Chapitre 54
Ma guérison ne fut pas aisée. Loin de là. Je passais de longues journées à lutter de toutes mes forces pour ignorer la douleur sourde qui envahissait mon corps. D'après Crowley, le lien était aussi fort que l'avait été le piège. Le scier allait prendre du temps. Heureusement, plus souvent que pas, les choses allaient dans mon sens. Ça n'empêchait pas les retours en arrière d'être épuisants et douloureux.
Je n'aurais pas cru que Lucifer puisse être encore plus horrible à regarder que sous sa forme démoniaque. Je m'étais trompé. C'était encore pire de le regarder alors qu'il possédait une forme angélique brûlée presque entièrement. Il était devenu un hybride entre ange et démon et j'en vomis. Ressemblais-je aussi à ça ?
J'avais tenté de soudoyer Flax pour qu'il m'amène le miroir que j'avais caché dans mes appartements. Il avait refusé. La seule conclusion plausible était donc que je ressemblais à Lucifer et qu'il savait que je ne pourrais pas le supporter.
Pas étonnant que Meriel ne vienne pas.
Cette idée qu'il ne soit pas venu une seule fois me travaillait. Ça ne lui ressemblait pas. Il était plus intelligent que ça. Tous les doigts devaient être pointés vers lui et il ne saurait pas résister à son instinct de connard arriviste pour tenter de redorer son blason. Peu importaient ses sentiments pour moi, peu importait leur absence, il aurait dû me rendre visite ne serait-ce que pour améliorer la façon dont les autres anges le voyaient.
Alors pourquoi n'était-il pas venu ?
J'attendis la visite de Chamuel pour lui poser la question. Il était le seul avec qui je pouvais en discuter quand bien même c'était indélicat. La torche qu'il portait pour moi ne s'était jamais réellement éteinte. Elle ne brillait plus autant qu'avant mais elle était toujours allumée.
Il continua de sourire lorsque je le questionnais. Toutefois, son sourire se fit un peu crispé.
- Disons qu'il a été chassé de la Serre pour ta sécurité.
- Comment ça ?
Le vague souvenir de quelqu'un se faisant repousser par les Vertus pendant que je brûlais me revint. Ça avait été Meriel ?
- Le déchu et toi... Dès qu'il pénétrait dans la section qui vous est réservée, vous vous mettiez à hurler. Comme si vous étiez à nouveau en train de brûler. Quand il partait, vous vous calmiez. Pour être honnête avec toi, il n'a pas eu l'air mécontent de ne plus avoir à venir.
- Quelqu'un sait pourquoi nous réagissons comme ça lorsqu'il est là ?
- Selon le démon, soit le déchu a eu le temps de te maudire pour ne plus accepter sa présence, soit c'est un autre effet secondaire de l'interférence du piège de la mortelle. D'après lui, une malédiction du déchu serait plus crédible. Meriel n'était plus dans le cercle lorsque tu as tué le déchu.
Je secouai la tête. Ça n'avait pas de sens. Si Lucifer m'avait maudit, je m'en serais rendu compte. J'étais juste à côté de lui. Je l'aurais entendu.
- Non, tu ne l'aurais pas entendu. Il n'avait pas besoin de prononcer les mots. Quand tu utilises tes pouvoirs d'Archange, tu n'as pas à parler, non ? Pour lui, c'était pareil. Il peut parfaitement t'avoir maudit au moment où il s'est rendu compte de ce qu'il se passait.
Je jetai un regard vers le corps de Lucifer. Il était toujours inconscient. Aussi étrange que ça puisse être, je ne le vivais pas comme une malédiction. Pas après les actions de Meriel. Je n'avais pas encore oublié notre relation mais elle était entachée par son attitude.
- Si Lucifer pensait me faire du mal, c'est raté, répondis-je finalement. Au contraire, c'est une bénédiction de ne plus avoir à subir la présence de cet arriviste de première.
Chamuel demeura silencieux. Il m'observait avec les sourcils haussés.
- Quoi ? Il m'a jeté des horreurs à la tête pour se débarrasser de moi parce qu'il était certain que j'allais mourir. Il n'a fait aucun effort depuis. Au contraire. Il a fait de son mieux pour que je sois celui qui se retrouve devant Lucifer pour le détruire.
