserrai mon étreinte.

- Ça va aller, murmura-t-il contre mon oreille. Je viendrais te rendre visite autant que possible. Je connais le chemin, maintenant. Je doute que Ariel ou Sabathiel m'en empêchent si jamais ils se rendent compte de mes visites.

Je ne dis rien, laissant ses mots m'emplir de chaleur. Je n'avais pas réalisé combien j'avais besoin de ça. De ce contact, de ce réconfort. Je n'aurais pas cru que Meriel me laisserait le serrer dans mes bras. Il était fier et renfermé. Pourtant, il me rendait mon étreinte. Il me serrait aussi fort que je le serrais.

Je mis du temps avant de le relâcher. J'eus l'impression qu'il tentait de me retenir quand je me redressais. Ce qui fit que je ne me reculais pas de beaucoup. Juste assez pour pouvoir le regarder.

- Désolé. Je... Je ne réagis pas comme ça d'habitude mais...

- Ça ne me dérange pas, intervint-il. Alors ne t'angoisse pas.

- Merci.

Il roula des yeux mais ses lèvres luttaient contre un sourire.

- Tu as l'air épuisé, repris-je, décidant de passer à autre chose.

- Je n'ai pas pris le temps de me reposer depuis que tu es coincé ici. Je m'attends toujours à ce qu'il y ait un démon qui survienne dès que j'aurais le dos tourné.

- Pourquoi être monté aujourd'hui, dans ce cas ?

- La sorcière m'a botté les fesses. Elle a pris confiance dans ses pouvoirs depuis la fermeture des portes. Elle a créé une telle barricade autour de sa maison que je ne pense pas que Lucifer lui-même puisse passer à travers. J'en ai profité pour venir.

- Tu devrais profiter d'être remonté pour dormir un peu.

- Je suppose. Combien de temps de pause te reste-t-il ?

- Une heure.

- Parfait. Ça ne te dérange pas que j'utilise ton lit ?

- Non.

Il me relâcha totalement et s'étala de tout son long, laissant une aile pendre hors du lit et l'autre le couvrir. Incertain, je restai là où j'étais.

- Tu devrais dormir aussi, lâcha-t-il. Tu es affreusement pâle.

J'aurais sûrement dû lui dire que je n'étais pas fatigué puisque je ne faisais que dormir dès que j'avais un instant de pause. Au lieu de ça, je m'allongeai de l'autre côté du lit. Mes ailes étaient raides et engourdies. Les placer correctement pour pouvoir dormir me demanda plus d'efforts que ça n'aurait dû.

- Elles te font mal.

- Pas vraiment. C'est plus comme me servir de muscles froids et raidis. Ce n'est pas agréable et ça tiraille mais ce n'est pas douloureux en soi.

Il opina de la tête, et plia un bras sous sa tête.

Je n'avais jamais dormi aussi près de quelqu'un, face à face. Meriel, lui, paraissait à l'aise. À moins qu'il ne soit trop épuisé pour s'en préoccuper.

- Ferme les yeux, détends-toi et dors.

Mon visage chauffa et je me dissimulai entre mon aile et mon coin d'oreiller.

Il me fallut du temps pour réussir à me relaxer. Mon ami s'était déjà endormi depuis un moment lorsque, enfin, le sommeil me happa aussi.

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NdlA : Heureux de ce moment tout doux entre votre duo favori ?!

On commence tout en douceur avec ce second tome ! Mais n'espérez pas trop que ça dure !

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