- C'est vrai qu'il a cherché des moyens de faire annuler tes accords avec le démon et le Prince d'En Bas. Tu n'étais jamais là mais il était très vocal à ce sujet, de sa manière détournée et sinueuse. Dommage pour lui, Declan n'a pas manqué de le pointer du doigt.
Meriel avait ajouté quelques clous à son cercueil, à tenter une telle manœuvre devant Declan. Ce dernier était peut-être un mortel mais il était un enquêteur de génie et il remarquait les plus petits détails. Meriel n'avait aucune chance face à lui.
- Mais ce n'est pas ça qui me perturbe, reprit Chamuel. Comment arrives-tu à prononcer le nom du déchu ? Je ne l'ai pas cru lorsque Sabriel m'a dit que tu parvenais à jurer.
- Pourquoi ne pourrais-je pas ? Je n'ai jamais eu de problème avec ça.
- Depuis que nous sommes remontés, plus personne ne parvient à prononcer son nom. C'est juste impossible.
Je haussai les épaules.
- Je suis déjà incapable d'expliquer un seul de ces foutus effets secondaires, alors ne me demande pas d'expliquer ça.
- Tu viens de jurer.
- Acceptons-le pour ce que c'est : un énième effet secondaire inexplicable. Je suis trop fatigué pour réfléchir.
Il se mit à sourire, plus détendu. C'était l'une de ses qualités. Il savait quand la discussion arrivait à son terme et ne poussait pas. Malheureusement pour lui, il ne serait jamais plus qu'un ami, à mes yeux.
Il fallut de longues semaines avant que Ava et Crowley ne parviennent à rompre le lien entre Lucifer et moi. Ce fut long et épuisant. Lucifer se réveilla à un moment, se mit à hurler à pleins poumons. Personne ne pouvait l'approcher. À part moi, bien sûr. Tout ce que je fis, ce fut lui donner un coup de poing en pleine face qui le renvoya dans l'inconscience. Sabriel fut pris de haut-le-corps face à la violence.
L'attitude des anges continuaient de me perturber. Ils étaient devenus conservateurs, coincés et vraiment agaçants. Ils ne supportaient plus les jurons, l'évocation de Lucifer et de ses sbires, de quoi que ce soit qui ne concerne pas les mortels ou les Cieux. C'était épuisant. Surtout que je n'étais pas affecté. Je pouvais jurer autant que je le désirais sans en subir de conséquences. Je pouvais prononcer le nom de Lucifer sans problème.
Je ne cherchais pas à comprendre pourquoi, contrairement aux autres, je n'étais pas affecté. Je profitais du temps que j'avais à ne rien avoir à gérer. Ça faisait longtemps que je pouvais juste exister sans que l'on attende quoi que ce soit de moi. J'aurais aimé pouvoir sortir de la zone de quarantaine de la Serre où j'étais confiné avec Lucifer. C'était la seule chose qu'il me manquait. Pas que je me plaigne. Le bonheur de ne plus avoir la moindre responsabilité était immense et je n'aurais jamais cru pouvoir y goûter. De plus, j'ignorais combien de temps il durerait alors je comptais en savourer chaque seconde.
Puis, vint le jour où les liens qui m'attachaient à Lucifer furent totalement rompus. Je les sentis casser dans un claquement qui ne résonna qu'à mes oreilles. J'avais été épuisé toute la journée avant de comprendre ce qu'il se passait. Lucifer pompait mon énergie pour lutter contre le sort d'Ava pour nous séparer. Cette sangsue ne devait même pas s'en rendre compte. C'était un réflexe instinctif, de survie.
Dommage pour lui, il était trop tard. Les liens venaient de céder et je pouvais voir sa santé décroître sous la brûlure des lumières célestes. Je regardai avec une fascination morbide le Diable brûler sur son lit. Il n'y avait pas de flammes mais la façon dont son corps réagissait ne laissait aucun doute sur ce qui lui arrivait.
Sabriel arriva au moment où Lucifer rendait son dernier souffle. Ça puait le soufre dans toute la pièce. Je crus qu'il allait tourner de l'œil.
- Alors ça y est ? me demanda-t-il.
- Il semblerait.
- Je vais demander qu'on se débarrasse de lui. Tu te reposes et tu termines de te remettre, d'accord ? Il me semble avoir entendu Raziel dire qu'il aurait bien besoin de ton aide pour certains cas.
- Raziel ? Besoin de mon aide ? J'en doute.
- Tu serais surpris des changements qui se sont opérés hors de la Serre.
Il m'offrit un sourire moqueur avant de sortir. Je tentai de lutter mais j'étais épuisé. Le sommeil me happa, détruisant tout le côté dramatique de ce qu'il venait de se passer.
Lorsque je me réveillais, le corps de Lucifer n'était plus là. J'étais seul. Je baissai les yeux et vis la peau de mes bras lisse et parfaite. Comme si elle n'avait jamais brûlé. Je l'effleurai, y croyant à peine. J'avais guéri. Maintenant que j'étais libéré de Lucifer, il n'avait pas fallu longtemps à la Serre pour me soigner. Mon corps était redevenu le même qu'avant.
La dernière question à laquelle j'avais besoin d'une réponse était mes ailes. Je n'étais plus l'Archange des Trônes. Je ne possédais donc plus leurs ailes de feu. De fait, étais-je redevenu un simple ange gardien aux ailes et aux yeux turquoise ? Ou étais-je devenu autre chose ?
Un Vertu pénétra dans la pièce et m'offrit un large sourire. Il s'arrêta sur le seuil.
- Je vais chercher Sabriel.
Il ne dit rien de plus avant de faire demi-tour et de disparaître. Je me laissai tomber contre les oreillers. Avec de la chance, le Prince des Vertus me dirait où j'allais atterrir. Retourner parmi les gardiens me semblait improbable. Peut-être allais-je monter en grade. Avec la chance que j'avais, j'allais me retrouver parmi les Puissances, sous les ordres de Chamuel, à devoir me battre contre les démons. La pire conjoncture possible serait de devoir travailler sous Gabriel. Ça, je le vivrais mal.
Sabriel ne se fit pas attendre. À croire qu'il n'était jamais loin de la Serre. Son sourire était encore plus lumineux que celui du Vertu qui était allé le chercher.
- Rahel ! Tu as l'air en forme !
- Je me sens plutôt bien, c'est vrai.
- C'est vraiment bien. Je suis ravi que tu sois enfin guéri. Pendant un moment, j'ai cru que je ne pourrais rien pour toi. C'est une chance que tu aies d'aussi bons alliés.
Je ne pouvais qu'être d'accord. Sans Ava, je serais mort depuis longtemps. Ce petit bout de femme était infaillible et j'étais prêt à parier qu'elle deviendrait une plus grande sorcière que son ancêtre. Crowley n'avait qu'à bien se tenir parce qu'elle allait lui botter les fesses sans sourciller s'il s'écartait du droit chemin.
Sabriel se fit un devoir de vérifier que tout était en ordre avant de s'asseoir sur le bord de mon lit.
- Avant de te relâcher dans la nature, il y a des choses que tu dois impérativement savoir. Les Cieux ont beaucoup changé depuis que tu...
- Depuis que j'ai brûlé comme une torche, tu peux le dire.
J'en avais encore des cauchemars mais je n'étais pas le genre à éviter le sujet. Au contraire, ça m'aiderait à faire face à ce qu'il s'était passé.
- Depuis ce moment, donc. As-tu conscience que, pendant un moment, tu étais mort ?
- Puisque Raziel a pris ma place à la tête des Trônes, je m'en suis douté. Ça ne serait pas arrivé sinon.
- En effet. Ce n'est pas le seul Archange qui ait été nommé depuis que nous sommes remontés. Uzziel a été remplacé.
Je fus plaisamment surpris par cette nouvelle. Ce déserteur et traître ne méritait pas mieux.
- Par qui ?
- Moi.
Je l'observai plus longuement mais ne découvris aucun changement en lui. S'il ne me l'avait pas dit, je ne l'aurais su.
- Des félicitations sont de rigueur, donc !
Son sourire allait lui arracher les joues s'il continuait. Je n'avais jamais vu une telle manifestation de bonheur et de ravissement. Sabriel avait toujours été une présence positive et sincère mais cette fois, c'était amplifié jusqu'à un point presque insupportable.
- Merci. Je ne m'étais pas préparé à une telle éventualité mais j'avoue être ravi de l'opportunité de rendre à mes anges leur prestige.
Il se racla la gorge et enferma ses mains entre ses cuisses.
- Pour en revenir à notre sujet, nous avons perdu et remplacé plusieurs archanges. Le seul qui n'a pas encore été remplacé est Michael.
- Comment ça se fait ?
- Nous n'en étions pas certains jusqu'à récemment. Au départ, nous pensions que trouver un remplaçant pour lui était une affaire complexe qui demandait du temps. Toutefois, nous nous sommes rapidement rendus compte que ce n'était pas ça, le problème. Notre Père avait déjà trouvé un nouvel archange pour les Séraphins seulement il n'était pas disponible.
- Comment ça ?
Je n'aimais pas du tout la direction que cette discussion prenait. Pas du tout.
- Hasdiel. Le miroir, s'il te plaît, appela-t-il.
Sa voix ne s'éleva pas et pourtant, elle portait autant que s'il avait crié. L'amie de Meriel entra, portant dans ses bras un miroir ancien au cadre ouvragé d'un blanc satiné qui brillait sous les lumières de la Serre. Elle me jeta son regard le plus noir avant de se dissimuler derrière le miroir, le tenant droit devant elle.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu mon reflet. J'en avais presque oublié à quoi je ressemblais. Mes cheveux acajou avaient poussé et effleuraient mes épaules, faisant ressortir l'angle puissant de ma mâchoire. Je n'étais plus aussi pâle que par le passé. Mon temps parmi les Trônes avait apporté de la couleur à mon teint, désormais caramel. Ma forme aussi s'était étoffée. Je n'étais plus maigrichon et tout en angle. Ma silhouette s'était harmonisée.
Le plus gros changement ne venait pas de mon corps humain mais de ce qui faisait de moi un ange. Mes yeux n'étaient ni turquoise ni remplis de feu. Non, ils étaient aussi rouges que le sang qui courait dans mes veines. Dans mon dos, trois paires d'ailes assorties s'étiraient, battant lentement, d'une façon si indolente qu'elles parurent se moquer de moi.
- Non. Non, non, non, non, non ! Absolument pas !
Sabriel se mit à rire.
- Ce n'est pas comme si tu avais le choix, Rahel.
- Mais je ne veux pas !
Il tapota mon épaule en se levant.
- Je vais te laisser te faire à l'idée. Quand tu seras prêt à sortir, fais-moi appeler. Que je vérifie que tout va bien.
Je hochai bêtement la tête et Hasdiel et lui quittèrent la pièce. Hasdiel laissa le miroir dans la pièce, posée sur un meuble. Elle me jeta un dernier regard froid avant de fermer la porte derrière elle.
Il me fallut tout mon courage pour réussir à me lever et à me regarder dans le miroir. Les six ailes étaient toujours là, massives et touffues. Je n'eus pas à réfléchir, mes muscles savaient déjà comment faire fonctionner chacune des trois paires individuellement. La plus petite tout en haut pour me dissimuler le visage, celle du milieu, massive et épaisse pour me protéger le corps, la dernière, longue et plus délicate pour envelopper mes jambes. L'armure parfaite. Celle-là même qui n'avait pas pu sauver Michael des insectes d'Abaddon.
Bon. Je n'étais pas redescendu dans la hiérarchie. J'étais resté un Archange. J'avais monté en grade. Je pouvais l'accepter. Dans quelques temps. J'étais devenu un Séraphin. J'étais au sommet de l'échelle.
Avec ce que ça impliquait de responsabilités.
J'avais eu raison d'apprécier mes journées à paresser dans la Serre. Elles n'avaient pas duré. Dès que je franchirai le seuil, on allait attendre de moi que je répare les dégâts de Michael. Que je redonne un second souffle aux Cieux.
- Fais chier !
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NdlA : Désolée, les amis ! Mon weekend a été tellement occupé que je n'ai pas pu poster ! Je n'ai même pas pu écrire depuis plus d'une semaine ! :(
Mais le chapitre est là ! J'espère que vous l'avez apprécié ! Vous vous y attendiez ou pas ?
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